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Campagne

106 poésies en cours de vérification
Campagne

Poésies de la collection campagne

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    Jules Breton

    @julesBreton

    Le soir A Louis Cabat. C’est un humble fossé perdu sous le feuillage ; Les aunes du bosquet les couvrent à demi ; L’insecte, en l’effleurant, trace un léger sillage Et s’en vient seul rayer le miroir endormi. Le soir tombe, et c’est l’heure où se fait le miracle, Transfiguration qui change tout en or ; Aux yeux charmés tout offre un ravissant spectacle ; Le modeste fossé brille plus qu’un trésor. Le ciel éblouissant, tamisé par les branches, A plongé dans l’eau noire un lumineux rayon ; Tombant de tous côtés, des étincelles blanches Entourent un foyer d’or pâle en fusion. Aux bords, tout est mystère et douceur infinie. On y voit s’assoupir quelques fleurs aux tons froids, Et les reflets confus de verdure brunie Et d’arbres violets qui descendent tout droits. Dans la lumière, au loin, des touffes d’émeraude Vous laissent deviner la ligne des champs blonds, Et le ciel enflammé d’une teinte si chaude, Et le soleil tombé qui tremble dans les joncs. Et dans mon âme émue, alors, quand je compare L’humilité du site à sa sublimité, Un délire sacré de mon esprit s’empare, Et j’entrevois la main de la divinité. Ce n’est rien et c’est tout. En créant la nature Dieu répandit partout la splendeur de l’effet ; Aux petits des oiseaux s’il donne la pâture, Il prodigue le beau, ce suprême bienfait. Ce n’est rien et c’est tout. En te voyant j’oublie, Pauvre petit fossé qui me troubles si fort, Mes angoisses de coeur, mes rêves d’Italie, Et je me sens meilleur, et je bénis le sort. Courrières, 1867

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    J

    Jules Breton

    @julesBreton

    Les cigales Lorsque dans l’herbe mûre aucun épi ne bouge, Qu’à l’ardeur des rayons crépite le froment, Que le coquelicot tombe languissamment Sous le faible fardeau de sa corolle rouge, Tous les oiseaux de l’air ont fait taire leurs chants ; Les ramiers paresseux, au plus noir des ramures, Somnolents, dans les bois, ont cessé leurs murmures, Loin du soleil muet incendiant les champs. Dans les blés, cependant, d’intrépides cigales Jetant leurs mille bruits, fanfare de l’été, Ont frénétiquement et sans trêve agité Leurs ailes sur l’airain de leurs folles cymbales. Frémissantes, debout sur les longs épis d’or, Virtuoses qui vont s’éteindre avant l’automne, Elles poussaient au ciel leur hymne monotone, Qui dans l’ombre des nuits retentissait encor. Et rien n’arrêtera leurs cris intarissables; Quand on les chassera de l’avoine et des blés, Elles émigreront sur les buissons brûlés Qui se meurent de soif dans les déserts de sables. Sur l’arbuste effeuillé, sur les chardons flétris Qui laissent s’envoler leur blanche chevelure, On reverra l’insecte à la forte encolure. Plein d’ivresse, toujours s’exalter dans ses cris ; Jusqu’à ce qu’ouvrant l’aile en lambeaux arrachée, Exaspéré, brûlant d’un feu toujours plus pur, Son œil de bronze fixe et tendu vers l’azur, Il expire en chantant sur la tige séchée.

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    Jules Breton

    @julesBreton

    Les ruines Les vieillards, quand près d’eux, semaine par semaine, Le temps a dévasté, tour à tour, fleurs et fruits, Les vieillards ont, ainsi que la cité romaine, Au cœur un forum mort plein de temples détruits ; Silencieux désert où leur âme promène Son long ennui stérile, où l’ortie et le buis, Et l’herbe solitaire, en l’antique domaine, Ont étouffé l’orgueil des fastes et des bruits; Où des frontons muets la légende effacée Sous la rouille des ans dérobe sa pensée. Plus de chants, les oiseaux aiment les floraisons. Plus de prisme charmeur irisant les bruines, Mais de graves soleils, de vastes horizons, Éclairant la beauté dernière des ruines.

