Grand deuil Dans le clair-obscur de la pièce close,
Où brûle une cire au reflet tremblant,
Rigide, et grandi par la mort, repose
Le corps d'un enfant habillé de blanc.
Sous la mousseline, on voit les mains jointes,
La mate blancheur des doigts ivoirins,
Les cheveux pleins d'ombre et les tempes ointes
Qu'auréole un flot de rayons sereins.
Jamais des flancs purs du neigeux carrare,
L'art n'a fait surgir un ange plus beau
Que cet ariel, à la forme rare,
Qui gît, radieux et calme, au tombeau.
Sous l'eau sainte et sous l'huile du saint chrême
Le front du martyr s'est rasséréné,
La figure dit l'extase suprême,
La douleur, la paix du prédestiné.
La chambre de deuil est toute drapée
De gaze. Nul bruit. Plus rien. Par moment,
Une faible voix tendre, entrecoupée
De soupirs, gémit désespérément.
Ils sont là, tous deux, le père et la mère,
Abattus, défaits, tristes à mourir :
Nul mal n'est égal à leur peine amère.
Rien ne les fit tant pleurer, tant souffrir.
Après tant de coups, on croyait, quel rêve !
Bien s'être acquittés de souffrir. Il faut
Pleurer et souffrir et pleurer sans trêve :
C'est la volonté du Dieu de là-haut.
Dix ans ! C'est le fils, l'aîné, l'espérance,
La joie et l'amour de deux malheureux.
Cher bonheur qu'il faut payer en souffrance !
Oh ! que le chemin du ciel est affreux !
Ils sont là, tous deux, esseulés, funèbres,
Sans parler, cherchant, presque fous, à voir
Dans ces yeux déjà voilés de ténèbres,
La faible lueur d'un suprême espoir.
Lourdes de sommeil, fixes, les paupières
S'ouvrent à demi : dans les yeux hagards
Flotte, encor mouillé des larmes dernières,
L'adieu triste et doux des derniers regards.
La Mort pâle a ceint de ses violettes
Ce pur et beau front d'albâtre rosé ;
Et la bouche fine, aux lèvres muettes,
Sourit d'un divin sourire apaisé.
Ils sont là, cloués au sol, sous l'empire
De ce captivant sourire trompeur ;
La mère, à genoux, sans prier, soupire,
Le père, debout, est blanc de stupeur.
La femme nerveuse et frêle se pâme,
En larmes de sang son cœur coule à flots ;
L'homme, fait aux deuils, aux douleurs de l'âme,
Suffoque, étouffant soupirs et sanglots.
Parfois, doucement, une main qui tremble
De crainte et d'amour, soulève à demi
Le suaire : on voit s'incliner ensemble
Deux fronts au-dessus de l'ange endormi.
Qu'il est beau ! la nuit d'outre-tombe voile
À peine l'éclat de l'esprit éteint ;
L'âme transparaît : telle une humble étoile
Nous luit à travers l'ombre, au ciel lointain.
Mystère cruel ! s'il dormait ? Quel doute !
La pensée, éther vif, rayon subtil,
Au ciel, brusquement, s'en va-t-elle toute ?
Un reste des sens en nous survit-il ?
Vagues questions, sans suite, sans nombre,
Que se fait tout bas le cœur criminel,
Dédale infini de plus en plus sombre,
Où vague et se perd l'amour maternel.
Minuit sonne. Au pied du blême cadavre,
Dans le vide noir du logis qui dort,
Veillent seuls, en proie au deuil qui les navre,
Les derniers amis du cher petit mort.
Et l'horloge au lourd balancier lent, tinte,
Lugubre, le glas de l'heure qui fuit,
Et le grave son, que rythme la plainte
Du vent, assombrit l'horreur de la nuit.
Ô douleur ! ô nuit ! quand verrons-nous poindre
Ces jours éternels, longtemps attendus ?
Oh ! quand pourrons-nous à jamais rejoindre
Tous ces morts aimés qu'on croyait perdus ?
il y a 8 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
La maison vide Petite maison basse, au grand chapeau pointu,
Qui, d’hiver en hiver, semble s’être enfoncée
Dans la terre sans fleurs, autour d’elle amassée.
Petite maison grise, au grand chapeau pointu,
Au lointain bleu, là-bas, dis-le-moi, que vois-tu ?
Par les yeux clignotants de ta lucarne rousse,
Pour voir plus clair, plus loin, tu sembles faire effort,
Et froncer les sourcils sous ton chapeau de mousse.
Vers ces couchants de rêve où le soleil s’endort,
Pour voir plus clair, plus loin, tu sembles faire effort.
Il est couché, là-bas, au fond du cimetière,
Celui qui t’aime encore autant que tu l’aimais.
Petite maison vieille, au chapeau de poussière,
Celui qui t’aime encore autant que tu l’aimais,
L’absent, tant regretté, ne reviendra jamais.
il y a 8 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Le dernier gîte Je te reviens, ô paroisse natale.
