Merci, mais sans moi Pour que la nostalgie ne soit plus douloureuse,
Mon désir erratique en désaxe les cibles ;
Je vous garde en mémoire, ô voeux inaccessibles
Qui font briller les yeux d’aveugles tubéreuses.
Mon royaume est criblé de dettes fabuleuses,
Ma couronne est futile et mon sceau peu crédible.
Mon coeur, sois libertaire et demeure infrangible
Quand la vie te délie des joies ensorceleuses !
Concurrence tueuse, ourlée de stratagèmes,
Cesseras-tu un jour tes pénibles baptêmes ?
Comme Orphée qui d’or fin surligna son regard,
Orphelin de lumière, exilé d’innocence,
Je vais en l’avenir, chercher réminiscence
De ce puissant sillon où, faible, je m’égare…
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
À la minute L’instrument
Comme tu le vois.
Espérons
Et
Espérons
Adieu
Ne t’avise pas
Que les yeux
Comme tu le vois
Le jour et la nuit ont bien réussi.
Je le regarde je le vois.
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
La vie Sourire aux visiteurs
Qui sortent de leur cachette
Quand elle sort elle dort.
Chaque jour plus matinale
Chaque saison plus nue
Plus fraîche
Pour suivre ses regards
Elle se balance.
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
L’ami La photographie: un groupe.
Si le soleil passait,
Si tu bouges.
Fards. À l’intérieur, blanche et vernie,
Dans le tunnel.
«Au temps des étincelles
On débouchait la lumière.»
Postérité, mentalité des gens.
La bien belle peinture.
L’épreuve, s’entendre.
L’espoir des cantharides
Est un bien bel espoir.
il y a 8 mois
Paul Éluard
@paulEluard
L’habitude Toutes mes petites amies sont bossues:
Elles aiment leur mère.
Tous mes animaux sont obligatoires,
Ils ont des pieds de meuble
Et des mains de fenêtre.
Le vent se déforme,
Il lui faut un habit sur mesure,
Démesuré.
Voilà pourquoi
Je dis la vérité sans la dire.
il y a 8 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Bon pauvre, ton vêtement est léger Bon pauvre, ton vêtement est léger
Comme une brume,
Oui, mais aussi ton cœur, il est léger
Comme une plume,
Ton libre cœur qui n’a qu’à plaire à Dieu,
Ton cœur bien quitte
De toute dette humaine, en quelque lieu
Que l’homme habite,
Ta part de plaisir et d’aise paraît
Peu suffisante.
Ta conscience, en revanche, apparaît
Satisfaisante.
Ta conscience que, précisément,
Tes malheurs mêmes
Ont dégagée, en ce juste moment,
Des soins suprêmes.
Ton boire et ton manger sont, je le crains,
Tristes et mornes ;
Seulement ton corps faible a, dans ses reins
Sans fin ni bornes,
Des forces d’abstinence et de refus
Très glorieuses,
Et des ailes vers les cieux entrevus
Impérieuses.
Ta tête, franche de mets et de vin,
Toute pensée,
Tout intellect, conforme au plan divin,
Haut redressée,
Ta tête est prête à tout enseignement
De la parole
Et, de l’exemple de Jésus clément
Et bénévole.
Et de Jésus terrible, prêt au pleur
Qu’il faut qu’on verse,
A l’affront vil qui poigne, à la douleur
Lente qui perce.
Le monde pour toi seul, le monde affreux
Devient possible,
T’environnant, toi qu’il croit malheureux,
D’oubli paisible.
Même t’ayant d’étonnantes douceurs
Et ces caresses !
Les femmes qui sont parfois d’âpres sœurs,
D’aigres maîtresses,
Et de douloureux compagnons toujours
Ou toujours presque,
Te jaugeant malfringant, aux gestes lourds,
Un peu grotesque,
Tout à fait incapable de n’aimer
Qu’à les voir belles.
Qu’à les trouver bonnes et de n’aimer
Qu’elles en elles,
Et le pesant si léger que ce n’es
Rien de le dire,
Te dispenseront, tous comptes au net,
De leur sourire.
Et te voilà libre, à dîner, en roi.
Seul à ta table,
Sans nul flatteur, quel fléau pour un roi,
Plus détestable ?
L’assassin, l’escroc et l’humble voleur
Qui n’y voient guère
De nuance, t’épargnent comme leur
Plus jeune frère.
Des vertus surérogatoires, la
Prudence humaine,
(L’autre, la cardinale, ah ! celle-là
Que Dieu t’y mène !)
L’amabilité, l’affabilité
Quasi célestes,
Sans rien d’affecté, sans rien d’apprêté,
Franches modestes,
Nimbent le destin, que Dieu te voulut
Tendre et sévère.
Dans l’intérêt surtout de ton salut,
À bien parfaire
Et pour ange contre le lourd méchant
Toujours stupide
La clairvoyance te guide en marchant,
Fine et rapide,
La clairvoyance, qui n’est pas du tout,
La Méfiance
Et qui plutôt serait pour sommer tout,
La Prévoyance,
Élicitant les gens de prime-saut
Sous les grimaces
Faisant sortir la sottise du sot,
Trouvant des traces.
