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Mort

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Mort

Poésies de la collection mort

    Francis Jammes

    Francis Jammes

    @francisJammes

    Prière pour aller au paradis avec les ânes Lorsqu'il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites que ce soit par un jour où la campagne en fête poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas, choisir un chemin pour aller, comme il me plaira, au Paradis, où sont en plein jour les étoiles. Je prendrai mon bâton et sur la grande route j'irai, et je dirai aux ânes, mes amis : Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis, car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon Dieu. Je leur dirai : " Venez, doux amis du ciel bleu, pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille, chassez les mouches plates, les coups et les abeilles." Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes que j'aime tant parce qu'elles baissent la tête doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds d'une façon bien douce et qui vous fait pitié. J'arriverai suivi de leurs milliers d'oreilles, suivi de ceux qui portent au flanc des corbeilles, de ceux traînant des voitures de saltimbanques ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc, de ceux qui ont au dos des bidons bossués, des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés, de ceux à qui l'on met de petits pantalons à cause des plaies bleues et suintantes que font les mouches entêtées qui s'y groupent en ronds. Mon Dieu, faites qu'avec ces ânes je Vous vienne. Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises lisses comme la chair qui rit des jeunes filles, et faites que, penché dans ce séjour des âmes, sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes qui mireront leur humble et douce pauvreté à la limpidité de l'amour éternel.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Angélus I Tapi dans les rochers qui regardent la plage, Au pied de la falaise est le petit village. Sur les vagues ses toits ont l’air de se pencher, Et ses mâts de bateaux entourent son clocher. C’est en mai. – L’Océan, dans ces belles journées, A l’azur tiède et clair des méditerranées. Il chante, et le soleil rend plus brillante encor Son écume glissant le long des sables d’or. L’odeur du flot se mêle aux parfums de la terre Et, là-bas, le petit jardin du presbytère, A mi-côte, est rempli de fleurs et de rayons. Blond, rieur et chassant aux premiers papillons, Un bel enfant y joue et va, sur la pelouse, Du vieux prêtre en soutane au vieux bonhomme en blouse Qui sont là, l’un disant ses prières tout bas, L’autre arrosant des fleurs qu’il ne regarde pas, Car pour mieux voir l’enfant, qui court dans la lumière, L’un néglige ses fleurs et l’autre sa prière ; Et tous les deux se font des sourires joyeux. Le prêtre est le curé de l’endroit ; l’autre vieux En est le fossoyeur. Le premier dans sa cure Mène depuis vingt ans sa douce vie obscure. Ce juste a fait le bien, ainsi qu’il l’a prêché, Et se laisse appeler bonhomme à l’évêché, Sans s’étonner et sans que son zèle en décroisse. Comme le cimetière est près de la paroisse, Qu’il est bien seul, qu’il aime à deviser un peu En se chauffant les pieds, le soir, au coin du feu, Et comme il n’entend rien aux choses maritimes, Le fossoyeur et lui sont devenus intimes. Car c’est, à la campagne, un causeur assuré Qu’un soldat vétéran auprès d’un vieux curé. Celui-là, revenu dès longtemps au village, Invalide vaincu par la guerre et par l’âge, Trop vieux pour devenir laboureur ou marin, Est fossoyeur, et chante, aux grands jours, au lutrin. Or, c’est un compagnon agréable au vieux prêtre, Disant trop longuement ses batailles, peut-être, Mais résigné, naïf, n’engendrant point l’ennui, Et que le curé sait doux et bon comme lui. Tous deux s’aiment. Et quant au bel enfant qui joue, Le ciel dans le regard, l’aurore sur la joue, Et pour lequel ils ont ce sourire attendri, C’est Angelus, l’enfant trouvé, leur fils chéri. Ces cheveux blonds au vent sont la dernière flamme Qui se reflète encore au miroir de leur âme ; Et, parmi les bleuets et les coquelicots, Ce bon rire aux éclats vibrants et musicaux Leur fait une vieillesse encore ensoleillée. Car naguère ils étaient bien seuls, et la veillée Leur semblait longue. Assis près de l’âtre et rêvant, Tandis qu’ils écoutaient les longs sanglots du vent Et la mer se brisant aux rochers des presqu’îles, Un nuage passait sur leurs âmes tranquilles. La causerie avec le foyer s’éteignait. Le vieux prêtre fermait son livre, et se signait Comme contre un désir coupable et qu’on repousse ; Le vétéran vidait sa pipe sur son pouce ; Et tous deux se taisaient, songeant qu’ils étaient seuls Et que tous ces vieux morts, cousus dans leurs linceuls, Qui venaient réclamer de l’un une prière Et de l’autre un trou noir au fond du cimetière, Avaient du moins autour de leur pauvre cercueil Des femmes qui pleuraient et des enfants en deuil ; Que ces gens se faisaient répéter la promesse Que l’on n’oublierait rien, ni les fleurs, ni la messe : Et qu’eux, lorsqu’ils seraient à jamais endormis Sous terre, ils n’auraient point de parents ni d’amis Pour arracher l’ortie et la ronce mauvaise Frissonnant sur leur tombe au vent de la falaise. Un soir le fossoyeur, d’un ton mal assuré Et les deux mains au feu, dit : « Monsieur le curé, Puisque vous savez tout, vous devriez me dire Ce qui fait qu’aujourd’hui nous ne pouvons pas rire ; Cependant, sans avoir besoin d’être indulgents, Nous pouvons nous donner comme deux braves gens. Je ne sais rien, c’est vrai ; que le bon Dieu m’assiste ! Mais pourquoi notre cœur, étant pur, est-il triste ? » – C’est vrai, » dit le curé. Puis, après un moment De silence, il reprit ; bas et timidement : « Oui, nous avons rendu, malgré la chair fragile, A César comme à Dieu ce que veut l’Évangile, Et nous n’avons ni l’un ni l’autre fait le mal. Nos cœurs sont innocents comme au jour baptismal ; Rien ne les assombrit et rien ne les déprave, Le mien étant pieux et le vôtre étant brave. Priant pour les vivants et prenant soin des morts, Nous vieillissons ici, calmes et sans remords. Et pourtant notre vie est triste ! – Au point, dit l’autre, Que vous, monsieur l’abbé, vous, plus saint qu’un apôtre, Je vous ai vu jeter, dans vos jours de souci, Un regard envieux aux plus pauvres d’ici. – Le pêcheur, dit le prêtre, heureux parmi les hommes, N’a pas du laboureur les ennuis économes ; Il a la mer ; il a sa plage de galets Pour prendre du varech et sécher ses filets ; Et, si les flancs épais de sa barque normande Regorgent de saumon, de congre ou de limande, Oublieux du péril auquel il s’exposa, Il revient tout joyeux à son feu de colza, Sans penser que demain il faut qu’il recommence Sa bataille éternelle avec la mer immense, Et pose à son retour des baisers triomphants Sur les fronts inégaux de ses petits enfants. Un enfant ! C’est cela qui nous manque peut-être. Nous n’avons pas d’enfant, hélas ! Et le vieux prêtre Reprit, en tisonnant tout doucement son feu : « Tous les moyens sont doux, ami, de plaire à Dieu. Il est doux d’obéir, d’être humble et d’être chaste ; Mais notre cœur humain est-il donc si peu vaste, Que la patrie et Dieu, dans ce cœur enfermés, N’y puissent laisser place à des êtres aimés ? Pourtant Dieu, c’est l’amour. lisait bien que nous sommes Aimants ; et puis c’est grand, cela : faire des hommes. Vivre au milieu de fils chrétiens, c’est aussi beau Que servir un autel ou défendre un drapeau. Ce doit être un devoir bien plus lourd qu’on ne pense, Oui, mais qui porte en lui sa chère récompense. Nous n’avons pas d’enfant, voilà ! ? Certainement, Dit l’autre. Quand j’étais encore au régiment, Et quand, les pieds meurtris aux cailloux des montagnes, Je m’en allais coucher chez les gens des campagnes, Qui m’accueillaient fort mal et n’avaient d’autre soin Pour moi que de passer leur fourche dans le foin, Parfois, en attendant qu’on fît de la lumière, J’ai vu de beaux enfants jouer dans la chaumière, Et je leur ai souri. Mais il fallait passer Sans leur dire un seul mot et sans les embrasser, Et s’en aller dormir sur son sac, dans la grange. Mais ces fois-là j’étais plus las, et, c’est étrange, Je repartais le cœur plus sombre. » Et, soupirant, Ils restèrent au coin de leur foyer mourant, Sans entendre, du fond de leur pénible rêve, Se lamenter au loin l’Océan sur la grève. II Si le son de la cloche est triste, il l’est bien plus L’hiver, quand vient la nuit et quand c’est l’angelus Qui sonne lourdement au clocher du village, Rythmé par les sanglots de la mer sur la plage. Dans les cœurs son écho lugubre retentit : Celle qui reste songe à celui qui partit Sur sa barque parmi la brume et la tempête, Et se demande, auprès du rouet qui s’arrête, Si là-bas, dans les flots, son homme, le marin, A comme elle entendu les coups du grave airain, Et si, malgré la lame affreuse qui grommelle, Il s’est bien souvenu de se signer comme elle. Ayant sonné la cloche et dit les oraisons, Les deux vieillards allaient regagner leurs maisons Et se disaient adieu sur le seuil de l’église, Quand ils virent, gisant sur une pierre grise, Quelque chose de blanc qu’on avait laissé là ; Et, s’étant approchés tous deux, il leur sembla Que cela remuait vaguement. Le vieux prêtre, Inquiet, se pencha vite et put reconnaître Que c’était un pauvre être à peine emmailloté, Un enfant qu’une mère horrible avait jeté, Profitant du sommeil confiant de l’enfance, En passant, dans ce coin, presque nu, sans défense, Comme un voyageur las jette au loin son fardeau. « Hélas ! dit le curé, qui des mains du bedeau Prend le pauvre petit, notre raison humaine Est folle en voulant fuir la route où Dieu la mène. Vous avez vu par nous vos desseins outragés, Dieu très juste, et voici comment vous vous vengez. L’autre soir, nous sentions dans nos âmes farouches Fermenter les désirs coupables, et nos bouches Ont prononcé tout bas des propos envieux. Mais vous vous êtes dit : « Ces deux hommes sont vieux : « Leur voyage fut long ; ils sont las de leur course ; « Ils ont besoin d’un peu d’ombre et de quelque source ; « Ce sont de vrais chrétiens, ce sont de bons amis ; « Il faut leur pardonner. » Et vous avez permis Que notre foi n’eût plus même ce seul obstacle. Merci ! Que cet enfant, donné par un miracle, Bonheur que nos vieux jours n’auraient jamais rêvé, Porte le nom de l’heure où nous l’avons trouvé : Qu’il s’appelle Angelus ! c’est un nom de prière. Mon Angelus, je vous baptise au nom du Père, Du Fils et de l’Esprit ! – Amen ! » dit le soldat. Et, de peur que le vent de mer n’incommodât Davantage l’enfant tout transi sur les pierres Et qui ne rouvrait pas encore ses paupières, En prenant à travers un terrain labouré Ils rentrèrent en hâte au logis du curé. Là, pour faire du feu, le soldat s’agenouille ; De son vieux manteau noir le curé se dépouille Et reste ainsi, portant le petit sur les bras, Et tout semblable, dans son naïf embarras, Au saint Vincent de Paul des naïves images. Jadis un autre enfant, celui vers qui les mages, Écoutant dans le ciel un mystique concert Et suivant une étoile à travers le désert, Vinrent pour présenter l’or, l’encens et la myrrhe, L’enfant divin, l’enfant Jésus qu’encore admire Le monde qui pourtant a brisé tous ses dieux, L’enfant de Bethléem parut moins radieux, Dans sa crèche adorable, aux pèlerins augustes, Que cet enfant trouvé ne parut à ces justes, Lorsque sur le lit blanc et pur comme un berceau Ils l’eurent déposé dans son sommeil d’oiseau, Et que sous le profond rideau qui se soulève Ils le virent tous deux continuer son rêve. « Oui-da ! dit le soldat qui tenait le rideau, Le bon Dieu nous a fait un bien joli cadeau. Nous voulions un enfant, c’est comme dans un conte, Le voilà. Nous allons l’élever et, j’y compte, Plus tard en faire un gars robuste et bien portant. C’est entendu, monsieur le curé. Mais pourtant Il faut aussi songer à ce qui va s’ensuivre. Vous êtes, vous, d’abord, éduqué comme un livre : L’enfant saura de vous tout ce qu’il faut savoir. Moi, pour les menus soins, je me flatte d’avoir La chose d’employer le fil et les aiguilles. Mais, voilà : nous avons vécu loin des familles, Loin des berceaux ; jamais on ne nous révéla Comme on s’y prend avec ces petits êtres-là. Leur parler, vous savez le langage des anges, Ce n’est rien. Mais ôter et remettre leurs langes, Les nourrir comme il faut et leur dire ces chants Qui les font s’endormir alors qu’ils sont méchants, Les soigner, eux toujours malades et débiles, A cela, voyez-vous ! nous serons malhabiles. Qu’y faire ? Une servante ?… Eh ! nous ne pourrions pas La payer. Faites-vous toujours vos deux repas ? Pour nous, les serviteurs sont des gens trop avides. Et tous vos pauvres, qui s’en iraient les mains vides ! Puis, quel autre aussi bien que nous en aurait soin ? – Comment, une servante ! il n’en est pas besoin, Dit le vieux prêtre avec son bon regard sincère. Nous saurons bien ce qui lui sera nécessaire. Nous désirions un fils, Dieu nous l’envoie : ainsi, Ce n’est pas, à coup sûr, pour qu’il sorte d’ici. En lui donnant d’abord toute notre tendresse, Nous ne commettrons pas de grave maladresse. Nous sommes, il est vrai, très pauvres ; mais enfin Notre enfant ne mourra ni de froid ni de faim : J’ai de beau linge blanc tout plein ma vieille armoire, Et je pourrais encor vous remettre en mémoire, Mon cuisinier d’un jour, que, quand vient Monseigneur, Notre hospitalité nous fait assez d’honneur, En ajoutant tout bas que pour Son Éminence Un jour passé chez moi n’est pas jour d’abstinence. – Vos poulets ? votre vin ? pour qui ? pour ce petit ? Mais à son âge on n’a pas si bon appétit Qu’un archevêque ; et c’est bien plus tard qu’on les sèvre. – Eh bien, en attendant, nous aurons une chèvre… Et puis je vous défends de rire du clergé. – Bien, ne vous fâchez pas, la bonne a son congé. C’est dit. L’enfant aura d’abord quelque surprise De votre robe noire et de ma barbe grise ; Mais nous lui sourirons ; puis, nous n’y pouvons rien. Vous, monsieur le curé, pour sûr, vous saurez bien Ce qu’il lui faut, vous qui savez soigner les âmes ; Les vieux prêtres, mais c’est aussi doux que les femmes ! Et vous avez les mains blanches comme les leurs. Moi, j’aimerai l’enfant comme j’aime mes fleurs, Et nous pourrons mener jusqu’au bout ce caprice, D’apprendre le métier de mère et de nourrice. » Et pendant ce temps-là le pauvre enfant trouvé, Sur l’oreiller moelleux, comme sur le pavé, Dormait toujours, charmant d’abandon et de grâce. Les deux vieillards baisaient sa petite main grasse, Et puis la reposaient doucement sur le lit. Comme on penche le front sur un livre qu’on lit, Ils se tinrent longtemps inclinés sur sa couche, Retenant leur haleine et le doigt sur la bouche. Puis, par un enfantin regard persuadant L’autre qui lui faisait signe d’être prudent, Et comme n’y pouvant résister, le vieux prêtre, Au risque d’éveiller le charmant petit être, Silencieusement le baisa sur le front. Angelus ébaucha de son bras rose et rond Ce geste vague et mou du réveil qui s’approche, Tandis que, s’adressant en secret un reproche, Vite se reculait le vieil audacieux, Au fond très satisfait de voir s’ouvrir les yeux De l’enfant, comme afin d’orienter ses voiles Le marin est heureux du lever des étoiles. L’enfant, qui s’éveilla doucement, leur sourit. Alors, courbant le front, le bon curé le prit Dans ses mains, que rendaient fébriles son grand âge, Mais que la peur faisait trembler bien davantage ; Et, se sentant le cœur plus inquiet encor Que le jour où, vêtu de la chasuble d’or, Et selon la promesse aux chrétiens garantie, Pour la première fois il consacra l’hostie, Il vint s’asseoir auprès du feu qui pétillait ; Et, cependant qu’avec lenteur il dépouillait L’enfant de ses haillons liés par des