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Mort

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Mort

Poésies de la collection mort

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Grand deuil Dans le clair-obscur de la pièce close, Où brûle une cire au reflet tremblant, Rigide, et grandi par la mort, repose Le corps d'un enfant habillé de blanc. Sous la mousseline, on voit les mains jointes, La mate blancheur des doigts ivoirins, Les cheveux pleins d'ombre et les tempes ointes Qu'auréole un flot de rayons sereins. Jamais des flancs purs du neigeux carrare, L'art n'a fait surgir un ange plus beau Que cet ariel, à la forme rare, Qui gît, radieux et calme, au tombeau. Sous l'eau sainte et sous l'huile du saint chrême Le front du martyr s'est rasséréné, La figure dit l'extase suprême, La douleur, la paix du prédestiné. La chambre de deuil est toute drapée De gaze. Nul bruit. Plus rien. Par moment, Une faible voix tendre, entrecoupée De soupirs, gémit désespérément. Ils sont là, tous deux, le père et la mère, Abattus, défaits, tristes à mourir : Nul mal n'est égal à leur peine amère. Rien ne les fit tant pleurer, tant souffrir. Après tant de coups, on croyait, quel rêve ! Bien s'être acquittés de souffrir. Il faut Pleurer et souffrir et pleurer sans trêve : C'est la volonté du Dieu de là-haut. Dix ans ! C'est le fils, l'aîné, l'espérance, La joie et l'amour de deux malheureux. Cher bonheur qu'il faut payer en souffrance ! Oh ! que le chemin du ciel est affreux ! Ils sont là, tous deux, esseulés, funèbres, Sans parler, cherchant, presque fous, à voir Dans ces yeux déjà voilés de ténèbres, La faible lueur d'un suprême espoir. Lourdes de sommeil, fixes, les paupières S'ouvrent à demi : dans les yeux hagards Flotte, encor mouillé des larmes dernières, L'adieu triste et doux des derniers regards. La Mort pâle a ceint de ses violettes Ce pur et beau front d'albâtre rosé ; Et la bouche fine, aux lèvres muettes, Sourit d'un divin sourire apaisé. Ils sont là, cloués au sol, sous l'empire De ce captivant sourire trompeur ; La mère, à genoux, sans prier, soupire, Le père, debout, est blanc de stupeur. La femme nerveuse et frêle se pâme, En larmes de sang son cœur coule à flots ; L'homme, fait aux deuils, aux douleurs de l'âme, Suffoque, étouffant soupirs et sanglots. Parfois, doucement, une main qui tremble De crainte et d'amour, soulève à demi Le suaire : on voit s'incliner ensemble Deux fronts au-dessus de l'ange endormi. Qu'il est beau ! la nuit d'outre-tombe voile À peine l'éclat de l'esprit éteint ; L'âme transparaît : telle une humble étoile Nous luit à travers l'ombre, au ciel lointain. Mystère cruel ! s'il dormait ? Quel doute ! La pensée, éther vif, rayon subtil, Au ciel, brusquement, s'en va-t-elle toute ? Un reste des sens en nous survit-il ? Vagues questions, sans suite, sans nombre, Que se fait tout bas le cœur criminel, Dédale infini de plus en plus sombre, Où vague et se perd l'amour maternel. Minuit sonne. Au pied du blême cadavre, Dans le vide noir du logis qui dort, Veillent seuls, en proie au deuil qui les navre, Les derniers amis du cher petit mort. Et l'horloge au lourd balancier lent, tinte, Lugubre, le glas de l'heure qui fuit, Et le grave son, que rythme la plainte Du vent, assombrit l'horreur de la nuit. Ô douleur ! ô nuit ! quand verrons-nous poindre Ces jours éternels, longtemps attendus ? Oh ! quand pourrons-nous à jamais rejoindre Tous ces morts aimés qu'on croyait perdus ?

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    La maison vide Petite maison basse, au grand chapeau pointu, Qui, d’hiver en hiver, semble s’être enfoncée Dans la terre sans fleurs, autour d’elle amassée. Petite maison grise, au grand chapeau pointu, Au lointain bleu, là-bas, dis-le-moi, que vois-tu ? Par les yeux clignotants de ta lucarne rousse, Pour voir plus clair, plus loin, tu sembles faire effort, Et froncer les sourcils sous ton chapeau de mousse. Vers ces couchants de rêve où le soleil s’endort, Pour voir plus clair, plus loin, tu sembles faire effort. Il est couché, là-bas, au fond du cimetière, Celui qui t’aime encore autant que tu l’aimais. Petite maison vieille, au chapeau de poussière, Celui qui t’aime encore autant que tu l’aimais, L’absent, tant regretté, ne reviendra jamais.