Et médusant la curiosité
De l’hypocrite
Par un regard entre les yeux planté
Qui brûle vite…
Et s’il ose rester des ennemis
A ta misère,
Pardonne-leur, ainsi que l’a promis
Ton Notre-Père…
Afin que Dieu te pardonne aussi, Lui,
Prends cette avance.
Car, dans le mal fait au prochain, c’est Lui
Seul qu’on offense.
il y a 8 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Le foyer, la lueur étroite de la lampe Le foyer, la lueur étroite de la lampe ;
La rêverie avec le doigt contre la tempe
Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés ;
L’heure du thé fumant et des livres fermés ;
La douceur de sentir la fin de la soirée ;
La fatigue charmante et l’attente adorée ;
De l’ombre nuptiale et de la douce nuit,
Oh ! tout cela, mon rêve attendri le poursuit
Sans relâche, à travers toutes remises vaines,
Impatient mes mois, furieux des semaines !
il y a 8 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Mandoline Les donneurs de sérénades
Et les belles écouteuses
Echangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C’est Tircis et c’est Aminte,
Et c’est l’éternel Clitandre,
Et c’est Damis qui pour mainte
Cruelle fait maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queues,
Leur élégance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues
Tourbillonnent dans l’extase
D’une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
il y a 8 mois
Pierre Corneille
@pierreCorneille
Eve et Marie Homme, qui que tu sois, regarde Eve et Marie,
Et comparant ta mère à celle du Sauveur,
Vois laquelle des deux en est le plus chérie,
Et du Père Eternel gagne mieux la faveur.
L’une a toute sa race au démon asservie,
L’autre rompt l’esclavage où furent ses aïeux
Par l’une vient la mort et par l’autre la vie,
L’une ouvre les enfers et l’autre ouvre les cieux.
Cette Ève cependant qui nous engage aux flammes
Au point qu’elle est bornée est sans corruption
Et la Vierge » bénie entre toutes les femmes «
Serait-elle moins pure en sa conception ?
Non, non, n’en croyez rien, et tous tant que nous sommes
Publions le contraire à toute heure, en tout lieu :
Ce que Dieu donne bien à la mère des hommes,
Ne le refusons pas à la Mère de Dieu.
il y a 8 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
Un rendez-vous Dans ce nid furtif où nous sommes,
Ô ma chère âme, seuls tous deux,
Qu'il est bon d'oublier les hommes,
Si près d'eux !
Pour ralentir l'heure fuyante,
Pour la goûter, il ne faut pas
Une félicité bruyante ;
Parlons bas.
Craignons de la hâter d'un geste,
D'un mot, d'un souffle seulement,
D'en perdre, tant elle est céleste,
Un moment.
Afin de la sentir bien nôtre,
Afin de la bien ménager,
Serrons-nous tout près l'un de l'autre
Sans bouger ;
Sans même lever la paupière :
Imitons le chaste repos
De ces vieux châtelains de pierre
Aux yeux clos,
Dont les corps sur les mausolées,
Immobiles et tout vêtus,
Loin de leurs âmes envolées
Se sont tus ;
Dans une alliance plus haute
Que les terrestres unions,
Gravement comme eux côte à côte,
Sommeillons.
Car nous n'en sommes plus aux fièvres
D'un jeune amour qui peut finir ;
Nos cœurs n'ont plus besoin des lèvres
Pour s'unir,
Ni des paroles solennelles
Pour changer leur culte en devoir,
Ni du mirage des prunelles
Pour se voir.
Ne me fais plus jurer que j'aime,
Ne me fais plus dire comment ;
Goûtons la félicité même
Sans serment.
Savourons, dans ce que nous disent
Silencieusement nos pleurs,
Les tendresses qui divinisent
Les douleurs !
Chère, en cette ineffable trêve
Le désir enchanté s'endort ;
On rêve à l'amour comme on rêve
À la mort.
On croit sentir la fin du monde ;
L'univers semble chavirer
D'une chute douce et profonde,
Et sombrer...
L'âme de ses fardeaux s'allège
Par la fuite immense de tout ;
La mémoire comme une neige
Se dissout.
Toute la vie ardente et triste
Semble anéantie à l'entour,
Plus rien pour nous, plus rien n'existe
Que l'amour.
Aimons en paix : il fait nuit noire,
La lueur blême du flambeau
Expire... nous pouvons nous croire
Au tombeau.
Laissons-nous dans les mers funèbres,
Comme après le dernier soupir,
Abîmer, et par leurs ténèbres
Assoupir...
Nous sommes sous la terre ensemble
Depuis très longtemps, n'est-ce pas ?
Écoute en haut le sol qui tremble
Sous les pas.
Regarde au loin comme un vol sombre
De corbeaux, vers le nord chassé,
Disparaître les nuits sans nombre
Du passé,
Et comme une immense nuée
De cigognes (mais sans retours !)