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    J

    Jules Breton

    @julesBreton

    L’artois À José-Maria de Heredia I J’aime mon vieil Artois aux plaines infinies, Champs perdus dans l’espace où s’opposent, mêlés, Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies, Les lins bleus, lacs de fleurs, aux verdures brunies, L’oeillette, blanche écume, à l’océan des blés. Au printemps, les colzas aux gais bouquets de chrome, De leur note si vive éblouissent les yeux ; Des mousses de velours émaillent le vieux chaume, Et sur le seuil béni que la verdure embaume On voit s’épanouir de beaux enfants joyeux. Chérubins de village avec leur tête ronde, Leurs cheveux flamboyants qu’allume le soleil ; De sa poudre dorée un rayon les inonde. Quelle folle clameur pousse leur troupe blonde, Quel rire éblouissant et quel éclat vermeil ! Quand nos ciels argentés et leur douce lumière Ont fait place à l’azur si sombre de l’été ; Quand les ormes sont noirs, qu’à sec est la rivière ; Près du chemin blanchi, quand, grise de poussière, La fleur se crispe et meurt de soif, d’aridité ; Dans sa fureur l’Été, soufflant sa chaude haleine, Exaspère la vie et l’enivre de feu ; Mais si notre sang bout et brûle notre veine, Bientôt nous rafraîchit la nuit douce et sereine, Où les mondes ardents scintillent dans le bleu. II Artois aux gais talus où les chardons foisonnent, Entremêlant aux blés leurs têtes de carmin ; Je t’aime quand, le soir, les moucherons bourdonnent, Quand tes cloches, au loin, pieusement résonnent, Et que j’erre au hasard, tout seul sur le chemin. J’aime ton grand soleil qui se couche dans l’herbe ; Humilité, splendeur, tout est là, c’est le Beau ; Le sol fume ; et c’est l’heure où s’en revient, superbe, La glaneuse, le front couronné de sa gerbe Et de cheveux plus noirs que l’aile d’un corbeau. C’est une enfant des champs, âpre, sauvage et fière ; Et son galbe fait bien sur ce simple décor, Alors que son pied nu soulève la poussière, Qu’agrandie et mêlée au torrent de lumière, Se dressant sur ses reins, elle prend son essor. C’est elle. Sur son sein tombent des plis de toile ; Entre les blonds épis rayonne son oeil noir ; Aux franges de la nue ainsi brille une étoile ; Phidias eût rêvé le chef-d’oeuvre que voile Cette jupe taillée à grands coups d’ébauchoir. Laissant à l’air flotter l’humble tissu de laine, Elle passe, et gaîment brille la glane d’or, Et le soleil rougit sur sa face hautaine. Bientôt elle se perd dans un pli de la plaine, Et le regard charmé pense la voir encor. III Voici l’ombre qui tombe, et l’ardente fournaise S’éteint tout doucement dans les flots de la nuit, Au rideau sourd du bois attachant une braise Comme un suprême adieu. Tout se voile et s’apaise, Tout devient idéal, forme, couleur et bruit. Et la lumière avare aux détails se refuse ; Le dessin s’ennoblit, et, dans le brun puissant, Majestueusement le grand accent s’accuse ; La teinte est plus suave en sa gamme diffuse, Et la sourdine rend le son plus ravissant. Miracle d’un instant, heure immatérielle, Où l’air est un parfum et le vent un soupir ! Au crépuscule ému la laideur même est belle, Car le mystère est l’art : l’éclat ni l’étincelle Ne valent un rayon tout prêt à s’assoupir. Mais la nuit vient voiler les plaines infinies, L’immensité de brume où s’endorment, mêlés, Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies, Les lins bleus, lacs de fleurs, les verdures brunies, L’oeillette, blanche écume, et l’océan des blés.