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Le dernier gîte Je te reviens, ô paroisse natale. Patrie intime où mon coeur est resté ; Avant d’entrer dans la nuit glaciale, Je viens frapper à ton seuil enchanté. Pays d’amour, en vain j’ai fait la route Pour saluer encore ton ciel bleu, Mon oeil se mouille et ma chair tremble toute, Je viens te dire un éternel adieu. Oh ! couchez-moi dans la tombe bénite, Dans un recoin discret du vieil enclos. Ici, je viens chercher mon dernier gîte, Je viens ici chercher calme et repos. Ô terre sainte ! ouvre-moi ton asile, Près des miens, jusqu’au jour du grand réveil, Je dormirai comme en un lit tranquille, Mon dernier rêve et mon dernier sommeil.

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Les corbeaux Les noirs corbeaux au noir plumage, Que chassa le vent automnal, Revenus de leur long voyage, Croassent dans le ciel vernal. Les taillis, les buissons moroses Attendent leurs joyeux oiseaux : Mais, au lieu des gais virtuoses, Arrivent premiers les corbeaux. Pour charmer le bois qui s’ennuie, Ces dilettantes sans rival, Ce soir, par la neige et la pluie, Donneront un grand festival. Les rêveurs, dont l’extase est brève, Attendent des vols d’oiseaux d’or ; Mais, au lieu des oiseaux du rêve, Arrive le sombre condor. Mars pleure avant de nous sourire. La grêle tombe en plein été. L’homme, né pour les deuils, soupire Et pleure avant d’avoir chanté.

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Une sainte Chère défunte, pure image Au miroir des neiges d’antan, Petite vieille au doux visage! Petite vieille au coeur battant Des allégresses du courage, Petite vieille au coeur d’enfant! Auguste mère de ma mère, Ô blanche aïeule, morte un soir D’avoir vécu la vie amère! Figure d’âme douce à voir Parmi l’azur et la lumière Où monte l’aile de l’espoir! Beauté que nul pinceau n’a peinte! Humble héroïne du devoir, Qui dans le Seigneur t’es éteinte! Je t’invoque comme une sainte.

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    N

    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    À Denis Gérin Cher ami, le trépas est-il bien aussi sombre Qu'un vain peuple le pense ? Et l'onde aux sombres bords, Est-elle un ténébreux abîme, un gouffre d'ombre Où s'efface à jamais le souvenir des morts ? Tu le sais, par delà l'horrible latitude, Par delà ce flot noir où l'homme est submergé, Il est, dans l'Inconnu, un lieu dont l'altitude Promet calme et repos au pâle naufragé. La dépouille qui gît, froide et marmoréenne, Se décompose ; mais l'esprit aux vols hardis, Libre, attiré par la splendeur élyséenne, Monte de ciel en ciel aux plus hauts paradis. Sur le cher mort qu'on vient de clouer dans sa bière, Sur le frère qui part et qui prend les devants Pour arriver plus vite au pays de lumière, Ne pleurons pas, pleurons plutôt sur les vivants. Pleurons sur les amis dont les espoirs s'éteignent ; Pleurons sur les trésors qu'emporte le cercueil ; Oui, pleurons sur tous ceux dont les cœurs blessés saignent Dans la nuit de l'exil et dans la nuit du deuil.

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    Ondine Valmore

    @ondineValmore

    La rose A Monsieur Sainte-Beuve Quand nous respirons cette rose Au front pâle, au souffle embaumé, Tu nous dis qu’en son sein repose Un vers enfermé. Tu la saisis et tu la cueilles, Fouillant dans son calice vert Qui, tout dépouillé de ses feuilles, reste à découvert. Puis tu fais voir l’insecte avide Se tordant, roulé tout au fond De la pauvre fleur au coeur vide Que tes mains défont. Eh! Quoi! savant inexorable, Tuant la rose avant l’hiver, Tu détruis une fleur aimable, Pour trouver un vers! En admirant les belles choses Avions-nous donc trop de candeur? Va, grâce à toi, toutes les roses Vont nous faire peur. Ah ! plutôt dans les fleurs mortelles Montre-nous le miel précieux. Apprends-nous à trouver en elles Ce qui vient des cieux. Apprends-nous à laisser la lie Qui se cache au fond de notre eau. Et que l’âme immortelle oublie Le ver du tombeau !

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    Paul Éluard

    Paul Éluard

    @paulEluard

    Avis La nuit qui précéda sa mort Fut la plus courte de sa vie L’idée qu’il existait encore Lui brûlait le sang aux poignets Le poids de son corps l’écœurait Sa force le faisait gémir C’est tout au fond de cette horreur Qu’il a commencé à sourire Il n’avait pas UN camarade Mais des millions et des millions Pour le venger il le savait Et le jour se leva pour lui.