ficelles, S’étonnant de ne pas lui découvrir des ailes, Le fossoyeur, avec un air tout réjoui, Se tenait immobile et debout devant lui, L’encourageant des yeux et le regardant faire. Et cette heure leur fut exquise. L’atmosphère Était intime. A peine entendait-on le bruit Du vent et de la mer qui pleuraient dans la nuit. Le colza sec brûlait, clair, dans la cheminée ; Toute la vieille chambre était illuminée. La bouilloire chantait gaîment devant le feu En laissant échapper son mince filet bleu ; Et le petit enfant, frêle espérance d’âme, Content de se sentir tout nu devant la flamme, Sur les genoux des deux vieillards extasiés Serrait ses petits poings, frottait ses petits pieds Et murmurait, le front ballant et l’œil atone, Son doux vagissement heureux et monotone. III Comme le presbytère est joyeux maintenant ! Bien qu’au bord de la mer il soit moins rayonnant, Le printemps, qui sourit parmi les giboulées, Éclaire le gazon frileux dans les allées, Réchauffe le vieux seuil, le cep en espalier, Et vient mourir au bas du gothique escalier. Le jardin rajeunit, rempli de pousses vertes. L’éclat de rire sort des fenêtres ouvertes. La brique a le ton rose et charmant d’un décor, Et le chaume brillant pétille comme l’or. Ah ! si le jardin sombre et les vieux murs moroses Se sont transfigurés si vite, si les roses Ont si vite chassé l’ortie et le chardon, Si la tendre espérance et l’aimable pardon De floréal ont pris ce coin noir pour leurs fêtes, Si plus pures et plus exquises se sont faites Pour ce lieu les senteurs premières des lilas, Si ce miracle advint, c’est que tu t’y mêlas, C’est que tu l’accomplis sans le savoir, Enfance ! C’est qu’une sympathique et douce connivence S’installe entre ta grâce et la grâce d’avril ; C’est qu’un enchaînement adorable et subtil Comme lui t’embellit de charme et de surprise, Fait ton rire semblable aux chansons de sa brise Et l’or pâle de ta chevelure pareil Aux rayons étonnés de son jeune soleil ! Car de longs mois, depuis cette nuit de novembre Où près des deux vieillards et dans la vieille chambre, Confiant, protégé par leur regard ami, Pour la première fois l’enfant avait dormi, De bien longs mois, de bien doux mois, toute une année D’extase stupéfaite et de joie étonnée Avait passé, bien chère et trop courte pour eux. Et dès le lendemain de ce jour bienheureux Ils avaient entrepris leur délicat ouvrage. D’abord ils avaient craint les dangers du sevrage ; Mais tout semblait venir en aide à leur dessein. Rejeton du malheur, né sur un maigre sein Avare de son lait comme de sa tendresse, Angelus, élevé sans soin et sans caresse, N’étant pas mort, hélas ! s’était vite endurci, Car la misère tue ou rend robuste. Aussi, Plus fort que ne le sont les bambins de cet âge, Il supportait déjà la soupe et le laitage. Ensuite, autre souci, cet enfant inconnu Avait été trouvé par eux à peu près nu Il fallait le vêtir au plus tôt, faire emplette De toile, lui fournir sa layette complète, Payer quelque ouvrière enfin ; et justement Le curé n’était pas bien riche en ce moment ; Ses pauvres de la veille avaient vidé ses poches. Et le voilà déjà s’accablant de reproches Et se disant tout haut, d’un air très irrité, Qu’il était imprudent et que la charité Comme cela, c’était une chose coupable. Mais le soldat, fronçant le nez d’un air capable, Prit les deux meilleurs draps dans l’armoire en noyer, Et, s’armant de ciseaux, il se mit à tailler Des ronds et des carrés dans le vieux linge jaune. Parfois il devenait rêveur, prenait une aune, Se trompait, puis jetait ses ciseaux, plein d’effroi, Comme un tailleur gâtant le bleu manteau d’un roi. Le bon prêtre, ignorant comme une vieille fille Et stupéfait, le vit enfiler son aiguille, Coudre longtemps, soufflant très fort à chaque point, Puis enfin, d’un air grave, essayer sur son poing Un tout petit bonnet d’enfant du premier âge. Ce n’était pas parfait ; mais, sans perdre courage, Le bonhomme, étouffant quelquefois un juron, Vite en tailla plusieurs sur le même patron. Sans doute il essuyait bien souvent ses lunettes, Les coutures n’étaient ni droites ni bien nettes, Mais le vieil apprenti des choses du berceau, Le soir, eut terminé tout le petit trousseau. Pour eux ce fut alors une douce existence : Ces hommes maladroits, mais remplis de constance, Tâchaient de deviner, enchantés et surpris, Ces mille petits soins qu’ils n’avaient pas appris, Intuition du cœur, science maternelle, Qu’avec l’enfant conçu la femme porte en elle. Certes, ce ne fut pas d’abord sans embarras. Lorsque Angelus pleurait en leur tendant les bras, Souvent ils ne savaient que faire ni que dire. Que lui fallait-il donc ? Un baiser ? un sourire ? On les lui prodiguait. Que voulait-il enfin ? Souffrait-il ? avait-il sommeil ? avait-il faim ? Et puis, comme toujours un esprit qui travaille Découvre, ils découvraient ; et de chaque trouvaille, De chaque invention de leur ardent amour, Ils se sentaient le cœur heureux pour tout un jour ; Et le bonheur est fait de ces riens éphémères. Ils allaient à tâtons, consultaient les commères Du village, et prenaient des conseils très prudents Pour l’âge où le petit devrait faire ses dents. O candeur ! ils avaient des fiertés de nourrices, Et quand l’enfant dormait tout nu, montrant ses cuisses Où le sang rose et pur venait à fleur de peau, Les yeux brillants de joie, ils disaient : « Qu’il est beau ! » Angelus grandissait, et, sur ces entrefaites, Un beau jour il voulut marcher. Nouvelles fêtes ! Ces vieux, avec leurs dos voûtés et leurs pas lents, Semblaient faits pour guider les efforts chancelants De ce petit garçon, leur fils et leur élève. Chaque soir, sur le sable humide de la grève Ils le firent marcher, surveillant avec soin Ses progrès, chaque jour allant un peu plus loin, Et, plus tard, chaque jour allant un peu plus vite. L’encourageant par un bon rire qui l’invite, Chacun d’eux soutenait un des bras de l’enfant ; Et celui-ci parfois s’arrêtait, triomphant, Après un petit pas qui lui semblait immense, Heureux ainsi qu’on l’est toujours quand on commence ; Et les deux bons vieillards étaient tout égayés Lorsque Angelus, ouvrant de grands yeux effrayés, Jetait un léger cri, douce et claire syllabe, Devant la fuite oblique et bizarre d’un crabe, Ou quand il leur fallait, en se baissant un peu, L’aider à ramasser le coquillage bleu Ou le petit galet joli comme une perle Que jetait à leurs pieds la vague qui déferle. Et quel triomphe encor quand, s’étant hasardé, Un beau matin l’enfant courut sans être aidé ! Depuis lors il allait en avant, eux derrière. Le curé regardait par-dessus son bréviaire, Et l’autre se frottait les mains, l’air tout joyeux. Et quand leur fils courait trop vite, les deux vieux Hâtaient le pas, l’abbé refermait son gros livre, Et tous les deux riaient de ne pouvoir le suivre. Toute leur vie était pleine de ce marmot. Après le premier pas, ce fut le premier mot. Chaque jour amenait sa nouvelle surprise. Et comme le bonheur nous égare et nous grise, Le petit Angelus n’avait pas seulement Trouvé parmi ses cris ce vague bégaiement, Effort de la pensée éclose qui s’envole Et qui ressemble à peine encore à la parole, Que déjà le curé, plein d’ardeur et rêvant A le faire bientôt devenir très savant, Cherchait dans un coin noir de sa bibliothèque Son vieux savoir latin et sa science grecque, Et rouvrait ses bouquins de poussière chargés, Se reprochant de les avoir tant négligés, Et critiquant tout bas la Messe et l’Évangile Qui le brouillaient avec la langue de Virgile. Pourtant, sans honte, ainsi qu’un tout jeune garçon, Il se remit à l’œuvre, apprenant sa leçon Tous les jours et vivant sur son dictionnaire, Comme lorsqu’il était au petit séminaire. Pour mieux se souvenir, souvent il récitait Du latin à voix haute, et, quand il s’arrêtait Cherchant le mot perdu dans son livre d’étude, Le vétéran disait : Amen ! par habitude. Ils étaient donc heureux tout à fait ; et le soir Près du berceau chéri tous deux venaient s’asseoir, Et, le cœur attendri, silencieux, timides, Ils contemplaient l’enfant avec des yeux humides. IV Or le printemps avait sept fois fleuri ; l’été, Dardant sur les blés mûrs son or diamanté, Avait sept fois donné sa moisson, et l’automne Sa vendange, et l’hiver sa neige monotone. Auprès des deux vieillards l’enfant avait grandi, Mais sans prendre cet air libre, vif, étourdi, Ce goût des jeux bruyants et ce doux caquetage Qu’on trouve d’ordinaire aux garçons de cet âge : Sa grâce ? les enfants sont toujours gracieux ? Était comme voilée et craintive ; ses yeux Cachaient une douleur dans leur azur sincère ; Il était pâle et doux comme une fleur de serre ; Son sourire était rare et contraint. Souffrait-il ? Peut-être ; mais d’un mal bien lent et bien subtil, Et qui, ne s’exprimant jamais par une plainte, Ne pouvait éveiller l’affectueuse crainte Des deux vieillards naïfs, qui trouvaient justement L’enfant, dans sa douceur malade, plus charmant. Pourtant, s’il suffisait, pour que la fleur qui pousse Embaumât le jardin d’une haleine plus douce Et pour que l’enfant prît des forces chaque jour, D’un rayon généreux de soleil et d’amour, Angelus, qu’entourait deux fois l’amour d’un père, Aurait dû, tout pareil à la fleur qui prospère, S’épanouir en fraîche et robuste santé. Si le baiser longtemps et souvent répété Faisait éclore seul les roses sur la joue ; Si la bonté d’un cœur d’aïeul qui se dévoue, La tendresse tremblante et toujours en éveil, Le front à cheveux blancs penché sur le sommeil, Suffisaient pour servir de garde et de défense A ce fragile espoir qu’on appelle l’enfance, Angelus, délivré des langes du berceau, Aurait dû s’élancer, léger comme un oiseau, Par la nature et faire en courant bien des lieues, Fou des insectes d’or et des fleurettes bleues, Heureux, libre, voulant tout sentir, tout saisir, Tout connaître, cédant à l’avide désir, Tapageur, les cheveux emmêlés par les branches, Mordant les fruits trop verts de toutes ses dents blanches, Faisant rire avec lui les échos du chemin Et prenant sans effroi des bêtes dans sa main ! Mais non ! le jeune fils des deux vieux, au contraire, Par aucun jeu d’enfant ne se laissait distraire. Souvent, ouvrant ses yeux étonnés et chercheurs, Il regardait passer les enfants des pêcheurs, Qui, lorsque revenait la saison douce et belle, Allaient au bois voisin, en longue ribambelle, Cueillir des mûres ou chasser les papillons. Il regardait passer ces gaîtés en haillons, Qui couraient les pieds nus et d’aurore coiffées, Et ces blouses, et ces culottes étoffées De grands-pères, et ces cheveux blonds sans bonnet, Leur faisait un sourire, et puis s’en revenait, Marchant à petits pas, rêveur et solitaire, Tout seul, dans le jardin calme du presbytère. Quand il voyait l’enfant revenir et s’asseoir, Son père le soldat, qui tenait l’arrosoir Ou passait le râteau sur quelque plate-bande, En écoutant au loin chanter la folle bande, Grommelait, de son air affable et belliqueux : « Voyons donc, fainéant, va jouer avec eux. » Mais l’enfant, sans prêter l’oreille aux cris de fête, Soupirait, secouait négligemment la tête Et s’approchait du vieux pour lui dire : « Pourquoi ? Je m’amuse bien mieux quand je suis avec toi. » Puis Angelus passait bien des heures à lire ; Et le savoir n’est pas le père du sourire. Il lisait trop. D’abord ce désir curieux Avait rendu le bon curé tout glorieux : Tel le semeur qui voit prospérer ses semailles. Ce jeune esprit déjà plein d’heureuses trouvailles, Ces prompts étonnements, ces vives questions, Au vieux prêtre inspiraient quelques ambitions, Car Angelus avait toujours aimé le livre. A peine avait-il eu jadis besoin de suivre Le doigt ridé qui montre en tremblant l’alphabet. Le piège était tentant ; le bonhomme y tombait, Et parfois sa science était tout étonnée Quand l’enfant, sachant plus que la leçon donnée, Avec son éternel « Pourquoi ? » l’embarrassait. Il ne comprenait pas le danger : il laissait Angelus absorbé dans ses livres d’estampes, Et n’apercevait pas palpiter à ses tempes Les rêves trop pesants pour ce jeune cerveau Avide avant le temps d’étrange et de nouveau. Et chaque jour, malgré le calme de l’asile Où sa vie aurait dû couler, pure et facile, Dans les fleurs en été, près de l’âtre en hiver, Malgré le souffle sain et puissant de la mer Qui caressait son front sans y mettre le hâle, Angelus devenait plus souffrant et plus pâle ; Et de ce mal visible à peine, mais profond, Les vieux ne savaient rien, presque contents au fond ? Car chez les plus aimants l’égoïsme sommeille ? Que cette enfance fût moins fraîche et moins vermeille, Mais plus tendre et toujours présente à leur foyer. Tous deux s’étaient hâtés bien vite d’oublier Leurs doutes de jadis. On leur eût fait offense De leur dire à présent ce qu’il faut à l’enfance. Ils croyaient seulement que leur fils n’était pas Un être comme un autre, et se disaient tout bas Que leur affection avait fait ce prodige. Ils étaient étonnés de leur œuvre ; et, que dis-je ! De cette ardeur précoce, où déjà s’épuisait Angélus, leur orgueil paternel s’amusait. Hélas ! leur ignorance était seule coupable, Non pas leur cœur ; et tout ce dont était capable De soin, de dévoûment et d’amour, en effet, Leur vieillesse naïve et bonne, ils l’avaient fait. Mais malgré tout, malgré leur charité divine, Ils n’avaient pas appris ce qu’il faut qu’on devine ; Et leurs cerveaux, trop froids, ne pouvaient plus avoir L’instinct, bien plus puissant encor que le savoir. Car la grande Nature est jalouse : elle exige Qu’on ne s’écarte pas des règles qu’elle inflige, Et ne fait si chétif l’enfant qui naît au jour, Que pour qu’il soit aimé d’un plus prudent amour A cause des soucis et des craintes qu’il donne ; Elle veut que cet œil flottant et qui s’étonne Ne puisse supporter l’immense éclat des cieux Sans l’avoir vu d’abord reflété par les yeux De la mère, qui veille à côté de la couche ; Elle veut que, cruelle et rude, cette bouche Pour y boire le lait morde à même le sein ; Elle ordonne, dans son immuable dessein, Un travail réciproque à tous ceux qu’elle affame, Aux mères pour l’Enfant, aux époux pour la Femme ; Elle ne peut avoir pitié des célibats ; Ni les autels sacrés, ni les nobles combats Ne sauraient un instant plier sa règle austère, Et toujours elle dit : « Malheur au solitaire ! » Oui, ces deux justes, oui, ces excellents vieillards, Dont tous les battements de cœur, tous les regards Étaient pour cet enfant adorablement triste, Ne voyaient pas, dans leur amour presque égoïste, Que pour cet être, espoir de leur humble maison, Leur étreinte était une étouffante prison ; Que sur ce faible front leur sénile tendresse Appuyait trop longtemps la trop lente caresse ; Qu’Angelus en souffrait, et que chaque baiser Venait encore plus l’abattre et l’épuiser ; Qu’à son sourire, fleur exquise de sa lèvre, Volaient les papillons obsédants de la fièvre, Et qu’enfant pressentant déjà le séraphin, Sans regret et sans plainte il se mourait enfin. Car Angelus, nature affectueuse et douce, Ignorait tout à fait le geste qui repousse. A ces baisers mortels, dont il était brisé, Toujours il présentait son sourire lassé Et se jetait au cou du soldat et du prêtre. On meurt d’être aimé trop comme de ne pas l’être, Et c’est un mal divin dont nul ne se défend. Une mère aurait lu dans les yeux de l’enfant La fatale langueur de ce mal qui s’ignore. Elle eût dit : « C’est assez ! » Les vieux disaient : « Encore ! » Et par leur faute, et dans leurs bras, et sous leurs yeux, Angelus se mourait, martyr délicieux ! O Nature ! c’était pourtant bien peu de chose : Laisser vivre un enfant, laisser croître une rose, Épargner ce dernier supplice à ces deux saints, Cela n’importait pas beaucoup à tes desseins. Ne se peut-il donc pas, ô Mère, que tu veuilles Qu’en un an l’arbrisseau pousse deux fois ses feuilles ? Et si, sous le soleil d’automne, et