L’autre La nuit je l’entends attablé
se consumant à mon bureau
les touches craquent
il redouble de violence
je le sens
à la lueur fébrile de l’aube
essayer de gagner du temps sur moi
ses traits sont presque identiques aux miens
l’obscurité allonge un peu plus ses mains
mais son âme coule aux bouts de ses doigts
tandis que la mienne végète
pas un mot qui ne soit éprouvé
le manuscrit que je récupère au petit matin
est le testament d’un damné
il y a 7 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Chant de l’honneur Le poète
Je me souviens ce soir de ce drame indien
Le Chariot d’Enfant un voleur y survient
Qui pense avant de faire un trou dans la muraille
Quelle forme il convient de donner à l’entaille
Afin que la beauté ne perde pas ses droits
Même au moment d’un crime
Et nous aurions je crois
À l’instant de périr nous poètes nous hommes
Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes
Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté
N’est la plupart du temps que la simplicité
Et combien j’en ai vu qui morts dans la tranchée
Étaient restés debout et la tête penchée
S’appuyant simplement contre le parapet
J’en vis quatre une fois qu’un même obus frappait
Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes
Avec l’aspect penché de quatre tours pisanes
Depuis dix jours au fond d’un couloir trop étroit
Dans les éboulements et la boue et le froid
Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture
Anxieux nous gardons la route de Tahure
J’ai plus que les trois cœurs des poulpes pour souffrir
Vos cœurs sont tous en moi je sens chaque blessure
O mes soldats souffrants ô blessés à mourir
Cette nuit est si belle où la balle roucoule
Tout un fleuve d’obus sur nos têtes s’écoule
Parfois une fusée illumine la nuit
C’est une fleur qui s’ouvre et puis s’évanouit
La terre se lamente et comme une marée
Monte le flot chantant dans mon abri de craie
Séjour de l’insomnie incertaine maison
De l’Alerte la Mort et la Démangeaison
LA TRANCHEE
O jeunes gens je m’offre à vous comme une épouse
Mon amour est puissant j’aime jusqu’à la mort
Tapie au fond du sol je vous guette jalouse
Et mon corps n’est en tout qu’un long baiser qui mord
LES BALLES
De nos ruches d’acier sortons à tire-d’aile
Abeilles le butin qui sanglant emmielle
Les doux rayons d’un jour qui toujours renouvelle
Provient de ce jardin exquis l’humanité
Aux fleurs d’intelligence à parfum de beauté
LE POETE
Le Christ n’est donc venu qu’en vain parmi les hommes
Si des fleuves de sang limitent les royaumes
Et même de l’Amour on sait la cruauté
C’est pourquoi faut au moins penser à la Beauté
Seule chose ici-bas qui jamais n’est mauvaise
Elle porte cent noms dans la langue française
Grâce Vertu Courage Honneur et ce n’est là
Que la même Beauté
LA FRANCE
Poète honore-la
Souci de la Beauté non souci de la Gloire
Mais la Perfection n’est-ce pas la Victoire
LE POETE
O poètes des temps à venir ô chanteurs
Je chante la beauté de toutes nos douleurs
J ’en ai saisi des traits mais vous saurez bien mieux
Donner un sens sublime aux gestes glorieux
Et fixer la grandeur de ces trépas pieux
L’un qui détend son corps en jetant des grenades
L’ autre ardent à tirer nourrit les fusillades
L’autre les bras ballants porte des seaux de vin
Et le prêtre-soldat dit le secret divin
J’interprète pour tous la douceur des trois notes
Que lance un loriot canon quand tu sanglotes
Qui donc saura jamais que de fois j’ai pleuré
Ma génération sur ton trépas sacré
Prends mes vers ô ma France Avenir Multitude
Chantez ce que je chante un chant pur le prélude
Des chants sacrés que la beauté de notre temps
Saura vous inspirer plus purs plus éclatants
Que ceux que je m’efforce à moduler ce soir
En l’honneur de l’Honneur la beauté du Devoir
17 décembre 1915
il y a 7 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
La ceinture La muse
Depuis longtemps déjà je t’ai laissé tout seul
Cependant me voici t’apportant mon mensonge
Poète sois joyeux tu sembles un linceul
Regarde-moi c’est moi je ne suis pas un songe
Le poète
Ô muse je tremblais de ne plus te revoir
Voici ton doux regard voici ta robe ouverte
Et ta ceinture enfin qui me fait concevoir
Un exquis dénouement devant cette mer verte
L’Amour
Va ne t’excite pas ta Muse qui revient
Ne t’aime maintenant plus qu’à travers l’espace
Mais prends-lui deux baisers comme un suprême bien
Et sois content surtout puisque tout lasse et passe
Le poète
Mais Amour tu sais bien que je suis maladroit
Dérobe sa ceinture et m’en fais ma couronne
Je me contenterai de penser à l’endroit
Où pressait ce ruban sur sa belle personne
La muse
Poète me voici j’ai deux baisers pour toi
Je t’aimerais toujours d’un amour platonique
Mais toi tu m’appartiens je suis ta seule loi
Et reçois ma ceinture en un don magnifique
Le poète
J’adore ta ceinture ô Muse mon amour
Elle est ronde comme le monde et ta mamelle
Elle est ouverte au centre ainsi ta bouche pour
Rire et longue comme un vers à rime éternelle
Elle est mon art elle est ma vie et ma douleur
Elle est l’illusion elle est toute lumière
Elle la grande beauté la multiple couleur
Et ma muse en second puisque part le première
Elle est ta forme aussi car elle a pris ton corps
Elle a saisi ton corps comme une belle proie
Va-t’en va-t’en là-bas vers les Ests et les Nords
Où t’entraînent l’Amour la Bravoure et la Joie
Et quand je m’en irai là-bas ou bien ailleurs
Ma muse me suivra ta ceinture idéale
Irréel arc-en-ciel aux sept belles couleurs
Qui décorent ce soir le ciel sur la mer pâle
La muse
Adieu je pars adieu tu m’attends à jamais
L’Amour s’impatiente et la nuit va descendre
Le poète
Eh ! que m’importe à moi puisque moi je t’aimais
Ce soir j’ai dénoué ta ceinture à jamais
Et toi tu n’as de moi pas même un brin de cendre
L’Amour
Espère dans l’Amour Poète il reviendra
Te ramener ta Muse avec sa robe ouverte
Ce que l’Amour a dit Poète il le fera
Adieu la nuit descend et la mer n’est plus verte
Le poète
Adieu petit Amour petit enfant ingrat
Enfin me voici seul dans la nuit incolore
Toi qui n’existes pas CEINTURE je t’adore
Nîmes, le 29 mars 1915
il y a 7 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
La tortue Du Thrace magique, ô délire !
