Le soir A Louis Cabat.
C’est un humble fossé perdu sous le feuillage ;
Les aunes du bosquet les couvrent à demi ;
L’insecte, en l’effleurant, trace un léger sillage
Et s’en vient seul rayer le miroir endormi.
Le soir tombe, et c’est l’heure où se fait le miracle,
Transfiguration qui change tout en or ;
Aux yeux charmés tout offre un ravissant spectacle ;
Le modeste fossé brille plus qu’un trésor.
Le ciel éblouissant, tamisé par les branches,
A plongé dans l’eau noire un lumineux rayon ;
Tombant de tous côtés, des étincelles blanches
Entourent un foyer d’or pâle en fusion.
Aux bords, tout est mystère et douceur infinie.
On y voit s’assoupir quelques fleurs aux tons froids,
Et les reflets confus de verdure brunie
Et d’arbres violets qui descendent tout droits.
Dans la lumière, au loin, des touffes d’émeraude
Vous laissent deviner la ligne des champs blonds,
Et le ciel enflammé d’une teinte si chaude,
Et le soleil tombé qui tremble dans les joncs.
Et dans mon âme émue, alors, quand je compare
L’humilité du site à sa sublimité,
Un délire sacré de mon esprit s’empare,
Et j’entrevois la main de la divinité.
Ce n’est rien et c’est tout. En créant la nature
Dieu répandit partout la splendeur de l’effet ;
Aux petits des oiseaux s’il donne la pâture,
Il prodigue le beau, ce suprême bienfait.
Ce n’est rien et c’est tout. En te voyant j’oublie,
Pauvre petit fossé qui me troubles si fort,
Mes angoisses de coeur, mes rêves d’Italie,
Et je me sens meilleur, et je bénis le sort.
Courrières, 1867
il y a 8 mois
J
Jules Breton
@julesBreton
Les cigales Lorsque dans l’herbe mûre aucun épi ne bouge,
Qu’à l’ardeur des rayons crépite le froment,
Que le coquelicot tombe languissamment
Sous le faible fardeau de sa corolle rouge,
Tous les oiseaux de l’air ont fait taire leurs chants ;
Les ramiers paresseux, au plus noir des ramures,
Somnolents, dans les bois, ont cessé leurs murmures,
Loin du soleil muet incendiant les champs.
Dans les blés, cependant, d’intrépides cigales
Jetant leurs mille bruits, fanfare de l’été,
Ont frénétiquement et sans trêve agité
Leurs ailes sur l’airain de leurs folles cymbales.
Frémissantes, debout sur les longs épis d’or,
Virtuoses qui vont s’éteindre avant l’automne,
Elles poussaient au ciel leur hymne monotone,
Qui dans l’ombre des nuits retentissait encor.
Et rien n’arrêtera leurs cris intarissables;
Quand on les chassera de l’avoine et des blés,
Elles émigreront sur les buissons brûlés
Qui se meurent de soif dans les déserts de sables.
Sur l’arbuste effeuillé, sur les chardons flétris
Qui laissent s’envoler leur blanche chevelure,
On reverra l’insecte à la forte encolure.
Plein d’ivresse, toujours s’exalter dans ses cris ;
Jusqu’à ce qu’ouvrant l’aile en lambeaux arrachée,
Exaspéré, brûlant d’un feu toujours plus pur,
Son œil de bronze fixe et tendu vers l’azur,
Il expire en chantant sur la tige séchée.
il y a 8 mois
J
Jules Breton
@julesBreton
Les ruines Les vieillards, quand près d’eux, semaine par semaine,
Le temps a dévasté, tour à tour, fleurs et fruits,
Les vieillards ont, ainsi que la cité romaine,
Au cœur un forum mort plein de temples détruits ;
Silencieux désert où leur âme promène
Son long ennui stérile, où l’ortie et le buis,
Et l’herbe solitaire, en l’antique domaine,
Ont étouffé l’orgueil des fastes et des bruits;
Où des frontons muets la légende effacée
Sous la rouille des ans dérobe sa pensée.
Plus de chants, les oiseaux aiment les floraisons.