Fuir la blancheur diminuée
Des vieux jours...
Hors de la sphère ensoleillée
Dont nous subîmes les rigueurs,
Quelle étrange et douce veillée
Font nos cœurs ?
Je ne sais plus quelle aventure
Nous a jadis éteint les yeux,
Depuis quand notre extase dure,
En quels cieux.
Les choses de la vie ancienne
Ont fui ma mémoire à jamais,
Mais du plus loin qu'il me souvienne
Je t'aimais...
Par quel bienfaiteur fut dressée
Cette couche ? Et par quel hymen
Fut pour toujours ta main laissée
Dans ma main ?
Mais qu'importe ! ô mon amoureuse,
Dormons dans nos légers linceuls,
Pour l'éternité bienheureuse
Enfin seuls !
il y a 8 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
Midi au village Nul troupeau n’erre ni ne broute ;
Le berger s’allonge à l’écart ;
La poussière dort sur la route,
Le charretier sur le brancard.
Le forgeron dort dans la forge ;
Le maçon s’étend sur un banc ;
Le boucher ronfle à pleine gorge,
Les bras rouges encor de sang.
La guêpe rôde au bord des jattes ;
Les ramiers couvrent les pignons ;
Et, la gueule entre les deux pattes,
Le dogue a des rêves grognons.
Les lavandières babillardes
Se taisent. Non loin du lavoir,
En plein azur, sèchent les hardes
D’une blancheur blessante à voir.
La férule à peine surveille
Les écoliers inattentifs ;
Le murmure épars d’une abeille
Se mêle aux alphabets plaintifs…
Un vent chaud traîne ses écharpes
Sur les grands blés lourds de sommeil,
Et les mouches se font des harpes
Avec des rayons de soleil.
Immobiles devant les portes
Sur la pierre des seuils étroits,
Les aïeules semblent des mortes
Avec leurs quenouilles aux doigts.
C’est alors que de la fenêtre
S’entendent, tout en parlant bas,
Plus libres qu’à minuit peut-être,
Les amants, qui ne dorment pas.
il y a 8 mois
R
Renee Vivien
@reneeVivien
Les chardons Tu ne seras jamais la fiévreuse captive
Qu’enchaîne, qu’emprisonne le lit,
Tu ne seras jamais la compagne lascive
Dont la chair se consume et dont le front pâlit.
Garde ton blanc parfum qui dédaigne le faste.
Tu ne connaîtras point les lâches abandons,
Les sanglots partagés qui font l’âme plus vaste,
Le doute et la faiblesse ardente des pardons
Et, puisque c’est ainsi que je t’aime, ô très chaste !
Nous cueillerons ce soir les mystiques chardons.
il y a 8 mois
R
Robert Tirvaudey
@robertTirvaudey
Sibérie La première neige accrochée à une branche
Illumine l’arbre et l’ancien gazon
Elle dit une contrée où tout se range
Selon une même ligne d’horizon
D’une Sibérie où tous les hommes sont blancs
À la lumière polaire jonglant avec d’autres couleurs
Tout se fond sur une glace en transparent
Une antique oasis aux rayons de lueur
L’homme à la peau de bêtes sauvages
Ne regrette en rien la belle cathédrale
Il ne connaît pas la rage, mais l’audace
D’exister d’une manière magistrale
il y a 8 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Carte postale Quand l’anémone rouge et les jacinthes bleues
Fleurissent les parcs d’Angleterre,
Une petite fille en robe rouge ou bleue
Descend les escaliers de pierre.
De green, les parterres, le lierre,
Les beaux arbres jamais taillés
Et les sous-bois pleins de jacinthes…
En robe rouge ou bleue – anémone ou jacinthe –
Une petite fille est peinte
Dans le printemps vert et mouillé
De la vieille Angleterre.
il y a 8 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Chemins de l’Est Quand j’étais Russe, il m’arrivait
de m’appeler Katia, Masha, Tania.
J’avais une niania,
une baba, tout ce qui chante en « a »
dans les noms russes.
Dans notre isba
Notre-Dame de Portchaïef luisait
comme une étoile et dehors les étoiles
luisaient comme la mosaïque
de notre église à Pâques.
Et sur la terre pâle
de sa pâleur de neige ou rouge
de ses coquelicots, courait comme le vent
mon beau petit cheval de Sibérie.
Traîneaux, bateaux, troupeaux, blanche et rouge Russie,
danses, musique de chez moi, quand j’étais Russe…
Pouvoir de tant souffrir, d’être si vieux, si jeune,
de faire un geste de la main sans pleur ni cri.
J’avais de longues tresses blondes
comme aujourd’hui.
il y a 8 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Dans le royaume où les images vivent… Je vous ai tant aimé, Silence…
Cher vieux Silence, reposant comme une eau plane.