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    J

    Jules Breton

    @julesBreton

    Nocturne À Gabriel Marc La nuit se mêle encore à de vagues pâleurs ; L’étoile naît, jetant son reflet qui se brouille Dans la mare dormante où croupit la grenouille. Les champs, les bois n’ont plus ni formes ni couleurs. Leurs calices fermés, s’assoupissent les fleurs. Entrevue à travers le brouillard qui la mouille, La faucille du ciel fond sa corne et se rouille. La brume égraine en bas les perles de ses pleurs. Les constellations sont à peine éveillées, Et les oiseaux, blottis sous les noires feuillées, Goûtent, le bec sous l’aile, un paisible repos. Et dans ce grand sommeil de l’être et de la terre, Longtemps chante, rêveuse et douce, des crapauds Mélancoliquement la flûte solitaire.

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    J

    Jules Breton

    @julesBreton

    Vieux jardins Qui n’aime ces jardins des humbles dont les haies Sont de neige au printemps, puis s’empourprent de baies Que visite le merle à l’arrière-saison ; Où dort, couvert de mousse, un vieux pan de maison Qu’une vigne gaîment couronne de sa frise, Sous la fenêtre étroite et que le temps irise ; Où des touffes de buis d’âge immémorial Répandent leur parfum austère et cordial ; Où la vieillesse rend les groseilliers avares ; Jardinets mesurant à peine quelques ares, Mais si pleins de verdeurs et de destructions Qu’on y suivrait le fil des générations; Où près du tronc caduc et pourri qu’un ver fouille, Les cheveux allumés, l’enfant vermeil gazouille ; Où vers le banc verdi les bons vieillards tremblants Viennent, sur leur béquille appuyant leurs pas lents Et gardant la gaîté, – car leur âme presbyte Voit mieux les beaux lointains que la lumière habite, – D’un regard déjà lourd de l’éternel sommeil, Tout doucement sourire à leur dernier soleil ?

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    Kamal Zerdoumi

    @kamalZerdoumi

    Pinceau Dans un champ de coquelicots une faux oubliée dans une hémorragie de beauté La Mort éblouie par tant de vie s’est enfuie Deux amants s’aiment sous le soleil de juin leur désir froissant les fleurs qui sourient Des enfants à venir courent à perdre haleine dans les sentiers où chantent les mots du poème

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    Khalil Gibran

    @khalilGibran

    Allez a vos Champs Allez à vos champs et à vos jardins et vous apprendrez que c’est le plaisir de l’abeille de butiner le miel de la fleur. Mais c’est aussi le plaisir de la fleur de céder son miel à l’abeille. Car pour l’abeille une fleur est une source de vie, Et pour la fleur une abeille est une messagère d’amour, Et pour les deux, abeille et fleur, donner et recevoir le plaisir sont un besoin et une extase.

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    K

    Kieran Wall

    @kieranWall

    Gorges L’eau d’un marine verdâtre Trompe l’œil Dessous les ombres albâtres Des rochers. Cette tranquille atmosphère Exiguë Participe au laisser-faire Ambiant Que ponctuent Les sonneries aquatiques : Quelque acrobate gagnant La fraîcheur Sourde d’une eau hiératique, Murmurant Les lézardes de la roche Dans le temps.

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    Kieran Wall

    @kieranWall

    Vagabondages L’aurore automnale amène la nostalgie De la Bretagne et de son ocre névralgie. La campagne y commence l’effilochement Au quotidien de sa couverture verte ; Le début du crépusculaire épanchement Des feuillages dont la vitalité offerte Se posera, dense, comme l’effigie brune De la vie en déclin, sa substance importune.