Mes doigts sûrs font sonner la lyre.
Les animaux passent aux sons
De ma tortue, de mes chansons.
il y a 7 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Le brasier J’ai jeté dans le noble feu
Que je transporte et que j’adore
De vives mains et même feu
Ce Passé ces têtes de morts
Flamme je fais ce que tu veux
Le galop soudain des étoiles
N’étant que ce qui deviendra
Se mêle au hennissement mâle
Des centaures dans leurs haras
Et des grand’plaintes végétales
Où sont ces têtes que j’avais
Où est le Dieu de ma jeunesse
L’amour est devenu mauvais
Qu’au brasier les flammes renaissent
Mon âme au soleil se dévêt
Dans la plaine ont poussé des flammes
Nos cœurs pendent aux citronniers
Les têtes coupées qui m’acclament
Et les astres qui ont saigné
Ne sont que des têtes de femmes
Le fleuve épinglé sur la ville
T’y fixe comme un vêtement
Partant à l’amphion docile
Tu subis tous les tons charmants
Qui rendent les pierres agiles
Je flambe dans le brasier à l’ardeur adorable
Et les mains des croyants m’y rejettent multiple innombrablement
Les membres des intercis flambent auprès de moi
Éloignez du brasier les ossements
Je suffis pour l’éternité à entretenir le feu de mes délices
Et des oiseaux protègent de leurs ailes ma face et le soleil
Ô Mémoire Combien de races qui forlignent
Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur
Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes
Qui étaient immortels et n’étaient pas chanteurs
Voici ma vie renouvelée
De grands vaisseaux passent et repassent
Je trempe une fois encore mes mains dans l’Océan
Voici le paquebot et ma vie renouvelée
Ses flammes sont immenses
Il n’y a plus rien de commun entre moi
Et ceux qui craignent les brûlures
Descendant des hauteurs où pense la lumière
Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles
L’avenir masqué flambé en traversant les cieux
Nous attendons ton bon plaisir ô mon amie
J’ose à peine regarder la divine mascarade
Quand bleuira sur l’horizon la Désirade
Au delà de notre atmosphère s’élève un théâtre
Que construisit le ver Zamir sans instrument
Puis le soleil revint ensoleiller les places
D’une ville marine apparue contremont
Sur les toits se reposaient les colombes lasses
Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie
À petits pas Il orra le chant du pâtre toute la vie
Là-haut le théâtre est bâti avec le feu solide
Comme les astres dont se nourrit le vide
Et voici le spectacle
Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil
Ma tête mes genoux mes coudes vain pentacle
Les flammes ont poussé sur moi comme des feuilles
Des acteurs inhumains claires bêtes nouvelles
Donnent des ordres aux hommes apprivoisés
Terre
Ô Déchirée que les fleuves ont reprisée
J’aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries
Vouloir savoir pour qu’enfin on m’y dévorât
il y a 7 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Le cheval Mes durs rêves formels sauront te chevaucher,
Mon destin au char d’or sera ton beau cocher
Qui pour rênes tiendra tendus à frénésie,
Mes vers, les parangons de toute poésie.
il y a 7 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Le larron Choeur
Maraudeur étranger malheureux malhabile
Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits
Mais puisque tu as faim que tu es en exil
Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui
LARRON
Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs
Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler
Et sachez que j’attends de moyennes tortures
Injustes si je rends tout ce que j’ai volé
VIEILLARD
Issu de l’écume des mers comme Aphrodite
Sois docile puisque tu es beau Naufragé
Vois les sages te font des gestes socratiques
Vous parlerez d’amour quand il aura mangé
CHŒUR
Maraudeur étranger malhabile et malade
Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit
Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades
As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits
LARRON
Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes
Ouïr ta voix figure en nénie ô maman
Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère et l’adulte
Du prétexte sinon que s’aimer nuitamment
Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes
Et des amandes de pomme de pin jonchaient
Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames
Et mon couteau punique au pied de ce pêcher
Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide
Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus
Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades
Et presque toutes les figues étaient fendues
L’ACTEUR
Il entra dans la salle aux fresques qui figurent
L’inceste solaire et nocturne dans les nues
Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures
Au son des cinyres des Lydiennes nues
Or les hommes ayant des masques de théâtre
Et les femmes ayant des colliers où pendait
La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre
Parlaient entre eux le langage de la Chaldée
Les autans langoureux dehors feignaient l’automne
Les convives c’étaient tant de couples d’amants
Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne.
Reçois d’abord le sel puis le pain de froment
Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres
Mais l’outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc
Par ironie veux-tu qu’on serve un plat de fèves
Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond
Une femme lui dit Tu n’invoques personne
Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier
Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes
Veux-tu le talisman heureux de mon collier
Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques
Emplissez de noix la besace du héros
Il est plus noble que le paon pythagorique
Le dauphin la vipère mâle ou le taureau
Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe
Il en est tant venu par la route ou la mer
Conquérants égarés qui s’éloignaient trop vite
Colonnes de clins d’yeux qui fuyaient aux éclairs
CHŒUR
Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes
Passa menant un peuple infime pour l’orgueil
De manger chaque jour les cailles et la manne
Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil
Les puiseurs d’eau barbus coiffés de bandelettes
Noires et blanches contre les maux et les sorts
Revenaient de l’Euphrate et les yeux des chouettes
Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors
Cet insecte jaseur ô poète barbare
Regagnait chastement à l’heure d’y mourir
La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares
Aux crapauds que l’azur et les sources mûrirent.
Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel
Avec de blêmes laurés debout dans les chars
Les statues suant les scurriles les agnelles
Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars
Les veuves précédaient en égrenant des grappes
Les évêques noirs révérant sans le savoir
Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes
Pallas et chantaient l’hymne à la belle mais noire
Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir
Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs
Nous aurons des baisers florentins sans le dire
Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur
Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène ;
Belphégor le soleil le silence ou le chien
Cette furtive ardeur des serpents qui s’entr’aiment
L’ACTEUR
Et le larron des fruits cria Je suis chrétien
CHŒUR
Ah ! Ah ! les colliers tinteront cherront les masques
Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombre prévaut
Ah ! Ah ! le larron de gauche dans la bourrasque
Rira de toi comme hennissent les chevaux
FEMME
Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques
Emplissez de noix la besace du héros
Il est plus noble que le paon pythagorique
Le dauphin la vipère mâle ou le taureau
CHŒUR
Ah ! Ah ! nous secouerons toute la nuit les sistres
La voix ligure était-ce donc un talisman
Et si tu n’es pas de droite tu es sinistre
Comme une tache grise ou le pressentiment
Puisque l’absolu choit la chute est une preuve
Qui double devient triple avant d’avoir été
Nous avouons que les grossesses nous émeuvent
Les ventres pourront seuls nier l’aséité
Vois les vases sont pleins d’humides fleurs morales
Va-t’en mais dénudé puisque tout est à nous
Ouïs du chœur des vents les cadences plagales
Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou
L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair
Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi
Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères
Et puis aucun de nous ne croirait tes récits
Il brillait et attirait comme la pantaure
Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée
Et les femmes la nuit feignant d’être des taures
L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’en effet
Il était pâle il était beau comme un roi ladre
Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée
La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre
Au lieu du roseau triste et du funèbre faix
Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Édesse
Maigre et magique il eût scruté le firmament
Pâle et magique il eût aimé des poétesses
Juste et magique il eût épargné les démons
Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre
Soit ! la triade est mâle et tu es vierge et froid
Le tact est relatif mais la vue est oblongue
Tu n’as de signe que le signe de la croix
il y a 7 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Les fiançailles Le printemps laisse errer les fiancés parjures
Et laisse feuilloler longtemps les plumes bleues
Que secoue le cyprès où niche l’oiseau bleu
Une Madone à l’aube a pris les églantines
Elle viendra demain cueillir les giroflées
Pour mettre aux nids des colombes qu’elle destine
Au pigeon qui ce soir semblait le Paraclet
Au petit bois de citronniers s’enamourèrent
D’amour que nous aimons les dernières venues
Les villages lointains sont comme leurs paupières
Et parmi les citrons leurs cœurs sont suspendus
Mes amis m’ont enfin avoué leur mépris
Je buvais à pleins verres les étoiles
Un ange a exterminé pendant que je dormais
Les agneaux les pasteurs des tristes bergeries
De faux centurions emportaient le vinaigre
Et les gueux mal blessés par l’épurge dansaient
Étoiles de l’éveil je n’en connais aucune
Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune
Des croque-morts avec des bocks tintaient des glas
À la clarté des bougies tombaient vaille que vaille
Des faux-cols sur des flots de jupes mal brossées
Des accouchées masquées fêtaient leurs relevailles
La ville cette nuit semblait un archipel
Des femmes demandaient l’amour et la dulie
Et sombre sombre fleuve je me rappelle
Les ombres qui passaient n’étaient jamais jolies
Je n’ai plus même pitié de moi
Et ne puis exprimer mon tourment de silence
Tous les mots que j’avais à dire se sont changés en étoiles
Un Icare tente de s’élever jusqu’à chacun de mes yeux
Et porteur de soleils je brûle au centre de deux nébuleuses
Qu’ai-je fait aux bêtes théologales de l’intelligence
Jadis les morts sont revenus pour m’adorer
Et j’espérais la fin du monde
Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan
J’ai eu le courage de regarder en arrière
Les cadavres de mes jours
Marquent ma route et je les pleure
Les uns pourrissent dans les églises italiennes
Ou bien dans de petits bois de citronniers
Qui fleurissent et fructifient
En même temps et en toute saison
D’autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes
Où d’ardents bouquets rouaient
Aux yeux d’une mulâtresse qui inventait la poésie
Et les roses de l’électricité s’ouvrent encore
Dans le jardin de ma mémoire
Pardonnez-moi mon ignorance
Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers
Je ne sais plus rien et j’aime uniquement
Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes
Je médite divinement
Et je souris des êtres que je n’ai pas créés
Mais si le temps venait où l’ombre enfin solide
Se multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour
J’admirerais mon ouvrage