trop hâtifs, Ses rameaux ont donné quelques bourgeons chétifs, Faut-il toujours, faut-il, hélas ! que tu l’accables Sous ton hiver et sous tes neiges implacables ? Pourtant c’était l’espoir de l’antique forêt. Ces chênes, dont le cercle auguste l’entourait Et peut-être au printemps jetait sur lui trop d’ombre, Ne pourront-ils, alors que revient le temps sombre, Étendre jusqu’à lui leurs grands bras paternels ? Non, tu ne changes rien aux ordres éternels ! Non ! Avril renaîtra sans que l’arbre renaisse, Et, retrouvant encore un effort de jeunesse, Les vieux troncs, tout pourris sous le lierre, verront Le feuillage épuisé reverdir à leur front ; Et ces aïeux, dont l’âme altière et résignée Ne craignait même plus les coups de la cognée, En voyant ce trépas qui précède le leur, Les vieux chênes des bois gémiront de douleur ! V Ce soir-là, – c’était vers le milieu de septembre, – Les vieillards et l’enfant avaient gardé la chambre, Angelus se sentant plus malade et plus las. Le prêtre et le soldat, les deux pères, hélas ! Ne pouvaient se douter que la fin fût si proche. Ils étaient sans effroi, se sentant sans reproche. « Ce sera, pensaient-ils, un malaise d’un jour. » Et leur bonheur n’était pas troublé, leur amour Les trompant, et l’enfant donnant à sa caresse Toujours plus de fiévreuse et de mièvre tendresse. Auprès de la fenêtre, où fraîchissait le soir, Dans son large fauteuil le curé fit asseoir Angelus ; et tous trois devant le clair de lune Écoutèrent mourir les lames sur la dune. Abandonné, fermant ses beaux yeux à demi, L’enfant, qui se mourait, paraissait endormi. La sueur sur son front collait ses cheveux d’ange ; Et, d’un geste navrant, mais plein d’un charme étrange, Il cherchait vaguement, comme on cherche un appui, Les mains des deux vieillards, assis auprès de lui. Mais ceux-ci ne pouvaient deviner sa souffrance : Leurs cœurs simples étaient toujours pleins d’espérance ; Et, pensant qu’Angelus ne les entendait pas, Avec un bon sourire ils échangeaient tout bas Les décevants projets et les douces chimères, Comme auprès des berceaux en évoquent les mères. « Puisque voilà l’enfant près de nous endormi, Disait le prêtre, il faut songer, mon bon ami, Que, pour qu’il soit heureux plus tard, notre prière Ne suffit pas. Voyons à choisir sa carrière. Notre Angelus devient grand garçon, et déjà Sa jeune âme, que Dieu jusqu’ici protégea, Blanc calice, s’entr’ouvre et cherche la lumière. Nous avons bien guidé son enfance première : Il ne sait rien encor de mauvais ni d’amer ; Il n’a vu jusqu’ici que le ciel et la mer ; Par la chanson du flux son âme fut bercée, Et l’azur est moins pur que sa fraîche pensée Et que ses sens nouveaux encore appesantis, Car la grande nature est bonne aux tout petits. Mais il faut profiter de l’heureuse minute. Nous sommes vieux. Demain, seul, il faudra qu’il lutte ; Et, comme le devoir paternel le prescrit, Nous devons lui donner les armes de l’esprit. Je ne désire pas, moi, qu’il se fasse prêtre. Oh ! qu’il soit bon chrétien, que la foi le pénètre, Qu’il aime et qu’il espère enfin, et qu’il soit tel Qu’un lys pur qui fleurit à l’ombre de l’autel ! Mais, si j’en puis juger par sa petite enfance, J’aimerais mieux ? que Dieu pardonne mon offense ! Que la vocation de grâce lui manquât, Car pour le sacerdoce il est trop délicat. C’est en souffrant qu’il faut que le pasteur travaille Pour ses brebis. Il faut qu’il se lève et qu’il aille Par la nuit, bien avant le petit point du jour, Sous la bise, à travers les terres de labour, Emportant dans un coin du manteau le ciboire, Et cherchant, tout au fond de la campagne noire, A découvrir enfin au douteux horizon La lueur qui trahit la funèbre maison Où quelque agonisant, quand il arrive à l’heure, Lui montre en blasphémant sa famille qui pleure, Son foyer sans fagot et sa huche sans pain. Puis, avec l’eau bénite et la bière en sapin, Il faut le lendemain qu’il revienne et qu’il donne Au mort une prière, aux vivants son aumône, Et, s’il n’a pas d’argent, qu’il en trouve, et qu’il ait Pour ses pauvres toujours du pain bis et du lait. Et, s’il chemine un jour, heureux, lisant son livre, Respirant les sentiers en fleurs, et qu’un homme ivre, Qui sort du cabaret et qu’il ne connaît point, L’appelle fainéant en lui montrant le poing, Il faut que sans pâlir il subisse l’insulte. Et puis ce n’est pas tout. Le serviteur du culte A bien d’autres soucis, et l’on ne peut savoir Combien grave et combien austère est son devoir, Car la tentation est bien près de la faute. Pourquoi, près de la chaire où l’on parle à voix haute, Ce confessionnal où l’on parle tout bas ? Il faut l’aide de Dieu pour n’y succomber pas. Ne nous le prends donc point, Seigneur, pour ton service, Et permets qu’à tel point il ignore le vice Que même pour l’abattre, il y soit étranger ; Car, tu le sais, l’agneau ne peut être berger. – Et maintenant, monsieur le curé, reprit l’autre, A mon tour, n’est-ce pas ? car cet enfant est nôtre, Et je suis comme vous le père d’Angelus. Pas de soutane, soit ! pas de sabre non plus. Très souvent le plumet tricolore dérange Les projets. Ces gamins ont un goût fort étrange Pour les habits dorés tout partout sur le corps Comme ceux des housards et des tambours-majors. Sachant qu’ils n’aiment pas beaucoup qu’on les chicane, On les laisse d’abord chevaucher sur sa canne Et grimper aux genoux comme on grimpe aux remparts ; C’est gentil. Puis un jour ils vous disent : « Je pars. » Et ce jour-là ce sont des hommes pour la tête ; Et l’on reste à pleurer tout seul comme une bête. Et voilà qu’ils s’en vont à la guerre là-bas, Dans des pays affreux d’où l’on ne revient pas. Ils meurent, et les vieux les suivent. C’est stupide ! Veillons-y. Le petit m’a l’air d’un intrépide. Quand il se portait mieux, il grimpait aux pruniers Les plus hauts. Le dimanche, il va voir les douaniers, A l’heure où le sergent fait faire la parade. Morbleu ! qu’il n’aille pas, le petit camarade, Vouloir être soldat, ou nous nous fâcherons ! – Bien, bien ! dit le curé, nous y réfléchirons. Sans être cardinal ni maréchal de France, Angelus peut encor passer notre espérance. L’enfant a tant d’esprit qu’il m’étonne souvent : Ce sera quelque artiste ou bien quelque savant ; Et, quoi qu’il soit d’ailleurs, nous en ferons un juste. Mais avant tout il faut qu’il devienne robuste, Qu’il retrouve son rire et ses fraîches couleurs. Mes livres sont mauvais : qu’il coure dans vos fleurs ! Une leçon vaut moins pour lui qu’une culbute A cette heure. Ainsi donc, ajournons la dispute. Tous deux en étaient là de leurs propos joyeux, Lorsque Angelus ouvrit tout doucement les yeux Et de cet air malin, si charmant dans l’enfance, Il leur dit : « C’est fort bien. On arrange d’avance Ce qu’on fera plus tard de son enfant gâté. Mais je ne dormais pas, et j’ai tout écouté. Savez-vous que c’est mal de disposer des autres ? Pourtant n’ayez pas peur, car, sans gêner les vôtres, Je puis vous confier maintenant mes projets. Ils sont très sérieux, vous verrez ! Je songeais Depuis assez longtemps, pères, à vous les dire. Ces livres dans lesquels vous m’apprîtes à lire Et ce vaste Océan qui berce mon sommeil Me les ont inspirés et m’ont donné conseil. Je veux être marin sur la mer. Ces volumes, Que j’épelais jadis si mal, puis que nous lûmes Ensemble et qu’aujourd’hui je relis couramment, M’ont parlé de pays au ciel toujours clément, Aux arbres toujours verts, pleins d’oiseaux magnifiques, Où l’on allait porté par les flots pacifiques. Je veux partir pour ces pays délicieux. Ce ciel gris m’est fatal. Quand je ferme les yeux, Tout prend la couleur d’or du soleil dans mes rêves ; Et les vagues au loin murmurant sur les grèves Me disent – car j’entends des mots dans leurs rumeurs : – « Viens avec nous, et fuis ces climats où tu meurs ! » Pères, ne tentez pas d’arrêter mon courage Et ne me parlez pas d’écueils et de naufrage ; Car j’ai lu quelque part, et c’était arrivé, Que toujours un marin, un seul, s’était sauvé A la nage, à cheval sur une vieille planche, Et qu’il voyait bientôt poindre la voile blanche D’un navire passant pour lui porter secours. Moi, je serai celui qui se sauve toujours. Si je tarde longtemps, il est bien inutile D’avoir peur. Non. C’est que je serai dans une île Où je m’établirai comme a fait Robinson, En attendant qu’il passe un brick à l’horizon. Il arrive toujours, le moment qu’on espère. Alors, je reviendrai. Ce n’est pas vrai, ce père Qui pleure et devient vieux, et dit : « Pauvre petit ! » De son fils, grand garçon déjà quand il partit. Les contes n’ont jamais une fin si fatale. L’enfant revient toujours à la maison natale, Près des vieux. On s’assied en cercle autour du feu, Et, pour les effrayer beaucoup, il ment un peu. Comme les voyageurs de mes belles lectures, Je vous raconterai toutes mes aventures. Vous verrez, en ouvrant de grands yeux ébahis, Toutes les mers, tous les peuples, tous Ies pays Où m’auront promené la voile et la machine. Je vous rapporterai des choses de la Chine. Vous verrez le trois-mâts glissant près des îlots Avec son pavillon qui traîne sur les flots, Et le peuple tout nu, très noir et très sauvage, Qui nous suit en tirant des flèches du rivage, Et ce sera charmant, et vous m’embrasserez Au beau milieu de mon récit, et vous serez Tout surpris de ma barbe et de mon air si grave. Aux beaux endroits, tout bas, vous direz : « Qu’il est brave ! Vous sourirez, et vous m’embrasserez encor, Et vous jouerez avec mes épaulettes d’or. Mais, je le sais, il faut un long apprentissage. Et dès demain je vais bien apprendre, être sage, Lire beaucoup, veiller sous ma lampe l’hiver ; Et puis je m’en irai pour longtemps sur la mer. » Il se tut, souriant à quelque intime joie. Et, comme un affamé qui réclame une proie, L’Océan qui montait gronda dans les rochers. Les astres de la nuit furent soudain cachés. L’enfant agonisait ; mais la voix sépulcrale De la lame étouffait le bruit sourd de son râle. Alors comme brisé par ce qu’il avait dit, Angelus referma ses beaux yeux et tendit Aux deux amis ses mains plus froides et plus molles. Mais sur ceux-ci déjà les bizarres paroles De l’enfant moribond exerçaient leur pouvoir. Sombres, ils regardaient ce ciel devenu noir, Ils écoutaient le bruit plus sinistre des vagues, Et se sentaient venir au cœur ces craintes vagues Qu’on repousse, mais dont l’âme en vain se défend. Sans doute ce n’étaient que des rêves d’enfant, Inspirés par un livre ou bien par quelque image, Qu’ils laissent aussitôt sans dire : « C’est dommage ! » Et qui durent un jour ou deux pour la plupart. Mais tout cela parlait d’absence, de départ, Avec une éloquence étrange et captivante ; Et l’âme des vieillards était dans l’épouvante. Les yeux toujours fermés, le petit Angelus Reprit tout bas : Venez plus près, je n’y vois plus. Le ciel et l’Océan sont noirs comme l’ébène. Ce que je vous ai dit vous a fait de la peine Tout à l’heure. Il faudra tâcher de l’oublier. Pères, j’ai maintenant un rêve singulier. Est-ce un rêve ? Prenez mes deux mains dans les vôtres. Les astres dans la mer les uns après les autres Sont tous tombés, tombés ! Et dans le ciel en deuil, Ainsi qu’un christ d’argent sur le drap d’un cercueil, Il n’en reste plus qu’un. Vous devez le connaître, Celui-là ; car il brille au haut de ma fenêtre, Le soir, et je le vois de mon cher petit lit ; Et c’est le seul qui reste au ciel. Mais il pâlit ! Il a l’air aussi d’être attiré par le gouffre. On dirait qu’il s’éteint et l’on dirait qu’il souffre. Regardez ! le voilà qui file, qui s’enfuit !… Il est tombé !… J’ai froid, j’ai peur !… Et c’est la nuit ! » En prononçant ce mot, ? c’était le mot suprême ! ? Le petit Angelus s’affaissa sur lui-même. Sa bouche ouverte et l’orbe éteint de ses grands yeux S’emplirent d’un effroi vague et mystérieux. Les vieillards, égarés et crispant la narine, Virent son front trop lourd tomber sur sa poitrine, Et ses petites mains, qu’ils lâchèrent alors, Pesamment et d’un coup glisser contre son corps. Pure, à travers la nuit profonde et solennelle, L’âme de l’enfant mort venait d’ouvrir son aile, Ainsi que d’une salle ouverte à l’air du soir S’envole un papillon silencieux et noir. Après un long regard échangé sans rien dire, Un long regard chargé d’horreur et de délire, Les vieillards, abattus par un terrible effort, Tombèrent à genoux devant Angelus mort. Ils restèrent ainsi toute la nuit, farouches, Collant les froides mains du cadavre à leurs bouches, Atterrés, leurs sanglots muets les étouffant, N’osant lever les yeux sur le front de l’enfant Qui prenait la blancheur dure et froide des pierres. Mais, comme s’il était gravé sous leurs paupières, Ce visage chéri, qu’ils ne voulaient plus voir, Leurs yeux, leurs yeux fermés, toujours sur un fond noir Distinguaient Angelus, penché d’un air débile, Pâle et leur souriant d’un sourire immobile. Ah ! cette nuit, tandis qu’ils se désespéraient, Était-ce seulement leur enfant qu’ils pleuraient ? Ne s’accusaient-ils pas, ces deux hommes candides ? Ne maudissaient-ils pas leurs cheveux blancs stupides ? Ne comprenaient-ils pas enfin, les malheureux, Que cet être adorable était tué par eux ? Que l’absurde consigne et la vaine prière, Auxquelles ils avaient donné leur vie entière, Avaient fait leur malheur et leur aveuglement ? Que prier seulement, combattre seulement, Cela n’est pas assez pour l’homme, et qu’il est lâche Et mauvais de n’avoir ici-bas qu’une tâche ? Qu’il faut que chacun soit amant et père un jour ; Que la loi du devoir est une loi d’amour ; Qu’être seul, cela tue et cela paralyse ; Que la famille, c’est la patrie et l’église ; Que l’épée au fourreau doit orner le foyer ; Que les yeux de l’enfant font croire et font prier ; Que si tous deux, le vieux soldat et le vieux prêtre, Ils n’avaient pu sauver ce pauvre petit être, A qui pourtant leur cœur entier se dévouait, C’est qu’ils l’avaient aimé comme on aime un jouet ; Que leur expérience était une chimère ; Qu’ils n’étaient que de vieux enfants ; et qu’une mère, Qui, dans l’humble maison d’un pauvre matelot, Balaye et lave, et met les légumes au pot, Et ravaude son linge, et file sa quenouille, Et tout à la fois baise, allaite et débarbouille Six marmots qu’elle voit autour d’elle courir, Eût fait vivre l’enfant qu’ils avaient fait mourir ? Le matin les surprit aux genoux du cadavre. Et puis ce fut l’histoire ordinaire, et qui navre : Dernier regard qu’on jette au cher enseveli, Dernier baiser qu’on pose au front déjà pâli, Et plus rien ! Mais pour ces vieillards le sort complice Rendit plus douloureux et plus long le supplice. Le prêtre ? il était prêtre, hélas ! – dut sur le corps De son enfant chanter les prières des morts, Lui jeter l’eau bénite en sanglotant, et boire Ses pleurs qui se mêlaient au vin dans le ciboire. Il dut l’accompagner jusqu’au dernier logis, Où le soldat, les yeux par les larmes rougis, Dut sous son vieux sabot pousser la lourde bêche Et couvrir le cercueil de terre toute fraîche. Maintenant ils sont seuls. Tout est déjà rentré Dans l’ordre d’autrefois chez le pauvre curé. Assis au feu, chauffant leurs vieilles mains tremblantes, Ils laissent, sans parler, s’enfuir les heures lentes, Ne sachant rien, sinon que leur enfant est mort. Mornes, sans l’accepter, ils subissent le sort. Le soldat fait ses trous, le prêtre dit sa messe. Ils vivront peu ; mais dans la suprême promesse C’est à peine s’ils ont encor gardé la foi. On lit dans leurs regards je ne sais quel effroi Quand ils sortent tous deux en grand deuil de l’église, Au moment où le soir répand son ombre grise. Et le pêcheur, qui passe et qui les reconnaît, Regarde, tout timide, en ôtant son bonnet, Descendre du parvis les deux vieillards funèbres, Tandis que vibre encore au loin dans les ténèbres, Long, triste et solennel comme leur désespoir, Le dernier tintement de l’angelus du soir.