Patrie intime où mon coeur est resté ;
Avant d’entrer dans la nuit glaciale,
Je viens frapper à ton seuil enchanté.
Pays d’amour, en vain j’ai fait la route
Pour saluer encore ton ciel bleu,
Mon oeil se mouille et ma chair tremble toute,
Je viens te dire un éternel adieu.
Oh ! couchez-moi dans la tombe bénite,
Dans un recoin discret du vieil enclos.
Ici, je viens chercher mon dernier gîte,
Je viens ici chercher calme et repos.
Ô terre sainte ! ouvre-moi ton asile,
Près des miens, jusqu’au jour du grand réveil,
Je dormirai comme en un lit tranquille,
Mon dernier rêve et mon dernier sommeil.
il y a 8 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Les corbeaux Les noirs corbeaux au noir plumage,
Que chassa le vent automnal,
Revenus de leur long voyage,
Croassent dans le ciel vernal.
Les taillis, les buissons moroses
Attendent leurs joyeux oiseaux :
Mais, au lieu des gais virtuoses,
Arrivent premiers les corbeaux.
Pour charmer le bois qui s’ennuie,
Ces dilettantes sans rival,
Ce soir, par la neige et la pluie,
Donneront un grand festival.
Les rêveurs, dont l’extase est brève,
Attendent des vols d’oiseaux d’or ;
Mais, au lieu des oiseaux du rêve,
Arrive le sombre condor.
Mars pleure avant de nous sourire.
La grêle tombe en plein été.
L’homme, né pour les deuils, soupire
Et pleure avant d’avoir chanté.
il y a 8 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Une sainte Chère défunte, pure image
Au miroir des neiges d’antan,
Petite vieille au doux visage!
Petite vieille au coeur battant
Des allégresses du courage,
Petite vieille au coeur d’enfant!
Auguste mère de ma mère,
Ô blanche aïeule, morte un soir
D’avoir vécu la vie amère!
Figure d’âme douce à voir
Parmi l’azur et la lumière
Où monte l’aile de l’espoir!
Beauté que nul pinceau n’a peinte!
Humble héroïne du devoir,
Qui dans le Seigneur t’es éteinte!
Je t’invoque comme une sainte.
il y a 8 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
À Denis Gérin Cher ami, le trépas est-il bien aussi sombre
Qu'un vain peuple le pense ? Et l'onde aux sombres bords,
Est-elle un ténébreux abîme, un gouffre d'ombre
Où s'efface à jamais le souvenir des morts ?
Tu le sais, par delà l'horrible latitude,
Par delà ce flot noir où l'homme est submergé,
Il est, dans l'Inconnu, un lieu dont l'altitude
Promet calme et repos au pâle naufragé.
La dépouille qui gît, froide et marmoréenne,
Se décompose ; mais l'esprit aux vols hardis,
Libre, attiré par la splendeur élyséenne,
Monte de ciel en ciel aux plus hauts paradis.
Sur le cher mort qu'on vient de clouer dans sa bière,
Sur le frère qui part et qui prend les devants
Pour arriver plus vite au pays de lumière,
Ne pleurons pas, pleurons plutôt sur les vivants.
Pleurons sur les amis dont les espoirs s'éteignent ;
Pleurons sur les trésors qu'emporte le cercueil ;
Oui, pleurons sur tous ceux dont les cœurs blessés saignent
Dans la nuit de l'exil et dans la nuit du deuil.
il y a 8 mois
O
Ondine Valmore
@ondineValmore
La rose A Monsieur Sainte-Beuve
Quand nous respirons cette rose
Au front pâle, au souffle embaumé,
Tu nous dis qu’en son sein repose
Un vers enfermé.
Tu la saisis et tu la cueilles,
Fouillant dans son calice vert
Qui, tout dépouillé de ses feuilles, reste à découvert.
Puis tu fais voir l’insecte avide
Se tordant, roulé tout au fond
De la pauvre fleur au coeur vide
Que tes mains défont.
Eh! Quoi! savant inexorable,
Tuant la rose avant l’hiver,
Tu détruis une fleur aimable,
Pour trouver un vers!
En admirant les belles choses
Avions-nous donc trop de candeur?
Va, grâce à toi, toutes les roses
Vont nous faire peur.
Ah ! plutôt dans les fleurs mortelles
Montre-nous le miel précieux.
Apprends-nous à trouver en elles
Ce qui vient des cieux.
Apprends-nous à laisser la lie
Qui se cache au fond de notre eau.
Et que l’âme immortelle oublie
Le ver du tombeau !
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Avis La nuit qui précéda sa mort
Fut la plus courte de sa vie
L’idée qu’il existait encore
Lui brûlait le sang aux poignets
Le poids de son corps l’écœurait
Sa force le faisait gémir
C’est tout au fond de cette horreur
Qu’il a commencé à sourire
Il n’avait pas UN camarade
Mais des millions et des millions
Pour le venger il le savait
Et le jour se leva pour lui.