Plus de prisme charmeur irisant les bruines,
Mais de graves soleils, de vastes horizons,
Éclairant la beauté dernière des ruines.
il y a 8 mois
J
Jules Breton
@julesBreton
L’artois À José-Maria de Heredia
I
J’aime mon vieil Artois aux plaines infinies,
Champs perdus dans l’espace où s’opposent, mêlés,
Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies,
Les lins bleus, lacs de fleurs, aux verdures brunies,
L’oeillette, blanche écume, à l’océan des blés.
Au printemps, les colzas aux gais bouquets de chrome,
De leur note si vive éblouissent les yeux ;
Des mousses de velours émaillent le vieux chaume,
Et sur le seuil béni que la verdure embaume
On voit s’épanouir de beaux enfants joyeux.
Chérubins de village avec leur tête ronde,
Leurs cheveux flamboyants qu’allume le soleil ;
De sa poudre dorée un rayon les inonde.
Quelle folle clameur pousse leur troupe blonde,
Quel rire éblouissant et quel éclat vermeil !
Quand nos ciels argentés et leur douce lumière
Ont fait place à l’azur si sombre de l’été ;
Quand les ormes sont noirs, qu’à sec est la rivière ;
Près du chemin blanchi, quand, grise de poussière,
La fleur se crispe et meurt de soif, d’aridité ;
Dans sa fureur l’Été, soufflant sa chaude haleine,
Exaspère la vie et l’enivre de feu ;
Mais si notre sang bout et brûle notre veine,
Bientôt nous rafraîchit la nuit douce et sereine,
Où les mondes ardents scintillent dans le bleu.
II
Artois aux gais talus où les chardons foisonnent,
Entremêlant aux blés leurs têtes de carmin ;
Je t’aime quand, le soir, les moucherons bourdonnent,
Quand tes cloches, au loin, pieusement résonnent,
Et que j’erre au hasard, tout seul sur le chemin.
J’aime ton grand soleil qui se couche dans l’herbe ;
Humilité, splendeur, tout est là, c’est le Beau ;
Le sol fume ; et c’est l’heure où s’en revient, superbe,
La glaneuse, le front couronné de sa gerbe
Et de cheveux plus noirs que l’aile d’un corbeau.
C’est une enfant des champs, âpre, sauvage et fière ;
Et son galbe fait bien sur ce simple décor,
Alors que son pied nu soulève la poussière,
Qu’agrandie et mêlée au torrent de lumière,
Se dressant sur ses reins, elle prend son essor.
C’est elle. Sur son sein tombent des plis de toile ;
Entre les blonds épis rayonne son oeil noir ;
Aux franges de la nue ainsi brille une étoile ;
Phidias eût rêvé le chef-d’oeuvre que voile
Cette jupe taillée à grands coups d’ébauchoir.
Laissant à l’air flotter l’humble tissu de laine,
Elle passe, et gaîment brille la glane d’or,
Et le soleil rougit sur sa face hautaine.
Bientôt elle se perd dans un pli de la plaine,
Et le regard charmé pense la voir encor.
III
Voici l’ombre qui tombe, et l’ardente fournaise
S’éteint tout doucement dans les flots de la nuit,
Au rideau sourd du bois attachant une braise
Comme un suprême adieu. Tout se voile et s’apaise,
Tout devient idéal, forme, couleur et bruit.
Et la lumière avare aux détails se refuse ;
Le dessin s’ennoblit, et, dans le brun puissant,
Majestueusement le grand accent s’accuse ;
La teinte est plus suave en sa gamme diffuse,
Et la sourdine rend le son plus ravissant.
Miracle d’un instant, heure immatérielle,
Où l’air est un parfum et le vent un soupir !
Au crépuscule ému la laideur même est belle,
Car le mystère est l’art : l’éclat ni l’étincelle
Ne valent un rayon tout prêt à s’assoupir.
Mais la nuit vient voiler les plaines infinies,
L’immensité de brume où s’endorment, mêlés,
Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies,
Les lins bleus, lacs de fleurs, les verdures brunies,
L’oeillette, blanche écume, et l’océan des blés.
il y a 8 mois
J
Jules Breton
@julesBreton
Nocturne À Gabriel Marc
La nuit se mêle encore à de vagues pâleurs ;
L’étoile naît, jetant son reflet qui se brouille
Dans la mare dormante où croupit la grenouille.