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    François Coppée

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    @francoisCoppee

    Décembre Le hibou parmi les décombres Hurle, et Décembre va finir ; Et le douloureux souvenir Sur ton coeur jette encor ses ombres. Le vol de ces jours que tu nombres, L’aurais-tu voulu retenir ? Combien seront, dans l’avenir, Brillants et purs ; et combien, sombres ? Laisse donc les ans s’épuiser. Que de larmes pour un baiser, Que d’épines pour une rose ! Le temps qui s’écoule fait bien ; Et mourir ne doit être rien, Puisque vivre est si peu de chose.

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    François Coppée

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    Epitaphe Dans le faubourg qui monte au cimetière, Passant rêveur, j’ai souvent observé Les croix de bois et les tombeaux de pierre Attendant là qu’un nom y fût gravé. Tu m’es ravie, enfant, et la nuit tombe Dans ma pauvre âme où l’espoir s’amoindrit ; Mais sur mon coeur, comme sur une tombe, C’est pour toujours que ton nom est écrit.

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    François Coppée

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    @francoisCoppee

    La bénédiction Or, en mil huit cent neuf, nous prîmes Saragosse. J’étais sergent. Ce fut une journée atroce. La ville prise, on fit le siège des maisons, Qui, bien closes, avec des airs de trahisons, Faisaient pleuvoir les coups de feu par leurs fenêtres. On se disait tout bas : « C’est la faute des prêtres. » Et, quand on en voyait s’enfuir dans le lointain, Bien qu’on eût combattu dès le petit matin, Avec les yeux brûlés de poussière et la bouche Amère du baiser sombre de la cartouche, On fusillait gaîment et soudain plus dispos Tous ces longs manteaux noirs et tous ces grands chapeaux. Mon bataillon suivait une ruelle étroite. Je marchais, observant les toits à gauche, à droite, A mon rang de sergent, avec les voltigeurs, Et je voyais au ciel de subites rougeurs Haletantes ainsi qu’une haleine de forge. On entendait des cris de femmes qu’on égorge, Au loin, dans le funèbre et sourd bourdonnement. Il fallait enjamber des morts à tout moment. Nos hommes se baissaient pour entrer dans les bouges, Puis en sortaient avec leurs baïonnettes rouges, Et du sang de leurs mains faisaient des croix au mur, Car dans ces défilés il fallait être sûr De ne pas oublier un ennemi derrière. Nous allions sans tambour et sans marche guerrière. Nos officiers étaient pensifs. Les vétérans, Inquiets, se serraient des coudes dans les rangs Et se sentaient le cœur faible d’une recrue. Tout à coup, au détour d’une petite rue, On nous crie en français : « À l’aide ! » En quelques bonds Nous joignons nos amis en danger et tombons Au milieu d’une belle et grave compagnie De grenadiers chassés avec ignominie Du parvis d’un couvent seulement défendu Par vingt moines, démons noirs au crâne tondu. Qui sur la robe avaient la croix de laine blanche, Et qui, pieds nus, le bras sanglant hors de la manche, Les assommaient à coups d’énormes crucifix. Ce fut tragique : avec tous les autres je fis Un feu de peloton qui balaya la place. Froidement, méchamment, car la troupe était lasse Et tous nous nous sentions des âmes de bourreaux, Nous tuâmes ce groupe horrible de héros. Et cette action vile une fois consommée, Lorsque se dissipa la compacte fumée, Nous vîmes, de dessous les corps enchevêtrés, De longs ruisseaux de sang descendre les degrés. — — Et, derrière, s’ouvrait l’église, immense et sombre. Les cierges étoilaient de points d’or toute l’ombre ; L’encens y répandait son parfum de langueur ; Et, tout au fond, tourné vers l’autel, dans le chœur, Comme s’il n’avait pas entendu la bataille, Un prêtre en cheveux blancs et de très haute taille Terminait son office avec tranquillité. Ce mauvais souvenir si présent m’est resté Qu’en vous le racontant je crois tout revoir presque : Le vieux couvent avec sa façade moresque, Les grands cadavres bruns des moines, le soleil Faisant sur les pavés fumer le sang vermeil, Et, dans l’encadrement noir de la porte basse, Ce prêtre et cet autel brillant comme une châsse, Et nous autres cloués au sol, presque poltrons. Certes, j’étais alors un vrai sac à jurons, Un impie ; et plus d’un encore se rappelle Qu’on me vit une fois, au sac d’une chapelle, Pour faire le gentil et le spirituel, Allumer une pipe aux cierges de l’autel. Déjà j’étais un vieux traîneur de sabretache ; Et le pli que donnait ma lèvre à ma moustache Annonçait un blasphème et n’était pas trompeur. — Mais ce vieil homme était si blanc qu’il me fit peur. « Feu ! » dit un officier. Nul ne bougea. Le prêtre Entendit, à coup sûr, mais n’en fit rien paraître, Et nous fit face avec son grand saint sacrement, Car sa messe en était arrivée au moment Où le prêtre se tourne et bénit les fidèles. Ses bras levés avaient une envergure d’ailes. Et chacun recula, lorsqu’avec l’ostensoir Il décrivit la croix dans l’air et qu’on put voir Qu’il ne tremblait pas plus que devant les dévotes ; Et quand sa belle voix, psalmodiant les notes, Comme font les curés dans tous leurs Oremus, Dit : Benedicat vos omnipotens Deus, « Feu ! répéta la voix féroce, ou je me fâche. » Alors un d’entre nous, un soldat, mais un lâche, Abaissa son fusil et fit feu. Le vieillard Devint très pâle, mais, sans baisser son regard Étincelant d’un sombre et farouche courage : Pater et Filius, reprit-il. Quelle rage Ou quel voile de sang affolant un cerveau Fit partir de nos rangs un coup de feu nouveau ? Je ne sais ; mais pourtant cette action fut faite. Le moine, d’une main s’appuyant sur le faîte De l’autel et tâchant de nous bénir encor De l’autre, souleva le lourd ostensoir d’or. Pour la troisième fois il traça dans l’espace Le signe du pardon, et d’une voix très basse, Mais qu’on entendit bien, car tous bruits s’étaient tus, Il dit, les yeux fermés : Et Spiritus sanctus. Puis tomba mort, ayant achevé sa prière. L’ostensoir rebondit par trois fois sur la pierre. Et, comme nous restions, même les vieux troupiers, Sombres, l’horreur vivante au cœur et l’arme aux pieds, Devant ce meurtre infâme et devant ce martyre : Amen ! dit un tambour en éclatant de rire.

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    François Coppée

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    La mort des oiseaux Le soir, au coin du feu, j’ai pensé bien des fois, A la mort d’un oiseau, quelque part, dans les bois, Pendant les tristes jours de l’hiver monotone Les pauvres nids déserts, les nids qu’on abandonne, Se balancent au vent sur le ciel gris de fer. Oh ! comme les oiseaux doivent mourir l’hiver ! Pourtant lorsque viendra le temps des violettes, Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes. Dans le gazon d’avril où nous irons courir. Est-ce que  » les oiseaux se cachent pour mourir ?  »

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    François Coppée

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    La mort du singe Frissonnant jusque dans la moelle, Pelé, funèbre et moribond, Le vieux singe, près de son poêle, Tousse en râlant et se morfond. Composant, malgré sa détresse, La douleur qui le fait mourir, Il geint ; mais sa plainte s’adresse Au public qu’il veut attendrir. Comme une phtisique de drame Pâmée en ses neigeux peignoirs, Il joint, avec des airs de femme, Ses petits doigts ridés et noirs ; Et des pleurs, traçant sur sa face Deux sillons parmi les poils roux, Font plus navrante sa grimace Faite de rire et de courroux. Vieil histrion, loin de tes planches, Ainsi tu n’as pas regretté Les bonds effarés dans les branches, L’Inde immense, la liberté ! Ce que tu pleures, c’est la scène Et ce palais de fil de fer Dans lequel, parodiste obscène, Grattant ton poil, montrant ta chair, Railleur, tu faisais voir aux hommes Ce qu’ils ont de vil et de laid, Pour manger les trognons de pommes Dont leur colère t’accablait !