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Dit de la force de l’amour Entre tous mes tourments entre la mort et moi
Entre mon désespoir et la raison de vivre
Il y a l’injustice et ce malheur des hommes
Que je ne peux admettre il y a ma colère
Il y a les maquis couleur de sang d’Espagne
Il y a les maquis couleur du ciel de Grèce
Le pain le sang le ciel et le droit à l’espoir
Pour tous les innocents qui haïssent le mal
La lumière toujours est tout près de s’éteindre
La vie toujours s’apprête à devenir fumier
Mais le printemps renaît qui n’en a pas fini
Un bourgeon sort du noir et la chaleur s’installe
Et la chaleur aura raison des égoïstes
Leurs sens atrophiés n’y résisteront pas
J’entends le feu parler en riant de tiédeur
J’entends un homme dire qu’il n’a pas souffert
Toi qui fus de ma chair la conscience sensible
Toi que j’aime à jamais toi qui m’as inventé
Tu ne supportais pas l’oppression ni l’injure
Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre
Tu rêvais d’être libre et je te continue.
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
La mort, l’amour, la vie J’ai cru pouvoir briser la profondeur de l’immensité
Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Je me suis étendu sur les vagues absurdes
Du poison absorbé par amour de la cendre
La solitude m’a semblé plus vive que le sang
Je voulais désunir la vie
Je voulais partager la mort avec la mort
Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie
Tout effacer qu’il n’y ait rien ni vire ni buée
Ni rien devant ni rien derrière rien entier
J’avais éliminé le glaçon des mains jointes
J’avais éliminé l’hivernale ossature
Du voeu de vivre qui s’annule
Tu es venue le feu s’est alors ranimé
L’ombre a cédé le froid d’en bas s’est étoilé
Et la terre s’est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J’avais un guide sur la terre je savais
Me diriger je me savais démesuré
J’avançais je gagnais de l’espace et du temps
J’allais vers toi j’allais sans fin vers la lumière
La vie avait un corps l’espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l’aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue
Et j’adorais l’amour comme à mes premiers jours.
Les champs sont labourés les usines rayonnent
Et le blé fait son nid dans une houle énorme
La moisson la vendange ont des témoins sans nombre
Rien n’est simple ni singulier
La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit
La forêt donne aux arbres la sécurité
Et les murs des maisons ont une peau commune
Et les routes toujours se croisent.
Les hommes sont faits pour s’entendre
Pour se comprendre pour s’aimer
Ont des enfants qui deviendront pères des hommes
Ont des enfants sans feu ni lieu
Qui réinventeront les hommes
Et la nature et leur patrie
Celle de tous les hommes
Celle de tous les temps.
Paul Eluard
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Les armes de la douleur A la mémoire de Lucien Legros fusillé pour ses dix-huit ans.
I
Daddy des Ruines
Hommes au chapeau trouvé
Homme aux orbites creuses
Homme au feu noir
Homme au ciel vide
Corbeau fait pour vivre vieux
Tu avais rêvé d’être heureux
Daddy des Ruines
Ton fils est mort
Assassiné
Daddy la Haine
Ô victime cruelle
Mon camarade des deux guerres
Notre vie est tailladée
Saignante et laide
Mais nous jurons
De tenir bientôt le couteau
Daddy l’Espoir
L’espoir des autres
Tu es partout.
II
J’avais dans mes serments bâti trois châteaux
Un pour la vie un pour la mort un pour l’amour
Je cachais comme un trésor
Les pauvres petites peines
De ma vie heureuse et bonne
J’avais dans la douceur tissé trois manteaux
Un pour nous deux et deux pour notre enfant
Nous avions les mêmes mains
Et nous pensions l’un pour l’autre
Nous embellissions la terre
J’avais dans la nuit compté trois lumières
Le temps de dormir tout se confondait
Fils d’espoir et fleur miroir oeil et lune
Homme sans saveur mais clair de langage
Femme sans éclat mais fluide aux doigts
Brusquement c’est le désert
Et je me perds dans le noir
L’ennemi s’est révélé
Je suis seule dans ma chair
Je suis seule pour aimer.
III
Cet enfant aurait pu mentir
Et se sauver
La molle plaine infranchissable
Cet enfant n’aimait pas mentir
Il cria très fort ses forfaits
Il opposa sa vérité
La vérité
Comme une épée à ses bourreaux
Comme une épée sa loi suprême
Et ses bourreaux se sont vengés
Ils ont fait défiler la mort
L’espoir la mort l’espoir la mort
Ils l’ont gracié puis ils l’ont tué
On l’avait durement traité
Ses pieds ses mains étaient brisés
Dit le gardien du cimetière.
IV
Une seule pensée une seule passion
Et les armes de la douleur.