J’observe le repos du dimanche
Et je loue la paresse
Comment comment réduire
L’infiniment petite science
Que m’imposent mes sens
L’un est pareil aux montagnes au ciel
Aux villes à mon amour
Il ressemble aux saisons
Il vit décapité sa tête est le soleil
Et la lune son cou tranché
Je voudrais éprouver une ardeur infinie
Monstre de mon ouïe tu rugis et tu pleures
Le tonnerre te sert de chevelure
Et tes griffes répètent le chant des oiseaux
Le toucher monstrueux m’a pénétré m’empoisonne
Mes yeux nagent loin de moi
Et les astres intacts sont mes maîtres sans épreuve
La bête des fumées a la tête fleurie
Et le monstre le plus beau
Ayant la saveur du laurier se désole
À la fin les mensonges ne me font plus peur
C’est la lune qui cuit comme un œuf sur le plat
Ce collier de gouttes d’eau va parer la noyée
Voici mon bouquet de fleurs de la Passion
Qui offrent tendrement deux couronnes d’épines
Les rues sont mouillées de la pluie de naguère
Des anges diligents travaillent pour moi à la maison
La lune et la tristesse disparaîtront pendant
Toute la sainte journée
Toute la sainte journée j’ai marché en chantant
Une dame penchée à sa fenêtre m’a regardé longtemps
M’éloigner en chantant
Au tournant d’une rue je vis des matelots
Qui dansaient le cou nu au son d’un accordéon
J’ai tout donné au soleil
Tout sauf mon ombre
Les dragues les ballots les sirènes mi-mortes
À l’horizon brumeux s’enfonçaient les trois-mâts
Les vents ont expiré couronnés d’anémones
Ô Vierge signe pur du troisième mois
Templiers flamboyants je brûle parmi vous
Prophétisons ensemble ô grand maître je suis
Le désirable feu qui pour vous se dévoue
Et la girande tourne ô belle ô belle nuit
Liens déliés par une libre flamme Ardeur
Que mon souffle éteindra Ô Morts à quarantaine
Je mire de ma mort la gloire et le malheur
Comme si je visais l’oiseau de la quintaine
Incertitude oiseau feint peint quand vous tombiez
Le soleil et l’amour dansaient dans le village
Et tes enfants galants bien ou mal habillés
Ont bâti ce bûcher le nid de mon courage
il y a 7 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Lul de faltenin Sirènes j’ai rampé vers vos
Grottes tiriez aux mers la langue
En dansant devant leurs chevaux
Puis battiez de vos ailes d’anges
Et j’écoutais ces chœurs rivaux
Une arme ô ma tête inquiète
J’agite un feuillard défleuri
Pour écarter l’haleine tiède
Qu’exhalent contre mes grands cris
Vos terribles bouches muettes
Il y a là-bas la merveille
Au prix d’elle que valez-vous
Le sang jaillit de mes otelles
À mon aspect et je l’avoue
Le meurtre de mon double orgueil
Si les bateliers ont ramé
Loin des lèvres à fleur de l’onde
Mille et mille animaux charmés
Flairant la route à la rencontre
De mes blessures bien-aimées
Leurs yeux étoiles bestiales
Éclairent ma compassion
Qu’importe ma sagesse égale
Celle des constellations
Car c’est moi seul nuit qui t’étoile
Sirènes enfin je descends
Dans une grotte avide J’aime
Vos yeux Les degrés sont glissants
Au loin que vous devenez naines
N’attirez plus aucun passant
Dans l’attentive et bien-apprise
J’ai vu feuilloler nos forêts
Mer le soleil se gargarise
Où les matelots désiraient
Que vergues et mâts reverdissent
Je descends et le firmament
S’est changé très vite en méduse
Puisque je flambe atrocement
Que mes bras seuls sont les excuses
Et les torches de mon tourment
Oiseaux tiriez aux mers la langue
Le soleil d’hier m’a rejoint
Les otelles nous ensanglantent
Dans le nid des Sirènes loin
Du troupeau d’étoiles oblongues
il y a 7 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
L’ermite Un ermite déchaux près d’un crâne blanchi
Cria Je vous maudis martyres et détresses
Trop de tentations malgré moi me caressent
Tentations de lune et de logomachies
Trop d’étoiles s’enfuient quand je dis mes prières
Ô chef de morte Ô vieil ivoire Orbites Trous
Des narines rongées J’ai faim Mes cris s’enrouent
Voici donc pour mon jeûne un morceau de gruyère
Ô Seigneur flagellez les nuées du coucher
Qui vous tendent au ciel de si jolis culs roses
Et c’est le soir les fleurs de jour déjà se closent
Et les souris dans l’ombre incantent le plancher
Les humains savent tant de jeux l’amour la mourre
L’amour jeu des nombrils ou jeu de la grande oie
La mourre jeu du nombre illusoire des doigts
Seigneur faites Seigneur qu’un jour je m’enamoure
J’attends celle qui me tendra ses doigts menus
Combien de signes blancs aux ongles les paresses
Les mensonges pourtant j’attends qu’elle les dresse
Ses mains enamourées devant moi l’Inconnue
Seigneur que t’ai-je fait Vois Je suis unicorne
Pourtant malgré son bel effroi concupiscent
Comme un poupon chéri mon sexe est innocent
D’être anxieux seul et debout comme une borne
Seigneur le Christ est nu jetez jetez sur lui
La robe sans couture éteignez les ardeurs
Au puits vont se noyer tant de tintements d’heures
Quand isochrones choient des gouttes d’eau de pluie
J’ai veillé trente nuits sous les lauriers-roses
As-tu sué du sang Christ dans Gethsémani
Crucifié réponds Dis non Moi je le nie
Car j’ai trop espéré en vain l’hématidrose
J’écoutais à genoux toquer les battements
Du cœur le sang roulait toujours en ses artères
Qui sont de vieux coraux ou qui sont des clavaires
Et mon aorte était avare éperdument
Une goutte tomba Sueur Et sa couleur
Lueur Le sang si rouge et j’ai ri des damnés
Puis enfin j’ai compris que je saignais du nez
À cause des parfums violents de mes fleurs