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    Paul Éluard

    Paul Éluard

    @paulEluard

    Dit de la force de l’amour Entre tous mes tourments entre la mort et moi Entre mon désespoir et la raison de vivre Il y a l’injustice et ce malheur des hommes Que je ne peux admettre il y a ma colère Il y a les maquis couleur de sang d’Espagne Il y a les maquis couleur du ciel de Grèce Le pain le sang le ciel et le droit à l’espoir Pour tous les innocents qui haïssent le mal La lumière toujours est tout près de s’éteindre La vie toujours s’apprête à devenir fumier Mais le printemps renaît qui n’en a pas fini Un bourgeon sort du noir et la chaleur s’installe Et la chaleur aura raison des égoïstes Leurs sens atrophiés n’y résisteront pas J’entends le feu parler en riant de tiédeur J’entends un homme dire qu’il n’a pas souffert Toi qui fus de ma chair la conscience sensible Toi que j’aime à jamais toi qui m’as inventé Tu ne supportais pas l’oppression ni l’injure Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre Tu rêvais d’être libre et je te continue.

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    Paul Éluard

    Paul Éluard

    @paulEluard

    La mort, l’amour, la vie J’ai cru pouvoir briser la profondeur de l’immensité Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges Comme un mort raisonnable qui a su mourir Un mort non couronné sinon de son néant Je me suis étendu sur les vagues absurdes Du poison absorbé par amour de la cendre La solitude m’a semblé plus vive que le sang Je voulais désunir la vie Je voulais partager la mort avec la mort Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie Tout effacer qu’il n’y ait rien ni vire ni buée Ni rien devant ni rien derrière rien entier J’avais éliminé le glaçon des mains jointes J’avais éliminé l’hivernale ossature Du voeu de vivre qui s’annule Tu es venue le feu s’est alors ranimé L’ombre a cédé le froid d’en bas s’est étoilé Et la terre s’est recouverte De ta chair claire et je me suis senti léger Tu es venue la solitude était vaincue J’avais un guide sur la terre je savais Me diriger je me savais démesuré J’avançais je gagnais de l’espace et du temps J’allais vers toi j’allais sans fin vers la lumière La vie avait un corps l’espoir tendait sa voile Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit Promettait à l’aurore des regards confiants Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard Ta bouche était mouillée des premières rosées Le repos ébloui remplaçait la fatigue Et j’adorais l’amour comme à mes premiers jours. Les champs sont labourés les usines rayonnent Et le blé fait son nid dans une houle énorme La moisson la vendange ont des témoins sans nombre Rien n’est simple ni singulier La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit La forêt donne aux arbres la sécurité Et les murs des maisons ont une peau commune Et les routes toujours se croisent. Les hommes sont faits pour s’entendre Pour se comprendre pour s’aimer Ont des enfants qui deviendront pères des hommes Ont des enfants sans feu ni lieu Qui réinventeront les hommes Et la nature et leur patrie Celle de tous les hommes Celle de tous les temps. Paul Eluard

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    Paul Éluard

    Paul Éluard

    @paulEluard

    Les armes de la douleur A la mémoire de Lucien Legros fusillé pour ses dix-huit ans. I Daddy des Ruines Hommes au chapeau trouvé Homme aux orbites creuses Homme au feu noir Homme au ciel vide Corbeau fait pour vivre vieux Tu avais rêvé d’être heureux Daddy des Ruines Ton fils est mort Assassiné Daddy la Haine Ô victime cruelle Mon camarade des deux guerres Notre vie est tailladée Saignante et laide Mais nous jurons De tenir bientôt le couteau Daddy l’Espoir L’espoir des autres Tu es partout. II J’avais dans mes serments bâti trois châteaux Un pour la vie un pour la mort un pour l’amour Je cachais comme un trésor Les pauvres petites peines De ma vie heureuse et bonne J’avais dans la douceur tissé trois manteaux Un pour nous deux et deux pour notre enfant Nous avions les mêmes mains Et nous pensions l’un pour l’autre Nous embellissions la terre J’avais dans la nuit compté trois lumières Le temps de dormir tout se confondait Fils d’espoir et fleur miroir oeil et lune Homme sans saveur mais clair de langage Femme sans éclat mais fluide aux doigts Brusquement c’est le désert Et je me perds dans le noir L’ennemi s’est révélé Je suis seule dans ma chair Je suis seule pour aimer. III Cet enfant aurait pu mentir Et se sauver La molle plaine infranchissable Cet enfant n’aimait pas mentir Il cria très fort ses forfaits Il opposa sa vérité La vérité Comme une épée à ses bourreaux Comme une épée sa loi suprême Et ses bourreaux se sont vengés Ils ont fait défiler la mort L’espoir la mort l’espoir la mort Ils l’ont gracié puis ils l’ont tué On l’avait durement traité Ses pieds ses mains étaient brisés Dit le gardien du cimetière. IV Une seule pensée une seule passion Et les armes de la douleur. V Des combattants saignant le feu Ceux qui feront la paix sur terre Des ouvriers des paysans Des guerriers mêlés à la foule Et quels prodiges de raison Pour mieux frapper Des guerriers comme des ruisseaux Partout sur les champs desséchés Ou battant d’ailes acharnées Le ciel boueux pour effacer La morale de fin du monde Des oppresseurs Et selon l’amour la haine Des guerriers selon l’espoir Selon le sens de la vie Et la commune parole Selon la passion de vaindre Et de réparer le mal Qu’on nous a fait Des guerriers selon mon coeur Celui-ci pense à la mort Celui-là n’y pense pas L’un dort l’autre ne dort pas Mais tous font le même rêve Se libérer Chacun est l’ombre de tous. VI Les uns sombres les autres nus Chantant leur bien mâchant leur mal Mâchant le poids de leur corps Ou chantant comme on s’envole Par mille rêves humains Par mille voies de nature Ils sortent de leur pays Et leur pays entre en eux De l’air passe dans leur sang Leur pays peut devenir Le vrai pays des merveilles Le pays de l’innocence. VII Des réfractaires selon l’homme Sous le ciel de tous les hommes Sur la terre unie et pleine Au-dedans de ce fruit mûr Le soleil comme un coeur pur Tous le soleil pour les hommes Tous les hommes pour les hommes La terre entière et le temps Le bonheur dans un seul corps. Je dis ce que je vois Ce que je sais Ce qui est vrai.