V
Des combattants saignant le feu
Ceux qui feront la paix sur terre
Des ouvriers des paysans
Des guerriers mêlés à la foule
Et quels prodiges de raison
Pour mieux frapper
Des guerriers comme des ruisseaux
Partout sur les champs desséchés
Ou battant d’ailes acharnées
Le ciel boueux pour effacer
La morale de fin du monde
Des oppresseurs
Et selon l’amour la haine
Des guerriers selon l’espoir
Selon le sens de la vie
Et la commune parole
Selon la passion de vaindre
Et de réparer le mal
Qu’on nous a fait
Des guerriers selon mon coeur
Celui-ci pense à la mort
Celui-là n’y pense pas
L’un dort l’autre ne dort pas
Mais tous font le même rêve
Se libérer
Chacun est l’ombre de tous.
VI
Les uns sombres les autres nus
Chantant leur bien mâchant leur mal
Mâchant le poids de leur corps
Ou chantant comme on s’envole
Par mille rêves humains
Par mille voies de nature
Ils sortent de leur pays
Et leur pays entre en eux
De l’air passe dans leur sang
Leur pays peut devenir
Le vrai pays des merveilles
Le pays de l’innocence.
VII
Des réfractaires selon l’homme
Sous le ciel de tous les hommes
Sur la terre unie et pleine
Au-dedans de ce fruit mûr
Le soleil comme un coeur pur
Tous le soleil pour les hommes
Tous les hommes pour les hommes
La terre entière et le temps
Le bonheur dans un seul corps.
Je dis ce que je vois
Ce que je sais
Ce qui est vrai.
il y a 8 mois
Paul-Jean Toulet
@paulJeanToulet
Puisque tes jours ne t'ont laissé Puisque tes jours ne t'ont laissé
Qu'un peu de cendre dans la bouche,
Avant qu'on ne tende la couche
Où ton cœur dorme, enfin glacé,
Retourne, comme au temps passé,
Cueillir, près de la dune instable,
Le lys qu'y courbe un souffle amer,
- Et grave ces mots sur le sable :
Le rêve de l'homme est semblable
Aux illusions de la mer.
il y a 8 mois
Paul Scarron
@paulScarron
Épitaphe Celui qui ci maintenant dort
Fit plus de pitié que d’envie,
Et souffrit mille fois la mort
Avant que de perdre la vie.
Passant, ne fais ici de bruit,
Prends garde qu’aucun ne l’éveille :
Car voici la première nuit
Que le pauvre Scarron sommeille.
il y a 8 mois
Paul Valéry
@paulValery
Le cimetière marin Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !
Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d’imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l’abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d’une éternelle cause,
Le Temps scintille et le Songe est savoir.
Stable trésor, temple simple à Minerve,
Masse de calme, et visible réserve,
Eau sourcilleuse, Œil qui gardes en toi
Tant de sommeil sous un voile de flamme,
Ô mon silence ! … Édifice dans l’âme,
Mais comble d’or aux mille tuiles, Toit !
Temple du Temps, qu’un seul soupir résume,
À ce point pur je monte et m’accoutume,
Tout entouré de mon regard marin ;
Et comme aux dieux mon offrande suprême,
La scintillation sereine sème
Sur l’altitude un dédain souverain.
il y a 8 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
A George Bonnamour J'étais malade de regrets, de quels regrets !
Toute ma bonne foi pleurait d'une méprise.
Mon corps qui fut naguère fort, si faible après
Agonisait presque, comme un tigre agonise.
Ma face dure aux poils fauves de barbe grise
Suait froid, mes yeux clos se rejoignaient trop près.
D'affreux hoquets me secouaient sous ma chemise
Et mes membres s'alignaient à la mort tout prêts.
Puis il fallut manger et boire.
Comment faire ?
Mais vous vous trouviez là qui me tendiez mon verre
Et découpiez ma chère et me " teniez le front.
Et, tout en écoutant, pieux, ma juste plainte,
La consolant parfois d'un mot franc dit sans crainte,
Berciez l'enfant qu'est moi des beaux jours qui seront.
il y a 8 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Adieu Hélas ! je n'étais pas fait pour cette haine
Et pour ce mépris plus forts que moi que j'ai.
Mais pourquoi m'avoir fait cet agneau sans laine
Et pourquoi m'avoir fait ce coeur outragé ?
J'étais né pour plaire à toute âme un peu fière,
Sorte d'homme en rêve et capable du mieux,
Parfois tout sourire et parfois tout prière,
Et toujours des cieux attendris dans les yeux ;
Toujours la bonté des caresses sincères,
En dépit de tout et quoi qu'il y parût,
Toujours la pudeur des hontes nécessaires
Dans l'argent brutal et les stupeurs du rut ;
Toujours le pardon, toujours le sacrifice !
J'eus plus d'un des torts, mais j'avais tous les soins.
Votre mère était tendrement ma complice,
Qui voyait mes torts et mes soins, elle, au moins.
Elle n'aimait pas que par vous je souffrisse.