Les champs, les bois n’ont plus ni formes ni couleurs.
Leurs calices fermés, s’assoupissent les fleurs.
Entrevue à travers le brouillard qui la mouille,
La faucille du ciel fond sa corne et se rouille.
La brume égraine en bas les perles de ses pleurs.
Les constellations sont à peine éveillées,
Et les oiseaux, blottis sous les noires feuillées,
Goûtent, le bec sous l’aile, un paisible repos.
Et dans ce grand sommeil de l’être et de la terre,
Longtemps chante, rêveuse et douce, des crapauds
Mélancoliquement la flûte solitaire.
il y a 8 mois
J
Jules Breton
@julesBreton
Vieux jardins Qui n’aime ces jardins des humbles dont les haies
Sont de neige au printemps, puis s’empourprent de baies
Que visite le merle à l’arrière-saison ;
Où dort, couvert de mousse, un vieux pan de maison
Qu’une vigne gaîment couronne de sa frise,
Sous la fenêtre étroite et que le temps irise ;
Où des touffes de buis d’âge immémorial
Répandent leur parfum austère et cordial ;
Où la vieillesse rend les groseilliers avares ;
Jardinets mesurant à peine quelques ares,
Mais si pleins de verdeurs et de destructions
Qu’on y suivrait le fil des générations;
Où près du tronc caduc et pourri qu’un ver fouille,
Les cheveux allumés, l’enfant vermeil gazouille ;
Où vers le banc verdi les bons vieillards tremblants
Viennent, sur leur béquille appuyant leurs pas lents
Et gardant la gaîté, – car leur âme presbyte
Voit mieux les beaux lointains que la lumière habite, –
D’un regard déjà lourd de l’éternel sommeil,
Tout doucement sourire à leur dernier soleil ?
il y a 8 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Pinceau Dans un champ de coquelicots
une faux oubliée
dans une hémorragie de beauté
La Mort éblouie par tant de vie
s’est enfuie
Deux amants s’aiment
sous le soleil de juin
leur désir froissant les fleurs
qui sourient
Des enfants à venir courent
à perdre haleine
dans les sentiers
où chantent les mots
du poème
il y a 8 mois
K
Khalil Gibran
@khalilGibran
Allez a vos Champs Allez à vos champs et à vos jardins et vous apprendrez
que c’est le plaisir de l’abeille de butiner le miel de la fleur.
Mais c’est aussi le plaisir de la fleur de céder son miel à l’abeille.
Car pour l’abeille une fleur est une source de vie,
Et pour la fleur une abeille est une messagère d’amour,
Et pour les deux, abeille et fleur,
donner et recevoir le plaisir sont un besoin et une extase.
il y a 8 mois
K
Kieran Wall
@kieranWall
Gorges L’eau d’un marine verdâtre
Trompe l’œil
Dessous les ombres albâtres
Des rochers.
Cette tranquille atmosphère
Exiguë
Participe au laisser-faire
Ambiant
Que ponctuent
Les sonneries aquatiques :
Quelque acrobate gagnant
La fraîcheur
Sourde d’une eau hiératique,
Murmurant
Les lézardes de la roche
Dans le temps.
il y a 8 mois
K
Kieran Wall
@kieranWall
Vagabondages L’aurore automnale amène la nostalgie
De la Bretagne et de son ocre névralgie.
La campagne y commence l’effilochement
Au quotidien de sa couverture verte ;
Le début du crépusculaire épanchement
Des feuillages dont la vitalité offerte
Se posera, dense, comme l’effigie brune
De la vie en déclin, sa substance importune.
il y a 8 mois
L
Léon Niangaly
@leonNiangaly
Chant au Baobab Tu trône dans mon fief
Grand Baobab
Coiffé de frondaison
Jet trônerai sous ton ombre
Grand Baobab
Nourri de ton feuillage
Et guéri des brûlures
Portées à mes lèvres
Par la saison sèche
il y a 8 mois
L
Léon Niangaly
@leonNiangaly
Ode aux insectes Fourmillent en moi
Les libellules
Les lucioles
De mes étangs
Comme mes nuées
De rancœurs
Dans le ressac
Des nuits séditieuses
Je te renvoie
Mes Phalènes
Ainsi que mes libellules
Tous mes criquets migrateurs
Et les lucioles
De mes étangs
O Masques Kanaga
il y a 8 mois
M
Maurice Chappaz
@mauriceChappaz
Tendres campagnes Même lit, mêmes cœurs
presque comme à la caserne
avec toi,
avec l'univers entier
dans ta petite chambre.