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    Léon Niangaly

    @leonNiangaly

    Chant au Baobab Tu trône dans mon fief Grand Baobab Coiffé de frondaison Jet trônerai sous ton ombre Grand Baobab Nourri de ton feuillage Et guéri des brûlures Portées à mes lèvres Par la saison sèche

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    L

    Léon Niangaly

    @leonNiangaly

    Ode aux insectes Fourmillent en moi Les libellules Les lucioles De mes étangs Comme mes nuées De rancœurs Dans le ressac Des nuits séditieuses Je te renvoie Mes Phalènes Ainsi que mes libellules Tous mes criquets migrateurs Et les lucioles De mes étangs O Masques Kanaga

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    M

    Maurice Chappaz

    @mauriceChappaz

    Tendres campagnes Même lit, mêmes cœurs presque comme à la caserne avec toi, avec l'univers entier dans ta petite chambre. Cependant d'un sourire d'amitié je voudrais te faire mal au moment où je renverserai le litre de vie perdue. Lequel dira à l'autre : « Passe-moi la gourde » ? Ht le mort répondra : « Elle est vide. » Tu sais la nudité commune était notre ration de paradis. Pourquoi répéter : « Va-t-en ! » à ton amoureux. Le sergent des ombres m'a aussitôt appelé. II Ils se dévêtirent et ils s'aimèrent comme deux soldats en voyage. L'un aimait d'amour et l'autre était tendre et plus grande encore était la joie de cette charité-là. En passant devant une tour l'un d'eux devait mourir et ils se disputèrent. Mais celui qui avait donné l'amour embrassa son compagnon et pour tout lui dit merci. III Mon âme s'est levée une heure avant le jour pour aller quérir l'amour d'une servante. Le vent éparpillait la nuit ; j'ai reçu des plombs dans l'aile. C'étaient des saints qui chassaient. C'étaient des soldats qui chantaient. J'ai perdu ma mie au jeu de l'écarté. Mais toute vie est un adieu avant même que l'aube nous l'ait dit. Les princes qui habitaient chez Virgile allaient obscurs dans les nuits blanches. Princes en vergers qui écoutaient les raines... IV La route va le tambour bai. La route va où vont les filles. Dans les ténèbres tu m'auras aimé. V La fille regarde la pluie comme si c'étaient ses larmes. Une, deux ! Une nuit ! Poète trôleur et chat gris, vivant en songe de vie, j'ai perdu mon régiment. Mon régiment marche sous la pluie. Aux nouvelles que j'écris personne ne répondra. Mes souliers grattent l'averse comme si c'était une harpe. VI Le pauvre conscrit J'ai été appelé à la guerre en printemps. L'harmonica des grives frisole dans les sapins. Mais l'une sera pendue dans les vignes afin de les effrayer, ces gourmandes : vive le vin du Rhin ! J'ai tout oublié de mon amour allemand. Nous n'avons eu que trois bivouacs. Tu as peur ? — Tu es pure ! — Tu pars ? Je m'engagerai dans un autre printemps. En amour je suis un pauvre conscrit. Ne me refusez pas, camarades de la nuit, camarades de la nuit ! VII Maîtresse blonde mon beau lien, mes tresses blondes mon nœud gordien, vous trancherai-je avec le glaive pour conquérir plus d'un empire ? Dans mon pays toui est gratis : coups de fusil, verres de moût ! Sur le lit et sur le pré mon coq joli, sur le lit et sur le pré vas-y ma lyre ! Je suis un doux soldat burgonde qui tient le monde ouvert la nuit.

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    M

    Max Elskamp

    @maxElskamp

    Le matin Et la première est d’un matin Dit tout en bleu, dit tout en blanc, Et la première est d’un matin Ici pour le commencement, De paix d’abord, cloches sonnant, Et Flandre étant – Vive la Rose – Douce à chacun à sa façon, Suivant son bien, suivant ses choses. Or Mai mettant les fleurs en cause, Et la première est d’un matin, Or Mai mettant les fleurs en cause, Et la première est d’un jardin, Voici qu’il sent le romarin, Et qu’on dirait – Vive la Vie – Voici qu’il sent le romarin, Et qu’on dirait qu’on se marie, Et la première est d’un matin Ainsi de paix et d’ornement, Avec du pain, avec du vin, Ici pour le commencement.