Elle est morte et j'ai prié sur son tombeau ;
Mais je doute fort qu'elle approuve et bénisse
La chose actuelle et trouve cela beau.
Et j'ai peur aussi, nous en terre, de croire
Que le pauvre enfant, votre fils et le mien,
Ne vénérera pas trop votre mémoire,
Ô vous sans égard pour le mien et le tien.
Je n'étais pas fait pour dire de ces choses,
Moi dont la parole exhalait autrefois
Un épithalame en des apothéoses,
Ce chant du matin où mentait votre voix.
J'étais, je suis né pour plaire aux nobles âmes,
Pour les consoler un peu d'un monde impur,
Cimier d'or chanteur et tunique de flammes,
Moi le Chevalier qui saigne sur azur,
Moi qui dois mourir d'une mort douce et chaste
Dont le cygne et l'aigle encor seront jaloux,
Dans l'honneur vainqueur malgré ce vous néfaste,
Dans la gloire aussi des Illustres Époux !
il y a 8 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
La mort Telle qu'un moissonneur, dont l'aveugle faucille
Abat le frais bleuet, comme le dur chardon,
Telle qu'un plomb cruel qui, dans sa course, brille,
Siffle, et, fendant les airs, vous frappe sans pardon ;
Telle l'affreuse mort sur un dragon se montre,
Passant comme un tonnerre au milieu des humains,
Renversant, foudroyant tout ce qu'elle rencontre
Et tenant une faulx dans ses livides mains.
Riche, vieux, jeune, pauvre, à son lugubre empire
Tout le monde obéit ; dans le cœur des mortels
Le monstre plonge, hélas ! ses ongles de vampire !
Il s'acharne aux enfants, tout comme aux criminels :
Aigle fier et serein, quand du haut de ton aire
Tu vois sur l'univers planer ce noir vautour,
Le mépris (n'est-ce pas, plutôt que la colère)
Magnanime génie, dans ton cœur, a son tour ?
Mais, tout en dédaignant la mort et ses alarmes,
Hugo, tu t'apitoies sur les tristes vaincus ;
Tu sais, quand il le faut, répandre quelques larmes,
Quelques larmes d'amour pour ceux qui ne sont plus.
il y a 8 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Mort ! Les Armes ont tu leurs ordres en attendant
De vibrer à nouveau dans des mains admirables
Ou scélérates, et, tristes, le bras pendant,
Nous allons, mal rêveurs, dans le vague des Fables.
Les Armes ont tu leurs ordres qu’on attendait
Même chez les rêveurs mensongers que nous sommes,
Honteux de notre bras qui pendait et tardait,
Et nous allons, désappointés, parmi les hommes.
Armes, vibrez ! mains admirables, prenez-les,
Mains scélérates à défaut des admirables !
Prenez-les donc et faites signe aux En-allés
Dans les fables plus incertaines que les sables.
Tirez du rêve notre exode, voulez-vous ?
Nous mourons d’être ainsi languides, presque infâmes !
Armes, parlez ! Vos ordres vont être pour nous
La vie enfin fleurie au bout, s’il faut, des lames.
La mort que nous aimons, que nous eûmes toujours
Pour but de ce chemin où prospèrent la ronce
Et l’ortie, ô la mort sans plus ces émois lourds,
Délicieuse et dont la victoire est l’annonce !
il y a 8 mois
Philippe Desportes
@philippeDesportes
Plainte Depuis six mois entiers que ta main courroucée
Se retira, Seigneur, de mon âme oppressée,
Et me laissa débile au pouvoir des malheurs,
J'ai tant souffert d'ennuis, qu'hélas ! je ne puis dire
Comment mes tristes yeux aux pleurs ont pu suffire,
Aux complaintes ma bouche et mon cœur aux douleurs.
il y a 8 mois
Pierre Corneille
@pierreCorneille
Epitaphe sur la mort de damoiselle Elisabeth Ranquet Ne verse point de pleurs sur cette sépulture,
Passant ; ce lit funèbre est un lit précieux,
Où gît d’un corps tout pur la cendre toute pure ;
Mais le zèle du coeur vit encore en ces lieux.
Avant que de payer le droit de la nature,
Son âme, s’élevant au-delà de ses yeux,
Avait au Créateur uni la créature ;
Et marchant sur la terre elle était dans les cieux.
Les pauvres bien mieux qu’elle ont senti sa richesse
L’humilité, la peine, étaient son allégresse ;
Et son dernier soupir fut un soupir d’amour.
Passant, qu’à son exemple un beau feu te transporte ;
Et, loin de la pleurer d’avoir perdu le jour,
Crois qu’on ne meurt jamais quand on meurt de la sorte.
il y a 8 mois
Pierre Corneille
@pierreCorneille
La peste J’ai vu la peste en raccourci :
Et s’il faut en parler sans feindre,
Puisque la peste est faite ainsi,
Peste, que la peste est à craindre !