Vous ne me paraissiez jamais immense,
Jamais inquiétant — mais diaphane
Et doux autour de moi, rempart secret,
Tour invisible et sûre… Bon Silence,
Où l’on respire à l’aise et qu’on dirait
Peuplé des mille choses que l’on pense
Quand on est seul, un jour très beau…
Silence d’une rose au bord de l’eau,
D’un lézard au soleil, d’un fauteuil près du feu,
Du cadre sertissant un paysage bleu,
Je vous ai tant aimé…
Au vain bruit des paroles,
Comment s’accoutumer ?
Comment suivre l’étourdissante farandole
De mots parfois trompeurs et discordants
À travers tant de voix, tant d’accents, tant de cris,
Quand on vous a chéri,
Silence ?… Ah ! laissez-moi vous retrouver, gardant
Ce bienfaisant pouvoir des demi-rêves
Dans le royaume où les Images vivent !
Qu’une musique, en écho, nous arrive
Quand le rideau se lève,
Si vous voulez…
Mais laissez-moi, comme avec un ami,
Voir avec vous l’histoire merveilleuse
Que devient à mon gré chaque film déroulé.
Nous referons, s’il faut, des fins heureuses…
Nous irons jusqu’au bout de ce qu’auront promis
La fée ou l’enchanteur aux baguettes de lune.
Ici, tous les jardins aux fruits d’or sont permis !
Nous nous évaderons des phrases importunes…
L’écran tourne pour nous ses pages, une à une —
Pour nous, Silence aux yeux songeurs, Silence ami…
il y a 8 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Et que m’importe la coque de ton âme Et que m’importe la coque de ton âme,
qu’elle soit jeune ou vieille, épaisse ou fine ;
que l’on t’appelle un homme ou une femme,
que tu sois une cloche, un gong ou le grelot
d’une source invisible,
j’entendrai bien le son.
il y a 8 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Le chemin des arbres I. Le chemin du cèdre
J’ai rencontré le cèdre
Nous nous sommes tous deux reconnus. Il m’a dit :
« C’est toi, toi que je sais, dont les bras sont enduits
de ma résine blanche et dont les cheveux brillent
de mes fines aiguilles
et dont les poches craquent
de mes pommes de cèdre… »
Je n’ai rien dit.
Mais son odeur à lui,
d’encens, d’ambre et de cèdre,
est bien ce que je sais comme il sait tout le reste.
II. Le chemin du chêne
J’ai rencontré le chêne,
le vieux chêne aux abeilles,
Il a toujours le cœur ouvert, mais moins d’abeilles,
moins de miel semble-t-il au fond de son cœur noir.
Des essaims l’ont quitté peut-être –
ou j’ai passé trop tard ce soir.
Le chêne secouait sa vieille tête
comme un homme bien seul…
III. Le chemin de l’ormeau
J’ai rencontré l’ormeau.
Pas un ormeau célèbre,
mais un ormeau sans ex-voto,
tournant le dos à la route des hommes.
Sa colonne de bois, rugueuse, nue, énorme,
quelqu’un l’a-t-il jamais serrée entre ses bras ?
Nous l’avions mesurée avec un fil de soie
la colonne de bois qui ne s’arrête pas
de grossir en silence.
Mais grossir – qui jamais voit grossir un ormeau ?
Tant de jours et de nuits, tant de soleil et d’eau,
de paix, d’oubli, de chance…tant et tant !
Entre les émondeurs, les chenilles, l’autan,
J’ai rencontré la Patience.
IV. Le chemin des genévriers
J’ai retrouvé mes petits genévriers,
tordus, piquants roussis, cramponnés aux rochers
comme des acrobates.
Ah! le bleu d’outremer de leurs petites baies
le long des couchants écarlates !
Ils se hérissent, ronds ou si déchiquetés
que tout le ciel traverse
leurs petits corps fantasques.
Le gazon ras joue au tapis de Perse
mais le vent s’y jette en bourrasque.
Ici, les lièvres et les chèvres
Échappent aux hommes d’en bas
Ici bleuissent les genièvres
pour l’oiseau que l’on ne voit pas.
Petit grain bleu, sauvage, amer,
semé parmi les toisons rousses
d’arbres nains que l’hiver rebrousse
comme les oursins dans la mer.
V. Le chemin du roseau
Puis j’ai rencontré le roseau,
le roseau vert qui dit : « Je plie et ne romps pas ».
Les pieds dans l’eau,
il se courbait si bas
que ses rubans encombraient le ruisseau.
Il avait oublié son âme de pipeau.
Son front vert saluait, saluait sans relâche,
son dos se balançait comme un dos de serpent
et jamais le soleil ne le voyait en face.
Il disait aux pipas :
« Je plie et ne romps pas, je plie et ne romps pas… »
enfin, ce qu’il disait au chêne
de Monsieur Jean de La Fontaine.
Et l’âne qui broutait l’a brouté tout de même.
Je n’ai pas rencontré le baobab.
il y a 8 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Le chemin des chansons C’est la chanson du pauvre noir,
sa chanson de route.