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    François Coppée

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    Le justicier À Théodore de Banville L’an mil quatre cent trois, juste un mois après Pâques, Le jour des bienheureux saint Philippe et saint Jacques, Très-haut et très-puissant Gottlob, dit le Brutal, Baron d’Hildburghausen, comte de Schnepfenthal, Grand bailli d’Elbenau, margrave héréditaire De Schlotemsdorff, seigneur du fleuve et de la terre, Le doyen, le plus vieux des chevaliers saxons, Qui, sur l’armorial, porte les écussons De Rhun et de Gommern écartelés, l’unique Descendant d’une race altière et tyrannique, Après être allé voir pendre trois paysans Malgré la pluie et ses quatre-vingt-quatorze ans, Vers l’Angelus, après souper, presque sans fièvre Mourut, les bras en croix et l’hostie à la lèvre, En son château de Ruhn, sur l’Elbe. On arbora Le drapeau noir, et tout le pays respira. Car on était alors dans les guerres civiles ; L’ivrogne Wenceslas avait vendu les villes À prix d’or. Les seigneurs gouvernaient à leur gré, Et le vieux droit avait dès longtemps émigré. Or, il avait été cupide et sanguinaire Ce grand vieillard tout pâle et presque centenaire Que le drap dessinait sur son lit de repos. Il avait rétabli tous les anciens impôts ; Et ses hallebardiers, démons de violence, Faisaient payer les gens à coups de bois de lance : Impôt sur la vendange, impôt sur la moisson, Sur le gibier, sur les moulins, sur le poisson ; Impôt même sur ceux qui font pèlerinage ; Impôt toujours, et, quand on refusait, carnage. Le vieux margrave avait des vengeances d’enfer. Vêtu de fer, ganté de fer, masqué de fer, Il arrivait, suivi de ses piquiers avides, Et d’un geste faisait garnir les gibets vides. Les vassaux par le fer, la corde ou le bâton Mouraient ; les jeunes gens prenaient le hoqueton ; Mais les vieux, tout couverts de haillons et de lèpres, Il leur fallait aller, après l’heure des vêpres, Mendier un pain noir aux portes du couvent ; Et sur la grande route on rencontrait souvent Des mendiants douteux montrant d’horribles plaies. Les bourgeois, enterrant les sous et les monnaies, Avaient d’abord voulu se plaindre. Ils avaient pris Un des leurs, un de ces malcontents à fronts gris Qui portent des rouleaux auxquels pend une cire Et qui font la grimace en disant le mot : Sire, Pour aller supplier l’archevêque électeur À Trêves, en secret, et dire avec lenteur Et sans fiel leurs griefs au très-saint patriarche. Mais Gottlob, du prud’homme ayant su la démarche, Envoya devant lui deux beaux mulets très-lourds Portant ciboires d’or et chappes de velours ; Et l’électeur, du bien de Dieu trop économe, Reçut les dons et fit estraper le prud’homme. Et l’on se tut. Or la misère redoublait, Et Gottlob devenait centenaire. Il semblait Qu’on ne dût jamais voir la fin de ce supplice. Les vieilles lui donnaient le diable pour complice ; Et tous désespéraient, et l’on criait merci. Enfin il était mort ; c’était bien sûr. Aussi, Comme les petits nids des forêts sont en joie Quand la tempête emporte un vol d’oiseaux de proie, Le bon peuple à grands cris saluait ce départ En allumant des feux de nuit sur le rempart, Comme à Noël, après le temps des pénitences ; Et les manants dansaient en rond sous les potences. Dans le château fermé, prêtant l’oreille aux bruits Du lointain apportés par la brise des nuits, Les soldats, inquiets, veillaient aux meurtrières ; Et près du mort un moine était seul en prières. Assis dans un fauteuil de cuir, il rêvait, seul, Observant sur le corps le dessin du linceul Que rougissaient un cierge à droite, un cierge à gauche, Et comparant ce lit funéraire à l’ébauche Du marbre qu’on allait tailler pour le tombeau ; Ou, quand l’air plus glacé ravivait un flambeau Et détournait ainsi sa vague rêverie, Il regardait dans l’ombre une tapisserie Obscure où se tordaient confus des cavaliers ; Ou bien suivait de l’œil l’arête des piliers. Il était seul. Parfois une flamme hardie Sur les vitraux étroits reflétait l’incendie, Et les cris des vassaux en liesse au dehors Par instants arrivaient moins lointains et plus forts. Rigide sous le froc et pareil aux fantômes, Le moine s’était mis à réciter des psaumes Souvent interrompus d’un lent miserere, Quand soudain il pâlit, et son œil égaré S’emplit d’une épouvante effroyable et niaise ; Ses maigres doigts crispés aux deux bras de sa chaise, Il restait là, dompté, pétrifié, béant : Le margrave s’était dressé sur son séant, Voilé, blanc, et faisant de grands gestes étranges Pour se débarrasser de ses funèbres langes. Et celui qu’on croyait la pâture des vers Apparut tout à coup vivant, les yeux ouverts, Reconnut d’un regard vague et surpris à peine Le moine, les flambeaux, le crucifix d’ébène, Le bénitier plein d’eau bénite avec son buis, Et dit d’une voix claire : « Où suis-je ? Je ne puis Dire si je rêvais ou si j’étais mort. Moine, Mes neveux ont-ils pris déjà mon patrimoine Et jeté bas le rouge étendard du beffroi ? Suis-je défunt ou suis-je encor maître chez moi ? Réponds. Puis, comme j’ai la tête encor troublée, Cherche sur ce dressoir ma coupe ciselée, Et me verse un grand coup de vin. — En vérité, Dieu puissant, dit le moine, il est ressuscité ! — Ressuscité ? J’étais donc mort ? Par mes ancêtres, Je vais faire demain pavoiser mes fenêtres, Recevoir mes neveux du haut de mon balcon Et leur offrir à tous une chasse au faucon Quand ils viendront, la larme à l’œil, pour mes obsèques, Puis, après un repas comme en font nos évêques, Les renvoyer tous gris abominablement. » Le moine avec deux doigts se signa triplement Sur la poitrine, sur le front et sur la bouche, Se leva, fit un pas vers le vieillard farouche, Et, d’une voix encor palpitante d’émoi, Il dit : « Et maintenant, margrave, écoutez-moi. Tout à l’heure, à genoux près de votre cadavre, Je priais, en songeant que c’est chose qui navre Que de voir un vieillard, un grand seigneur, partir Sans avoir eu le temps de se bien repentir. Car l’absolution tombant des mains du prêtre Est encore soumise à l’Éternel peut-être ; Et, sans contrition, l’orémus dépêché Ne guérit point l’ulcère horrible du péché. C’est pourquoi je priais avec ferveur dans l’ombre. Nous vivons dans un siècle inexorable et sombre, Monseigneur, dans un temps très-pervers, où les grands Du malheur populaire, hélas ! sont ignorants. Les gens de guerre ont tant piétiné l’Allemagne Qu’il ne reste plus rien debout sur la campagne. Les moissonneurs sont sans besogne, et nous n’aurons Bientôt plus de travail que pour les forgerons ; C’est grand’pitié de voir les blés couchés, les seigles Perdus, et les festins des vautours et des aigles, Les seuls qui maintenant se nourrissent de chair ; On mendie à tous les moutiers ; le pain est cher ; Les villes ayant faim, les hameaux font comme elles ; Et les mères n’ont plus de lait dans leurs mamelles. De cela les puissants n’ont soucis ni remords. Et moi, qui dois prier ici-bas pour les morts, Ma prière est surtout pour les grands et les riches : Car je vois des vassaux en pleurs, des champs en friches Et des pendus bercés par le vent des forêts ; Car je songe, margrave, aux éternels arrêts, À la stricte balance où se pèsent les âmes, Et j’entends le joyeux crépitement des flammes Qu’attisé avec sa fourche énorme le démon. » Le margrave éclata de rire. « Un beau sermon, Dit-il. Et tu conclus ? — Que si la mort tenace Vous épargne, c’est une effrayante menace, Un avis du Très-Haut, et que votre cercueil Avant longtemps aura franchi le dernier seuil, Et que Dieu vous accorde, en son omnipotence, Gottlob, le juste temps de faire pénitence. — Tu le vois, dit Gottlob, j’écoute de mon mieux Ton homélie, étant aujourd’hui très-joyeux De n’avoir point quatre ais de chêne pour chemise. Ne crois pas cependant qu’elle te soit permise Davantage, et retiens que, si je le voulais, Je te ferais chasser par deux de mes valets Fouaillant derrière toi mes limiers pour te mordre Aux jambes. Maintenant je t’avais donné l’ordre De m’aller vilement quérir à boire ; va. » Le moine, qui s’était assis, se releva. Son froc l’enveloppait de grandes lignes blanches ; Ses mains en l’air sortaient, tremblantes, de ses manches, Et, sous l’ombre de sa cagoule, son regard S’attachait fixement sur le marquis. « Vieillard, Repens-toi ! cria-t-il. Avant que de descendre Au tombeau, va souiller tes cheveux blancs de cendre, Prends le cilice et prends la robe comme nous, Aux marches des autels use tes vieux genoux, Va chanter les répons et va baiser la pierre Des cloîtres, et, la nuit, couche dans une bière. Le martinet armé de ses pointes de fer Entretenant la plaie ardente sur ta chair, L’in pace, l’escalier gluant où l’on trébuche, Le jeûne, le pain noir et l’eau bue à la cruche, Sont doux pour un pécheur qui se repent si tard ! — Holà ! cria Gottlob, ridicule bâtard, Sache d’abord qu’il n’est qu’un vêtement qui m’aille : C’est mon habit de fer qu’on forgea maille à maille, Et que n’ont pu trouer les princes et les rois, Quand j’étais lieutenant du duc Rudolphe Trois Et sergent de combat du bon empereur Charles, Moi, Gottlob, haut seigneur de Ruhn, à qui tu parles. Sache aussi que tous ceux qui portent de grands noms Et qui se font broder en or sur leurs pennons Des mots latins parlant de courage et de morgue Ne savent point hurler des psaumes sous un orgue ; Que leur musique, c’est le bruit des éperons, C’est la note éclatante et fière des clairons, Le frisson des tambours et le joyeux murmure Des estocs martelant le cuivre d’une armure. Sache aussi que je hais les frocards et tous ceux Qui se cachent, poltrons, dans les cloîtres crasseux Et ne lavent leurs mains qu’en prenant l’eau bénite. Ainsi, tais-toi, bon frère, et m’obéis bien vite. » Le moine vers le lit fit encore deux pas. Redoute Dieu, qui passe et qui ne revient pas. Margrave, il est encor temps de sauver ton âme. Mais tu fus vil, tu fus cruel, tu fus infâme ; Tu sembles aujourd’hui ne plus te souvenir De tes crimes ; mais Dieu, qui les doit tous punir, Se rappelle, et la liste au ciel en est gravée : Au sac de Schepfenthal, qui s’était soulevée, Tu tuas d’un seul coup, stupide meurtrier, Un échevin courbé jusqu’à ton étrier ; Puis tu le fis couper en morceaux et suspendre Au portail du donjon, qu’alors on pouvait prendre Pour les crochets sanglants de l’étal des tripiers. À la chasse, une fois, tu te chauffas les pieds Dans le ventre béant d’un braconnier. Tes lances Faisaient autour de toi régner de noirs silences ; Mais qui t’aurait suivi sûrement t’eût rejoint Par le chemin sanglant que menaçaient du poing Les laboureurs avec leurs familles en larmes. Tu fis périr ta sœur enceinte. Tes gens d’armes Pillaient les voyageurs jusque dans les faubourgs ; Et tu fis promener, chevauchant à rebours Des pourceaux, les bourgeois qui refusaient les dîmes. J’en passe. Et quand tu meurs souillé de tous ces crimes, Et quand le Tout-Puissant, comme surpris de voir Ce monstre et te trouvant pour son enfer trop noir, Te repousse du pied sur la terre et t’accorde Le temps de lui crier enfin miséricorde, Le ciel par ton orgueil est encore insulté ! Apprends donc maintenant toute la vérité. Ah ! tu n’as pas assez d’un prêtre pour arbitre ? Eh bien ! vois cette flamme incendiant ta vitre ; Entends ces cris de joie au lointain éclatants. Écoute et souviens-toi. Lorsque depuis longtemps Un loup, un ours ou quelque autre bête sauvage Exerçait dans nos bois antiques son ravage, Et lorsqu’il est enfin tombé sous les épieux, Le soir sur les coteaux on allume des feux Autour desquels, grandis par les flammes rougeâtres, Dansent, lourds et joyeux, les chasseurs et les pâtres ; Marquis, c’est la coutume en Saxe, n’est-ce pas ? Puisqu’on en fait autant le jour de ton trépas, Et qu’on te traite ainsi qu’une bête féroce. — Silence ! » dit Gottlob avec un rire atroce. Et, se levant de ses deux poings sur l’oreiller, Livide, fou de rage, il se mit à crier : Ah ! vous mettez la flamme aux bûchers, misérables ! Ah ! vous jetez au feu les pins et les érables Où je taillais jadis vos poteaux de gibet ! Sans mon réveil, demain peut-être l’on flambait, Pour l’ébaudissement de toute la canaille, Avec mes ormes gris un margrave de paille ! Ah ! vous coupez gaîment, pour les mettre en fagots, Mes vieux chênes rugueux plantés du temps des Goths ! Soit ! puisque mon bon peuple aime le feu qui flambe, Dès ce soir, casque en tête et lance sur la jambe, J’accours pour voir s’il est joyeux et rayonnant, Le feu qu’on entretient de graisse de manant, Et je veux comparer les flammes et les braises. — Gottlob, Satan aussi prépare ses fournaises. Songe au feu qui rougeoie aux bouches des volcans ; Marquis, songe aux damnés tordus et suffocants Qui, perdus dans le gouffre et sous les sombres porches, Pour une éternité brûlent comme des torches ; Songe qu’il est un Dieu ; songe que tu mourras, Et que tous tes gibets de leur unique bras Te montrent le chemin de l’abîme. Margrave, Songe qu’après ta mort, toi qui fus noble et brave Et qui portais une hydre horrible à ton cimier, Tu seras faible et nu comme un ver de fumier. Alors, entraîné vers les flammes éternelles Par les démons, saignant sous l’ongle de leurs ailes, La corde aux mains, la fourche aux reins, les fers aux pieds, Tu roidiras tes vieux membres estropiés, Sans pouvoir fuir ce feu, vers lequel on te penche Et dont l’ardeur fera flamber ta barbe blanche. — Soit donc, reprit le vieux margrave. Je te dis, Moine, d’aller offrir tes clés de paradis À cette populace à chanter occupée, Et dont bientôt, par la grâce de mon épée, Plus d’un aura besoin d’avoir les cieux conquis. Pour mon compte, Satan est prince, moi marquis, Et j’irai le rejoindre en égal, car nous sommes Tous les deux de très-bons et très-vieux gentilshommes. Puis je retrouverai là-bas, dans son enfer, Mes meilleurs compagnons de combat que le fer Jadis faucha parmi les sanglantes tempêtes, Et nous nous donnerons des tournois et des fêtes ; Quant à vous, mes mignons, qui vous réjouissez, Et qui faites des feux de paille, et qui dansez, Je vais donner à tout le monde un peu de joie Et régaler si bien mes chers oiseaux de proie Que, dans cent ans, vos fils ôteront leur chapeau Quand ils traverseront l’ombre de mon tombeau. » Et Gottlob, haletant d’une horrible folie, Tourna son regard noir vers une panoplie Où s’épanouissaient, comme une fleur de fer Énorme, vingt estocs au reflet dur et clair, Que reliaient entre eux des toiles d’araignée ; Puis, s’élançant, car elle était trop éloignée, Mit hors du lit sa jambe horrible de vieillard. Le moine devant lui s’était dressé, hagard. Meurs donc dans ton blasphème et ton impénitence ! » Dit-il ; et d’un seul bond franchissant la distance Qui le sépare encor du vieillard éperdu, Nu-tête, et laissant voir sous son crâne tondu Ses yeux creux et brillants comme un foyer de forge, Calme et tragique, il prend le margrave à la gorge ; Et, malgré cette voix qui crie : À l’assassin ! Malgré ces cheveux blancs épars sur le coussin, Il l’étrangle, en disant : « Cette fois-ci, margrave, Meurs pour de bon. » Alors, toujours tranquille et grave, Il ramène le drap rejeté sur le mort, Comme fait une mère à son enfant qui dort, Ramasse un des flambeaux renversé, le rallume, Puis se met à genoux, ainsi qu’il a coutume De faire quand il prie à l’ombre du saint lieu, Joint les deux mains et dit : « Je me confesse à Dieu. »

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    L’attente À Auguste Vacquerie Au bout du vieux canal plein de mâts, juste en face De l’Océan et dans la dernière maison, Assise à sa fenêtre, et quelque temps qu’il fasse, Elle se tient, les yeux fixés sur l’horizon. Bien qu’elle ait la pâleur des éternels veuvages, Sa robe est claire ; et bien que les soucis pesants Aient sur ses traits flétris exercé leurs ravages, Ses vêtements sont ceux des filles de seize ans. Car depuis bien des jours, patiente vigie, Dès l’instant où la mer bleuit dans le matin Jusqu’à ce qu’elle soit par le couchant rougie, Elle est assise là, regardant au lointain. Chaque aurore elle voit une tardive étoile S’éteindre, et chaque soir le soleil s’enfoncer À cette place où doit reparaître la voile Qu’elle vit là, jadis, pâlir et s’effacer. Son cœur de fiancée, immuable et fidèle, Attend toujours, certain de l’espoir partagé, Loyal ; et rien en elle, aussi bien qu’autour d’elle, Depuis dix ans qu’il est parti, rien n’a changé. Les quelques doux vieillards qui lui rendent visite, En la voyant avec ses bandeaux réguliers, Son ruban mince où pend sa médaille bénite, Son corsage à la vierge et ses petits souliers, La croiraient une enfant ingénue et qui boude, Si parfois ses doigts purs, ivoirins et tremblants, Alors que sur sa main fiévreuse elle s’accoude, Ne livraient le secret des premiers cheveux blancs. Partout le souvenir de l’absent se rencontre En mille objets fanés et déjà presque anciens : Cette lunette en cuivre est à lui, cette montre Est la sienne, et ces vieux instruments sont les siens. Il a laissé, de peur d’encombrer sa cabine, Ces gros livres poudreux dans leur oubli profond, Et c’est lui qui tua d’un coup de carabine Le monstrueux lézard qui s’étale au plafond. Ces mille riens, décor naïf de la muraille, Naguère, il les a tous apportés de très loin. Seule, comme un témoin inclément et qui raille, Une carte navale est pendue en un coin ; Sur le tableau jaunâtre, entre ses noires tringles, Les vents et les courants se croisent à l’envi ; Et la succession des petites épingles N’a pas marqué longtemps le voyage suivi. Elle conduit jusqu’à la ligne tropicale Le navire vainqueur du flux et du reflux, Puis cesse brusquement à la dernière escale, Celle d’où le marin, hélas ! n’écrivit plus. Et ce point justement où sa trace s’arrête Est celui qu’un burin savant fit le plus noir : C’est l’obscur rendez-vous des flots où la tempête Creuse un inexorable et profond entonnoir. Mais elle ne voit pas le tableau redoutable Et feuillette, l’esprit ailleurs, du bout des doigts, Les planches d’un herbier éparses sur la table, Fleurs pâles qu’il cueillit aux Indes autrefois. Jusqu’au soir sa pensée extatique et sereine Songe au chemin qu’il fait en mer pour revenir, Ou parfois, évoquant des jours meilleurs, égrène Le chapelet mystique et doux du souvenir ; Et, quand sur l’Océan la nuit met son mystère, Calme et fermant les yeux, elle rêve du chant Des matelots joyeux d’apercevoir la terre, Et d’un navire d’or dans le soleil couchant.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    L’écho J’ai crié dans la solitude : – Mon chagrin sera-t-il moins rude, Un jour, quand je dirai son nom ? Et l’écho m’a répondu : – Non. – Comment vivrai-je, en la détresse Qui m’enveloppe et qui m’oppresse, Comme fait au mort son linceul ? Et l’écho m’a répondu : – Seul ! – Grâce ! le sort est trop sévère ! Mon coeur se révolte ! Que faire Pour en étouffer les rumeurs ? Et l’écho m’a répondu : – Meurs !