De cœurs qui n’en sauraient guérir
Elle est partout accompagnée,
Et dût-on cent fois en mourir,
Mille voudraient l’avoir gagnée.
L’ardeur dont ils sont emportés,
En ce péril leur persuade,
Qu’avoir la peste à ses côtés,
Ce n’est point être trop malade.
Aussi faut-il leur accorder
Qu’on aurait du bonheur de reste,
Pour peu qu’on se pût hasarder
Au beau milieu de cette peste.
La mort serait douce à ce prix,
Mais c’est un malheur à se pendre
Qu’on ne meurt pas d’en être pris,
Mais faute de la pouvoir prendre.
L’ardeur qu’elle fait naître au sein
N’y fait même un mal incurable
Que parce qu’elle prend soudain,
Et qu’elle est toujours imprenable.
Aussi chacun y perd son temps,
L’un en gémit, l’autre en déteste,
Et ce que font les plus contents
C’est de pester contre la peste.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Ah longues nuicts d’hyver de ma vie bourrelles Ah longues nuicts d’hyver de ma vie bourrelles,
Donnez moy patience, et me laissez dormir,
Vostre nom seulement, et suer et fremir
Me fait par tout le corps, tant vous m’estes cruelles.
Le sommeil tant soit peu n’esvente de ses ailes
Mes yeux tousjours ouvers, et ne puis affermir
Paupiere sur paupiere, et ne fais que gemir,
Souffrant comme Ixion des peines eternelles.
Vieille umbre de la terre, ainçois l’umbre d’enfer,
Tu m’as ouvert les yeux d’une chaisne de fer,
Me consumant au lict, navré de mille pointes :
Pour chasser mes douleurs ameine moy la mort,
Ha mort, le port commun, des hommes le confort,
Viens enterrer mes maux je t’en prie à mains jointes.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Amour me tue, et si je ne veux dire Amour me tue, et si je ne veux dire
Le plaisant mal que ce m'est de mourir :
Tant j'ai grand peur, qu'on veuille secourir
Le mal, par qui doucement je soupire.
Il est bien vrai, que ma langueur désire
Qu'avec le temps je me puisse guérir :
Mais je ne veux ma dame requérir
Pour ma santé : tant me plaît mon martyre.
Tais-toi langueur je sens venir le jour,
Que ma maîtresse, après si long séjour,
Voyant le soin qui ronge ma pensée,
Toute une nuit, folâtrement m'ayant
Entre ses bras, prodigue, ira payant
Les intérêts de ma peine avancée.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Avant le temps tes temples fleuriront Avant le temps tes temples fleuriront,
De peu de jours ta fin sera bornée,
Avant le soir se clorra ta journée ,
Trahis d’espoir tes pensers periront :
Sans me flechir tes escrits fletriront,
En ton desastre ira ma destinée,
Ta mort sera pour m’aimer terminée,
De tes souspirs noz neveux se riront.
Tu seras fait d’un vulgaire la fable :
Tu bastiras sus l’incertain du sable,
Et vainement tu peindras dans les cieux :
Ainsi disoit la Nymphe qui m’afolle,
Lors que le ciel tesmoin de sa parolle,
D’un dextre éclair fut presage à mes yeux.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
À son âme Amelette Ronsardelette,
Mignonnelette doucelette,
Treschere hostesse de mon corps,
Tu descens là bas foiblelette,
Pasle, maigrelette, seulette,
Dans le froid Royaume des mors :
Toutesfois simple, sans relors
De meurtre, poison, ou rancune,
Méprisant faveurs et tresors
Tant enviez par la commune.
Passant, j’ay dit, suy ta fortune
Ne trouble mon repos, je dors.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Comme un chevreuil Comme un Chevreuil, quand le printemps détruit
L’oiseux cristal de la morne gelée,
Pour mieux brouter l’herbette emmiellée
Hors de son bois avec l’Aube s’enfuit,
Et seul, et sûr, loin de chien et de bruit,
Or sur un mont, or dans une vallée,
Or près d’une onde à l’écart recelée,
Libre folâtre où son pied le conduit :
De rets ni d’arc sa liberté n’a crainte,
Sinon alors que sa vie est atteinte,
D’un trait meurtrier empourpré de son sang :
Ainsi j’allais sans espoir de dommage,
Le jour qu’un oeil sur l’avril de mon âge
Tira d’un coup mille traits dans mon flanc.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, dévidant & filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant,
Ronsard me celebroit du temps que j’estois belle.
Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille resveillant,
Bénissant vostre nom de louange immortelle.
Je seray sous la terre: & fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendray mon repos ;
Vous serez au fouyer une vieille accroupie
Regrettant mon amour & vostre fier desdain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Donne moy tes presens en ces jours que la brume Donne moy tes presens en ces jours que la Brume
Fait les plus courts de l’an, ou de ton rameau teint
Dans le ruisseau d’Oubly dessus mon front espreint,
Endor mes pauvres yeux, mes gouttes et mon rhume.
