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Fables

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Fables

Poésies de la collection fables

    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le cerf se voyant dans l'eau Dans le cristal d'une fontaine Un cerf se mirant autrefois Louait la beauté de son bois, Et ne pouvait qu'avecque peine Souffrir ses jambes de fuseaux, Dont il voyait l'objet se perdre dans les eaux. « Quelle proportion de mes pieds à ma tête ? Disait-il en voyant leur ombre avec douleur : Des taillis les plus hauts mon front atteint le faite ; Mes pieds ne me font point d'honneur. Tout en parlant de la sorte, Un limier le fait partir ; Il tâche à se garantir, Dans les forêts il s'emporte. Son bois, dommageable ornement, L'arrêtant à chaque moment, Nuit à l'office que lui rendent Ses pieds, de qui ses jours dépendent. Il se dédit alors, et maudit les présents Que le Ciel lui fait tous les ans. Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile ; Et le beau souvent nous détruit. Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ; Il estime un bois qui lui nuit.

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le chêne et le roseau Le Chêne un jour dit au Roseau : "Vous avez bien sujet d'accuser la Nature ; Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau. Le moindre vent, qui d'aventure Fait rider la face de l'eau, Vous oblige à baisser la tête : Cependant que mon front, au Caucase pareil, Non content d'arrêter les rayons du soleil, Brave l'effort de la tempête. Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr. Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n'auriez pas tant à souffrir : Je vous défendrais de l'orage ; Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des Royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. - Votre compassion, lui répondit l'Arbuste, Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci. Les vents me sont moins qu'à vous redoutables. Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos ; Mais attendons la fin. "Comme il disait ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs. L'Arbre tient bon ; le Roseau plie. Le vent redouble ses efforts, Et fait si bien qu'il déracine Celui de qui la tête au Ciel était voisine Et dont les pieds touchaient à l'Empire des Morts.

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le coche et la mouche Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au Soleil exposé, Six forts chevaux tiraient un Coche. Femmes, Moine, vieillards, tout était descendu. L'attelage suait, soufflait, était rendu. Une Mouche survient, et des chevaux s'approche ; Prétend les animer par son bourdonnement ; Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment Qu'elle fait aller la machine, S'assied sur le timon, sur le nez du Cocher ; Aussitôt que le char chemine, Et qu'elle voit les gens marcher, Elle s'en attribue uniquement la gloire ; Va, vient, fait l'empressée ; il semble que ce soit Un Sergent de bataille allant en chaque endroit Faire avancer ses gens, et hâter la victoire. La Mouche en ce commun besoin Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin ; Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire. Le Moine disait son Bréviaire ; Il prenait bien son temps ! une femme chantait ; C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait ! Dame Mouche s'en va chanter à leurs oreilles, Et fait cent sottises pareilles. Après bien du travail le Coche arrive au haut. Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt : J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine. Ca, Messieurs les Chevaux, payez-moi de ma peine. Ainsi certaines gens, faisant les empressés, S'introduisent dans les affaires : Ils font partout les nécessaires, Et, partout importuns, devraient être chassés.

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le corbeau et le renard Le Corbeau et le Renard est une fable célèbre de Jean de La Fontaine inspirée des Fables d'Ésope. Il s'agit de la deuxième fable du livre I du premier recueil des Fables de La Fontaine (1668). Elle met en scène un corbeau fier et orgueilleux qui perd son fromage au profit du renard rusé et flatteur. Maître Corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage. Maître Renard, par l'odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage : « Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. » À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ; Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le Renard s'en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l'écoute : Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. » Le Corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le laboureur et ses enfants Travaillez, prenez de la peine : C'est le fonds qui manque le moins. Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine, Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. « Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage Que nous ont laissé nos parents : Un trésor est caché dedans. Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout. Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse. » Le père mort, les fils vous retournent le champ, Deçà, delà, partout : si bien qu'au bout de l'an Il en rapporta davantage. D'argent, point de caché. Mais le père fut sage De leur montrer, avant sa mort, Que le travail est un trésor.

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    Jean de La Fontaine

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    @jeanDeLaFontaine

    Le lion et le rat Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde : On a souvent besoin d'un plus petit que soi. De cette vérité deux Fables feront foi, Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d'un Lion, Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie : Le Roi des animaux, en cette occasion, Montra ce qu'il était, et lui donna la vie. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu'un aurait-il jamais cru Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ? Cependant il avint qu'au sortir des forêts Le Lion fut pris dans des rets, Dont ses rugissements ne le purent défaire. Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage. Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage.