Et j’ai ri du vieil ange qui n’est point venu
De vol très indolent me tendre un beau calice
J’ai ri de l’aile grise et j’ôte mon cilice
Tissé de crins soyeux par de cruels canuts
Vertuchou Riotant des vulves des papesses
De saintes sans tetons j’irai vers les cités
Et peut-être y mourir pour ma virginité
Parmi les mains les peaux les mots et les promesses
Malgré les autans bleus je me dresse divin
Comme un rayon de lune adoré par la mer
En vain j’ai supplié tous les saints aémères
Aucun n’a consacré mes doux pains sans levain
Et je marche Je fuis ô nuit Lilith ulule
Et clame vainement et je vois de grands yeux
S’ouvrir tragiquement Ô nuit je vois tes cieux
S’étoiler calmement de splendides pilules
Un squelette de reine innocente est pendu
À un long fil d’étoile en désespoir sévère
La nuit les bois sont noirs et se meurt l’espoir vert
Quand meurt le jour avec un râle inattendu
Et je marche je fuis ô jour l’émoi de l’aube
Ferma le regard fixe et doux de vieux rubis
Des hiboux et voici le regard des brebis
Et des truies aux tetins roses comme des lobes
Des corbeaux éployés comme des tildes font
Une ombre vaine aux pauvres champs de seigle mûr
Non loin des bourgs où des chaumières sont impures
D’avoir des hiboux morts cloués à leur plafond
Mes kilomètres longs Mes tristesses plénières
Les squelettes de doigts terminant les sapins
Ont égaré ma route et mes rêves poupins
Souvent et j’ai dormi au sol des sapinières
Enfin Ô soir pâmé Au bout de mes chemins
La ville m’apparut très grave au son des cloches
Et ma luxure meurt à présent que j’approche
En entrant j’ai béni les foules des deux mains
Cité j’ai ri de tes palais tels que des truffes
Blanches au sol fouillé de clairières bleues
Or mes désirs s’en vont tous à la queue leu leu
Ma migraine pieuse a coiffé sa cucuphe
Car toutes sont venues m’avouer leurs péchés
Et Seigneur je suis saint par le vœu des amantes
Zélotide et Lorie Louise et Diamante
On dit Tu peux savoir ô toi l’effarouché
Ermite absous nos fautes jamais vénielles
Ô toi le pur et le contrit que nous aimons
Sache nos cœurs cache les jeux que nous aimons
Et nos baisers quintessenciés comme du miel
Et j’absous les aveux pourpres comme leur sang
Des poétesses nues des fées des fornarines
Aucun pauvre désir ne gonfle ma poitrine
Lorsque je vois le soir les couples s’enlaçant
Car je ne veux plus rien sinon laisser se clore
Mes yeux couple lassé au verger pantelant
Plein du râle pompeux des groseilliers sanglants
Et de la sainte cruauté des passiflores
il y a 7 mois
Guy de Maupassant
@guyDeMaupassant
La Saint-Charlemagne Certes, mes bons amis, je ne sais rien de pire
Que de faire des vers quand on n’a rien à dire.
Depuis bientôt un mois j’attendais tous les jours
Une inspiration… Mais je l’attends toujours.
Ma verve s’est éteinte, il faut qu’on la rallume.
Mon pauvre esprit grelotte et ma Muse a le rhume.
Moi je dors… L’autre jour, soudain, Truffey me dit:
« Tu sais que nous fêtons notre saint, mercredi. »
Mercredi, Dieu puissant! mercredi! mais que faire?
Invoquer Charlemagne, ou rester et me taire?
« Charlemagne! Ô grand saint! Qui sait combien de fois
Tu rendis l’espérance au poète aux abois!
Combien de malheureux dont la Muse en détresse
De ton nom protecteur a caché la faiblesse! »
Et vers le paradis je dirige mes pas.
Nous abrégeons la pièce, qui est un peu longue. Le jeune
Maupassant arrive au paradis. Saint Pierre le conduit auprès
de Charlemagne, qui interrompt son dîner et l’accueille avec
bienveillance:
Charlemagne pourtant, me prenant à l’écart:
« De mes desseins, dit-il, je veux te faire part.
France, oh! mon beau pays, mes braves capitaines,
Mes vieux soldats durcis dans les guerres lointaines,
J’ai voulu que les fils de héros éprouvés
Ne soient pas des adolescents dégénérés.
J’ai fait de vous, enfants, une brave milice,
Et j’ai dans le collège introduit l’exercice.
En vos mains j’ai placé le fusil chassepot;
De la France aujourd’hui vous portez le drapeau.
Que voulez-vous encor? » « Un seul jour de vacance. »
« Comment! En mon honneur vous avez fait bombance,
Vous avez eu deux jours? » « Oh! non, rien qu’un demi. »
« Un demi-jour pour moi? Tu mens, mon bon ami. »
« Pardon, grand saint!… » Alors je lui contai l’affaire.
Tout le ciel frissonna du bruit de sa colère.
« Comment! dans ce collège il n’est point de recteur? »
« Il n’aime que l’étude. » « Et pas de proviseur? »
« Oui nous en avons un et c’est pour nous un père.
Il est bon, nous l’aimons, mais il ne peut rien faire
Contre l’ordre d’en haut. On ne se plaindrait pas
Si nous allions chez nous au moins le Lundi gras.
On le donne à Paris, et nous – on nous en prive. »
« Morbleu! dit-il, il faut de suite que j’écrive
Pour en demander compte à l’Université!
Je veux qu’entre vous tous règne l’égalité.
Même peine et travail et même récompense.
Vous aurez les jours gras, morbleu! Est-ce qu’on pense
Que je vous laisserai maltraiter plus longtemps!
Allez, mes bons amis, vous serez tous contents.
Je ne suis pas si doux qu’on pourrait bien le croire!
Alcuin! mon buvard! vite! mon écritoire!
Comment vont le calcul, le grec et le latin? »
« Si le grec boite un peu, le latin va très bien,
Mais le calcul, hélas!… »
Mon Dieu, quelle tempête!
Alcuin me jeta son buvard à la tête.
Avec ce furieux je me crus en danger,
Et partis aussitôt sans demander congé.
(28 janvier 1869)
il y a 7 mois
Gérard de Nerval
@gerardDeNerval
A béranger Ode
Des chants, voilà toute sa vie !