Cependant d'un sourire d'amitié
je voudrais te faire mal
au moment où je renverserai
le litre de vie perdue.
Lequel dira à l'autre :
«
Passe-moi la gourde » ?
Ht le mort répondra :
«
Elle est vide. »
Tu sais la nudité commune
était notre ration de paradis.
Pourquoi répéter : «
Va-t-en ! »
à ton amoureux.
Le sergent des ombres m'a aussitôt appelé.
II
Ils se dévêtirent et ils s'aimèrent
comme deux soldats en voyage.
L'un aimait d'amour
et l'autre était tendre
et plus grande encore était la joie
de cette charité-là.
En passant devant une tour
l'un d'eux devait mourir
et ils se disputèrent.
Mais celui qui avait donné l'amour
embrassa son compagnon
et pour tout lui dit merci.
III
Mon âme s'est levée
une heure avant le jour
pour aller quérir l'amour d'une servante.
Le vent éparpillait la nuit ;
j'ai reçu des plombs dans l'aile.
C'étaient des saints qui chassaient.
C'étaient des soldats qui chantaient.
J'ai perdu ma mie
au jeu de l'écarté.
Mais toute vie est un adieu
avant même que l'aube nous l'ait dit.
Les princes qui habitaient chez
Virgile
allaient obscurs dans les nuits blanches.
Princes en vergers qui écoutaient les raines...
IV
La route va
le tambour bai.
La route va où vont les filles.
Dans les ténèbres tu m'auras aimé.
V
La fille regarde la pluie comme si c'étaient ses larmes.
Une, deux !
Une nuit !
Poète trôleur et chat gris, vivant en songe de vie, j'ai perdu mon régiment.
Mon régiment marche sous la pluie.
Aux nouvelles que j'écris personne ne répondra.
Mes souliers grattent l'averse comme si c'était une harpe.
VI
Le pauvre conscrit
J'ai été appelé à la guerre en printemps.
L'harmonica des grives frisole dans les sapins.
Mais l'une sera pendue dans les vignes
afin de les effrayer,
ces gourmandes :
vive le vin du
Rhin !
J'ai tout oublié de mon amour allemand.
Nous n'avons eu que trois bivouacs.
Tu as peur ? —
Tu es pure !
—
Tu pars ?
Je m'engagerai dans un autre printemps.
En amour je suis un pauvre conscrit.
Ne me refusez pas,
camarades de la nuit, camarades de la nuit !
VII
Maîtresse blonde mon beau lien, mes tresses blondes mon nœud gordien, vous trancherai-je avec le glaive pour conquérir plus d'un empire ?
Dans mon pays toui est gratis : coups de fusil, verres de moût !
Sur le lit et sur le pré mon coq joli, sur le lit et sur le pré vas-y ma lyre !
Je suis un doux soldat burgonde qui tient le monde ouvert la nuit.
il y a 8 mois
M
Max Elskamp
@maxElskamp
Le matin Et la première est d’un matin
Dit tout en bleu, dit tout en blanc,
Et la première est d’un matin
Ici pour le commencement,
De paix d’abord, cloches sonnant,
Et Flandre étant – Vive la Rose –
Douce à chacun à sa façon,
Suivant son bien, suivant ses choses.
Or Mai mettant les fleurs en cause,
Et la première est d’un matin,
Or Mai mettant les fleurs en cause,
Et la première est d’un jardin,
Voici qu’il sent le romarin,
Et qu’on dirait – Vive la Vie –
Voici qu’il sent le romarin,
Et qu’on dirait qu’on se marie,
Et la première est d’un matin
Ainsi de paix et d’ornement,
Avec du pain, avec du vin,
Ici pour le commencement.
il y a 8 mois
M
Maëlle Ranoux
@maelleRanoux
Au village du silence Au village du silence,
Règne le temps passé.