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    Jean de La Fontaine

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    @jeanDeLaFontaine

    Le lièvre et la tortue Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage. Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point Sitôt que moi ce but. - Sitôt ? Êtes-vous sage ? Repartit l'animal léger. Ma commère, il vous faut purger Avec quatre grains d'ellébore. - Sage ou non, je parie encore. Ainsi fut fait : et de tous deux On mit près du but les enjeux : Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire, Ni de quel juge l'on convint. Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ; J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes, Et leur fait arpenter les landes. Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter, Pour dormir, et pour écouter D'où vient le vent, il laisse la Tortue Aller son train de Sénateur. Elle part, elle s'évertue ; Elle se hâte avec lenteur. Lui cependant méprise une telle victoire, Tient la gageure à peu de gloire, Croit qu'il y va de son honneur De partir tard. Il broute, il se repose, Il s'amuse à toute autre chose Qu'à la gageure. A la fin quand il vit Que l'autre touchait presque au bout de la carrière, Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit Furent vains : la Tortue arriva la première. Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ? De quoi vous sert votre vitesse ? Moi, l'emporter ! et que serait-ce Si vous portiez une maison ?

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le loup et l'agneau La raison du plus fort est toujours la meilleure : Nous l'allons montrer tout à l'heure. Un Agneau se désaltérait Dans le courant d'une onde pure. Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait. Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Dit cet animal plein de rage : Tu seras châtié de ta témérité. - Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté Ne se mette pas en colère ; Mais plutôt qu'elle considère Que je me vas désaltérant Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d'Elle, Et que par conséquent, en aucune façon, Je ne puis troubler sa boisson. - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l'an passé. - Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ? Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère. - Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. - Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens : Car vous ne m'épargnez guère, Vous, vos bergers, et vos chiens. On me l'a dit : il faut que je me venge. Là-dessus, au fond des forêts Le Loup l'emporte, et puis le mange, Sans autre forme de procès.

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le loup et le chien Un Loup n'avait que les os et la peau ; Tant les chiens faisaient bonne garde. Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau, Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde. L'attaquer, le mettre en quartiers, Sire Loup l'eût fait volontiers. Mais il fallait livrer bataille ; Et le Mâtin était de taille À se défendre hardiment. Le Loup donc l'aborde humblement, Entre en propos, et lui fait compliment Sur son embonpoint qu'il admire. « Il ne tiendra qu'à vous beau Sire, D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien. Quittez les bois, vous ferez bien : Vos pareils y sont misérables, Cancres, haires, et pauvres diables, Dont la condition est de mourir de faim. Car quoi ? Rien d'assuré ; point de franche lippée ; Tout à la pointe de l'épée. Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin. » Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ? - Presque rien, dit le Chien ; donner la chasse aux gens Portants bâtons, et mendiants ; Flatter ceux du logis, à son Maître complaire : Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs de toutes les façons ; Os de poulets, os de pigeons ; Sans parler de mainte caresse. » Le Loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse. Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé : « Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose. - Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché De ce que vous voyez est peut-être la cause. - Attaché ? dit le Loup ; vous ne courez donc pas Où vous voulez ? - Pas toujours, mais qu'importe ? - Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte, Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. » Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le pot de terre et le pot de fer Le Pot de fer proposa Au Pot de terre un voyage. Celui-ci s'en excusa, Disant qu'il ferait que sage De garder le coin du feu ; Car il lui fallait si peu, Si peu, que la moindre chose De son débris serait cause. Il n'en reviendrait morceau. « Pour vous dit-il, dont la peau Est plus dure que la mienne, Je ne vois rien qui vous tienne. - Nous vous mettrons à couvert, Repartit le Pot de fer. Si quelque matière dure Vous menace d'aventure, Entre deux je passerai, Et du coup vous sauverai. » Cette offre le persuade. Pot de fer son camarade Se met droit à ses côtés. Mes gens s'en vont à trois pieds, Clopin clopant comme ils peuvent, L'un contre l'autre jetés Au moindre hoquet qu'ils treuvent. Le Pot de terre en souffre ; il n'eut pas fait cent pas Que par son Compagnon il fut mis en éclats, Sans qu'il eût lieu de se plaindre. Ne nous associons qu'avecque nos égaux ; Ou bien il nous faudra craindre Le destin d'un de ces Pots.