Dans l’île, de sa case où la nuit chaude écoute,
cette chanson est née.
D’une voix basse et résignée,
elle berce les pauvres noirs
dans toutes les îles.
C’est la chanson de l’Homme jaune
au fond des rizières.
Elle descend, remonte, monotone,
en jonque, le long des rivières.
Elle bourdonne au cœur des maisons de papier,
mais dit : dans mes bateaux de guerre,
on m’entendra jusqu’au bout de la terre.
Pour la chanson des hommes blancs,
il faut plus d’instruments et des voix plus savantes.
Plus de ciel où monter,
plus de ciel d’où tomber,
dit l’Homme blanc qui chante.
Mais le chant du Peau-Rouge,
du guerrier, du chasseur, du cavalier Peau-Rouge,
du pirate Peau-Rouge et du sorcier Peau-Rouge,
sur la route perdue entre toutes les routes
qui le retrouvera ?
il y a 8 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
La solitude Solitude … Pour vous cela veut dire seul,
Pour moi – qui saura me comprendre ?
Cela veut dire : vert, vert dru, vivace tendre,
Vert platane, vert calycanthe, vert tilleul.
Mot vert. Silence vert. Mains vertes
De grands arbres penchés, d’arbustes fous ;
Doigts mêlés de rosiers, de lauriers, de bambous,
Pieds de cèdres âgés où se concertent
Les bêtes à Bon Dieu ; rondes alertes
De libellules sur l’eau verte…
Dans l’eau, reflets de marronniers,
D’ifs bruns, de vimes blonds, de longues menthes
Et de jeune cresson ; flaques dormantes
Et courants vifs où rament les « meuniers » ;
Rainettes à ressort et carpes vénérables ;
Martin-pêcheur… En mars, étoiles de pruniers,
De poiriers, de pommiers ; grappes d’érables.
En mai, la fête des ciguës,
Celle des boutons d’or : splendeur des prés.
Clochers blancs des yuccas, lances aiguës
Et tiges douces, chèvrefeuille aux brins serrés,
Vigne-vierge aux bras lourds chargés de palmes,
Et toujours, et partout, fraîche, luisante, calme,
L’invasion du lierre à petits flots lustrés
Gagnant le mur des cours, les carreaux des fenêtres,
Les toits des pavillons vainement retondus…
Lierre nouant au front du chêne, au cou du hêtre,
Ses bouquets de grains noirs comme un piège tendu
À la grive hésitante ; vert royaume
Des merles en habit – royaume qui s’étend
Ainsi que dans un parc de Florence ou de Rome
En nappes d’émeraude et cordages flottants…
Lierre de cette allée au porche de lumière
Dont les platanes séculaires, chaque été,
Font une longue cathédrale verte – lierre
De la grotte en rocaille où dorment abrités
Chaque hiver, les callas et les cactus fragiles ;
Housse, que la poussière blanche de la ville
Givre à peine les soirs de très grand vent – pour moi,
Vert obligé des vieilles pierres,
Des arbres vieux, des toits qui penchent, des vieux toits –
Un château ? Non, Madame, une gentilhommière,
Un ermitage vert qui sent les bois, le foin,
Où les bruits de la route arrivent d’assez loin
Pour n’être plus qu’une musique en demi-teintes.
Un train sur le talus se hâte avec des plaintes,
Mais l’horizon tout rose et mauve qu’il rejoint
Transpose le voyage en couleurs de légende.
On regarde un instant vers ces trains qui s’en vont
Traînant leur barbe grise – et c’est vrai qu’ils répandent
Un peu de nostalgie au fil de l’été blond…
Mais le jazz des moineaux fait rage dans les feuilles,
Les pigeons blancs s’exaltent, le cyprès
Est la tour enchantée où des notes s’effeuillent
Autour du rossignol. Du pré,
Monte la fièvre des grillons, des sauterelles,
Toutes les herbes ont des pattes, ont des ailes –
Et l’Âne et le Cheval 2 de la Fable sont là
Et Chantecler3 se joue en grand gala
Jour et nuit dans la cour où des plumes voltigent.
Au clair de l’eau, c’est l’éternel prodige
Du têtard de velours devenu crapaud d’or,
De la voix de cristal parmi les râpes neuves
D’innombrables grenouilles. Le chat dort.
Dickette – chien s’affaire – et sur leur tête pleuvent
Des pastilles de lune ou de soleil brûlant.
S’il pleut vraiment, la pluie à pleins seaux ruisselants
S’éparpille de même aux doigts verts qui l’arrêtent.
Un tilleul, des bambous. L’abri vert du poète,
Du vert, comprenez-vous ? Pour qu’aux vieilles maisons
Rien ne blesse les yeux sous leurs paupières lasses.
Douceur de l’arbre, de la mousse, du gazon…
Vous dites : Solitude ? Ah ! dans l’heure qui passe,
Est-il rien de vivant plus vivant qu’un jardin,
De plus mystérieux, parfumé, dru, tenace,
Et peuplé – si peuplé qu’il arrive soudain
Qu’on y discourt avec mille petits génies
Sortis l’on ne sait d’où, comme chez Aladin.