Ainsi qu’un brouillard vaporeux,
Le souffle animé de l’envie
Glissa sur son coeur généreux
Toujours sa plus chère espérance
Rêva le bonheur de la France ;
Toujours il respecta les lois…
Mais les haines sont implacables,
Et sur le banc des vils coupables
La vertu s’assied quelquefois.
Qu’a-t-il fait ? pourquoi le proscrire ?
Ah ! c’est encor pour des chansons :
Courage ! étouffez la satire,
Au lieu d’écouter ses leçons.
Quand une secte turbulente,
Levant sa tête menaçante,
Brave les décrets souverains,
Vous restez muets, sans vengeance,
Et vous n’usez de la puissance
Que pour combattre des refrains…
Ô Béranger ! muse chérie !
Toi dont la voix unit toujours
Le souvenir de la patrie
Au souvenir de tes amours,
Tendre ami, poète sublime,
Du pouvoir jaloux qui t’opprime
Tes nobles chants seront vainqueurs ;
Car ils parlent de notre gloire,
Et, comme un récit de victoire,
Ils ont fait palpiter nos coeurs.
Un jour viendra, la France émue
Rendra justice à tes vertus ;
On verra surgir ta statue…
Mais alors tu ne seras plus !
Car un poète,sur la terre
Doit lutter contre la misère
Et des détracteurs odieux,
Jusqu’au jour où, brisant ses chaînes,
Le droit vient terminer ses peines
Et le placer au rang des dieux.
Mais nous que charma son délire
Quand il chantait la liberté,
Accourons, enfants de la lyre,
Devançons la postérité.
Pour célébrer notre poète,
Pour poser des fleurs sur sa tête,
N’attendons pas qu’il ait vécu…
Si dans la lutte qui s’engage
Son sort doit être l’esclavage,
Redisons tous : Gloire au vaincu !
il y a 7 mois
I
Isaac Lerutan
@isaacLerutan
L’âme errante Gloire à celui qui sous le feu de l’existence
Donna sens à la vie et à ses plaisirs sains
Loin de la brume froide, témoin de ses carences
De ses pseudo-pouvoirs, un seul n’en fût le sien
Par delà les frontières et leurs sols en souffrance
Où d’autr’âmes s’entachent d’innombrables venins
De cette fourmilière règne son espérance
Si l’ombre d’un soleil le pique un beau matin
De ces matins fertiles, la vie donna la chance
À ce cher inconnu, ignorant son destin
Gloire à la poésie et gloire à l’innocence
De ce cri, l’âme errante en trouva le chemin…
il y a 7 mois
J
Jacques Viallebesset
@jacquesViallebesset
La parole retrouvée Les mots sont feuilles mortes
Usés trop usés d’avoir trop mal servi
Ils jonchent vos vies devant votre porte
A force de ne les avoir pensés ni ressentis
Vous ne savez que parler
Alors que c’est DIRE qu’il faudrait
Comment retrouver l’arbre vivant
Sous l’écorce de bois mort
Et qui croire désormais
En sachant que c’est vrai
Comment palper du bout des doigts
Les gouttes de résine du sens
Derrière les apparences
Et retrouver la flamme
Dans les fossiles et la cendre
Comment dire à une femme
En étant sûr qu’elle va vous rendre
Comment être compris maintenant
Et pouvoir faire autrement
En épanchant ses sentiments
Que de faire couler son propre sang
Et comment écrire ses espoirs et ses rêves
Sans tremper sa plume dans la sève
Comment dire l’Amour et la Joie
En partageant confiance et foi
Et plus encore dire » je t’aime «
Et être entendu de même
Faudra-t-il donc me taire
Et accepter que l’on m’enterre
Sans avoir su sans avoir pu
Et que jamais jamais plus
La lettre est sédentaire
Mais le sens, lui, est nomade
Ah ! Crier que mon cœur bat la chamade
Une dernière fois à la face de l’univers
L’arbre de mes poèmes
Saura cacher la forêt de vos paroles
Son feuillage vibre et chante sous les archets du vent
Il est peuplé de piafs de libellules de tourterelles
Qui portent ce message des confins de la terre à leurs pôles
Et, en vrai, on s’aime dans l’Agapè
Comme des frères, des amis et des amants
Mutuellement et réciproquement.
il y a 7 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
La femme noyée Je ne suis pas de ceux qui disent: « Ce n’est rien,
C’est une femme qui se noie. »
Je dis que c’est beaucoup ; et ce sexe vaut bien
Que nous le regrettions, puisqu’il fait notre joie;
Ce que j’avance ici n’est point hors de propos,
Puisqu’il s’agit en cette fable,
D’une femme qui dans les flots
Avait fini ses jours par un sort déplorable.
Son époux en cherchait le corps,
Pour lui rendre, en cette aventure,
Les honneurs de la sépulture.
Il arriva que sur les bords
Du fleuve auteur de sa disgrâce
Des gens se promenaient ignorants l’accident.
Ce mari donc leur demandant
S’ils n’avaient de sa femme aperçu nulle trace:
«Nulle, reprit l’un d’eux; mais cherchez-la plus bas;
Suivez le fil de la rivière.»
Un autre repartit: » Non, ne le suivez pas;
Rebroussez plutôt en arrière:
Quelle que soit la pente et l’inclination
Dont l’eau par sa course l’emporte,
L’esprit de contradiction
L’aura fait flotter d’autre sorte.»
Cet homme se raillait assez hors de saison.(8)
Quant à l’humeur contredisante,
Je ne sais s’il avait raison;
Mais que cette humeur soit ou non ,
Le défaut du sexe (9) et sa pente,
Quiconque avec elle naîtra
Sans faute avec elle mourra,
Et jusqu’au bout contredira,
Et, s’il peut, encor par delà.
il y a 7 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
La montagne qui accouche Une Montagne en mal d’enfant
Jetait une clameur si haute,
Que chacun au bruit accourant
Crut qu’elle accoucherait sans faute,
D’une Cité plus grosse que Paris :
Elle accoucha d’une Souris.