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    Jean de La Fontaine

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    @jeanDeLaFontaine

    Le rat des villes et le rat des champs Autrefois le Rat de ville Invita le Rat des champs, D’une façon fort civile, A des reliefs d’Ortolans. Sur un Tapis de Turquie Le couvert se trouva mis. Je laisse à penser la vie Que firent ces deux amis. Le régal fut fort honnête, Rien ne manquait au festin ; Mais quelqu’un troubla la fête Pendant qu’ils étaient en train. A la porte de la salle Ils entendirent du bruit : Le Rat de ville détale ; Son camarade le suit. Le bruit cesse, on se retire : Rats en campagne aussitôt ; Et le citadin de dire : Achevons tout notre rôt. – C’est assez, dit le rustique ; Demain vous viendrez chez moi : Ce n’est pas que je me pique De tous vos festins de Roi ; Mais rien ne vient m’interrompre : Je mange tout à loisir. Adieu donc ; fi du plaisir Que la crainte peut corrompre.

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le renard et la cigogne Compère le Renard se mit un jour en frais, Et retint à dîner commère la Cigogne. Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts : Le Galant, pour toute besogne Avait un brouet clair (il vivait chichement). Ce brouet fut par lui servi sur une assiette. La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ; Et le Drôle eut lapé le tout en un moment. Pour se venger de cette tromperie, À quelque temps de là, la Cigogne le prie. " Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis Je ne fais point cérémonie. " À l'heure dite, il courut au logis De la Cigogne son hôtesse ; Loua très fort sa politesse, Trouva le dîner cuit à point. Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point. Il se réjouissait à l'odeur de la viande Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande. On servit, pour l'embarrasser En un vase à long col, et d'étroite embouchure. Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer, Mais le museau du Sire était d'autre mesure. Il lui fallut à jeun retourner au logis, Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris, Serrant la queue, et portant bas l'oreille. Trompeurs, c'est pour vous que j'écris, Attendez-vous à la pareille.

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le vieillard et l'âne Un Vieillard sur son Ane aperçut en passant Un Pré plein d'herbe et fleurissant. Il y lâche sa bête, et le Grison se rue Au travers de l'herbe menue, Se vautrant, grattant, et frottant, Gambadant, chantant et broutant, Et faisant mainte place nette. L'ennemi vient sur l'entrefaite : Fuyons, dit alors le Vieillard. - Pourquoi ? répondit le paillard. Me fera-t-on porter double bât, double charge ? - Non pas, dit le Vieillard, qui prit d'abord le large. - Et que m'importe donc, dit l'Ane, à qui je sois ? Sauvez-vous, et me laissez paître : Notre ennemi, c'est notre Maître : Je vous le dis en bon François.

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    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La carpe et les carpillons Prenez garde, mes fils, côtoyez moins le bord, Suivez le fond de la rivière ; Craignez la ligne meurtrière, Ou l'épervier plus dangereux encor. C'est ainsi que parlait une carpe de Seine A de jeunes poissons qui l'écoutaient à peine. C'était au mois d'avril : les neiges, les glaçons, Fondus par les zéphyrs, descendaient des montagnes. Le fleuve, enflé par eux, s'élève à gros bouillons, Et déborde dans les campagnes. Ah ! ah ! criaient les carpillons, Qu'en dis-tu, carpe radoteuse ? Crains-tu pour nous les hameçons ? Nous voilà citoyens de la mer orageuse ; Regarde : on ne voit plus que les eaux et le ciel, Les arbres sont cachés sous l'onde, Nous sommes les maîtres du monde, C'est le déluge universel. Ne croyez pas cela, répond la vieille mère ; Pour que l'eau se retire il ne faut qu'un instant : Ne vous éloignez point, et, de peur d'accident, Suivez, suivez toujours le fond de la rivière. Bah ! disent les poissons, tu répètes toujours Mêmes discours. Adieu, nous allons voir notre nouveau domaine. Parlant ainsi, nos étourdis Sortent tous du lit de la Seine, Et s'en vont dans les eaux qui couvrent le pays. Qu'arriva-t-il ? Les eaux se retirèrent, Et les carpillons demeurèrent ; Bientôt ils furent pris, Et frits. Pourquoi quittaient-ils la rivière ? Pourquoi ? je le sais trop, hélas ! C'est qu'on se croit toujours plus sage que sa mère C'est qu'on veut sortir de sa sphère, C'est, que... c'est que... je ne finirai pas.