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    M

    Maëlle Ranoux

    @maelleRanoux

    Au village du silence Au village du silence, Règne le temps passé. Par la pierre sculptée, siècles figés, la mémoire diffuse ce que les hommes ont oublié. Au village du silence, Que la vigne encercle Et le chemin pierreux épouse, L’existence n’a qu’un son, Celui de la rivière, Celui de la fontaine, Celui de cette eau claire qui vient de la montagne. Au village du silence, Les maisons s’entrecroisent Labyrinthe de vies imbriquées Murs qui se frôlent, Fenêtres étroites qui auscultent Les passagers de ces vaisseaux occultes, réfugiés derrière leurs larges murs. Pas un mot pas un bruit, C’est dans le murmure que l’on se dit. Les maisons séculaires accueillent sous leurs massives charpentes une forêt de colombages et montants Les paroles s’y cachent, les caprices, les petitesses, les racontars, les simples humains et leurs drôles d’écueils s’y étouffent. Et dans la rue pavée, pas un pas. Quelle est l’épaisseur du trait de vie, ici ? Quel autre volume que celui des montagnes ? Quel espace reste-il si la vallée s’ouvre comme une reine et avale toutes les vies qui s’avancent à elle ? Au village du silence, Je ne dors plus, J’écoute, L’épaisseur de l’interdit qui pèse sur chacun pour que tous puissent être là. La lumière joue à s’éteindre Les légendes s’approchent pour m’étreindre A l’entrée du village, l‘eau charrie une histoire de coquillages, L’air frais diffuse, Légendes des tourbières secrètes, contes miraculeux dans une langue d’un autre âge.

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    N

    Nicolas Germain Léonard

    @nicolasGermainLeonard

    Vue de la campagne après une pluie d'été II est passé, Daphné, ce ténébteux orage; Le tonnerre effrayant n'ébranle plus les airs. Et nous ne voyons plus, sur les flancs du nuage. En longs sillons de feu, serpenrer les éclairs. Viens, tu peux sans danger sortir de ton asile : Regarde autour de toi comme l'air est tranquille ! Qu'attendons-nous encor ? les timides brebis, Que la crainte assemblait sous un toit de feuillages, Se dispetsent déjà sur les frais pâturages, Et de leur laine humide agitent les rubis. Le berger prit la main de sa jeune compagne, Qui promenait partout ses regards enchantés : » Daphné, lui disait-il, vois combien de beautés Le retour du soleil répand sur la campagne ! Comme déjà le ciel a repris son azur ! Ce vert en est plus doux, le jour en est plus pur. » Vois-tu, répondit la bergère. Ce rideau sombre qui s'étend Sur les monts brillants de lumière ? Le voilà qui s'avance au bord de cet étang. Regarde ces forêts dans l'ombre ensevelies... Voilà déjà l'ombre qui fuit, Et le soleil qui la poutsuit : Vois, vois comme elle court à travers les prairies. DAMON Vois-tu l'arc éclatant, dont les vives couleurs S'impriment sur le fond de cet obscur nuage ? II semble ramener la verdure et les fleurs. Et descendre au vallon qu'a respecté l'orage. DAPHNE Daphné répondit à son tour, En pressant le berger d'un de ses bras d'albâtre : Comme sur ces rosiers le papillon folâtre! Vois le doux zéphyr de retour. Secouer les gouttes brillantes Dont la pluie a mouillé le calice des plantes ! Vois jouer dans les airs ces vermisseaux ailés, Qu'agite le soleil par sa chaleur active ; Et cet étang voisin... oh ! comme sur sa rive Des saules d'alentour les rameaux sont perlés ! Comme son cristal pur répète encor l'image Et des cieux azurés, et du prochain feuillage! DAMON Embrasse-moi, Daphné!... quel sublime tableau! Comment nous exprimer dans ce torrent de joie, Dans ces larmes d'amour où notre cceur se noie ? Que tout ce qui m'entoure est beau ! Depuis l'astre éclatant dont les feux chassent l'ombre. Jusqu'au germe caché du plus faible arbrisseau. Tout présente à mes yeux des merveilles sans nombre. DAPHNE J'admire aussi, Damon, les rayons d'un beau jour; J'aime à voir un soir pur, une brillante aurore : Mais le charme de ton amour Ajoute à ces tableaux un nouveau charme encore.