Misericorde ô Dieu, ô Dieu ne me consume
A faulte de dormir, plustost sois-je contreint
De me voir par la peste ou par la fievre esteint,
Qui mon sang deseché dans mes veines allume.
Heureux, cent fois heureux animaux qui dormez
Demy an en voz trous, soubs la terre enfermez,
Sans manger du pavot qui tous les sens assomme :
J’en ay mangé, j’ay beu de son just oublieux
En salade cuit, cru, et toutesfois le somme
Ne vient par sa froideur s’asseoir dessus mes yeux.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Hymne de la mort Masures, désormais on ne peut inventer
Nul argument nouveau qui soit bon à chanter,
Ou haut sur la trompette, ou bas dessus la lyre :
Aux anciens la Muse a tout permis de dire,
Tellement qu'il ne reste à nous autres derniers
Sinon le désespoir d'ensuivre les premiers
Et, béant après eux, reconnaître leur trace
Faite au chemin frayé qui conduit sur Parnasse ;
Lesquels jadis, guidés de leur mère Vertu,
Ont tellement du pied ce grand chemin battu
Qu'on ne voit aujourd'hui, sur la docte poussière
D'Hélicon, que les pas d'Hésiode et d'Homère,
D'Arate, de Nicandre, et de mille autres Grecs
Des vieux siècles passés, qui burent à longs traits
Toute l'eau jusqu'au fond des filles de Mémoire,
N'en laissant une goutte aux derniers pour en boire,
Qui maintenant confus, à foule à foule, vont
Chercher encor de l'eau dessus le double Mont ;
Mais ils montent en vain, car plus ils y séjournent,
Et plus mourant de soif au logis s'en retournent.
Moi donc qui, de longtemps, par épreuve sais bien
Qu'au sommet de Parnasse on ne trouve plus rien
Pour étancher la soif d'une gorge altérée,
Je veux aller chercher quelque source sacrée
D'un ruisseau non touché, qui murmurant s'enfuit
Dedans un beau verger, loin de gens et de bruit,
Source que le soleil n'aura jamais connue,
Que les oiseaux du ciel de leur bouche cornue
N'auront jamais souillée, et où les pastoureaux
N'auront jamais conduit les pieds de leurs taureaux.
Je boirai tout mon saoul de cette onde pucelle
Et puis je chanterai quelque chanson nouvelle,
Dont les accords seront peut-être si très doux
Que les siècles voudront les redire après nous...
Si les hommes pensaient à part eux quelquefois
Qu'il nous faut tous mourir, et que même les Rois
Ne peuvent éviter de la Mort la puissance,
Ils prendraient en leurs coeurs un peu de patience.
Sommes-nous plus divins qu'Achille ni qu'Ajax,
Qu'Alexandre ou César, qui ne se surent pas
Défendre du trépas, bien qu'ils eussent en guerre
Réduite sous leurs mains presque toute la terre ?
Beaucoup, ne sachant point qu'ils sont enfants de Dieu,
Pleurent avant partir et s'attristent, au lieu
De chanter hautement le péan de victoire,
Et pensent que la Mort soit quelque bête noire
Qui les viendra manger, et que dix mille vers
Rongeront de leurs corps les os tout découverts,
Et leur têt qui doit être, en un coin solitaire,
L'effroyable ornement d'un ombreux cimetière...
C'est le tout que de l'âme, il faut avoir soin d'elle :
D'autant que Dieu l'a faite à jamais immortelle,
Il faut trembler de peur que par faits vicieux
Nous ne la bannissions de sa maison, les Cieux,
Pour endurer, après un exil très moleste,
Absente du regard de son Père céleste ;
Et ne faut de ce corps avoir si grand ennui
Qui n'est que son valet et son mortel étui,
Brutal, impatient, de nature maline,
Et qui toujours répugne à la raison divine...
Il ne faut pas humer de Circé les vaisseaux,
De peur que, transformés en tigres ou pourceaux,
Nous ne puissions revoir d'Ithaque la fumée,
Du Ciel notre demeure à l'âme accoutumée,
Où tous nous faut aller, non chargés du fardeau
D'orgueil, qui nous ferait périr notre bateau
Ains que venir au port, mais chargés d'espérance,
Pauvreté, nudité, tourment et patience,
Comme étant vrais enfants et disciples de Christ,
Qui vivant nous bailla ce chemin par écrit
Et marqua de son sang cette voie très sainte,
Mourant tout le premier, pour nous ôter la crainte.
Oh! que d'être jà morts nous serait un grand bien,
Si nous considérions que nous ne sommes rien
Qu'une terre animée et qu'une vivante ombre,
Le sujet de douleur, de misère et d'encombre,
Voire, et que nous passons en misérables maux
Le reste (ô crève-coeur!) de tous les animaux.