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    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La guenon, le singe et la noix Une jeune guenon cueillit Une noix dans sa coque verte ; Elle y porte la dent, fait la grimace… « Ah ! Certes, Dit-elle, ma mère mentit Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes. Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit ! » Elle jette la noix. Un singe la ramasse, Vite entre deux cailloux la casse, L'épluche, la mange, et lui dit : « Votre mère eut raison, ma mie : Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir. Souvenez-vous que, dans la vie, Sans un peu de travail on n'a point de plaisir ».

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    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La guêpe et l'abeille Dans le calice d’une fleur La guêpe un jour voyant l’abeille S'approche en l'appelant sa sœur. Ce nom sonne mal à l’oreille De l'insecte plein de fierté, Qui lui répond : Nous sœurs ! Ma mie, Depuis quand cette parenté ? Mais c’est depuis toute la vie, Lui dit la guêpe avec courroux : Considérez-moi, je vous prie ; J'ai des ailes tout comme vous, Même taille, même corsage ; Et, s’il vous en faut davantage, Nos dards sont aussi ressemblants. Il est vrai, répliqua l'abeille, Nous avons une arme pareille, Mais pour des emplois différents. La vôtre sert votre insolence, La mienne repousse l’offense Vous provoquez, je me défends.

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    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La taupe et les lapins Chacun de nous souvent connaît bien ses défauts; En convenir, c'est autre chose: On aime mieux souffrir de véritables maux Que d'avouer qu'ils en sont cause. Je me souviens, à ce sujet, D'avoir été témoin d'un fait Fort étonnant et difficile à croire; Mais je l'ai vu: voici l'histoire. Près d'un bois, le soir, à l'écart, Dans une superbe prairie, Des lapins s'amusaient, sur l'herbette fleurie, A jouer au colin-maillard. Des lapins ! direz-vous, la chose est impossible. Rien n'est plus vrai pourtant: une feuille flexible Sur les yeux de l'un d'eux en bandeau s'appliquait, Et puis sous le cou se nouait: Un instant en faisait l'affaire. Celui que ce ruban privait de la lumière Se plaçait au milieu; les autres alentour Sautaient, dansaient, faisaient merveilles, S'éloignaient, venaient tour à tour Tirer sa queue ou ses oreilles. Le pauvre aveugle alors, se retournant soudain, Sans craindre pot au noir, jette au hasard la patte, Mais la troupe échappe à la hâte, Il ne prend que du vent, il se tourmente en vain, Il y sera jusqu'à demain. Une taupe assez étourdie, Qui sous terre entendit ce bruit, Sort aussitôt de son réduit Et se mêle dans la partie. Vous jugez que, n'y voyant pas, Elle fut prise au premier pas. Messieurs, dit un lapin, ce serait conscience, Et la justice veut qu'à notre pauvre sœur Nous fassions un peu de faveur: Elle est sans yeux et sans défense. Ainsi je suis d'avis...–Non, répond avec feu La taupe, je suis prise, et prise de bon jeu; Mettez moi le bandeau.–Très volontiers, ma chère; Le voici; mais je crois qu'il n'est pas nécessaire Que nous serrions le noeud bien fort. –Pardonnez-moi, Monsieur, reprit-elle en colère, Serrez bien, car j'y vois... Serrez, j'y vois encor.

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    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le chat et le miroir Philosophes hardis, qui passez votre vie À vouloir expliquer ce qu'on n'explique pas, Daignez écouter, je vous prie, Ce trait du plus sage des chats. Sur une table de toilette Ce chat aperçut un miroir ; Il y saute, regarde, et d'abord pense voir Un de ses frères qui le guette. Notre chat veut le joindre, il se trouve arrêté. Surpris, il juge alors la glace transparente, Et passe de l'autre côté, Ne trouve rien, revient, et le chat se présente. Il réfléchit un peu : de peur que l'animal, Tandis qu'il fait le tour, ne sorte, Sur le haut du miroir il se met à cheval, Deux pattes par ici, deux par là ; de la sorte Partout il pourra le saisir. Alors, croyant bien le tenir, Doucement vers la glace il incline la tête, Aperçoit une oreille, et puis deux... à l'instant, À droite, à gauche il va jetant Sa griffe qu'il tient toute prête : Mais il perd l'équilibre, il tombe et n'a rien pris. Alors, sans davantage attendre, Sans chercher plus longtemps ce qu'il ne peut comprendre, Il laisse le miroir et retourne aux souris : Que m'importe, dit-il, de percer ce mystère ? Une chose que notre esprit, Après un long travail, n'entend ni ne saisit, Ne nous est jamais nécessaire.