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    François de Malherbe

    François de Malherbe

    @francoisDeMalherbe

    Consolation à M. Du Périer Stances sur la mort de sa fille Ta douleur, Du Perrier, sera donc éternelle ? Et les tristes discours Que te met en l'esprit l'amitié paternelle L'augmenteront toujours ? Le malheur de ta fille au tombeau descendue Par un commun trépas, Est-ce quelque dédale où ta raison perdue Ne se retrouve pas ? Je sais de quels appas son enfance était pleine, Et n'ai pas entrepris, Injurieux ami, de soulager ta peine Avecque son mépris. Mais elle était du monde, où les plus belles choses Ont le pire destin ; Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin. Puis quand ainsi serait que, selon ta prière, Elle aurait obtenu D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière, Qu'en fût-il avenu ? Penses-tu que plus vieille en la maison céleste Elle eût eu plus d'accueil, Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste Et les vers du cercueil ? Non, non, mon Du Perrier ; aussitôt que la Parque Ôte l'âme du corps, L'âge s'évanouit au-deçà de la barque, Et ne suit point les morts. Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale ; Et Pluton aujourd'hui, Sans égard du passé, les mérites égale D'Archemore et de lui. Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes : Mais, sage à l'avenir, Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes Eteins le souvenir. C'est bien, je le confesse, une juste coutume Que le cœur affligé, Par le canal des yeux vidant son amertume, Cherche d'être allégé. Même quand il advient que la tombe sépare Ce que nature a joint, Celui qui ne s'émeut a l'âme d'un barbare, Ou n'en a du tout point. Mais d'être inconsolable et dedans sa mémoire Enfermer un ennui, N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire De bien aimer autrui ? Priam, qui vit ses fils abattus par Achille, Dénué de support Et hors de tout espoir du salut de sa ville, Reçut du réconfort. François, quand la Castille, inégale à ses armes, Lui vola son Dauphin, Sembla d'un si grand coup devoir jeter des larmes Qui n'eussent point de fin. Il les sécha pourtant, et, comme un autre Alcide, Contre fortune instruit, Fit qu'à ses ennemis d'un acte si perfide La honte fut le fruit. Leur camp, qui la Durance avait presque tarie De bataillons épais, Entendant sa constance, eut peur de sa furie, Et demanda la paix. De moi déjà deux fois d'une pareille foudre Je me suis vu perclus ; Et deux fois la raison m'a si bien fait résoudre, Qu'il ne m'en souvient plus. Non qu'il ne me soit grief que la terre possède Ce qui me fut si cher ; Mais en un accident qui n'a point de remède Il n'en faut point chercher. La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles : On a beau la prier ; La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles, Et nous laisse crier. Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre, Est sujet à ses lois ; Et la garde qui veille aux barrières du Louvre N'en défend point nos rois. De murmurer contre elle et perdre patience Il est mal à propos ; Vouloir ce que Dieu veut est la seule science Qui nous met en repos.

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    François de Malherbe

    François de Malherbe

    @francoisDeMalherbe

    Sonnet sur la mort de son fils Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle, Ce fils qui fut si brave et que j'aimai si fort, Je ne l'impute point à l'injure du sort, Puisque finir à l'homme est chose naturelle. Mais que de deux marauds la surprise infidèle Ait terminé ses jours d'une tragique mort, En cela ma douleur n'a point de réconfort, Et tous mes sentiments sont d'accord avec elle.

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    François de Malherbe

    François de Malherbe

    @francoisDeMalherbe

    Épigramme sur la mort Écrit au nom de M. Puget pour sa femme. Belle âme qui fus mon flambeau, Reçois l'honneur qu'en ce tombeau Je suis obligé de te rendre. Ce que je fais te sert de peu : Mais au moins tu vois en la cendre Comme j'en conserve le feu.

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    François Fabié

    @francoisFabie

    Savoir vieillir Vieillir, se l’avouer à soi-même et le dire, Tout haut, non pas pour voir protester les amis, Mais pour y conformer ses goûts et s’interdire Ce que la veille encore on se croyait permis. Avec sincérité, dès que l’aube se lève, Se bien persuader qu’on est plus vieux d’un jour. À chaque cheveu blanc se séparer d’un rêve Et lui dire tout bas un adieu sans retour. Aux appétits grossiers, imposer d’âpres jeûnes, Et nourrir son esprit d’un solide savoir ; Devenir bon, devenir doux, aimer les jeunes Comme on aima les fleurs, comme on aima l’espoir. Se résigner à vivre un peu sur le rivage, Tandis qu’ils vogueront sur les flots hasardeux, Craindre d’être importun, sans devenir sauvage, Se laisser ignorer tout en restant près d’eux. Vaquer sans bruit aux soins que tout départ réclame, Prier et faire un peu de bien autour de soi, Sans négliger son corps, parer surtout son âme, Chauffant l’un aux tisons, l’autre à l’antique foi, Puis un jour s’en aller, sans trop causer d’alarmes, Discrètement mourir, un peu comme on s’endort, Pour que les tout petits ne versent pas de larmes Et qu’ils ne sachent pas ce que c’est que la mort.

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    F

    François Maynard

    @francoisMaynard

    Mon âme, il faut partir Mon âme, il faut partir. Ma vigueur est passée, Mon dernier jour est dessus l'horizon. Tu crains ta liberté. Quoi ! n'es-tu pas lassée D'avoir souffert soixante ans de prison ? Tes désordres sont grands ; tes vertus sont petites ; Parmi tes maux on trouve peu de bien ; Mais si le bon Jésus te donne ses mérites, Espère tout et n'appréhende rien. Mon âme, repens-toi d'avoir aimé le monde, Et de mes yeux fais la source d'une onde Qui touche de pitié le monarque des rois. Que tu serais courageuse et ravie Si j'avais soupiré, durant toute ma vie, Dans le désert, sous l'ombre de la Croix !

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    François Villon

    François Villon

    @francoisVillon

    Ballade des pendus Frères humains, qui après nous vivez, N’ayez les cœurs contre nous endurcis, Car, si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous mercis. Vous nous voyez ci attachés, cinq, six : Quant à la chair, que trop avons nourrie, Elle est piéça dévorée et pourrie, Et nous, les os, devenons cendre et poudre. De notre mal personne ne s’en rie ; Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! Se frères vous clamons, pas n’en devez Avoir dédain, quoique fûmes occis Par justice. Toutefois, vous savez Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis. Excusez-nous, puisque sommes transis, Envers le fils de la Vierge Marie, Que sa grâce ne soit pour nous tarie, Nous préservant de l’infernale foudre. Nous sommes morts, âme ne nous harie, Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! La pluie nous a bués et lavés, Et le soleil desséchés et noircis. Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés, Et arraché la barbe et les sourcils. Jamais nul temps nous ne sommes assis Puis çà, puis là, comme le vent varie, A son plaisir sans cesser nous charrie, Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre. Ne soyez donc de notre confrérie ; Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! Prince Jésus, qui sur tous a maistrie, Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie : A lui n’ayons que faire ne que soudre. Hommes, ici n’a point de moquerie ; Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

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    François Villon

    François Villon

    @francoisVillon

    Ballade finale Ici se clôt le testament Et finit du pauvre Villon. Venez à son enterrement, Quand vous orrez le carillon, Vêtus rouge com vermillon, Car en amour mourut martyr : Ce jura-t-il sur son couillon Quand de ce monde vout partir. Et je crois bien que pas n’en ment, Car chassé fut comme un souillon De ses amours haineusement, Tant que, d’ici à Roussillon, Brosse n’y a ne brossillon Qui n’eût, ce dit-il sans mentir, Un lambeau de son cotillon, Quand de ce monde vout partir. Il est ainsi et tellement, Quand mourut n’avoit qu’un haillon ; Qui plus, en mourant, malement L’époignoit d’Amour l’aiguillon ; Plus aigu que le ranguillon D’un baudrier lui faisoit sentir (C’est de quoi nous émerveillon) Quand de ce monde vout partir. Prince, gent comme émerillon, Sachez qu’il fit au départir : Un trait but de vin morillon, Quand de ce monde vout partir.

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    François Villon

    François Villon

    @francoisVillon

    Le grand Ttstament I. En l’an trentiesme de mon eage, Que toutes mes hontes j’eu beues, Ne du tout fol, ne du tout sage. Nonobstant maintes peines eues, Lesquelles j’ay toutes receues Soubz la main Thibault d’Aussigny. S’evesque il est, seignant les rues, Qu’il soit le mien je le regny ! II. Mon seigneur n’est, ne mon evesque ; Soubz luy ne tiens, s’il n’est en friche ; Foy ne luy doy, ne hommage avecque ; Je ne suis son serf ne sa biche. Peu m’a d’une petite miche Et de froide eau, tout ung esté. Large ou estroit, moult me fut chiche. Tel luy soit Dieu qu’il m’a esté. III. Et, s’aucun me vouloit reprendre Et dire que je le mauldys, Non fais, si bien me sçait comprendre, Et rien de luy je ne mesdys. Voycy tout le mal que j’en dys : S’il m’a esté misericors, Jésus, le roy de paradis, Tel luy soit à l’ame et au corps ! IV. S’il m’a esté dur et cruel Trop plus que cy ne le racompte, Je vueil que le Dieu eternel Luy soit doncq semblable, à ce compte !… Mais l’Eglise nous dit et compte Que prions pour nos ennemis ; Je vous dis que j’ay tort et honte : Tous ses faictz soient à Dieu remis ! V. Si prieray Dieu de bon cueur, Pour l’ame du bon feu Cotard. Mais quoy ! ce sera doncq par cueur, Car de lire je suys faitard. Priere en feray de Picard ; S’il ne le sçait, voise l’apprandre, S’il m’en croyt, ains qu’il soit plus tard A Douay, ou à Lysle en Flandre ! VI. Combien souvent je veuil qu’on prie Pour luy, foy que doy mon baptesme, Obstant qu’à chascun ne le crye, Il ne fauldra pas à son esme. Au Psaultier prens, quand suys à mesme, Qui n’est de beuf ne cordoen, Le verset escript le septiesme Du psaulme de Deus laudem. VII. Si pry au benoist Filz de Dieu, Qu’à tous mes besoings je reclame, Que ma pauvre prière ayt lieu Verz luy, de qui tiens corps et ame, Qui m’a preservé de maint blasme Et franchy de vile puissance. Loué soit-il, et Nostre-Dame, Et Loys, le bon roy de France ! VIII. Auquel doint Dieu l’heur de Jacob, De Salomon l’honneur et gloire ; Quant de prouesse, il en a trop ; De force aussi, par m’ame, voire ! En ce monde-cy transitoire, Tant qu’il a de long et de lé ; Affin que de luy soit memoire, Vive autant que Mathusalé ! IX. Et douze beaulx enfans, tous masles, Veoir, de son très cher sang royal, Aussi preux que fut le grand Charles, Conceuz en ventre nuptial, Bons comme fut sainct Martial. Ainsi en preigne au bon Dauphin ; Je ne luy souhaicte autre mal, Et puys paradis à la fin. X. Pour ce que foible je me sens, Trop plus de biens que de santé, Tant que je suys en mon plain sens, Si peu que Dieu m’en a presté, Car d’autre ne l’ay emprunté, J’ay ce Testament très estable Faict, de dernière voulenté, Seul pour tout et irrevocable : XI. Escript l’ay l’an soixante et ung, Que le bon roy me delivra De la dure prison de Mehun, Et que vie me recouvra, Dont suys, tant que mon cueur vivra, Tenu vers luy me humilier, Ce que feray jusqu’il mourra : Bienfaict ne se doibt oublier. Icy commence Villon à entrer en matière pleine d’erudition et de bon sçavoir. XII. Or est vray qu’apres plaingtz et pleurs et angoisseux gemissemens, Après tristesses et douleurs, Labeurs et griefz cheminemens, Travail mes lubres sentemens, Esguisez comme une pelote, M’ouvrist plus que tous les Commens D’Averroys sur Aristote. XIII. Combien qu’au plus fort de mes maulx, En cheminant sans croix ne pile, Dieu, qui les Pellerins d’Esmaus Conforta, ce dit l’Evangile, Me montra une bonne ville Et pourveut du don d’esperance ; Combien que le pecheur soit vile, Riens ne hayt que perseverance. XIV. Je suys pecheur, je le sçay bien ; Pourtant Dieu ne veult pas ma mort, Mais convertisse et vive en bien ; Mieulx tout autre que peché mord, Soye vraye voulenté ou enhort, Dieu voit, et sa misericorde, Se conscience me remord, Par sa grace pardon m’accorde. XV. Et, comme le noble Romant De la Rose dit et confesse En son premier commencement, Qu’on doit jeune cueur, en jeunesse, Quant on le voit vieil en vieillesse, Excuser ; helas ! il dit voir. Ceulx donc qui me font telle oppresse, En meurté ne me vouldroient veoir. XVI. Se, pour ma mort, le bien publique D’aucune chose vaulsist myeulx, A mourir comme ung homme inique Je me jugeasse, ainsi m’aid Dieux ! Grief ne faiz à jeune ne vieulx, Soye sur pied ou soye en bière : Les montz ne bougent de leurs lieux, Pour un paouvre, n’avant, n’arrière. XVII. Au temps que Alexandre regna, Ung hom, nommé Diomedès, Devant luy on luy amena, Engrillonné poulces et detz Comme ung larron ; car il fut des Escumeurs que voyons courir. Si fut mys devant le cadès, Pour estre jugé à mourir. XVIII. L’empereur si l’arraisonna : « Pourquoy es-tu larron de mer ? » L’autre, responce luy donna : « Pourquoy larron me faiz nommer ? « Pour ce qu’on me voit escumer « En une petiote fuste ? « Se comme toy me peusse armer, « Comme toy empereur je fusse. XIX. « Mais que veux-tu ! De ma fortune, « Contre qui ne puis bonnement, « Qui si durement m’infortune, « Me vient tout ce gouvernement. « Excuse-moy aucunement, « Et sçaches qu’en grand pauvreté « (Ce mot dit-on communément) « Ne gist pas trop grand loyaulté. » XX. Quand l’empereur eut remiré De Diomedès tout le dict : « Ta fortune je te mueray, « Mauvaise en bonne ! » ce luy dit. Si fist-il. Onc puis ne mesprit A personne, mais fut vray homme ; Valère, pour vray, le rescript, Qui fut nommé le grand à Romme. XXI. Se Dieu m’eust donné rencontrer Ung autre piteux Alexandre, Qui m’eust faict en bon heur entrer, Et lors qui m’eust veu condescendre A mal, estre ars et mys en cendre Jugé me fusse de ma voix. Necessité faict gens mesprendre, Et faim saillir le loup des boys. XXII. Je plaings le temps de ma jeunesse, Ouquel j’ay plus qu’autre gallé, Jusque à l’entrée de vieillesse, Qui son partement m’a celé. Il ne s’en est à pied allé, N’à cheval ; las ! et comment donc ? Soudainement s’en est vollé, Et ne m’a laissé quelque don. XXIII. Allé s’en est, et je demeure, Pauvre de sens et de sçavoir, Triste, failly, plus noir que meure, Qui n’ay ne cens, rente, n’avoir ; Des miens le moindre, je dy voir, De me desadvouer s’avance, Oublyans naturel devoir, Par faulte d’ung peu de chevance. XXIV. Si ne crains avoir despendu, Par friander et par leschier ; Par trop aimer n’ay riens vendu, Que nuls me puissent reprouchier, Au moins qui leur couste trop cher. Je le dys, et ne croys mesdire. De ce ne me puis revencher : Qui n’a meffait ne le doit dire. XXV. Est vérité que j’ay aymé Et que aymeroye voulentiers ; Mais triste cueur, ventre affamé, Qui n’est rassasié au tiers, Me oste des amoureux sentiers. Au fort, quelqu’un s’en recompense, Qui est remply sur les chantiers, Car de la panse vient la danse. XXVI. Bien sçay se j’eusse estudié Ou temps de ma jeunesse folle, Et à bonnes meurs dedié, J’eusse maison et couche molle ! Mais quoy ? je fuyoye l’escolle, Comme faict le mauvays enfant… En escrivant ceste parolle, A peu que le cueur ne me fend. XXVII. Le dict du Saige est très beaulx dictz, Favorable, et bien n’en puis mais, Qui dit : « Esjoys-toy, mon filz, A ton adolescence ; mais Ailleurs sers bien d’ung autre mectz, Car jeunesse et adolescence (C’est son parler, ne moins ne mais) Ne sont qu’abbus et ignorance. » XXVIII. Mes jours s’en sont allez errant, Comme, dit Job, d’une touaille Sont les filetz, quant tisserant Tient en son poing ardente paille : Lors, s’il y a nul bout qui saille, Soudainement il le ravit. Si ne crains rien qui plus m’assaille, Car à la mort tout assouvyst. XXIX. Où sont les gratieux gallans Que je suyvoye au temps jadis, Si bien chantans, si bien parlans, Si plaisans en faictz et en dictz ? Les aucuns sont mortz et roydiz ; D’eulx n’est-il plus rien maintenant. Respit ils ayent en paradis, Et Dieu saulve le remenant ! XXX. Et les aucuns sont devenuz, Dieu mercy ! grans seigneurs et maistres, Les autres mendient tous nudz, Et pain ne voyent qu’aux fenestres ; Les autres sont entrez en cloistres ; De Celestins et de Chartreux, Bottez, housez, com pescheurs d’oystres : Voilà l’estat divers d’entre eulx. XXXI. Aux grans maistres Dieu doint bien faire, Vivans en paix et en requoy. En eulx il n’y a que refaire ; Si s’en fait bon taire tout quoy. Mais aux pauvres qui n’ont de quoy, Comme moy, Dieu doint patience ; Aux aultres ne fault qui ne quoy, Car assez ont pain et pitance. XXXII. Bons vins ont, souvent embrochez, Saulces, brouetz et gros poissons ; Tartres, flans, œufz fritz et pochez, Perduz, et en toutes façons. Pas ne ressemblent les maçons, Que servir fault à si grand peine ; Ils ne veulent nulz eschançons, Car de verser chascun se peine. XXXIII. En cest incident me suys mys, Qui de rien ne sert à mon faict. Je ne suys juge, ne commis, Pour punyr n’absouldre meffaict. De tous suys le plus imparfaict. Loué soit le doulx Jesus-Christ ! Que par moy leur soit satisfaict ! Ce que j’ay escript est escript. XXXIV. Laissons le monstier où il est ; Parlons de chose plus plaisante. Ceste matière à tous ne plaist : Ennuyeuse est et desplaisante. Pauvreté, chagrine et dolente, Tousjours despiteuse et rebelle, Dit quelque parolle cuysante ; S’elle n’ose, si le pense-elle. XXXV. Pauvre je suys de ma jeunesse, De pauvre et de petite extrace. Mon pere n’eut oncq grand richesse. Ne son ayeul, nommé Erace. Pauvreté tous nous suyt et trace. Sur les tumbeaulx de mes ancestres, Les ames desquelz Dieu embrasse, On n’y voyt couronnes ne sceptres. XXXVI. De pouvreté me guermentant, Souventesfoys me dit le cueur : « Homme, ne te doulouse tant Et ne demaine tel douleur, Se tu n’as tant qu’eust Jacques Cueur. Myeulx vault vivre soubz gros bureaux Pauvre, qu’avoir esté seigneur Et pourrir soubz riches tumbeaux ! » XXXVII. Qu’avoir esté seigneur !… Que dys ? Seigneur, lasse ! ne l’est-il mais ! Selon ce que d’aulcun en dict, Son lieu ne congnoistra jamais. Quant du surplus, je m’en desmectz. Il n’appartient à moy, pecheur ; Aux theologiens le remectz, Car c’est office de prescheur. XXXVIII. Si ne suys, bien le considère, Filz d’ange, portant dyadème D’etoille ne d’autre sydère. Mon pere est mort, Dieu en ayt l’ame, Quant est du corps, il gyst soubz lame… J’entends que ma mère mourra, Et le sçait bien, la pauvre femme ; Et le filz pas ne demourra. XXXIX. Je congnoys que pauvres et riches, Sages et folz, prebstres et laiz, Noble et vilain, larges et chiches, Petitz et grans, et beaulx et laidz, Dames à rebrassez colletz, De quelconque condicion, Portant attours et bourreletz, Mort saisit sans exception. XL. Et mourut Paris et Helène. Quiconques meurt, meurt à douleur. Celluy qui perd vent et alaine, Son fiel se crève sur son cueur, Puys sue Dieu sçait quelle sueur ! Et n’est qui de ses maulx l’allège : Car enfans n’a, frère ne sœur, Qui lors voulsist estre son pleige. XLI. La mort le faict fremir, pallir, Le nez courber, les veines tendre, Le col enfler, la chair mollir, Joinctes et nerfs croistre et estendre. Corps feminin, qui tant est tendre, Polly, souef, si precieulx, Te faudra-il ces maulx attendre ? Ouy, ou tout vif aller ès cieulx.