Un mot vert… Qui dira la fraîcheur infinie
D’un mot couleur de sève et de source et de l’air
Qui baigne une maison depuis toujours la vôtre,
Un mot désert peut-être et desséché pour d’autres,
Mais pour soi, familier, si proche, tendre, vert
Comme un îlot, un cher îlot dans l’univers ?…
il y a 8 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Analogie identitaire Visages sculptés
brodés les uns après les autres
là en haut sous les toits
à côté des chambres de bonnes
Chaque profil est différent
égal dans son essence
inébranlable dans son destin
Nos regards rêveurs se démultiplient
quérissant en vain la similitude
marque ancestrale cachée dans les cellules
Nous cherchons cette statue
qui nous ressemble
ce sourire identique au même destin
se reflétant dans la brume des souvenirs
tel ce palais en pierre
dans le miroir d’eau piétinée
par la pureté de nos enfants
Nous traversons à nouveau le pont
au ralenti
la pluie fouettant nos visages
nous noie dans la tautologie de la réalité
il y a 8 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Rencontres Rituels embellissant
notre vie bleue ardoise
errance à travers la ville
la foule nous berce
le verbe nous allaite
magie d’une histoire
ordinaire
un chapitre béni est gravé
un musicien joue du piano
le colombophile respecté
écrit son roman de gestes simples
l’ange éphémère
annule l’hypocrisie de ses congénères
son parchemin reflète son âme
extraordinaire
alchimie des mots,
tu nous fais gagner la bataille
à la croisée des différences
il y a 8 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Écriture Un livre une page des mots
Un adulte
l’enfant caché
Tu parles
à toi, de toi
à moi
au monde
Maintenant, tout de suite
Sans aucune règle
Libre de t’affirmer
sans respecter les conventions
bourgeoises, castratrices, arbitraires
la pensée globalisée se construit
élixir alchimique enivrant
réaffirme notre analogie
le temps d’un instant
recompose le puzzle fraternel
le mot philosophale rayonne
ainsi restauré
il y a 8 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Musique Dans un coin de la ville ancienne disparue,
Depuis douze ans bientôt passés, j’habite, rue
De l’Éperon, au rez-de-chaussée, un très vieil
Hôtel, hanté par les oiseaux et le soleil.
Du côté du jardin, les ailes familières
Emplissent de frissons les feuillages des lierres;
Mais, hélas! on entend, dès que revient le jour,
De bien autres chanteurs du côté de la cour,
Où force malheureux, affligés d’un catarrhe,
Miaulent avec rage en pinçant la guitare,
Bande qui fait la joie et l’ornement des cours.
Là sont des béquillards, des aveugles, des sourds.
Blêmes comme Pierrot, verts comme des pistaches
Des gens à chapeaux mous, des masques à moustaches
Chantent des airs, hélas! — car tels sont leurs talents,
Qu’ils ne sauront jamais, quand ils vivraient mille ans.
Tel, pareil à ces morts échoués à la Morgue,
Tourne la manivelle indécente de l’orgue
Ou, triste comme un vieil acteur de l’Odéon,
Tourmente le soufflet du faible accordéon,
Et tel, car c’est encore une façon plus nette,
De sa bouche sans dents mord une clarinette.
Celui-là fait pleurer l’âme du violon
En jouant du Lecocq ou du Bach, c’est selon,
Et tous chantent! — Déesse adorable, ô Musique!
Ces types accomplis de la hideur physique
Chantent d’un coeur tranquille. Oh! comme ils chantent faux
Et de leurs pantalons soulignant les défauts
Toutes les fanges, par les balais reculées,
Baisent avec amour leurs bottes éculées.
Cependant, tels qu’ils sont, déguenillés, maudits,
Je les aime, ces noirs mendiants, ces bandits
Que l’âpre faim déchire et sur qui les cieux pleuvent,
Parce que sous la nue ils chantent comme ils peuvent,
Oiseaux boiteux qu’en vain sollicite l’azur,
Parce que je ne sais quel souvenir obscur
De la Lyre frémit dans leur voix étouffée
Et qu’ils sont, comme moi, de la race d’Orphée.
Ces gueux, plus enroués qu’une meute aux abois,
Ressemblent à des loups qui pleurent dans les bois
Et, parmi ces faiseurs de trilles et de gammes,
Du matin jusqu’au soir grouillent des tas de femmes.
Des fillettes à l’oeil déjà noyé d’amour
Sur un rhythme dansant font sonner leur tambour,
Et des vieilles sans nombre aux allures fossiles
Convulsent en chantant leurs faces imbéciles,
Gémissent avec des sanglots et des hoquets
Et portent leurs petits roulés en des paquets.
C’est la procession de tous les monstres. L’une
Montre sur son visage une pâleur de lune
Et, comme un lac, s’argente, et l’autre, au nez camard,
A sur sa joue en feu des rougeurs de homard.