Par la pierre sculptée,
siècles figés,
la mémoire diffuse
ce que les hommes ont oublié.
Au village du silence,
Que la vigne encercle
Et le chemin pierreux épouse,
L’existence n’a qu’un son,
Celui de la rivière,
Celui de la fontaine,
Celui de cette eau claire qui vient de la montagne.
Au village du silence,
Les maisons s’entrecroisent
Labyrinthe de vies imbriquées
Murs qui se frôlent,
Fenêtres étroites qui auscultent
Les passagers de ces vaisseaux occultes,
réfugiés derrière leurs larges murs.
Pas un mot pas un bruit,
C’est dans le murmure que l’on se dit.
Les maisons séculaires accueillent
sous leurs massives charpentes
une forêt de colombages et montants
Les paroles s’y cachent,
les caprices, les petitesses, les racontars,
les simples humains et leurs drôles d’écueils
s’y étouffent.
Et dans la rue pavée, pas un pas.
Quelle est l’épaisseur du trait de vie, ici ?
Quel autre volume que celui des montagnes ?
Quel espace reste-il si la vallée s’ouvre comme une reine et avale toutes les vies qui s’avancent à elle ?
Au village du silence,
Je ne dors plus,
J’écoute,
L’épaisseur de l’interdit qui pèse sur chacun pour que tous puissent être là.
La lumière joue à s’éteindre
Les légendes s’approchent pour m’étreindre
A l’entrée du village,
l‘eau charrie une histoire de coquillages,
L’air frais diffuse,
Légendes des tourbières secrètes,
contes miraculeux dans une langue d’un autre âge.
il y a 8 mois
N
Nicolas Germain Léonard
@nicolasGermainLeonard
Vue de la campagne après une pluie d'été II est passé,
Daphné, ce ténébteux orage;
Le tonnerre effrayant n'ébranle plus les airs.
Et nous ne voyons plus, sur les flancs du nuage.
En longs sillons de feu, serpenrer les éclairs.
Viens, tu peux sans danger sortir de ton asile :
Regarde autour de toi comme l'air est tranquille !
Qu'attendons-nous encor ? les timides brebis,
Que la crainte assemblait sous un toit de feuillages,
Se dispetsent déjà sur les frais pâturages,
Et de leur laine humide agitent les rubis.
Le berger prit la main de sa jeune compagne,
Qui promenait partout ses regards enchantés : »
Daphné, lui disait-il, vois combien de beautés
Le retour du soleil répand sur la campagne !
Comme déjà le ciel a repris son azur !
Ce vert en est plus doux, le jour en est plus pur. »
Vois-tu, répondit la bergère.
Ce rideau sombre qui s'étend
Sur les monts brillants de lumière ?
Le voilà qui s'avance au bord de cet étang.
Regarde ces forêts dans l'ombre ensevelies...
Voilà déjà l'ombre qui fuit,
Et le soleil qui la poutsuit :
Vois, vois comme elle court à travers les prairies.
DAMON
Vois-tu l'arc éclatant, dont les vives couleurs
S'impriment sur le fond de cet obscur nuage ?
II semble ramener la verdure et les fleurs.
Et descendre au vallon qu'a respecté l'orage.
DAPHNE
Daphné répondit à son tour,
En pressant le berger d'un de ses bras d'albâtre :
Comme sur ces rosiers le papillon folâtre!
Vois le doux zéphyr de retour.
Secouer les gouttes brillantes
Dont la pluie a mouillé le calice des plantes !
Vois jouer dans les airs ces vermisseaux ailés,
Qu'agite le soleil par sa chaleur active ;
Et cet étang voisin... oh ! comme sur sa rive
Des saules d'alentour les rameaux sont perlés !
Comme son cristal pur répète encor l'image
Et des cieux azurés, et du prochain feuillage!
DAMON
Embrasse-moi,
Daphné!... quel sublime tableau!
Comment nous exprimer dans ce torrent de joie,
Dans ces larmes d'amour où notre cceur se noie ?