Quand je songe à cette Fable
Dont le récit est menteur
Et le sens est véritable,
Je me figure un Auteur
Qui dit : Je chanterai la guerre
Que firent les Titans au Maître du tonnerre.
C’est promettre beaucoup : mais qu’en sort-il souvent ?
Du vent.
Jean de La Fontaine
il y a 7 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
Arc en ciel Poème andernosien
« et un arbre avec un nom bizarre,
un arbre comme tous les arbres,
a grandi en moi,
n’importe où »
Hilde Domin
Mit leichtem Gepäck
ce soir, ma machine à tisser les songes se dérobe
devant la tragédie cosmique de la vie ;
à ma toile se prennent les petits, les sans-grade,
les humbles
ils crient : où est ton arc-en-ciel?
et je rêve que dieu existe
ce soir me vient l’envie d’écarter d’un revers de la main
des poèmes d’espoir que personne ne lira
ne lyra
mais les humbles me crient: Villebramar! Villebramar!
que fais-tu de ton soleil?
Alors me relevant je pose le métier sur la table
et j’attends,
les humbles, toujours m’interpellant :
où est ton arc-en ciel?
Ce soir, à ma toile se prennent
les petits, les sans-grade, les humbles,
et je rêve que dieu existe
il y a 7 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
Chant du coq «Attention ! le nègre est devenu
de plus en plus fort
aussi fort que le grand diable»
Gabriel Okoundji
La poésie se lit les yeux clos
S’écoute dans le silence du sommeil
Se vit dans les battements de ton coeur.
Elle s’écrit sur les murs de cavernes anciennes, témoignage
de l’angoisse des premiers temps.
S’enroule sur la crête de très hautes vagues,
retombe à l’approche des brisants.
La poésie s’écrit.
La poésie s’écrit sur le sable.
La poésie est le sable même, la poésie est Nous.
N’en restera que la plage, en fin.
La poésie ne s’écrit pas.
Entre les pages de l’herbier,
une fleur a perdu le souffle, et les pétales, leur couleur.
Ainsi est le poème.
Non, la poésie ne s’écrit pas.
Tenez sa main si le pouvez, mais n’espérez rien.
Ne dites mot.
Car les esprits de la poésie et ceux de la forêt sont les mêmes :
ils disparaissent au premier chant du coq.
il y a 7 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
Comme toujours dans la vraie vie Certains soirs,
en poésie,
il y a des poèmes qui ne parlent plus
fatigués par une trop longue journée de travail
on a envie de leur dire : allez ailleurs raconter vos histoires
de désespoir ou d’amour fou ou de n’importe quoi c’est pareil,
allez ailleurs je suis fatigué.
Certains soirs dans la vie il y a des hommes qui ne parlent plus.
Parfois en poésie,
on n’a plus envie
ni d’amour ni d’espoir
juste de fermer les yeux et dormir.
Arrive alors, en poésie
qu’ouvrant au hasard une page
explosent quatre vers comme un volcan,
un sourd-muet en pleurerait
retrouvant la parole
un désespéré sa joie de vivre.
Il arrive que dans la vie, parfois, des hommes
explosent.
Il est vrai que
toujours, en poésie
rire rêver pleurer :
un seul et même mot.
Comme toujours.
Dans la vraie vie.
il y a 7 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
Croix blanche Comment écrire
quand on n’écrit plus
exister
quand on n’existe plus
aimer
quand on ne sait plus
il y a dans l’air d’automne des couleurs qui me font mal
j’ai demandé aux gens heureux
aux enfants
aux chats aux chiens les étendant à d’autres mammifères
(marins compris)
les gens heureux n’écrivent pas
resté : le chat
m’a regardé de ses yeux verts et ironique
immobile
puis de sa patte, sur le sable
a écrit
« comment écrire, quand on n’écrit plus ? »
dans le pré vert où coule la rivière
il y a une croix blanche
il y a 7 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
Estuaires A celle qui m’a dit : « tu mourras seul »
« ese pájaro come a grandes picotazos el silencio
luego alzará el vuelo
cet oiseau mange à grands coups de bec le silence
puis il se mettra à voler »
Victor Rodriguez Nuñez, Cuba
la scène représente un humain présumé poète
un public présumé public
un monde présumé monde
« je me confesse à toi, mon public
qui attendais de la poésie apaisement et rêve
ma poésie est violence et plongée dans les ténèbres de la vie
car la vie est d’abord ténèbres
d’abord angoisse
d’abord peur de vivre
je me confesse à toi, mon public
qui aspirais à l’apaisement des mots
ma poésie est l’inquiétude de l’aube
quand les oiseaux dorment encore, mais disparu l’éclat de la lune
et le soleil nous a abandonnés sans au-revoir.
À toi mon public, qui croyais à l’amour
ma poésie cherchait l’amour
ma poésie cherchait le sourire
et l’abandon dans la folie d’être deux
mais ma compagne a dit : tu mourras seul
devant la grande barrière des montagnes
et depuis me serre à la gorge l’angoisse de la mort.
Je me confesse à toi, mon public, qui attends la joie
ma poésie est le contraire de la joie
ma poésie est jouissance éphémère
soupirs volés dans la pénombre d’une nuit d’été
ma poésie est silence.