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    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le grillon Un pauvre petit grillon Caché dans l'herbe fleurie Regardait un papillon Voltigeant dans la prairie. L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ; L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ; Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs, Prenant et quittant les plus belles. Ah! disait le grillon, que son sort et le mien Sont différents ! Dame nature Pour lui fit tout, et pour moi rien. je n'ai point de talent, encor moins de figure. Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas : Autant vaudrait n'exister pas. Comme il parlait, dans la prairie Arrive une troupe d'enfants : Aussitôt les voilà courants Après ce papillon dont ils ont tous envie. Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper ; L'insecte vainement cherche à leur échapper, Il devient bientôt leur conquête. L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps ; Un troisième survient, et le prend par la tête : Il ne fallait pas tant d'efforts Pour déchirer la pauvre bête. Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché ; Il en coûte trop cher pour briller dans le monde. Combien je vais aimer ma retraite profonde ! Pour vivre heureux, vivons caché.

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    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le léopard et l'écureuil Un écureuil sautant, gambadant sur un chêne, Manqua sa branche, et vint, par un triste hasard, Tomber sur un vieux léopard Qui faisait sa méridienne. Vous jugez s'il eut peur ! En sursaut s'éveillant, L'animal irrité se dresse ; Et l'écureuil s'agenouillant Tremble et se fait petit aux pieds de son altesse. Après l'avoir considéré, Le léopard lui dit : je te donne la vie, Mais à condition que de toi je saurai Pourquoi cette gaîté, ce bonheur que j'envie, Embellissent tes jours, ne te quittent jamais, Tandis que moi, roi des forêts, Je suis si triste et je m'ennuie. Sire, lui répond l'écureuil, Je dois à votre bon accueil La vérité : mais, pour la dire, Sur cet arbre un peu haut je voudrais être assis. - Soit, j'y consens, monte. - J'y suis. À présent je peux vous instruire. Mon grand secret pour être heureux, C'est de vivre dans l'innocence ; L'ignorance du mal fait toute ma science ; Mon cœur est toujours pur, cela rend bien joyeux. Vous ne connaissez pas la volupté suprême De dormir sans remords : vous mangez les chevreuils, Tandis que je partage à tous les écureuils Mes feuilles et mes fruits ; vous haïssez, et j'aime : Tout est dans ces deux mots. Soyez bien convaincu De cette vérité que je tiens de mon père : Lorsque notre bonheur nous vient de la vertu, La gaîté vient bientôt de notre caractère.

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    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le perroquet Un gros perroquet gris, échappé de sa cage, Vint s'établir dans un bocage : Et là, prenant le ton de nos faux connaisseurs, Jugeant tout, blâmant tout, d'un air de suffisance, Au chant du rossignol il trouvait des longueurs, Critiquait surtout sa cadence. Le linot, selon lui, ne savait pas chanter ; La fauvette aurait fait quelque chose peut-être, Si de bonne heure il eût été son maître Et qu'elle eût voulu profiter. Enfin aucun oiseau n'avait l'art de lui plaire ; Et dès qu'ils commençaient leurs joyeuses chansons, Par des coups de sifflet répondant à leurs sons, Le perroquet les faisait taire. Lassés de tant d'affronts, tous les oiseaux du bois Viennent lui dire un jour : mais parlez donc, beau sire, Vous qui sifflez toujours, faites qu'on vous admire ; Sans doute vous avez une brillante voix, Daignez chanter pour nous instruire. Le perroquet, dans l'embarras, Se gratte un peu la tête, et finit par leur dire : Messieurs, je siffle bien, mais je ne chante pas.