Que tout ce qui m'entoure est beau !
Depuis l'astre éclatant dont les feux chassent l'ombre.
Jusqu'au germe caché du plus faible arbrisseau.
Tout présente à mes yeux des merveilles sans nombre.
DAPHNE
J'admire aussi,
Damon, les rayons d'un beau jour;
J'aime à voir un soir pur, une brillante aurore :
Mais le charme de ton amour
Ajoute à ces tableaux un nouveau charme encore.
il y a 8 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Crépuscule rustique La profondeur du ciel occidental s’est teinte
D’un jaune paille mûre et feuillage rouillé,
Et, tant que la lueur claire n’est pas éteinte,
Le regard qui se lève est tout émerveillé.
Les nuances d’or clair semblent toutes nouvelles.
Le champ céleste ondule et se creuse en sillons,
Comme un chaume, où reluit le safran des javelles
Qu’une brise éparpille, et roule en gerbillons.
Chargé des meules d’ambre, où luit, par intervalle,
Le reflet des rayons amortis du soleil,
Le nuage, d’espace en espace, dévale,
Traîne, s’enfonce, plonge à l’horizon vermeil.
Mais l’ombre, lentement, traverse la campagne,
Et glisse, à vol léger, au fond des plaines d’or.
Septembre, glorieux, derrière la montagne,
A roulé, pour la nuit, le char de Messidor.
il y a 8 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
La glaneuse Dans l’encadrement clair de la grand’porte ouverte,
Que le géranium tout odorant fleurit
De son aigrette rouge et de sa feuille verte,
La glaneuse robuste apparaît, et sourit.
Debout, le buste droit, la poitrine gonflée
Du souffle que dilate et rythme le travail,
Elle attend, tout de toile et de laine habillée,
Le départ pour les champs des gens et du bétail.
Et la cour de la ferme et la longue rangée
Des bâtiments, fenils et granges, ont frémi,
Aux rustiques rumeurs dont la brise est chargée,
Par un matin joyeux d’avoir longtemps dormi.
Bonjour à toi, bonjour, à la fois semblent dire
Les blés dont la rosée achève le roui;
Et les herbes des prés que le vent fait bruire
Semblent balbutier un poème inouï.
À toi, tout le cristal dont mon eau se fait gloire,
Dit le puits. C’est pour toi, c’est pour ton riche amour,
Ô reine des moissons, que j’offre et donne à boire,
À ton homme, à ta fille, à tes fils, tout le jour.
Mais voici que soudain, frappant toutes les choses
Et les êtres qu’enchaîne encore le sommeil,
Gloire à toi, dit l’Aurore : à toi, toutes mes roses!
Femme, à toi, tout mon or, répond le grand Soleil.
il y a 8 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Rayons d’Octobre (III) Écoutez : c’est le bruit de la joyeuse airée
Qui, dans le poudroîment d’une lumière d’or,
Aussi vive au travail que preste à la bourrée,
Bat en chantant les blés du riche messidor.
Quel gala ! pour décor, le chaume qui s’effrange ;
Les ormes, les tilleuls, le jardin, le fruitier
Dont la verdure éparse enguirlande la grange,
Flotte sur les ruisseaux et jonche le sentier.
Pour musique le souffle errant des matinées ;
La chanson du cylindre égrenant les épis ;
Les oiseaux et ces bruits d’abeilles mutinées
Que font les gais enfants dans les meules tapis.
En haut, sur le gerbier que sa pointe échevèle,
La fourche enlève et tend l’ondoyant gerbillon.
En bas, la paille roule et glisse par javelle
Et vole avec la balle en léger tourbillon.
Sur l’aire, les garçons dont le torse se cambre,
Et les filles, leurs soeurs rieuses, déliant
L’orge blonde et l’avoine aux fines grappes d’ambre,
Font un groupe à la fois pittoresque et riant.
En ce concert de franche et rustique liesse,
La paysanne donne une note d’amour.
Parmi ces rudes fronts hâlés, sa joliesse
Évoque la fraîcheur matinale du jour.
De la batteuse les incessantes saccades
Ébranlent les massifs entraits du bâtiment.