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    François Villon

    François Villon

    @francoisVillon

    Quand je considère ces têtes Quand je considère ces têtes Entassées en ces charniers, Tous furent maitres des requêtes, Au moins de la Chambre aux Deniers, Ou tous furent portepaniers : Autant puis l’un que l’autre dire, Car d’évêques ou lanterniers, Je n’y connois rien à redire.

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    François-René de Chateaubriand

    François-René de Chateaubriand

    @francoisReneDeChateaubriand

    Charlottembourg Ou le tombeau de la reine de Prusse Le voyageur. Sous les hauts pins qui protègent ces sources, Gardien, dis-moi quel est ce monument nouveau ? Le gardien.Un jour il deviendra le terme de tes courses : O voyageur ! c’est un tombeau. Le voyageur.Qui repose en ces lieux ? Le gardien.Un objet plein de charmes. Le voyageur. Qu’on aima ? Le gardien.Qui fut adoré. Le voyageur.Ouvre-moi. Le gardien. Si tu crains les larmes, N’entre pas. Le voyageur.J’ai souvent pleuré. Le voyageur et le gardien entrent. Le voyageur. De la Grèce ou de l’Italie On a ravi ce marbre à la pompe des morts. Quel tombeau l’a cédé pour enchanter ces bords ? Est-ce Antigone ou Cornélie ? Le gardien.La beauté dont l’image excite tes transports Parmi nos bois passa sa vie. Le voyageur.Qui pour elle à ces murs de marbre revêtus A suspendu ces couronnes fanées ? Le gardien. Les beaux enfants dont ses vertus Ici-bas furent couronnées. Le voyageur.On vient. Le gardien.C’est un époux : il porte ici ses pas Pour nourrir en secret un souvenir funeste. Le voyageur. Il a donc tout perdu ? Le gardien.Non : un trône lui reste. Le voyageur.Un trône ne console pas. Berlin, 1821.

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    François-René de Chateaubriand

    François-René de Chateaubriand

    @francoisReneDeChateaubriand

    Les malheurs de la révolution Sors des demeures souterraines, Néron, des humains le fléau ! Que le triste bruit de nos chaînes Te réveille au fond du tombeau. Tout est plein de trouble et d’alarmes : Notre sang coule avec nos larmes ; Ramper est la première loi : Nous traînons d’ignobles entraves ; On ne voit plus que des esclaves : Viens : le monde est digne de toi. Ils sont dévastés dans nos temples Les monuments sacrés des rois : Mon oeil effrayé les contemple ; Je tremble et je pleure à la fois. Tandis qu’une fosse commune, Des grandeurs et de la fortune Reçoit les funèbres lambeaux, Un spectre, à la voix menaçante, A percé la tombe récente Qui dévora les vieux tombeaux. Sa main d’une pique est armée : Un bonnet cache son orgueil ; Par la mort sa vue est charmée : Il cherche un tyran au cercueil. Courbé sur la poudre insensible, Il saisit un sceptre terrible Qui du lis a flétri la fleur, Et d’une couronne gothique Chargeant son bonnet anarchique, Il se fait roi de la douleur. Voilà le fantôme suprême, Français, qui va régner sur vous Du républicain diadème Portez le poids léger et doux. L’anarchie et le despotisme, Au vil autel de l’athéisme, Serrent un nœud ensanglanté, Et s’embrassant dans l’ombre impure, Ils jouissent de la torture De leur double stérilité. L’échafaud, la torche fumante, Couvrent nos campagnes de deuil. La Révolution béante Engloutit le fils et l’aïeul. L’adolescent qu’atteint sa rage Va mourir au champ du carnage Ou dans un hospice exilé ; Avant qu’en la tombe il s’endorme, Sur un appui de chêne ou d’orme, Il traîne un buste mutilé: Ainsi quand l’affreuse Chimère Apparut non loin d’Ascalon, En vain la tendre et faible mère Cacha ses enfants au vallon. Du Jourdain les roseaux frémirent ; Au Liban les cèdres gémirent, Les palmiers à Jézeraël, Et le chameau laissé sans guides, Pleura dans les sables arides Avec les femmes d’Ismaël. Napoléon de son génie Enfin écrase les pervers ; L’ordre renaît : la France unie Reprend son rang dans l’univers. Mais, géant, fils aîné de l’homme, Faut-il d’un trône qu’on te nomme Usurpateur ? Mal fécondé, L’illustre champ de ta victoire Devait-il renier la gloire Du vieux Cid et du grand Condé ? Racontez, nymphes de Vincenne, Racontez des faits inouïs, Vous qui présidiez sous un chêne A la justice de Louis ! Oh ! de la mort chantre sublime. Toi qui d’un héros magnanime Rends plus grand le grand souvenir, Quels cris aurais-tu fait entendre, Si, quand tu pleurais sur sa cendre, Ton oeil eût sondé l’avenir ? Le vielllard-roi dont la clef sainte De Rome garde les débris N’a pu, dans l’éternelle enceinte, A son front trouver des abris On peut charger ses mains débiles De fers ingrats, mais inutiles, Car il reste au Juste nouveau La force de sa croix divine, Et de sa couronne d’épine, Et de son sceptre de roseau. Triomphateur, notre souffrance Se fatigue de tes lauriers ; Loin du doux soleil de la France Devais-tu laisser nos guerriers ? La Duna, que tourmente Eole, Au Neptune inconnu du pôle Roule leurs ossements blanchis, Tandis que le noir Borysthène Va conter le deuil de la Seine Aux mers brillantes de Colchis. A l’avenir ton âme aspire ; Avide encore du passé, Tu veux Memphis ; du temps l’empire Par l’aigle sera traversé. Mais, Napoléon, ta mémoire Ne se montrera dans l’histoire Que sous le voile de nos pleurs : Lorsqu’à t’admirer tu m’entraînes, La liberté me dit ses chaînes La vertu m’apprend ses douleurs. Paris, 1813.

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    F

    Françoise Urban-Menninger

    @francoiseUrbanMenninger

    Épine de douleur quand la rose ouvre sa paupière sur la tombe nimbée de lumière on respire dans son haleine la fragrance de notre peine et dans notre coeur en pleurs que traverse une épine de douleur nous rejoignons en pensée ceux qui nous ont quittés mais c’est aussi dans cette lumière que le verbe se fait chair et que la rose refleurit en terre de poésie

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    A

    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    Fête du peuple Quel trouble inattendu semble agiter les âmes ? Pourquoi ces cris ? pourquoi tous ces apprêts nouveaux ? Pourquoi ces artisans, ces enfants et ces femmes Ont-ils déserté leurs travaux ? Un désir inquiet se peint sur leur visage ; Est-ce un espoir ? Est-ce un présage ? Oh voyez ! comme ils sont empressés d’accourir ! Une sourde rumeur s’élève dans la nue : Quel est cet appareil, cette fête inconnue ? C’est un homme qui va mourir. Son crime fut d’un jour. D’une peine éternelle La loi va déployer l’appareil menaçant, Car le sang qui coula sous sa main criminelle Doit être expié par le sang. J’entends. Mais que lui veut cette foule empressée Qui, sur les chemins amassée. Va chercher des horreurs qui puissent l’émouvoir ? — ils viennent prodiguer à sa lente agonie De leurs transports bruyants la farouche ironie ! — Ils vont le plaindre ? — Ils vont le voir ! Marqués aussi du sceau d’un destin redoutable, Sur leurs têtes aussi l’anathème est lancé : Ils doivent tous subir l’arrêt inévitable Qu’un autre Juge a prononcé. Cet homme, son voisin, tous pourraient cesser d’être Quand cet autre qui va paraître Portera sous la hache un stérile remord ; Car il faut tôt ou tard que la loi s’accomplisse ; Mais, ignorant du moins le moment du supplice, Comme lui condamnés à mort, Ils cherchent sur son front quelque lueur nouvelle ; Ils vont interroger ses gestes, ils ont faim D’aller dans tous ses traits chercher ce que révèle L’œil d’un homme qui voit la fin, Qui, des profonds secrets dérobés à la terre, Près de percer le grand mystère, Voit le terme fatal s’approcher pas à pas, Dans chaque son qui fuit, dans chaque instant qui passe, Et qui peut calculer, au juste, quel espace Le sépare encor du trépas. Mais des gardes déjà devant le char placés Aux rayons du soleil les sabres ont relui, Et sur les hauts balcons les femmes entassées Nous ont crié déjà : C’est lui ! A l’aspect de ce peuple, un moment il relève Cette tête promise au glaive Dont la justice humaine a brisé le fourreau ; Puis au sort qui l’attend muet il s’abandonne, Entre l’homme qui frappe et le Dieu qui pardonne. Entre le prêtre et le bourreau. Il vient — à reculons assis dans la charrette. Pas plus loin, pas plus loin. — On dit qu’il a parlé ! — Il descend. — Puis il faut remonter. — Il s’arrête ! — Toi qui vois, a-t-il chancelé ? Tout est là, tout est prêt ; le panier est à droite : C’est par cette ouverture étroite… Silence ! il est saisi par les exécuteurs ! C’est fait. Que de bravos la place retentisse ; C’est fait : il est où ceux qu’a jugés leur justice Ont leur tour d’être accusateurs.