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    Paul-Jean Toulet

    Paul-Jean Toulet

    @paulJeanToulet

    Puisque tes jours ne t'ont laissé Puisque tes jours ne t'ont laissé Qu'un peu de cendre dans la bouche, Avant qu'on ne tende la couche Où ton cœur dorme, enfin glacé, Retourne, comme au temps passé, Cueillir, près de la dune instable, Le lys qu'y courbe un souffle amer, - Et grave ces mots sur le sable : Le rêve de l'homme est semblable Aux illusions de la mer.

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    Paul Scarron

    Paul Scarron

    @paulScarron

    Épitaphe Celui qui ci maintenant dort Fit plus de pitié que d’envie, Et souffrit mille fois la mort Avant que de perdre la vie. Passant, ne fais ici de bruit, Prends garde qu’aucun ne l’éveille : Car voici la première nuit Que le pauvre Scarron sommeille.

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    Paul Valéry

    Paul Valéry

    @paulValery

    Le cimetière marin Ce toit tranquille, où marchent des colombes, Entre les pins palpite, entre les tombes ; Midi le juste y compose de feux La mer, la mer, toujours recommencée ! Ô récompense après une pensée Qu’un long regard sur le calme des dieux ! Quel pur travail de fins éclairs consume Maint diamant d’imperceptible écume, Et quelle paix semble se concevoir ! Quand sur l’abîme un soleil se repose, Ouvrages purs d’une éternelle cause, Le Temps scintille et le Songe est savoir. Stable trésor, temple simple à Minerve, Masse de calme, et visible réserve, Eau sourcilleuse, Œil qui gardes en toi Tant de sommeil sous un voile de flamme, Ô mon silence ! … Édifice dans l’âme, Mais comble d’or aux mille tuiles, Toit ! Temple du Temps, qu’un seul soupir résume, À ce point pur je monte et m’accoutume, Tout entouré de mon regard marin ; Et comme aux dieux mon offrande suprême, La scintillation sereine sème Sur l’altitude un dédain souverain.

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    Paul Verlaine

    Paul Verlaine

    @paulVerlaine

    A George Bonnamour J'étais malade de regrets, de quels regrets ! Toute ma bonne foi pleurait d'une méprise. Mon corps qui fut naguère fort, si faible après Agonisait presque, comme un tigre agonise. Ma face dure aux poils fauves de barbe grise Suait froid, mes yeux clos se rejoignaient trop près. D'affreux hoquets me secouaient sous ma chemise Et mes membres s'alignaient à la mort tout prêts. Puis il fallut manger et boire. Comment faire ? Mais vous vous trouviez là qui me tendiez mon verre Et découpiez ma chère et me " teniez le front. Et, tout en écoutant, pieux, ma juste plainte, La consolant parfois d'un mot franc dit sans crainte, Berciez l'enfant qu'est moi des beaux jours qui seront.