Le grain doré jaillit en superbes cascades.
Tous sont fiers des surplus inouïs du froment.
Déjà tous les greniers sont pleins. Les gens de peine
Chancellent sous le poids des bissacs. Au milieu
Des siens, le père, heureux, à mesure plus pleine,
Mesure et serre à part la dîme du bon Dieu.
Il va, vient. Soupesant la précieuse charge
Et tournant vers le ciel son fier visage brun,
Le paysan bénit Celui dont la main large
Donne au pieux semeur trente setiers pour un.
il y a 8 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Rayons d’Octobre (IV) Maintenant, plus d’azur clair, plus de tiède haleine,
Plus de concerts dans l’arbre aux lueurs du matin :
L’oeil ne découvre plus les pourpres de la plaine
Ni les flocons moelleux du nuage argentin.
Les rayons ont pâli, leurs clartés fugitives
S’éteignent tristement dans les cieux assombris.
La campagne a voilé ses riches perspectives.
L’orme glacé frissonne et pleure ses débris.
Adieu soupirs des bois, mélodieuses brises,
Murmure éolien du feuillage agité.
Adieu dernières fleurs que le givre a surprises,
Lambeaux épars du voile étoilé de l’été.
Le jour meurt, l’eau s’éplore et la terre agonise.
Les oiseaux partent. Seul, le roitelet, bravant
Froidure et neige, reste, et son cri s’harmonise
Avec le sifflement monotone du vent.
il y a 8 mois
O
Ondine Valmore
@ondineValmore
Automne Vois ce fruit, chaque jour plus tiède et plus vermeil,
Se gonfler doucement aux regards du soleil !
Sa sève, à chaque instant plus riche et plus féconde,
L’emplit, on le dirait, de volupté profonde.
Sous les feux d’un soleil invisible et puissant,
Notre coeur est semblable à ce fruit mûrissant.
De sucs plus abondants chaque jour il enivre,
Et, maintenant mûri, il est heureux de vivre.
L’automne vient : le fruit se vide et va tomber,
Mais sa gaine est vivante et demande à germer.
L’âge arrive, le coeur se referme en silence,
Mais, pour l’été promis, il garde sa semence.
il y a 8 mois
P
Patrice Cosnuau
@patriceCosnuau
Le plein blues Chevalier sédentaire, écuyer des saisons,
Tu fus, en d’autres temps, rebelle créatif
Quand, lassé de cueillir, tu imposas ta griffe
A notre Terre-Mère. En semant de raison
Ce qu’il te fut donné de goûter à foison,
Tu défrichas d’abord pour nourrir les natifs
Des siècles en chantier, sillon méditatif
Qui présente au soleil vitraux et floraisons.
La Science, lancée à l’assaut des famines
Et griffonnant, plein champ, sa chimique doctrine,
Fit passer le paysan à la moulinette.
« Tous en ville ! Et qui veut chevaucher sa machine
Amassera le blé sans courber trop l’échine ! »
Mais où sont les moissons de Jeanne et de Ninette ?
il y a 8 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Mandoline Les donneurs de sérénades
Et les belles écouteuses
Echangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C’est Tircis et c’est Aminte,
Et c’est l’éternel Clitandre,
Et c’est Damis qui pour mainte
Cruelle fait maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queues,
Leur élégance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues
Tourbillonnent dans l’extase
D’une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
il y a 8 mois
P
Philippe Delaveau
@philippeDelaveau
Campagne Ici la foule des tournesols
Courbe vers l'orient ses têtes recueillies,
Serrées dans le drap jaune des cornettes, souriantes.
Le jour décroît, aussi la mansuétude est douce
Parmi les orges fraternelles, versant au coin du champ
L'obole de la veuve au moineau roux qui loge
Dans le lierre.
L'avoine est lasse de combattre
Et fléchit lentement, au gré des vents onctueux
Sa lance.
Les filles du blé, en agitant leurs nattes blondes
De l'azur se souviennent, mourant et renaissant, où le soleil
encore,
Qu'annoncent merles, passereaux, et la mésange
Qui sautille sur le sentier fragile, resplendira.
