L'immeuble des Belles-Lettres a été visité. Plus de quinze appartements : celui de Monsieur Supervielle, de Monsieur Michaux, de Monsieur Réda, enfin toute une liste, jusqu'à la chambre de bonne de Monsieur Baudelaire. Des gens connus. - Des traces d'effraction ? - On ne sait pas par où il est entré. Par les caves sans doute ou alors les greniers ? Rien que les marques d'un passage : meubles déplacés, tiroirs bouleversés, dossiers jetés en vrac sur les canapés. Mais rien n'a été dérobé. Pas la moindre babiole. Il devait chercher quelque chose... L'appartement de Monsieur Ponge était retourné de fond en comble. Il a dû y laisser ses empreintes. - À moins qu'il n'ait porté des gants. Mais s'il n'y a pas de plainte... - Ces locataires sont des gens plus que bizarres, vous savez, des artistes... Celui qui nous a averti semblait indisposé par cette visite, indisposé mais flatté. Il a aperçu l'intrus. Mais de dos. Il se souvient qu'il portait une écharpe rouge. - Le bruit court que les portes de cet immeuble sont ouvertes à tous vents, qu'il y a sans cesse du passage, jusqu'à des heures indues. Quel plaisir peuvent-ils bien prendre à laisser entrer le premier venu, à lui faire la conversation ? Ça finit par donner des idées. N'importe quel voleur a pu faire le coup. - Est-ce un voleur ? Rien ne manque... - C'est qu'il n'aura rien trouvé. - On peut craindre qu'il ne récidive. Envoyons le labo collecter les empreintes.

Empreintes - Baudelaire, Colette, Friedrich, Gombowicz, Jaccottet, Larbaud, Mallarmé, Mandiargues, Michaux, Ponge, Réda, Saint-John Perse, Supervielle, Thomas

Les livres sont aussi des bibliothèques. Dans la salle de lecture de celle que constitue celui-ci, on peut croiser, entre autres, Thomas Bernhard, André Breton, Blaise Cendrars, Pascal Quignard, Pierre Michon ou encore Philippe Sollers, qui y forment une petite communauté provisoire. Chacun de ces lecteurs singuliers vient là pour des raisons diverses : pour voyager, dénombrer, rêver ou encore interpréter. On y rencontre aussi l'auteur qui s'interroge sur cette étrange passion lire dont il soupçonne qu'elle cache quelque chose. Il semble que chacun de ces lecteurs ait trouvé dans le livre un objet d'amour. Un objet d'amour qui en remplace un autre.

Usages du livre

N dans une famille cultive de la bourgeoisie protestante nmoise, Francis Ponge (1899-1988) inaugure avec Douze petits crits (Gallimard, 1926) une des uvres parmi les plus considrables du sicle. Durant les annes 1960, lavant-garde littraire met au jour le caractre subversif de la dmarche de ce  pangyriste des choses et les enjeux sous-jacents  son matre-livre, Le Parti pris des choses (1942).  partir de Promes (1948), la dmarche de cet adversaire dclar du formalisme, de lmotion et du lyrisme dbouche sur une potique nouvelle qui privilgie linachvement (brouillons, notes et carnets datelier).
Dans Profession : artiste en prose, outre des repres biographiques et un choix de textes, Grard Farasse propose une introduction aussi lumineuse quinforme  luvre novatrice et empreinte de classicisme de Francis Ponge, qui a t rassemble en deux volumes dans la prestigieuse collection de la Bibliothque de la Pliade, aux ditions Gallimard. 

Grard Farasse est crivain et professeur de littrature franaise  lUniversit du Littoral-Cte dOpale. Outre des tudes et des romans, il a publi deux essais sur Francis Ponge, Lne musicien (Gallimard, 1996) et Dplier Ponge, entretiens avec Jacques Derrida (Presses Universitaires du Septentrion, 2005).

Francis Ponge, profession : artiste en prose

Faire "fonctionner le monde entier, le verbe entier", pour proposer à l'homme "des objets de jouissance" et lui donner des "raisons de vivre heureux". Ainsi Ponge définit-il son projet littéraire et politique. Quant à son credo : "ce goût même de la pureté et de la noblesse qui n'a pu nous venir que de la vue, ou de la contemplation de certaines figures, ou de certains objets de ce monde, par la rencontre de certains visages". De là, l'importance du dialogue entre le franc-tireur et ses pairs. Dans cet ouvrage composé de sept essais (sur Paulhan, Fargue, Camus, Calet, Pieyre de Mandiargues, Jaccottet et Sollers), grâce à une approche aussi subtile qu'informée, Gérard Farasse nous propose "un portrait de l'artiste avec groupe", tel un prisme à travers lequel est diffractée l'oeuvre de l'auteur de La Rage de l'expression.

Francis Ponge - Vies parallèles

On ne trouvera pas exclusivement, dans cette Collection particulière, des cartes postales (grivoises, sentimentales ou publicitaires), des objets de piété, des oeuvres de demi-fous, des chromolithographies ou des photos de famille. Parmi les bibelots sans valeur se glissent des rêves, des souvenirs, des mots rares, " lettres imaginaires ", correspondances qui doivent apparemment davantage au hasard objectif qu'à la volonté du collectionneur, toutes sortes d'artifices par lesquels la " toute-puissance trompeuse de la littérature " fait surgir le plaisir de nommer, de décrire, celui d'échafauder des hypothèses, d'ébaucher des histoires, celui encore d'inventer des légendes. Ces délices, en fervent écho aux dévotions populaire et enfantine, ces joies communicatives composent une poétique de l'hétéroclite et font d'un bric-à-brac de curiosités une galerie de merveilles.

Collection particulière

Follain rose et noir

"la langue n'est pour personne un espace froid.
 elle ressemble plutôt à ces rues où ont habité ceux que nous avons aimés et où on ne repasse jamais sans en être secrètement bouleversé. " c'est ainsi que gérard farasse nous entraîne, avec humour, avec tendresse, prenant souvent les mots par la racine, faisant revivre des images par lesquelles il nous installe devant la " lanterne magique de l'enfance " - quand il ne nous offre pas, simplement, ses rêves en partage.
 ainsi nous donne-t-il à voir le monde dans ces éclats, merveilleux et banals, qui sous sa plume donnent à la réalité un miroitement incomparable.

Pour vos beaux yeux

" C'est Éros qui fait écrire ", affirme Ponge. Éros, l'enfant joueur, le petit dieu ailé dont on ne voit les flèches que trop tard après les avoir reçues. En plein coeur. Il ne reste qu'à les regarder vibrer.
Sans doute est-ce pourquoi il y a tant de femmes qui se profilent dans ce livre. Pêle-mêle : une belle ténébreuse, sainte Blandine, la femme-reptile, une voyageuse, sainte Thérèse (de Lisieux, hélas), une chinoise, Diane, la Miléna de Frank Kafka, la Vierge Marie (trois fois, comme il se doit), Fréda, une hôtesse de l'air, Aziyadé, une joueuse de cerf-volant, la timbalière Aïko, sans oublier, bien sûr, la Belle de Cadix. Toutes celles qui peuplent le monde, en somme. Sur la terre comme au ciel.

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