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    Paul Verlaine

    Paul Verlaine

    @paulVerlaine

    Adieu Hélas ! je n'étais pas fait pour cette haine Et pour ce mépris plus forts que moi que j'ai. Mais pourquoi m'avoir fait cet agneau sans laine Et pourquoi m'avoir fait ce coeur outragé ? J'étais né pour plaire à toute âme un peu fière, Sorte d'homme en rêve et capable du mieux, Parfois tout sourire et parfois tout prière, Et toujours des cieux attendris dans les yeux ; Toujours la bonté des caresses sincères, En dépit de tout et quoi qu'il y parût, Toujours la pudeur des hontes nécessaires Dans l'argent brutal et les stupeurs du rut ; Toujours le pardon, toujours le sacrifice ! J'eus plus d'un des torts, mais j'avais tous les soins. Votre mère était tendrement ma complice, Qui voyait mes torts et mes soins, elle, au moins. Elle n'aimait pas que par vous je souffrisse. Elle est morte et j'ai prié sur son tombeau ; Mais je doute fort qu'elle approuve et bénisse La chose actuelle et trouve cela beau. Et j'ai peur aussi, nous en terre, de croire Que le pauvre enfant, votre fils et le mien, Ne vénérera pas trop votre mémoire, Ô vous sans égard pour le mien et le tien. Je n'étais pas fait pour dire de ces choses, Moi dont la parole exhalait autrefois Un épithalame en des apothéoses, Ce chant du matin où mentait votre voix. J'étais, je suis né pour plaire aux nobles âmes, Pour les consoler un peu d'un monde impur, Cimier d'or chanteur et tunique de flammes, Moi le Chevalier qui saigne sur azur, Moi qui dois mourir d'une mort douce et chaste Dont le cygne et l'aigle encor seront jaloux, Dans l'honneur vainqueur malgré ce vous néfaste, Dans la gloire aussi des Illustres Époux !

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    Paul Verlaine

    Paul Verlaine

    @paulVerlaine

    La mort Telle qu'un moissonneur, dont l'aveugle faucille Abat le frais bleuet, comme le dur chardon, Telle qu'un plomb cruel qui, dans sa course, brille, Siffle, et, fendant les airs, vous frappe sans pardon ; Telle l'affreuse mort sur un dragon se montre, Passant comme un tonnerre au milieu des humains, Renversant, foudroyant tout ce qu'elle rencontre Et tenant une faulx dans ses livides mains. Riche, vieux, jeune, pauvre, à son lugubre empire Tout le monde obéit ; dans le cœur des mortels Le monstre plonge, hélas ! ses ongles de vampire ! Il s'acharne aux enfants, tout comme aux criminels : Aigle fier et serein, quand du haut de ton aire Tu vois sur l'univers planer ce noir vautour, Le mépris (n'est-ce pas, plutôt que la colère) Magnanime génie, dans ton cœur, a son tour ? Mais, tout en dédaignant la mort et ses alarmes, Hugo, tu t'apitoies sur les tristes vaincus ; Tu sais, quand il le faut, répandre quelques larmes, Quelques larmes d'amour pour ceux qui ne sont plus.

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    Paul Verlaine

    Paul Verlaine

    @paulVerlaine

    Mort ! Les Armes ont tu leurs ordres en attendant De vibrer à nouveau dans des mains admirables Ou scélérates, et, tristes, le bras pendant, Nous allons, mal rêveurs, dans le vague des Fables. Les Armes ont tu leurs ordres qu’on attendait Même chez les rêveurs mensongers que nous sommes, Honteux de notre bras qui pendait et tardait, Et nous allons, désappointés, parmi les hommes. Armes, vibrez ! mains admirables, prenez-les, Mains scélérates à défaut des admirables ! Prenez-les donc et faites signe aux En-allés Dans les fables plus incertaines que les sables. Tirez du rêve notre exode, voulez-vous ? Nous mourons d’être ainsi languides, presque infâmes ! Armes, parlez ! Vos ordres vont être pour nous La vie enfin fleurie au bout, s’il faut, des lames. La mort que nous aimons, que nous eûmes toujours Pour but de ce chemin où prospèrent la ronce Et l’ortie, ô la mort sans plus ces émois lourds, Délicieuse et dont la victoire est l’annonce !

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    Philippe Desportes

    Philippe Desportes

    @philippeDesportes

    Plainte Depuis six mois entiers que ta main courroucée Se retira, Seigneur, de mon âme oppressée, Et me laissa débile au pouvoir des malheurs, J'ai tant souffert d'ennuis, qu'hélas ! je ne puis dire Comment mes tristes yeux aux pleurs ont pu suffire, Aux complaintes ma bouche et mon cœur aux douleurs.

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    Pierre Corneille

    Pierre Corneille

    @pierreCorneille

    Epitaphe sur la mort de damoiselle Elisabeth Ranquet Ne verse point de pleurs sur cette sépulture, Passant ; ce lit funèbre est un lit précieux, Où gît d’un corps tout pur la cendre toute pure ; Mais le zèle du coeur vit encore en ces lieux. Avant que de payer le droit de la nature, Son âme, s’élevant au-delà de ses yeux, Avait au Créateur uni la créature ; Et marchant sur la terre elle était dans les cieux. Les pauvres bien mieux qu’elle ont senti sa richesse L’humilité, la peine, étaient son allégresse ; Et son dernier soupir fut un soupir d’amour. Passant, qu’à son exemple un beau feu te transporte ; Et, loin de la pleurer d’avoir perdu le jour, Crois qu’on ne meurt jamais quand on meurt de la sorte.