Rien n’est plus effrayant à voir que les structures
Et les corps abolis de ces caricatures;
Et pourtant, quand leurs voix font leur bruit énervant
Comme les grincements de l’orage et du vent,
Avec leurs fronts hideux que les bises meurtrissent,
Dans leur misère ces chanteuses m’attendrissent
Et sans être offensé de leurs chants criminels,
Je les contemple avec des regards fraternels.
Une surtout, pareille à quelque étrange fée,
Pâle, jaune, recuite et d’un mouchoir coiffée.
Au fond de ses yeux bleus tout petits, dont le tour
Est bistré, se lamente un long passé d’amour,
Et sur sa bouche en coup de sabre, le génie
De la femme a gravé sa tranquille ironie.
Sans nul doute elle fut, parmi l’or et les fleurs,
Une Parisienne aux yeux ensorceleurs;
Car le reflet des vieux souvenirs la décore
Et le songeur ému voit trembloter encore
Le triomphe et l’orgueil en son regard terni.
Je la nomme souvent: la vieille Gavarni,
Car je crois la revoir parmi ces aquarelles
Que le maître peuplait d’âmes surnaturelles,
Et sur le châle où court un frisson d’air subtil,
Je vois distinctement les hachures dont il
Avivait sa peinture avec de l’encre rouge.
Et ce mince lambeau qui grelotte et qui bouge,
Où parfois le soleil jette un fuyant éclair,
Étoffe tristement décolorée, a l’air
Des drapeaux devenus haillons, que la Victoire
Avait jadis enflés dans la bataille noire,
Alors que les clairons sonnaient dans l’air fumant,
Et que les vieux soldats gardent pieusement.
Jeudi, 6 janvier 1887.
il y a 8 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Le chasseur Je suis enfant de la montagne,
Comme l’isard, comme l’aiglon ;
Je ne descends dans la campagne
Que pour ma poudre et pour mon plomb ;
Puis je reviens, et de mon aire
Je vois en bas l’homme ramper,
Si haut placé que le tonnerre
Remonterait pour me frapper.
Je n’ai pour boire, après ma chasse,
Que l’eau du ciel dans mes deux mains ;
Mais le sentier par où je passe
Est vierge encor de pas humains.
Dans mes poumons nul souffle immonde
En liberté je bois l’air bleu,
Et nul vivant en ce bas monde
Autant que moi n’approche Dieu.
Pour mon berceau j’eus un nid d’aigle
Comme un héros ou comme un roi,
Et j’ai vécu sans frein ni règle,
Plus haut que l’homme et que la loi.
Après ma mort une avalanche
De son linceul me couvrira,
Et sur mon corps la neige blanche,
Tombeau d’argent, s’élèvera.
il y a 8 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Au peuple Il te ressemble ; il est terrible et pacifique.
Il est sous l’infini le niveau magnifique ;
Il a le mouvement, il a l’immensité.
Apaisé d’un rayon et d’un souffle agité,
Tantôt c’est l’harmonie et tantôt le cri rauque.
Les monstres sont à l’aise en sa profondeur glauque ;
La trombe y germe ; il a des gouffres inconnus
D’où ceux qui l’ont bravé ne sont pas revenus ;
Sur son énormité le colosse chavire ;
Comme toi le despote il brise le navire ;
Le fanal est sur lui comme l’esprit sur toi ;
Il foudroie, il caresse, et Dieu seul sait pourquoi ;
Sa vague, où l’on entend comme des chocs d’armures,
Emplit la sombre nuit de monstrueux murmures,
Et l’on sent que ce flot, comme toi, gouffre humain,
Ayant rugi ce soir, dévorera demain.
Son onde est une lame aussi bien que le glaive ;
Il chante un hymne immense à Vénus qui se lève ;
Sa rondeur formidable, azur universel,
Accepte en son miroir tous les astres du ciel ;
Il a la force rude et la grâce superbe ;
Il déracine un roc, il épargne un brin d’herbe ;
Il jette comme toi l’écume aux fiers sommets,
Ô peuple ; seulement, lui, ne trompe jamais
Quand, l’oeil fixe, et debout sur sa grève sacrée,
Et pensif, on attend l’heure de sa marée.
Victor Hugo
il y a 8 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Aux champs Je me penche attendri sur les bois et les eaux,
Rêveur, grand-père aussi des fleurs et des oiseaux ;
J’ai la pitié sacrée et profonde des choses ;
J’empêche les enfants de maltraiter les roses ;
Je dis : N’effarez point la plante et l’animal ;
Riez sans faire peur, jouez sans faire mal.