Forêts et sombres eaux du
Cher,
Où le ciel transparent laisse pressentir
Le secret que l'eau entortille dans l'ombre;
Peupliers inquiets, chênes vétustés, saules échevelés,
Hissez du haut de vos mâtures l'astre qui roule
Sur la pente du ciel jusqu'aux mers,
Qu'il réveille les villes laides, les fermes
Dont se désagrègent les blancs tuffeaux, la lente
Eternité des caves ouvertes sur le vide.
Et le secret s'allonge sur la cendre des rivières :
Vainement la nuit déserte engendrera l'oubli.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Je mourrais de plaisir… Je mourrais de plaisir voyant par ces bocages
Les arbres enlacés de lierres épars,
Et la lambruche errante en mille et mille parts
Ès aubépins fleuris près des roses sauvages.
Je mourrais de plaisir oyant les doux langages
Des huppes, et coucous, et des ramiers rouards
Sur le haut d’un futeau bec en bec frétillards,
Et des tourtres aussi voyant les mariages.
Je mourrais de plaisir voyant en ces beaux mois
Sortir de bon matin les chevreuils hors des bois,
Et de voir frétiller dans le ciel l’alouette.
Je mourrais de plaisir, où je meurs de souci,
Ne voyant point les yeux d’une que je souhaite
Seule, une heure en mes bras en ce bocage ici.
il y a 8 mois
Pierre Reverdy
@pierreReverdy
Campagne Le champ s'incline à la lumière
Au bas du ciel bleu plus serein
La route court sous la poussière
Mais le soleil n'y est pour rien
La voix qui monte est sans éclat
Un gai refrain dans la voiture
Qui file à l'horizon plus plat
Sur les roues d'or dans la verdure
Un pan de mur blanc s'élargit
Sous mes yeux qui tournent la meule
Un dernier rayon s'étourdit
Sur le cuivre des tiges molles
Le jour s'est écrasé derrière la maison
Il n'y a plus qu'un trou sous la lampe
Les soucis écartés et même notre espoir
Qui descend plus vite la rampe
Quand la fenêtre allume un feu neuf dans le soir
il y a 8 mois
Pierre Reverdy
@pierreReverdy
Rase Campagne La maigre ligne au quart du vent
l'aile qui se retrousse
Et la perte du temps
les buttes mieux placées
dans l'air l'eau qui s'égoutte les rideaux à l'envers
Tout ce que l'on redoute l'animal haletant
Nuage
près du bois qui monte
Ou la voix de dedans
Il manque la lumière à l'œil
dans la clairière la vitre à la maison
Et près du monde calme
A l'écart de la terre
Les mots d'une chanson
il y a 8 mois
Rainer Maria Rilke
@rainerMariaRilke
Contrée ancienne Contrée ancienne, aux tours qui insistent
tant que les carillons se souviennent -,
aux regards qui, sans être tristes,
tristement montrent leurs ombres anciennes.
Vignes où tant de forces s’épuisent
lorsqu’un soleil terrible les dore …
Et, au loin, ces espaces qui luisent
comme des avenirs qu’on ignore.
il y a 8 mois
Rainer Maria Rilke
@rainerMariaRilke
Les tours Les tours, les chaumières, les murs,
même ce sol qu’on désigne
au bonheur de la vigne,
ont le caractère dur.
Mais la lumière qui prêche
douceur à cette austérité
fait une surface de pêche
à toutes ces choses comblées.
il y a 8 mois
Rainer Maria Rilke
@rainerMariaRilke
Ô nostalgie des lieux Ô nostalgie des lieux qui n’étaient point
assez aimés à l’heure passagère,
que je voudrais leur rendre de loin
le geste oublié, l’action supplémentaire !
Revenir sur mes pas, refaire doucement
– et cette fois, seul – tel voyage,
rester à la fontaine davantage,
toucher cet arbre, caresser ce banc …
Monter à la chapelle solitaire
que tout le monde dit sans intérêt ;
pousser la grille de ce cimetière,
se taire avec lui qui tant se tait.
Car n’est-ce pas le temps où il importe
de prendre un contact subtil et pieux ?
Tel était fort, c’est que la terre est forte ;
et tel se plaint : c’est qu’on la connaît peu.