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    Pierre Corneille

    Pierre Corneille

    @pierreCorneille

    La peste J’ai vu la peste en raccourci : Et s’il faut en parler sans feindre, Puisque la peste est faite ainsi, Peste, que la peste est à craindre ! De cœurs qui n’en sauraient guérir Elle est partout accompagnée, Et dût-on cent fois en mourir, Mille voudraient l’avoir gagnée. L’ardeur dont ils sont emportés, En ce péril leur persuade, Qu’avoir la peste à ses côtés, Ce n’est point être trop malade. Aussi faut-il leur accorder Qu’on aurait du bonheur de reste, Pour peu qu’on se pût hasarder Au beau milieu de cette peste. La mort serait douce à ce prix, Mais c’est un malheur à se pendre Qu’on ne meurt pas d’en être pris, Mais faute de la pouvoir prendre. L’ardeur qu’elle fait naître au sein N’y fait même un mal incurable Que parce qu’elle prend soudain, Et qu’elle est toujours imprenable. Aussi chacun y perd son temps, L’un en gémit, l’autre en déteste, Et ce que font les plus contents C’est de pester contre la peste.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Ah longues nuicts d’hyver de ma vie bourrelles Ah longues nuicts d’hyver de ma vie bourrelles, Donnez moy patience, et me laissez dormir, Vostre nom seulement, et suer et fremir Me fait par tout le corps, tant vous m’estes cruelles. Le sommeil tant soit peu n’esvente de ses ailes Mes yeux tousjours ouvers, et ne puis affermir Paupiere sur paupiere, et ne fais que gemir, Souffrant comme Ixion des peines eternelles. Vieille umbre de la terre, ainçois l’umbre d’enfer, Tu m’as ouvert les yeux d’une chaisne de fer, Me consumant au lict, navré de mille pointes : Pour chasser mes douleurs ameine moy la mort, Ha mort, le port commun, des hommes le confort, Viens enterrer mes maux je t’en prie à mains jointes.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Amour me tue, et si je ne veux dire Amour me tue, et si je ne veux dire Le plaisant mal que ce m'est de mourir : Tant j'ai grand peur, qu'on veuille secourir Le mal, par qui doucement je soupire. Il est bien vrai, que ma langueur désire Qu'avec le temps je me puisse guérir : Mais je ne veux ma dame requérir Pour ma santé : tant me plaît mon martyre. Tais-toi langueur je sens venir le jour, Que ma maîtresse, après si long séjour, Voyant le soin qui ronge ma pensée, Toute une nuit, folâtrement m'ayant Entre ses bras, prodigue, ira payant Les intérêts de ma peine avancée.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Avant le temps tes temples fleuriront Avant le temps tes temples fleuriront, De peu de jours ta fin sera bornée, Avant le soir se clorra ta journée , Trahis d’espoir tes pensers periront : Sans me flechir tes escrits fletriront, En ton desastre ira ma destinée, Ta mort sera pour m’aimer terminée, De tes souspirs noz neveux se riront. Tu seras fait d’un vulgaire la fable : Tu bastiras sus l’incertain du sable, Et vainement tu peindras dans les cieux : Ainsi disoit la Nymphe qui m’afolle, Lors que le ciel tesmoin de sa parolle, D’un dextre éclair fut presage à mes yeux.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    À son âme Amelette Ronsardelette, Mignonnelette doucelette, Treschere hostesse de mon corps, Tu descens là bas foiblelette, Pasle, maigrelette, seulette, Dans le froid Royaume des mors : Toutesfois simple, sans relors De meurtre, poison, ou rancune, Méprisant faveurs et tresors Tant enviez par la commune. Passant, j’ay dit, suy ta fortune Ne trouble mon repos, je dors.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Comme un chevreuil Comme un Chevreuil, quand le printemps détruit L’oiseux cristal de la morne gelée, Pour mieux brouter l’herbette emmiellée Hors de son bois avec l’Aube s’enfuit, Et seul, et sûr, loin de chien et de bruit, Or sur un mont, or dans une vallée, Or près d’une onde à l’écart recelée, Libre folâtre où son pied le conduit : De rets ni d’arc sa liberté n’a crainte, Sinon alors que sa vie est atteinte, D’un trait meurtrier empourpré de son sang : Ainsi j’allais sans espoir de dommage, Le jour qu’un oeil sur l’avril de mon âge Tira d’un coup mille traits dans mon flanc.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise aupres du feu, dévidant & filant, Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant, Ronsard me celebroit du temps que j’estois belle. Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle, Desja sous le labeur à demy sommeillant, Qui au bruit de mon nom ne s’aille resveillant, Bénissant vostre nom de louange immortelle. Je seray sous la terre: & fantôme sans os Par les ombres myrteux je prendray mon repos ; Vous serez au fouyer une vieille accroupie Regrettant mon amour & vostre fier desdain. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : Cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Donne moy tes presens en ces jours que la brume Donne moy tes presens en ces jours que la Brume Fait les plus courts de l’an, ou de ton rameau teint Dans le ruisseau d’Oubly dessus mon front espreint, Endor mes pauvres yeux, mes gouttes et mon rhume. Misericorde ô Dieu, ô Dieu ne me consume A faulte de dormir, plustost sois-je contreint De me voir par la peste ou par la fievre esteint, Qui mon sang deseché dans mes veines allume. Heureux, cent fois heureux animaux qui dormez Demy an en voz trous, soubs la terre enfermez, Sans manger du pavot qui tous les sens assomme : J’en ay mangé, j’ay beu de son just oublieux En salade cuit, cru, et toutesfois le somme Ne vient par sa froideur s’asseoir dessus mes yeux.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Hymne de la mort Masures, désormais on ne peut inventer Nul argument nouveau qui soit bon à chanter, Ou haut sur la trompette, ou bas dessus la lyre : Aux anciens la Muse a tout permis de dire, Tellement qu'il ne reste à nous autres derniers Sinon le désespoir d'ensuivre les premiers Et, béant après eux, reconnaître leur trace Faite au chemin frayé qui conduit sur Parnasse ; Lesquels jadis, guidés de leur mère Vertu, Ont tellement du pied ce grand chemin battu Qu'on ne voit aujourd'hui, sur la docte poussière D'Hélicon, que les pas d'Hésiode et d'Homère, D'Arate, de Nicandre, et de mille autres Grecs Des vieux siècles passés, qui burent à longs traits Toute l'eau jusqu'au fond des filles de Mémoire, N'en laissant une goutte aux derniers pour en boire, Qui maintenant confus, à foule à foule, vont Chercher encor de l'eau dessus le double Mont ; Mais ils montent en vain, car plus ils y séjournent, Et plus mourant de soif au logis s'en retournent. Moi donc qui, de longtemps, par épreuve sais bien Qu'au sommet de Parnasse on ne trouve plus rien Pour étancher la soif d'une gorge altérée, Je veux aller chercher quelque source sacrée D'un ruisseau non touché, qui murmurant s'enfuit Dedans un beau verger, loin de gens et de bruit, Source que le soleil n'aura jamais connue, Que les oiseaux du ciel de leur bouche cornue N'auront jamais souillée, et où les pastoureaux N'auront jamais conduit les pieds de leurs taureaux. Je boirai tout mon saoul de cette onde pucelle Et puis je chanterai quelque chanson nouvelle, Dont les accords seront peut-être si très doux Que les siècles voudront les redire après nous... Si les hommes pensaient à part eux quelquefois Qu'il nous faut tous mourir, et que même les Rois Ne peuvent éviter de la Mort la puissance, Ils prendraient en leurs coeurs un peu de patience. Sommes-nous plus divins qu'Achille ni qu'Ajax, Qu'Alexandre ou César, qui ne se surent pas Défendre du trépas, bien qu'ils eussent en guerre Réduite sous leurs mains presque toute la terre ? Beaucoup, ne sachant point qu'ils sont enfants de Dieu, Pleurent avant partir et s'attristent, au lieu De chanter hautement le péan de victoire, Et pensent que la Mort soit quelque bête noire Qui les viendra manger, et que dix mille vers Rongeront de leurs corps les os tout découverts, Et leur têt qui doit être, en un coin solitaire, L'effroyable ornement d'un ombreux cimetière... C'est le tout que de l'âme, il faut avoir soin d'elle : D'autant que Dieu l'a faite à jamais immortelle, Il faut trembler de peur que par faits vicieux Nous ne la bannissions de sa maison, les Cieux, Pour endurer, après un exil très moleste, Absente du regard de son Père céleste ; Et ne faut de ce corps avoir si grand ennui Qui n'est que son valet et son mortel étui, Brutal, impatient, de nature maline, Et qui toujours répugne à la raison divine... Il ne faut pas humer de Circé les vaisseaux, De peur que, transformés en tigres ou pourceaux, Nous ne puissions revoir d'Ithaque la fumée, Du Ciel notre demeure à l'âme accoutumée, Où tous nous faut aller, non chargés du fardeau D'orgueil, qui nous ferait périr notre bateau Ains que venir au port, mais chargés d'espérance, Pauvreté, nudité, tourment et patience, Comme étant vrais enfants et disciples de Christ, Qui vivant nous bailla ce chemin par écrit Et marqua de son sang cette voie très sainte, Mourant tout le premier, pour nous ôter la crainte. Oh! que d'être jà morts nous serait un grand bien, Si nous considérions que nous ne sommes rien Qu'une terre animée et qu'une vivante ombre, Le sujet de