Jeanne et Georges, fronts purs, prunelles éblouies,
Rayonnent au milieu des fleurs épanouies ;
J’erre, sans le troubler, dans tout ce paradis ;
Je les entends chanter, je songe, et je me dis
Qu’ils sont inattentifs, dans leurs charmants tapages,
Au bruit sombre que font en se tournant les pages
Du mystérieux livre où le sort est écrit,
Et qu’ils sont loin du prêtre et près de Jésus-Christ.
il y a 8 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Il lui disait : Vois-tu.. Il lui disait : « Vois-tu, si tous deux nous pouvions,
L’âme pleine de foi, le coeur plein de rayons,
Ivres de douce extase et de mélancolie,
Rompre les mille noeuds dont la ville nous lie ;
Si nous pouvions quitter ce Paris triste et fou,
Nous fuirions ; nous irions quelque part, n’importe où,
Chercher loin des vains bruits, loin des haines jalouses,
Un coin où nous aurions des arbres, des pelouses ;
Une maison petite avec des fleurs, un peu
De solitude, un peu de silence, un ciel bleu,
La chanson d’un oiseau qui sur le toit se pose,
De l’ombre ; — et quel besoin avons-nous d’autre chose ? »
Juillet 18…
il y a 8 mois
Voltaire
@voltaire
Le loup moraliste Un loup, à ce que dit l’histoire,
Voulut donner un jour des leçons à son fils,
Et lui graver dans la mémoire,
Pour être honnête loup, de beaux et bons avis.
« Mon fils, lui disait-il, dans ce désert sauvage,
A l’ombre des forêts vous passez vos jours ;
Vous pourrez cependant avec de petits ours
Goûter les doux plaisirs qu’on permet à votre âge.
Contentez-vous du peu que j’amasse pour vous,
Point de larcin : menez une innocente vie ;
Point de mauvaise compagnie ;
Choisissez pour amis les plus honnêtes loups ;
Ne vous démentez point, soyez toujours le même ;
Ne satisfaites point vos appétits gloutons :
Mon fils, jeûnez plutôt l’avent et le carême,
Que de sucer le sang des malheureux moutons ;
Car enfin, quelle barbarie,
Quels crimes ont commis ces innocents agneaux ?
Au reste, vous savez qu’il y va de la vie :
D’énormes chiens défendent les troupeaux.
Hélas ! Je m’en souviens, un jour votre grand-père
Pour apaiser sa faim entra dans un hameau.
Dès qu’on s’en aperçut : O bête carnassière !
Au loup ! s’écria-t-on ; l’un s’arme d’un hoyau,
L’autre prend une fourche ; et mon père eût beau faire,
Hélas ! Il y laissa sa peau :
De sa témérité ce fut le salaire.
Sois sage à ses dépens, ne suis que la vertu,
Et ne sois point battant, de peur d’être battu.
Si tu m’aimes, déteste un crime que j’abhorre. »
Le petit vit alors dans la gueule du loup
De la laine, et du sang qui dégouttait encore :
Il se mit à rire à ce coup.
« Comment, petit fripon, dit le loup en colère,
Comment, vous riez des avis
Que vous donne ici votre père ?
Tu seras un vaurien, va, je te le prédis :
Quoi ! Se moquer déjà d’un conseil salutaire ! »
L’autre répondit en riant :
« Votre exemple est un bon garant ;
Mon père, je ferai ce que je vous vois faire. »
Tel un prédicateur sortant d’un bon repas
Monte dévotement en chaire,
Et vient, bien fourré, gros et gras,
Prêcher contre la bonne chère.
il y a 8 mois
Voltaire
@voltaire
À Samuel Bernard Au nom de Madame de Fontaine-Martel
C’est mercredi que je soupais chez vous
Et que, sortant des plaisirs de la table,
Bientôt couchée, un sommeil prompt et doux
Me fit présent d’un songe délectable.
Je rêvais donc qu’au manoir ténébreux
J’étais tombée, et que Pluton lui-même
Me menait voir les héros bienheureux
Dans un séjour d’une beauté suprême ;
Par escadrons ils étaient séparés ;
L’un après l’autre il me les fit connaître.
Je vis d’abord modestement parés
Les opulents qui méritaient de l’être :
Voilà, dit-il, les généreux amis ;
En petit nombre ils viennent me surprendre ;
Entre leurs mains les biens ne semblaient mis
Que pour avoir le soin de les répandre.
Ici sont ceux dont les puissants ressorts,
Crédit immense, et sagesse profonde,
Ont soutenu l’état par des efforts
Qui leur livraient tous les trésors du monde.
Un peu plus loin, sur ces riants gazons,
Sont les héros pleins d’un heureux délire,
Qu’Amour lui-même en toutes les saisons
Fit triompher dans son aimable empire.
Ce beau réduit, par préférence, est fait
Pour les vieillards dont l’humeur gaie et tendre
Paraît encore avoir ses dents de lait,
Dont l’enjouement ne saurait se comprendre.
D’un seul regard tu peux voir tout d’un coup
Le sort des bons, les vertus couronnées :
Mais un mortel m’embarrasse beaucoup ;
Ainsi je veux redoubler ses années :
Chaque escadron le revendiquerait.
La jalousie au repos est funeste :
Venant ici quel trouble il causerait !
Il est là-haut très heureux ; qu’il y reste.