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Rêves

48 poésies en cours de vérification
Rêves

Poésies de la collection rêves

    M

    Maurice Carême

    @mauriceCareme

    Le corbeau « Que le roi devienne corbeau! » Dit un gueux qui rêvait tout haut, Les yeux fixés sur Bételgeuse. Et ce roi devint un corbeau Qui croassa d’une voix creuse Et s’envola vers les Gémeaux. Il est dangereux de rêver Seul à seul avec une étoile… Et il est heureux pour le roi Qu’un enfant, qui rêvait tout bas À plus de treize lieues de là, Dise en voyant passer une aile Immense et noire sur le ciel: « Que ce corbeau devienne roi ! »

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    Michel Leiris

    Michel Leiris

    @michelLeiris

    Le pays de mes rêves Sur les marches qui conduisent aux perspectives du vide, je me tiens debout, les mains appuyées sur une lame d'acier. Mon corps est traversé par un faisceau de lignes invisibles qui relient chacun des points d'intersection des arêtes de l'édifice avec le centre du soleil. Je me promène sans blessures parmi tous ces fils qui me transpercent et chaque lieu de l'espace m'insuffle une âme nouvelle. Car mon esprit n'accompagne pas mon corps dans ses révolutions; machine puisant l'énergie motrice dans le fil tendu le long de son parcours, ma chair s'anime au contact des lignes de perspective qui, au passage, abreuvent ses plus secrètes cellules de l'air du monument, âme fixe de la structure, reflet de la courbure des voûtes, de l'ordonnance des vasques et des murs qui se coupent à angle droit. Si je trace autour de moi un cercle avec la pointe de mon épée, les fils qui me nourrissent seront tranchés et je ne pourrai sortir du cachot circulaire, m'étant à jamais séparé de ma pâture spatiale et confiné dans une petite colonne d'esprit immuable, plus étroite que les citernes du palais. La pierre et l'acier sont les deux pôles de ma captivité, les vases communicants de l'esclavage; je ne peux fuir l'un qu'en m'enfermant dans l'autre, — jusqu'au jour où ma lame abattra les murailles, à grands coups d'étincelles. II Le repli d'angle dissipé, d'un coup de ciseaux la décision fut en balance. Je me trouvai sur une terre labourée, avec le soleil à ma droite, et à ma gauche le disque sombre d'un vol de vautours qui filaient parallèlement aux sillons, le bec rivé à la direction des crevasses par le magnétisme du sol. Des étoiles se révulsaient dans chaque cellule de l'atmosphère. Les serres des oiseaux coupaient l'air comme une vitre et laissaient derrière elles des sillages incandescents. Mes paumes devenaient douloureuses, percées par ces lances de feu, et parfois l'un des vautours glissait le long d'un rayon, lumière serrée entre ses griffes. Sa descente rectiligne le conduisait à ma main droite qu'il déchirait du bec, avant de remonter rejoindre la troupe qui s'approchait vertigineusement de l'horizon. Je m'aperçus bientôt que j'étais immobile, la terre tournant sous mes pieds et les oiseaux donnant de grands coups d'ailes afin de se maintenir à ma hauteur. J'enfonçais les horizons comme des miroirs successifs, chacun de mes pieds posé dans un sillon qui me servait de rail et le regard fixé au sillage des vautours. Mais finalement ceux-ci me dépassèrent. Gonflant toutes les cavités de leur être afin de s'alléger, ils se confondirent avec le soleil. La terre s'arrêta brusquement, et je tombai dans un puits profond rempli d'ossements, un ancien four à chaux hérissé de stalagmites : dissolution rapide et pétrification des rois. III Très bas au-dessous de moi, s'étend une plaine entièrement couverte par un immense troupeau de moutons noirs qui se bousculent entre eux. Des chiens escaladent l'horizon et pressent les flancs du troupeau, lui faisant prendre la forme d'un rectangle de moins en moins oblong. Je suis maintenant au-dessus d'une forêt de bouleaux dont les cimes pommelées s'entrechoquent, se flétrissent rapidement, tandis que les troncs, se dépouillant eux-mêmes de leur peau blanche, construisent une grande boîte carrée, seul accident qui demeure dans la plaine dénudée. Au centre de la boite, comme une médaille dans un écrin, repose la plus mince tranche du dernier tronc et j'aperçois distinctement le cœur, l'écorce et l'aubier. Ce disque de bois, où les faisceaux médullaires apparaissent en filigrane, n'est qu'un hublot de verre, l'orifice d'un cône qui découpe dans l'épaisse paroi qui m'enveloppe l'unique fenêtre de ma durée. IV Dans l'hémisphère de la nuit, je ne vois que les jambes blanches et solides de l'idole, mais je sais que plus haut, dans la glace éternelle, son buste est un trou noir comme le néant de la substance nue et sans attributs. Parmi la foule amassée autour du piédestal, quelqu'un répète inlassablement : « La reliure du sépulcre solaire blanchit les tombes... La reliure du sépulcre... etc.. » Entre le sommeil des voix et le règne des statues, une rose enrichit le sang où se baigne le bleu corporel assimilable par fragments. La saveur des couronnes qui descendent au niveau des bouches closes suggère un calcul plus rapide que celui des gestes instantanés. Les laminaires ont tracé des cercles pour blesser nos fronts. Je pense au guerrier romain qui veille sur mes rêves; il élève son bouclier à hauteur de mes yeux et me fait lire deux mots : atoll et sépulcrons. Si le pari de Pascal peut se figurer par la croix obtenue en développant un dé à jouer, que pourra m'apprendre la décomposition du bouclier? Depuis longtemps déjà, j'ai arraché fibre à fibre la face du guerrier : j'ai d'abord obtenu le profil d'une médaille, puis une surface herbeuse et un marécage presque sans limites d'où émergent des fûts brisés. Aujourd'hui, je suis parvenu à mettre un nom sur chaque parcelle de chair. Le blanc des yeux s'appelle courage, le rose des joues s'écrit adieu et les volutes du casque épousent si exactement la forme des fumées que je ne puis les nommer que somnifères. Mais le ventre du bouclier représente une gorgone hideuse, dont les cheveux sont des chiffres 3 et 5 entrelacés. Le 8 de la somme se renverse, et j'arrive à l'Infini, serpent du sexe qui se mord soi-même. C'est alors que la chiourme des lignes se couche sous le fouet de la matière. Il ne me reste qu'à accomplir le meurtre devant une architecture sans fin. Je briserai les statues et tracerai des croix sur le sol avec mon couteau. Les soupiraux s'élargiront et des astres sortiront silencieusement des caves, — fruits des sphères et des statues, grappes de globes lumineux montant comme les bulles transparentes d'un fumeur de savon, à travers les pigments de la mort et le bulbe rouge de la lampe de charbon. VI Au cours de ma vie blanche et noire, la marée du sommeil obéit au mouvement des planètes, comme le cycle des menstrues et les migrations périodiques d'oiseaux. Derrière les cadres, une rame délicieuse va s'élever encore : au monde aéré du jour se substitue la nuit liquide, les plumes se changent en écailles et le poisson doré monte des abîmes pour prendre la place de l'oiseau, couché dans son nid de feuilles et de membres d'insectes. Des galets couverts de mots — mots eux-mêmes bousculés, délavés et polis — s'incrustent dans le sable parmi les rameaux et coquilles d'algues, lorsque toute vie terrestre se rétracte et se cache dans son domicile obscur : les orifices des minéraux. Zénith, Porphyre, Péage, sont les trois vocables que je lis le plus souvent. Ils ne m'apparurent d'abord que partiellement : le Z en zébrure ou zigzag de conflit, fuite oblique vers les incidences puis persévérance dans une voie parallèle, —l'Y de l'outre-terre (Ailleurs, qu'Y a-t-il? Y serons-nous sibYlles? Qu'Y pourrai-je faire si je n'ai plus mes Yeux?), — l'A écartant de plus en plus son angle rapace sous-tendu par un horizon fictif, tandis que P Poussait la Porte des Passions. Puis les trois mots se formèrent et je pus les faire sauter dans mes mains avec d'autres mots que je possédais déjà, lisant au passage la phrase qu'ils composèrent : Payes-tu, ô Zénith, le péage du porphyre? A quoi je répondis, lançant mes cailloux en ricochets : Le porphyre du Zénith n'est pas notre péage.