Non pour autre raison Homère nous égale
A la feuille d'hiver qui des arbres dévale,
Tant nous sommes chétifs et pauvres journaliers
Recevant sans repos maux sur maux à milliers...
Masures, on dira que toute chose humaine
Se peut bien recouvrer, terres, rentes, domaine,
Maisons, femmes, honneurs, mais que par nul effort
On ne peut recouvrer l'âme quand elle sort,
Et qu'il n'est rien si beau que de voir la lumière.
De ce commun Soleil, qui n'est seulement chère
Aux hommes sains et forts, mais aux vieux chargés d'ans,
Perclus, estropiés, catarrheux, impotents.
Tu diras que toujours tu vois ces platoniques,
Ces philosophes pleins de propos magnifiques,
Dire bien de la Mort; mais quand ils sont jà vieux
Et que le flot mortel leur noue dans les yeux,
Et que leur pied tremblant est déjà sur la tombe,
Que la parole grave et sévère leur tombe,
Et commencent en vain à gémir et pleurer,
Et voudraient, s'ils pouvaient, leur trépas différer.
Tu me diras encore que tu trembles de crainte
D'un batelier Charon, qui passe par contrainte
Les âmes outre l'eau d'un torrent effrayant,
Et que tu crains le Chien à trois voix aboyant,
Et les eaux de Tantale et le roc de Sisyphe,
Et des cruelles Soeurs l'abominable griffe,
Et tout cela qu'ont feint les poètes là-bas
Nous attendre aux Enfers après notre trépas.
Quiconque dis ceci, pour Dieu, qu'il te souvienne
Que ton âme n'est pas païenne, mais chrétienne,
Et que notre grand Maître en la Croix étendu,
Et mourant, de la Mort l'aiguillon a perdu,
Et d'elle maintenant n'a fait qu'un beau passage
A retourner au Ciel, pour nous donner courage
De porter notre croix, fardeau léger et doux,
Et de mourir pour lui comme il est mort pour nous,
Sans craindre comme enfants la nacelle infernale,
Le rocher d'Ixion, et les eaux de Tantale,
Et Charon, et le chien Cerbère à trois abois,
Desquels le sang de Christ t'affranchit en la Croix,
Pourvu qu'en ton vivant tu lui veuilles complaire,
Faisant ses mandements qui sont aisés à faire ;
Car son joug est plaisant, gracieux et léger,
Qui le dos nous soulage en lieu de le charger...
S'il y avait au monde un état de durée,
Si quelque chose était en la terre assurée,
Ce serait un plaisir de vivre longuement ;
Mais, puisqu'on n'y voit rien qui ordinairement
Ne se change et rechange, et d'inconstance abonde,
Ce n'est pas grand plaisir que de vivre en ce monde ;
Nous le connaissons bien, qui toujours lamentons
Et pleurons aussitôt que du ventre sortons,
Comme présagiant, par naturel augure,
De ce logis mondain la misère future...
Que ta puissance, ô Mort, est grande et admirable !
Rien au monde par toi ne se dit perdurable ;
Mais, tout ainsi que l'onde à val des ruisseaux fuit
Le pressant coulement de l'autre qui la suit,
Ainsi le temps se coule, et le présent fait place
Au futur importun qui les talons lui trace.
Ce qui fut, se refait ; tout coule comme une eau,
Et rien dessous le Ciel ne se voit de nouveau ;
Mais la forme se change en une autre nouvelle,
Et ce changement là Vivre au monde s'appelle,
Et Mourir, quand la forme en une autre s'en va...
Mais notre âme immortelle est toujours en un lieu
Au change non sujette, assise auprès de Dieu,
Citoyenne à jamais de la ville éthérée,
Qu'elle avait si longtemps en ce corps désirée.
Je te salue, heureuse et profitable Mort,
Des extrêmes douleurs médecin et confort !
Quand mon heure viendra, Déesse, je te prie,
Ne me laisse longtemps languir en maladie,
Tourmenté dans un lit ; mais, puisqu'il faut mourir,
Donne-moi que soudain je te puisse encourir,
Ou pour l'honneur de Dieu, ou pour servir mon Prince,
Navré d'une grande plaie au bord de ma province.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Il faut laisser maisons et vergers et jardins Il faut laisser maisons et vergers et jardins,
Vaisselles et vaisseaux que l’artisan burine,
Et chanter son obsèque en la façon du cygne,
Qui chante son trépas sur les bords méandrins.
C’est fait j’ai dévidé le cours de mes destins,
J’ai vécu, j’ai rendu mon nom assez insigne,
Ma plume vole au ciel pour être quelque signe
Loin des appas mondains qui trompent les plus fins.
Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne
En rien comme il était, plus heureux qui séjourne
D’homme fait nouvel ange auprès de Jésus-Christ,
Laissant pourrir çà-bas sa dépouille de boue
Dont le sort, la fortune, et le destin se joue,
Franc des liens du corps pour n’être qu’un esprit.