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    N

    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Crépuscule rustique La profondeur du ciel occidental s’est teinte D’un jaune paille mûre et feuillage rouillé, Et, tant que la lueur claire n’est pas éteinte, Le regard qui se lève est tout émerveillé. Les nuances d’or clair semblent toutes nouvelles. Le champ céleste ondule et se creuse en sillons, Comme un chaume, où reluit le safran des javelles Qu’une brise éparpille, et roule en gerbillons. Chargé des meules d’ambre, où luit, par intervalle, Le reflet des rayons amortis du soleil, Le nuage, d’espace en espace, dévale, Traîne, s’enfonce, plonge à l’horizon vermeil. Mais l’ombre, lentement, traverse la campagne, Et glisse, à vol léger, au fond des plaines d’or. Septembre, glorieux, derrière la montagne, A roulé, pour la nuit, le char de Messidor.

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    N

    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    La glaneuse Dans l’encadrement clair de la grand’porte ouverte, Que le géranium tout odorant fleurit De son aigrette rouge et de sa feuille verte, La glaneuse robuste apparaît, et sourit. Debout, le buste droit, la poitrine gonflée Du souffle que dilate et rythme le travail, Elle attend, tout de toile et de laine habillée, Le départ pour les champs des gens et du bétail. Et la cour de la ferme et la longue rangée Des bâtiments, fenils et granges, ont frémi, Aux rustiques rumeurs dont la brise est chargée, Par un matin joyeux d’avoir longtemps dormi. Bonjour à toi, bonjour, à la fois semblent dire Les blés dont la rosée achève le roui; Et les herbes des prés que le vent fait bruire Semblent balbutier un poème inouï. À toi, tout le cristal dont mon eau se fait gloire, Dit le puits. C’est pour toi, c’est pour ton riche amour, Ô reine des moissons, que j’offre et donne à boire, À ton homme, à ta fille, à tes fils, tout le jour. Mais voici que soudain, frappant toutes les choses Et les êtres qu’enchaîne encore le sommeil, Gloire à toi, dit l’Aurore : à toi, toutes mes roses! Femme, à toi, tout mon or, répond le grand Soleil.

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    N

    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Rayons d’Octobre (III) Écoutez : c’est le bruit de la joyeuse airée Qui, dans le poudroîment d’une lumière d’or, Aussi vive au travail que preste à la bourrée, Bat en chantant les blés du riche messidor. Quel gala ! pour décor, le chaume qui s’effrange ; Les ormes, les tilleuls, le jardin, le fruitier Dont la verdure éparse enguirlande la grange, Flotte sur les ruisseaux et jonche le sentier. Pour musique le souffle errant des matinées ; La chanson du cylindre égrenant les épis ; Les oiseaux et ces bruits d’abeilles mutinées Que font les gais enfants dans les meules tapis. En haut, sur le gerbier que sa pointe échevèle, La fourche enlève et tend l’ondoyant gerbillon. En bas, la paille roule et glisse par javelle Et vole avec la balle en léger tourbillon. Sur l’aire, les garçons dont le torse se cambre, Et les filles, leurs soeurs rieuses, déliant L’orge blonde et l’avoine aux fines grappes d’ambre, Font un groupe à la fois pittoresque et riant. En ce concert de franche et rustique liesse, La paysanne donne une note d’amour. Parmi ces rudes fronts hâlés, sa joliesse Évoque la fraîcheur matinale du jour. De la batteuse les incessantes saccades Ébranlent les massifs entraits du bâtiment. Le grain doré jaillit en superbes cascades. Tous sont fiers des surplus inouïs du froment. Déjà tous les greniers sont pleins. Les gens de peine Chancellent sous le poids des bissacs. Au milieu Des siens, le père, heureux, à mesure plus pleine, Mesure et serre à part la dîme du bon Dieu. Il va, vient. Soupesant la précieuse charge Et tournant vers le ciel son fier visage brun, Le paysan bénit Celui dont la main large Donne au pieux semeur trente setiers pour un.