douleur, de misère et d'encombre, Voire, et que nous passons en misérables maux Le reste (ô crève-coeur!) de tous les animaux. Non pour autre raison Homère nous égale A la feuille d'hiver qui des arbres dévale, Tant nous sommes chétifs et pauvres journaliers Recevant sans repos maux sur maux à milliers... Masures, on dira que toute chose humaine Se peut bien recouvrer, terres, rentes, domaine, Maisons, femmes, honneurs, mais que par nul effort On ne peut recouvrer l'âme quand elle sort, Et qu'il n'est rien si beau que de voir la lumière. De ce commun Soleil, qui n'est seulement chère Aux hommes sains et forts, mais aux vieux chargés d'ans, Perclus, estropiés, catarrheux, impotents. Tu diras que toujours tu vois ces platoniques, Ces philosophes pleins de propos magnifiques, Dire bien de la Mort; mais quand ils sont jà vieux Et que le flot mortel leur noue dans les yeux, Et que leur pied tremblant est déjà sur la tombe, Que la parole grave et sévère leur tombe, Et commencent en vain à gémir et pleurer, Et voudraient, s'ils pouvaient, leur trépas différer. Tu me diras encore que tu trembles de crainte D'un batelier Charon, qui passe par contrainte Les âmes outre l'eau d'un torrent effrayant, Et que tu crains le Chien à trois voix aboyant, Et les eaux de Tantale et le roc de Sisyphe, Et des cruelles Soeurs l'abominable griffe, Et tout cela qu'ont feint les poètes là-bas Nous attendre aux Enfers après notre trépas. Quiconque dis ceci, pour Dieu, qu'il te souvienne Que ton âme n'est pas païenne, mais chrétienne, Et que notre grand Maître en la Croix étendu, Et mourant, de la Mort l'aiguillon a perdu, Et d'elle maintenant n'a fait qu'un beau passage A retourner au Ciel, pour nous donner courage De porter notre croix, fardeau léger et doux, Et de mourir pour lui comme il est mort pour nous, Sans craindre comme enfants la nacelle infernale, Le rocher d'Ixion, et les eaux de Tantale, Et Charon, et le chien Cerbère à trois abois, Desquels le sang de Christ t'affranchit en la Croix, Pourvu qu'en ton vivant tu lui veuilles complaire, Faisant ses mandements qui sont aisés à faire ; Car son joug est plaisant, gracieux et léger, Qui le dos nous soulage en lieu de le charger... S'il y avait au monde un état de durée, Si quelque chose était en la terre assurée, Ce serait un plaisir de vivre longuement ; Mais, puisqu'on n'y voit rien qui ordinairement Ne se change et rechange, et d'inconstance abonde, Ce n'est pas grand plaisir que de vivre en ce monde ; Nous le connaissons bien, qui toujours lamentons Et pleurons aussitôt que du ventre sortons, Comme présagiant, par naturel augure, De ce logis mondain la misère future... Que ta puissance, ô Mort, est grande et admirable ! Rien au monde par toi ne se dit perdurable ; Mais, tout ainsi que l'onde à val des ruisseaux fuit Le pressant coulement de l'autre qui la suit, Ainsi le temps se coule, et le présent fait place Au futur importun qui les talons lui trace. Ce qui fut, se refait ; tout coule comme une eau, Et rien dessous le Ciel ne se voit de nouveau ; Mais la forme se change en une autre nouvelle, Et ce changement là Vivre au monde s'appelle, Et Mourir, quand la forme en une autre s'en va... Mais notre âme immortelle est toujours en un lieu Au change non sujette, assise auprès de Dieu, Citoyenne à jamais de la ville éthérée, Qu'elle avait si longtemps en ce corps désirée. Je te salue, heureuse et profitable Mort, Des extrêmes douleurs médecin et confort ! Quand mon heure viendra, Déesse, je te prie, Ne me laisse longtemps languir en maladie, Tourmenté dans un lit ; mais, puisqu'il faut mourir, Donne-moi que soudain je te puisse encourir, Ou pour l'honneur de Dieu, ou pour servir mon Prince, Navré d'une grande plaie au bord de ma province.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Il faut laisser maisons et vergers et jardins Il faut laisser maisons et vergers et jardins, Vaisselles et vaisseaux que l’artisan burine, Et chanter son obsèque en la façon du cygne, Qui chante son trépas sur les bords méandrins. C’est fait j’ai dévidé le cours de mes destins, J’ai vécu, j’ai rendu mon nom assez insigne, Ma plume vole au ciel pour être quelque signe Loin des appas mondains qui trompent les plus fins. Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne En rien comme il était, plus heureux qui séjourne D’homme fait nouvel ange auprès de Jésus-Christ, Laissant pourrir çà-bas sa dépouille de boue Dont le sort, la fortune, et le destin se joue, Franc des liens du corps pour n’être qu’un esprit.

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