Je ne fais pas le photographe, je ne sais pas le faire

Maître incontesté de la photographie contemporaine, Mario Giacomelli représente un cas à part dans le panorama artistique et expressif du XXe siècle. Depuis sa ville des Marches, Senigallia, où il a passé toute sa vie, Giacomelli a su créer des images uniques et irremplaçables, fruit de son regard franc et visionnaire et de son habileté manuelle hors du commun. Dans les noirs et blancs absolus de ses photographies, l'angoisse de l'homme contemporain, la peur de la mort, le regret d'un Eden passé, rêvé plus que réel, la certitude inquiétante de l'oubli et de l'approche d'une mort certaine reviennent comme des thèmes universels, déclinés dans les séries photographiques qui l'ont rendu célèbre : les personnes âgées à l'hospice, la foule en pèlerinage à Lourdes, les séminaristes en fête, les rythmes de la campagne paysanne, les ruelles de Scanno dans les Abruzzes et surtout les sillons de la terre, comme des marques sur la peau du monde, des paysages. L'exposition, un choix de 48 images de Mario Giacomelli issues de la collection de la Maison Européenne de la Photographie, présente quelques-unes des oeuvres les plus célèbres du grand photographe italien et permet d'apprécier, encore une fois, la portée de cette création poétique, composée d'une matière charnelle et dense, celle des rêves et des déchirements de l'homme contemporain.

La matière de l'homme

Nouvelles frontières - Le paysage dans la photographie contemporaine

On connaît principalement de lui les images de cette Italie qu'il n'a pratiquement jamais quittée. Elles ont fait le tour du monde. Des images graves, silencieusement nostalgiques. Cet enfant trop adulte qui passe dans un chemin trop blanc, ces jeunes prêtres qui jouent dans la neige, ces vieillards au seuil de la mort, ces paysages qui se dressent comme des murailles brûlées sont comme les souvenirs d'un temps déjà vécu, un temps d'irrémédiable solitude. Qu'il fût poète et peintre n'étonnera pas. Mario Giacomelli, le maître de Senigallia, disparu en 2000, était aussi un exceptionnel photographe.

Mario Giacomelli

Mario Giacomelli - L'ermite de Senigallia, Vintages 1953-1968

La nature est un miroir dans lequel je suis reflété, car en sauvant cette terre de la triste dévastation [en la recréant en photographies], j'essaie en fait de me sauver de ma propre tristesse intérieure.

Bien sûr, [la photographie] ne peut pas créer, ni exprimer tout ce que nous voulons exprimer. Mais cela peut être un témoin de notre passage sur terre, comme un cahier.

[Ma mère] est morte il y a quelques mois, et quand elle était morte, j'ai embrassé ses lèvres. Pour moi ce fut un beau moment. Dès lors, j'ai commencé à vivre avec elle, lui demandant de temps en temps si elle allait bien, si elle était contente de moi. Mais ces choses sont bien plus importantes que la photographie, et je ne devrais probablement pas en parler.

Pour être sûr que le paysage ne peut pas s'enfuir, et pourtant j'ai toujours peur que ce soit le cas. [Parfois] Je dois configurer mon trépied, donc je crains que le paysage ne disparaisse la seconde suivante et je n'arrête pas de le surveiller pendant que je me prépare. Ensuite, en appuyant sur l'obturateur, je retiens mon souffle. Ces moments sont les plus grandes joies de ma vie, comme si je déshabillais la plus belle femme du monde - c'est-à-dire si elle se permettait d'être déshabillée. Si la photo est un succès, cela signifie qu'elle était disposée. Sinon, ce fut un rêve charmant.

Je ne connais pas les caméras des autres. Le mien est une chose que j'avais pavée, elle tient avec du ruban adhésif et perd toujours des pièces. Tout ce que j'ai besoin de régler, c'est la distance et cette autre chose - comment appelez-vous cette autre chose?

Ses oeuvres

Ses derniers livres