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    Nérée Beauchemin

    @nereeBeauchemin

    Rayons d’Octobre (IV) Maintenant, plus d’azur clair, plus de tiède haleine, Plus de concerts dans l’arbre aux lueurs du matin : L’oeil ne découvre plus les pourpres de la plaine Ni les flocons moelleux du nuage argentin. Les rayons ont pâli, leurs clartés fugitives S’éteignent tristement dans les cieux assombris. La campagne a voilé ses riches perspectives. L’orme glacé frissonne et pleure ses débris. Adieu soupirs des bois, mélodieuses brises, Murmure éolien du feuillage agité. Adieu dernières fleurs que le givre a surprises, Lambeaux épars du voile étoilé de l’été. Le jour meurt, l’eau s’éplore et la terre agonise. Les oiseaux partent. Seul, le roitelet, bravant Froidure et neige, reste, et son cri s’harmonise Avec le sifflement monotone du vent.

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    Ondine Valmore

    @ondineValmore

    Automne Vois ce fruit, chaque jour plus tiède et plus vermeil, Se gonfler doucement aux regards du soleil ! Sa sève, à chaque instant plus riche et plus féconde, L’emplit, on le dirait, de volupté profonde. Sous les feux d’un soleil invisible et puissant, Notre coeur est semblable à ce fruit mûrissant. De sucs plus abondants chaque jour il enivre, Et, maintenant mûri, il est heureux de vivre. L’automne vient : le fruit se vide et va tomber, Mais sa gaine est vivante et demande à germer. L’âge arrive, le coeur se referme en silence, Mais, pour l’été promis, il garde sa semence.

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    Patrice Cosnuau

    @patriceCosnuau

    Le plein blues Chevalier sédentaire, écuyer des saisons, Tu fus, en d’autres temps, rebelle créatif Quand, lassé de cueillir, tu imposas ta griffe A notre Terre-Mère. En semant de raison Ce qu’il te fut donné de goûter à foison, Tu défrichas d’abord pour nourrir les natifs Des siècles en chantier, sillon méditatif Qui présente au soleil vitraux et floraisons. La Science, lancée à l’assaut des famines Et griffonnant, plein champ, sa chimique doctrine, Fit passer le paysan à la moulinette. « Tous en ville ! Et qui veut chevaucher sa machine Amassera le blé sans courber trop l’échine ! » Mais où sont les moissons de Jeanne et de Ninette ?

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    Paul Verlaine

    Paul Verlaine

    @paulVerlaine

    Mandoline Les donneurs de sérénades Et les belles écouteuses Echangent des propos fades Sous les ramures chanteuses. C’est Tircis et c’est Aminte, Et c’est l’éternel Clitandre, Et c’est Damis qui pour mainte Cruelle fait maint vers tendre. Leurs courtes vestes de soie, Leurs longues robes à queues, Leur élégance, leur joie Et leurs molles ombres bleues Tourbillonnent dans l’extase D’une lune rose et grise, Et la mandoline jase Parmi les frissons de brise.