À toi, mon public, qui attendais la Sagesse,
ma poésie est folie
errance sur les fleuves de la nuit
en quête d’insaisissables estuaires »
la scène était un humain présumé poète
la scène était un public présumé public
la scène était un monde présumé monde
il y a 7 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
Improvisation Écrire pour son simple plaisir, écrire sans penser au regard, au regard des autres, écrire comme coule un ruisseau, et comme lui se laisser descendre vers la mer
écrire pour moi aussi longtemps qu’il y aura une douleur dans le monde une femme à aimer et maintenant seulement une femme à regarder statue de sel mais ni regrets ni larme
écrire sans se demander comment sera demain ni si mes vers font quatre ou six ou douze pieds
sur ou sous terre écrire comme une improvisation comme faisait Glen Gould de Jean Sébastien Bach écrire comme sur son piano Yamaha avec ses doigts d’ours, écrire avec mes doigts de vivant, et lui, jouer encore avec ses doigts de musicien mort
dire à la page blanche, lui dire quoi ? rien de bien grave, page, page blanche c’est seulement un ruisseau qui coule, une âme en perdition sur les routes de la voie lactée
écrire enfin en pensant à toi et comme j’ai aimé combien combien et follement je t’ai aimée avec l’espoir fou de rentrer dans ton corps corps et âme rentrer rentrer pour plus jamais n’en ressortir
écrire alors que courent les minutes de la nuit, écrire et ce ruisseau, personne ne le voit couler vers la mer, comme personne ne m’a vu t’aimer dans tous les ports du monde dans les pays où jamais nous ne fûmes sinon en rêve sinon en rêve sinon en rêve vaisseau fantôme port fantôme poème fantôme
t’aimer comme coule un ruisseau et comme lui descendre vers la mer
la mer comme un poème improvisé
improvisé.
il y a 7 mois
J
Jean-Pierre Villebramar
@jeanPierreVillebramar
Lettres d’Aquitaine « la journée sera belle ; je la vois filtrer dans tes yeux où elle a commencé, plus trouble, par être si belle »
André Breton
Montée de l’aube ;
la journée sera belle, dit André Breton
plages désertes, luxuriance des mimosas,
que dorment les amants dans les dunes
le jour se lève,
il faut tenter de vivre, disait quelqu’un de mon Occitanie.
D’écrire aussi
à toi,
à ceux qui m’aiment
à ceux ; et celles
Je demande à un ami très cher de traduire
9 poèmes en espagnol
que j’enverrai à Stefano, le priant de faire de même
en italien…
et si naissaient, dans des langues extra-terrestres
un poème, peut-être deux ?
Vivre, écrire,
Exister…
…le temps des vagues ; elles déferlent,
puis se brisent
I had a dream…
la journée fut si belle…
me revient l’évidence
de l’absurde
il y a 7 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Je ne veux point fouiller au sein de la nature Je ne veux point fouiller au sein de la nature,
Je ne veux point chercher l'esprit de l'univers,
Je ne veux point sonder les abîmes couverts,
Ni dessiner du ciel la belle architecture.
Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si hauts arguments ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents divers,
Soit de bien, soit de mal, j'écris à l'aventure.
Je me plains à mes vers, si j'ai quelque regret :
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,
Comme étant de mon coeur les plus sûrs secrétaires.
Aussi ne veux-je tant les peigner et friser,
Et de plus braves noms ne les veux déguiser
Que de papiers journaux ou bien de commentaires.
il y a 7 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Las où est maintenant ce mépris de Fortune Las où est maintenant ce mépris de Fortune
Où est ce coeur vainqueur de toute adversité,
Cet honnête désir de l'immortalité,
Et cette honnête flamme au peuple non commune ?
il y a 7 mois
Jules Laforgue
@julesLaforgue
Veillée d'avril Il doit être minuit. Minuit moins cinq. On dort.
Chacun cueille sa fleur au vert jardin des rêves,
Et moi, las de subir mes vieux remords sans trêves,
Je tords mon cœur pour qu'il s'égoutte en rimes d'or.
Et voilà qu'à songer me revient un accord,
Un air bête d'antan, et sans bruit tu te lèves
Ô menuet, toujours plus gai, des heures brèves
Où j'étais simple et pur, et doux, croyant encor.
Et j'ai posé ma plume. Et je fouille ma vie
D'innocence et d'amour pour jamais défleurie,
Et je reste longtemps, sur ma page accoudé,
Perdu dans le pourquoi des choses de la terre,
Ecoutant vaguement dans la nuit solitaire
Le roulement impur d'un vieux fiacre attardé.
il y a 7 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
A un poète saturnien Ô bruit doux de la pluie
par terre et sur les toits
Ce poète-citadin
ne connaissait pas l’Afrique
aux bêtes et aux enfants
faméliques
sans demeure
sur un sol qui se craquelle
et qui meurent qui meurent…
Sur cette Terre
même l’eau a choisi
la couleur blanche
Le soleil automnal
ou printanier
au pays de Verlaine
Ici
n’est que feu
n’est que haine
Ici où il pleure dans mon coeur
pour ces damnés de la faim
et de la soif
Mon deuil a une raison :
l’indifférence de la nature
est une trahison
il y a 7 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Alliés Faites vos bonds étonnants
mes mots mes dauphins
dans l’indigo de l’inconscient
Apprenez-moi le langage
mystérieux
de votre transparence
à nager dans l’origine
antidote de mon
errance
A califourchon
sur vos dos métissés
permettez
qu’au cours de
ce beau voyage
je trace des signes
pour vous
dessins familiers
sur ma feuille
mon métier à tisser
Faites la beauté coutumière
mes mots mes dauphins
avant de repartir au large
et laisser le poète
à sa marge
il y a 7 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Contre-temps Comme l’enfant fuyant
la forteresse des ans
Aujourd’hui je fuis
l’oublieuse mémoire
Aller et venir
sur la balançoire
de l’éternité
des mots toujours verts
sur l’arbre de l’espérance
sera toujours mon printemps
Pour qui a le verbe en poupe
et le babil des anges
dans le feuillage
des pages
il n’est pas
de mauvais présage
ou de mort
dans l’exil
loin des ports
il y a 7 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Conversation Disséminé dans les lignes
mon corps vous parlera encore
De soie ou de marbre
mes mots
d’un revers de main
chasseront
la poussière des ans
Sous la lampe ou au soleil
votre sourire ou votre air studieux
me donneront la réplique
ô vous mes lecteurs complices
Ainsi va l’écriture
cet élixir de vie ennemie
de la mortelle rature