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    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le renard Déguisé Un renard plein d’esprit, d’adresse, de prudence, À la cour d’un lion servait depuis longtemps; Les succès les plus éclatants Avaient prouvé son zèle et son intelligence. Pour peu qu’on l’employât, toute affaire allait bien. On le louait beaucoup, mais sans lui donner rien; Et l’habile renard était dans l’indigence. Lassé de servir des ingrats, De réussir toujours sans en être plus gras, Il s’enfuit de la cour; dans un bois solitaire Il s’en va trouver son grand-père, Vieux renard retiré, qui jadis fut vizir. Là, contant ses exploits, et puis les injustices, Les dégoûts qu’il eut à souffrir, Il demande pourquoi de si nombreux services N’ont jamais pu rien obtenir. Le bon homme renard, avec sa voix cassée, Lui dit : Mon cher enfant, la semaine passée, Un blaireau, mon cousin, est mort dans ce terrier : C’est moi qui suis son héritier, J’ai conservé sa peau; mets-la dessus la tienne, El retourne à la cour. Le renard avec peine Se soumit au conseil. Affublé de la peau De feu son cousin le blaireau, Il va se regarder dans l’eau d’une fontaine, Se trouve l’air d’un sot, tel qu’était le cousin. Tout honteux, de la cour il reprend le chemin. Mais, quelques mois après, dans un riche équipage, Entouré de valets, d’esclaves, de flatteurs, Comblé de dons et de faveurs, Il vient de sa fortune au vieillard faire hommage : Il était grand vizir. Je te l’avais bien dit, S’écrie alors le vieux grand-père ; Mon ami, chez les grands quiconque voudra plaire, Doit d’abord cacher son esprit.

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    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Pandore Quand Pandore eut reçu la vie, Chaque dieu de ses dons s'empressa de l'orner. Vénus, malgré sa jalousie, Détacha sa ceinture et vint la lui donner. Jupiter, admirant cette jeune merveille, Craignait pour les humains ses attraits enchanteurs ; Vénus rit de sa crainte, et lui dit à l’oreille : Elle blessera bien des cœurs ; Mais j'ai caché dans ma ceinture Les caprices pour affaiblir Le mal que fera sa blessure, Et les faveurs pour en guérir.

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    S

    Sophie d'Arbouville

    @sophieDarbouville

    L'hirondelle Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ? Moi, sous le même toit, je trouve tour à tour Trop prompt, trop long, le temps que peut durer un jour. J'ai l'heure des regrets et l'heure du sourire, J'ai des rêves divers que je ne puis redire ; Et, roseau qui se courbe aux caprices du vent, L'esprit calme ou troublé, je marche en hésitant. Mais, du chemin je prends moins la fleur que l'épine, Mon front se lève moins, hélas ! qu'il ne s'incline ; Mon cœur, pesant la vie à des poids différents, Souffre plus des hivers qu'il ne rit des printemps. Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ? J'évoque du passé le lointain souvenir ; Aux jours qui ne sont plus je voudrais revenir. De mes bonheurs enfuis, il me semble au jeune agi N'avoir pas à loisir savouré le passage, Car la jeunesse croit qu'elle est un long trésor, Et, si l'on a reçu, l'on attend plus encor. L'avenir nous parait l'espérance éternelle, Promettant, et restant aux promesses fidèle ; On gaspille des biens que l'on rêve sans fin... Mais, qu'on voudrait, le soir, revenir au matin ! Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ? De mes jours les plus doux je crains le lendemain, Je pose sur mes yeux une tremblante main. L'avenir est pour nous un mensonge, un mystère ; N'y jetons pas trop tôt un regard téméraire. Quand le soleil est pur, sur les épis fauchés Dormons, et reposons longtemps nos fronts penchés ; Et ne demandons pas si les moissons futures Auront des champs féconds, des gerbes aussi mûres. Bornons notre horizon.... Mais l'esprit insoumis Repousse et rompt le frein que lui-même avait mis. Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ? Souvent de mes amis j'imagine l'oubli : C'est le soir, au printemps, quand le jour affaibli Jette l'ombre en mon cœur ainsi que sur la terre ; Emportant avec lui l'espoir et la lumière ; Rêveuse, je me dis : « Pourquoi m'aimeraient-ils ? De nos affections les invisibles fils Se brisent chaque jour au moindre vent qui passe, Comme on voit que la brise enlève au loin et casse Ces fils blancs de la Vierge, errants au sein des cieux ; Tout amour sur la terre est incertain comme eux ! » Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ? C'est que, petit oiseau, tu voles loin de nous ; L'air qu'on respire au ciel est plus pur et plus doux. Ce n'est qu'avec regret que ton aile légère, Lorsque les cieux sont noirs, vient effleurer la terre. Ah ! que ne pouvons-nous, te suivant dans ton vol, Oubliant que nos pieds sont attachés au sol, Élever notre cœur vers la voûte éternelle, Y chercher le printemps comme fait l'hirondelle, Détourner nos regards d'un monde malheureux, Et, vivant ici-bas, donner notre âme aux cieux ! Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ?

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