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    P

    Philippe Delaveau

    @philippeDelaveau

    Campagne Ici la foule des tournesols Courbe vers l'orient ses têtes recueillies, Serrées dans le drap jaune des cornettes, souriantes. Le jour décroît, aussi la mansuétude est douce Parmi les orges fraternelles, versant au coin du champ L'obole de la veuve au moineau roux qui loge Dans le lierre. L'avoine est lasse de combattre Et fléchit lentement, au gré des vents onctueux Sa lance. Les filles du blé, en agitant leurs nattes blondes De l'azur se souviennent, mourant et renaissant, où le soleil encore, Qu'annoncent merles, passereaux, et la mésange Qui sautille sur le sentier fragile, resplendira. Forêts et sombres eaux du Cher, Où le ciel transparent laisse pressentir Le secret que l'eau entortille dans l'ombre; Peupliers inquiets, chênes vétustés, saules échevelés, Hissez du haut de vos mâtures l'astre qui roule Sur la pente du ciel jusqu'aux mers, Qu'il réveille les villes laides, les fermes Dont se désagrègent les blancs tuffeaux, la lente Eternité des caves ouvertes sur le vide. Et le secret s'allonge sur la cendre des rivières : Vainement la nuit déserte engendrera l'oubli.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Je mourrais de plaisir… Je mourrais de plaisir voyant par ces bocages Les arbres enlacés de lierres épars, Et la lambruche errante en mille et mille parts Ès aubépins fleuris près des roses sauvages. Je mourrais de plaisir oyant les doux langages Des huppes, et coucous, et des ramiers rouards Sur le haut d’un futeau bec en bec frétillards, Et des tourtres aussi voyant les mariages. Je mourrais de plaisir voyant en ces beaux mois Sortir de bon matin les chevreuils hors des bois, Et de voir frétiller dans le ciel l’alouette. Je mourrais de plaisir, où je meurs de souci, Ne voyant point les yeux d’une que je souhaite Seule, une heure en mes bras en ce bocage ici.

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    Pierre Reverdy

    Pierre Reverdy

    @pierreReverdy

    Campagne Le champ s'incline à la lumière Au bas du ciel bleu plus serein La route court sous la poussière Mais le soleil n'y est pour rien La voix qui monte est sans éclat Un gai refrain dans la voiture Qui file à l'horizon plus plat Sur les roues d'or dans la verdure Un pan de mur blanc s'élargit Sous mes yeux qui tournent la meule Un dernier rayon s'étourdit Sur le cuivre des tiges molles Le jour s'est écrasé derrière la maison Il n'y a plus qu'un trou sous la lampe Les soucis écartés et même notre espoir Qui descend plus vite la rampe Quand la fenêtre allume un feu neuf dans le soir

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    Pierre Reverdy

    Pierre Reverdy

    @pierreReverdy

    Rase Campagne La maigre ligne au quart du vent l'aile qui se retrousse Et la perte du temps les buttes mieux placées dans l'air l'eau qui s'égoutte les rideaux à l'envers Tout ce que l'on redoute l'animal haletant Nuage près du bois qui monte Ou la voix de dedans Il manque la lumière à l'œil dans la clairière la vitre à la maison Et près du monde calme A l'écart de la terre Les mots d'une chanson

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    Rainer Maria Rilke

    Rainer Maria Rilke

    @rainerMariaRilke

    Contrée ancienne Contrée ancienne, aux tours qui insistent tant que les carillons se souviennent -, aux regards qui, sans être tristes, tristement montrent leurs ombres anciennes. Vignes où tant de forces s’épuisent lorsqu’un soleil terrible les dore … Et, au loin, ces espaces qui luisent comme des avenirs qu’on ignore.

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    Rainer Maria Rilke

    Rainer Maria Rilke

    @rainerMariaRilke

    Les tours Les tours, les chaumières, les murs, même ce sol qu’on désigne au bonheur de la vigne, ont le caractère dur. Mais la lumière qui prêche douceur à cette austérité fait une surface de pêche à toutes ces choses comblées.

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    Rainer Maria Rilke

    Rainer Maria Rilke

    @rainerMariaRilke

    Ô nostalgie des lieux Ô nostalgie des lieux qui n’étaient point assez aimés à l’heure passagère, que je voudrais leur rendre de loin le geste oublié, l’action supplémentaire ! Revenir sur mes pas, refaire doucement – et cette fois, seul – tel voyage, rester à la fontaine davantage, toucher cet arbre, caresser ce banc … Monter à la chapelle solitaire que tout le monde dit sans intérêt ; pousser la grille de ce cimetière, se taire avec lui qui tant se tait. Car n’est-ce pas le temps où il importe de prendre un contact subtil et pieux ? Tel était fort, c’est que la terre est forte ; et tel se plaint : c’est qu’on la connaît peu.

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