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    A

    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    La Saint-Barthélemy I Les prêtres avaient dit : « En ce temps-là, mes frères, On a vu s’élever des docteurs téméraires, Des dogmes de la foi censeurs audacieux : Au fond du Saint des saints l’Arche s’est refermée, Et le puits de l’abîme a vomi la fumée Qui devait obscurcir la lumière des cieux. L’Antéchrist est venu, qui parcourut la terre : Tout à coup, soulevant un terrible mystère, L’impie a remué de profanes débats ; Il a dressé la tête : et des voix hérétiques Ont outragé la Bible, et chanté les cantiques Dans le langage impur qui se parle ici-bas. Mais si le ciel permet que l’Église affligée Gémisse pour un temps, et ne soit point vengée ; S’il lui plaît de l’abattre et de l’humilier : Si sa juste colère, un moment assoupie. Dans sa gloire d’un jour laisse dormir l’impie, Et livre ses élus au bras séculier ; Quand les temps sont venus, le fort qui se relève Soudain de la main droite a ressaisi le glaive : Sur les débris épars qui gisaient sans honneur Il rebâtit le Temple, et ses armes bénites Abattent sous leurs coups les vils Madianites, Comme fait les épis la faux du moissonneur. Allez donc, secondant de pieuses vengeances, Pour vous et vos parents gagner les indulgences ; Fidèles, qui savez croire sans examen, Noble race d’élus que le ciel a choisie, Allez, et dans le sang étouffez l’hérésie ! Ou la messe, ou la mort !» — Le peuple dit : Amen. II A l’hôtel de Soissons, dans une tour mystique, Catherine interroge avec des yeux émus Des signes qu’imprima l’anneau cabalistique Du grand Michel Nostradamus. Elle a devant l’autel déposé sa couronne ; A l’image de sa patronne, En s’agenouillant pour prier. Elle a dévotement promis une neuvaine, Et tout haut, par trois fois, conjuré la verveine Et la branche du coudrier. « Les astres ont parlé : qui sait entendre, entende ! Ils ont nommé ce vieux Gaspard de Châtillon : Ils veulent qu’en un jour ma vengeance s’étende De l’Artois jusqu’au Roussillon. Les pieux défenseurs de la foi chancelante D’une guerre déjà trop lente Ont assez couru les hasards : A la cause du ciel unissons mon outrage. Périssent, engloutis dans un même naufrage. Les huguenots et les guisards ! » III C’était un samedi du mois d’août : c’était l’heure Où l’on entend de loin, comme une voix qui pleure, De l’angélus du soir les accents retentir : Et le jour qui devait terminer la semaine Était le jour voué, par l’Église romaine. A saint Barthélémy, confesseur et martyr. Quelle subite inquiétude A cette heure ? quels nouveaux cris Viennent troubler la solitude Et le repos du vieux Paris ? Pourquoi tous ces apprêts funèbres, Pourquoi voit-on dans les ténèbres Ces archers et ces lansquenets ? Pourquoi ces pierres entassées, Et ces chaînes de fer placées Dans le quartier des Bourdonnais ? On ne sait. Mais enfin, quelque chose d’étrange Dans l’ombre de la nuit se prépare et s’arrange. Les prévôts des marchands, Marcel et Jean Charron. D’un projet ignoré mystérieux complices. Ont à l’Hôtel-de-Ville assemblé les milices, Qu’ils doivent haranguer debout sur le perron. La ville, dit-on, est cernée De soldats, les mousquets chargés ; Et l’on a vu, l’après-dînée. Arriver les chevau-légers : Dans leurs mains le fer étincelle ; Ils attendent le boute-selle. Prêts au premier commandement ; Et des cinq cantons catholiques, Sur l’Évangile et les reliques, Les Suisses ont prêté serment. Auprès de chaque pont des troupes sont postées : Sur la rive du nord les barques transportées ; Par ordre de la cour, quittant leurs garnisons, Des bandes de soldats dans Paris accourues Passent, la hallebarde au bras, et dans les rues Des gens ont été vus qui marquaient des maisons. On vit, quand la nuit fut venue, Des hommes portant sur le dos Des choses de forme inconnue Et de mystérieux fardeaux. Et les passants se regardèrent : Aucuns furent qui demandèrent : — Où portes-tu, par l’ostensoir ! Ces fardeaux persans, je te prie ? — Au Louvre, votre seigneurie. Pour le bal qu’on donne ce soir. IV Il est temps ; tout est prêt : les gardes sont placés. De l’hôtel Châtillon les portes sont forcées ; Saint-Germain-l’Auxerrois a sonné le tocsin : Maudit de Rome, effroi du parti royaliste, C’est le grand-amiral Coligni que la liste Désigne le premier au poignard assassin. — « Est-ce Coligni qu’on te nomme ? » — « Tu l’as dit. Mais, en vérité, Tu devrais respecter, jeune homme. Mon âge et mon infirmité. Va, mérite ta récompense ; Mais, tu pouvais bien, que je pense, T’épargner un pareil forfait Pour le peu de jours qui m’attendent ! » Ils hésitaient, quand ils entendent Guise leur criant : « Est-ce fait ? » Ils l’ont tué ! la tête est pour Rome. On espère Que ce sera présent agréable au saint père. Son cadavre est jeté par-dessus le balcon : Catherine aux corbeaux l’a promis pour curée. Et rira voir demain, de ses fils entourée, Au gibet qu’elle a fait dresser à Montfaucon. Messieurs de Nevers et de Guise, Messieurs de Tavanne et de Retz, Que le fer des poignards s’aiguise, Que vos gentilshommes soient prêts. Monsieur le duc d’Anjou, d’Entrague, Bâtard d’Angoulême, Birague, Faites armer tous vos valets ! Courez où le ciel vous ordonne, Car voici le signal que donne La Tour-de-l’horloge au Palais. Par l’espoir du butin ces hordes animées. Agitant à la main des torches allumées, Au lugubre signal se hâtent d’accourir : Ils vont. Ceux qui voudraient, d’une main impuissante, Écarter des poignards la pointe menaçante. Tombent ; ceux qui dormaient s’éveillent pour mourir. Troupes au massacre aguerries, Bedeaux, sacristains et curés, Moines de toutes confréries. Capucins, Carmes, Prémontrés, Excitant la fureur civile, En tout sens parcourent la ville Armés d’un glaive et d’un missel. Et vont plaçant des sentinelles Du Louvre au palais des Tournelles De Saint-Lazare à Saint-Marcel. Parmi les tourbillons d’une épaisse fumée Que répand en flots noirs la résine enflammée, A la rouge clarté du feu des pistolets, On voit courir des gens à sinistre visage, Et comme des oiseaux de funeste présage, Les clercs du Parlement et des deux Châtelets. Invoquant les saints et les saintes, Animés par les quarteniers, Ils jettent les femmes enceintes Par-dessus le Pont-aux-Meuniers. Dans les cours, devant les portiques. Maîtres, écuyers, domestiques. Tous sont égorgés sans merci : Heureux qui peut dans ce carnage, Traversant la Seine à la nage. Trouver la porte de Bussi ! C’est par là que, trompant leur fureur meurtrière, Avertis à propos, le vidame Perrière, De Fontenay, Caumont, et de Montgomery, Pressés qu’ils sont de fuir, sans casque, sans cuirasse. Échappent aux soldats qui courent sur leur trace Jusque sous les remparts de Montfort-l’Amaury. Et toi, dont la crédule enfance, Jeune Henri le Navarrois. S’endormit, faible et sans défense, Sur la foi que donnaient les rois ; L’espérance te soit rendue : Une clémence inattendue A pour toi suspendu l’arrêt ; Vis pour remplir ta destinée, Car ton heure n’est pas sonnée, Et ton assassin n’est pas prêt ! Partout des toits rompus et des portes brisées, Des cadavres sanglants jetés par les croisées, A des corps mutilés des femmes insultant ; De bourgeois, d’écoliers, des troupes meurtrières. Des blasphèmes, des pleurs, des cris et des prières. Et des hommes hideux qui s’en allaient chantant : « Valois et Lorraine Et la double croix ! L’hérétique apprenne Le pape et ses droits ! Tombant sous le glaive. Que l’impie élève Un bras impuissant ; Archers de Lausanne, Que la pertuisane S’abreuve de sang ! Croyez-en l’oracle Des corbeaux passants, Et le grand miracle Des Saints-Innocents. A nos cris de guerre On a vu naguère, Malgré les chaleurs, Surgir une branche D’aubépine franche Couverte de fleurs ! Honni qui pardonne ! Allez sans effroi, C’est Dieu qui l’ordonne, C’est Dieu, c’est le roi ! Le crime s’expie ; Plongez à l’impie Le fer au côté Jusqu’à la poignée ; Saignez ! la saignée Est bonne en été ! » V Aux fenêtres du Louvre, on voyait le roi. « Tue, Par la mort Dieu ! que l’hydre enfin soit abattue ! Qu’est-ce ? Ils veulent gagner le faubourg Saint-Germain ? J’y mets empêchement : et, si je ne m’abuse, Ce coup est bien au droit. — George, une autre arquebuse, Et tenez toujours prête une mèche à la main. Allons, tout va bien : Tue ! — Ah. Cadet de Lorraine, Allez-vous-en quérir les filles de la reine. Voici Dupont, que vient d’abattre un Écossais : Vous savez son affaire ? Aussi bien, par la messe, Le cas était douteux, et je vous fais promesse Qu’elles auront plaisir à juger le procès. Je sais comment la meute en plaine est gouvernée ; Comment il faut chasser, en quel temps de l’année. Aux perdrix, aux faisans, aux geais, aux étourneaux ; Comment on doit forcer la fauve en son repaire ; Mais je n’ai point songé, par l’âme de mon père, A mettre en mon traité la chasse aux huguenots ! »

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    A

    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    L’immortalité La mort vient dégager de la vile matière Notre esprit, souffle de la pur divinité, Et l’ombre des tombeaux nous cache une lumière Dont nos yeux ne pourraient soutenir la clarté. La mort vient délivrer notre âme prisonnière Et lui faire connaître enfin la liberté, Nous mourons, c’est la vie ; et notre heure dernière Est le premier moment de l’immortalité. Ah ! ne redoutons pas de tomber dans l’abîme Où paraît s’engloutir à jamais l’être humain, Le trépas nous promet l’éternel lendemain ; Et par un privilège éclatant et sublime, Quand il meurt ici-bas, l’homme naît dans le ciel Car Dieu le fait mourir pour le rendre immortel.

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    G

    Gaston Couté

    @gastonCoute

    Requiescat in pace Comme s’effeuille une rose L’amante dolente aux traits Ravagés par la chlorose Est morte au soir des regrets Et sur le bord de sa fosse Le vieux prêtre au dos cassé A glapi de sa voix fausse Requiescat in pace !… Et maintenant pauvre chère Elle git loin du soleil Sous le grand champ en jachère Où tout est paix et sommeil Défunts tous les jours d’ivresse Et les nuits de l’an passé Défunts comme ma maîtresse Requiescat in pace !… Plus n’ai la force de vivre Et par les tristes hivers Sertis de larmes de givre J’erre en sanglotant mes vers Dans le vent qui les emporte Mon pauvre coeur trépassé Dort sur celui de la morte Requiescat in pace !…

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    Germain Nouveau

    Germain Nouveau

    @germainNouveau

    Dernier madrigal Quand je mourrai, ce soir peut-être, Je n'ai pas de jour préféré, Si je voulais, je suis le maître, Mais… ce serait mal me connaître, N'importe, enfin, quand je mourrai. Mes chers amis, qu'on me promette De laisser le bois… au lapin, Et, s'il vous plaît, qu'on ne me mette Pas, comme une simple allumette, Dans une boîte de sapin ; Ni, comme un hareng, dans sa tonne ; Ne me couchez pas tout du long, Pour le coup de fusil qui tonne, Dans la bière qu'on capitonne Sous sa couverture de plomb. Car, je ne veux rien, je vous jure ; Pas de cercueil ; quant au tombeau, J'y ferais mauvaise figure, Je suis peu fait pour la sculpture, Je le refuse, fût-il beau. Mon vœu jusque-là ne se hausse ; Ça me laisserait des remords, Je vous dis (ma voix n'est pas fausse) : Je ne veux pas même la fosse, Où sont les lions et les morts.

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    Germain Nouveau

    Germain Nouveau

    @germainNouveau

    Épitaphe De l’égoïsme froid de ce siècle mortel, Seul, sans larmes de femme et sans bruit de prière, Sans une main d’ami pour clore sa paupière, De La Billette est mort dans sa chambre d’hôtel. Pour lui l’on n’encadra de noir aucun cartel ; Personne n’a suivi son corps au cimetière ; Pas même une humble croix sur un cube de pierre, Pas même la légende : Ici repose un Tel. Qui donc connaît les cieux où notre âme s’élance ! Couché dans le linceul hautain de son silence Le cœur de ce héros n’en dormira que mieux ! Le vêtement de deuil rentre au fond de l’armoire ; Le doigt du Temps railleur vient sécher tous les yeux : Le vers seul est fidèle et garde la mémoire !

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    G

    Ghérasim Luca

    @gherasimLuca

    A la santé du «Mort» Face au peloton d'exécution le peloton d'exécutés et le peloton d'exécutants face à face Dos au mur le peloton d'exécutants et le peloton de fusillés Le peloton d'exécutés dos à dos et de face A dos ou face le peloton de fusillés Le peloton de fusillants dos à dos A dos ou face le peloton de dos et le peloton de face Face à face et de dos le peloton exécuteur et le peloton exécutif A face executive dos exécutant à dos exécutoire face exécutrice Face à face les fusilleurs Dos à dos les fusillables Face au peloton d'exécution Le peloton de fusillés exécutants et le peloton de fusillants exécutés dos à dos Dos au mur les exécutants fusillés face à face Carré courbe Rire à l'écoute Humour sourd In-humé au carré des suppliciés

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    Guillaume Apollinaire

    Guillaume Apollinaire

    @guillaumeApollinaire

    Cortège Oiseau tranquille au vol inverse oiseau Qui nidifie en l’air A la limite où notre sol brille déjà Baisse ta deuxième paupière la terre t’éblouit Quand tu lèves la tête Et moi aussi de près je suis sombre et terne Une brume qui vient d’obscurcir les lanternes Une main qui tout à coup se pose devant les yeux Une voûte entre vous et toutes les lumières Et je m’éloignerai m’illuminant au milieu d’ombres Et d’alignements d’yeux des astres bien-aimés Oiseau tranquille au vol inverse oiseau Qui nidifie en l’air A la limite où brille déjà ma mémoire Baisse ta deuxième paupière Ni à cause du soleil ni à cause de la terre Mais pour ce feu oblong dont l’intensité ira s’augmentant Au point qu’il deviendra un jour l’unique lumière Un jour Un jour je m’attendais moi-même Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes Pour que je sache enfin celui-là que je suis Moi qui connais les autres Je les connais par les cinq sens et quelques autres Il me suffit de voir leur pieds pour pouvoir refaire ces gens à milliers De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux De voir leur langue quand il me plaît de faire le médecin Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères La monnaie des aveugles les mains des muets Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l’écriture Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans Il me suffit de sentir l’odeur de leurs églises L’odeur des fleuves dans leurs villes Le parfum des fleurs dans les jardins publics O Corneille Agrippa l’odeur d’un petit chien m’eût suffi Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline Qui t’inspirait l’erreur touchant toutes les femmes Il me suffit de goûter la saveur de laurier qu’on cultive pour que j’aime ou que je bafoue Et de toucher les vêtements Pour ne pas douter si l’on est frileux ou non O gens que je connais Il me suffit d’entendre le bruit de leurs pas Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu’ils ont prise Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit De ressusciter les autres Un jour je m’attendais moi-même Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes Et d’un lyrique pas s’avançaient ceux que j’aime Parmi lesquels je n’étais pas Les géants couverts d’algues passaient dans leurs villes Sous-marines où les tours seules étaient des îles Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs Coulait sang de mes veines et fait battre mon coeur Puis sur cette terre il venait mille peuplades blanches Dont chaque homme tenait une rose à la main Et le langage qu’ils inventaient en chemin Je l’appris de leur bouche et je le parle encore Le cortège passait et j’y cherchais mon corps Tous ceux qui survenaient et n’étaient pas moi-même Amenaient un à un les morceaux de moi-même On me bâtit peu à peu comme on élève une tour Les peuples s’entassaient et je parus moi-même Qu’ont formé tous les corps et les choses humaines Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes Et détournant mes yeux de ce vide avenir En moi-même je vois tout le passé grandir Rien n’est mort que ce qui n’existe pas encore Près du passé luisant demain est incolore Il est informe aussi près de ce qui parfait Présente tout ensemble et l’effort et l’effet

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