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    M

    Myriam Maltais

    @myriamMaltais

    De l'obscurité naît l'aube Songe, Terre prospère aux hommes de grands talents; Hélas! Tu es délirant, dans l’œil de l'insouciant. Pauvre richesse, en vain nous désassemble; Comme la tourmente ivre d'un hiver qui tremble. Ô clairvoyance, chante-nous la lune ! Navigue la ritournelle dans nos cœurs infortunes. Ton souvenir prophétique drapé d'une blancheur, Telles les forêts échancrées, qui sèvent, s'écorcent et meurent. D'amours printaniers ; dégivrent nos nuits La mémoire courte oublie, cette douce mélancolie. Seuls, la froidure réchauffe nos lits de dentelle; Car, intouchable restera-t-elle ; la femme prunelle. Ci-gît, terrés, les yeux cernés sous un cœur désireux ; Désormais, ne comptent plus les étoiles parmi les cieux. Jeune savant, par cœur se rappellent les constellations, Et pourtant sous la déprime, rêvent au chaud de leur maison. Rêve brisé, rêve mesquin, Las, quand dormiras-tu enfin ?

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    P

    Paul Morin

    @paulMorin

    Le beau rêve Ce soir, mon âme était plus lourde qu'une pierre, (je déteste la ville où le sort m'a conduit), et quoiqu'il ne fît pas encor tout à fait nuit, la tête dans les mains, je fermai mes paupières... Ah, que j'avais souffert de cette journée grise, de la chambre d'hôtel et de ses murs terreux ! Que j'étais malheureux ! J'avais tenté de tout, d'écrire à des amis, de prier à l'église, de lire des poèmes d'azur et de soleil, de me persuader de la fuite des jours... Ce n'était qu'ajouter à un fardeau trop lourd. Je crois que je pleurais dans un demi-sommeil. Et, peu à peu, étrangement hallucinée, ma pensée s'envola vers la chère maison, de si miraculeuse et puissante façon, que je crus ne l'avoir jamais abandonnée ; j'étais chez moi, dans la chaude, la verte chambre où, amoureusement, minutieusement, je m'entoure de soieries, de lampes d'Orient, d'anciens livres dorés, odorants comme l'ambre... Je n'aurais qu'à ouvrir les yeux et je verrais, dans leurs cadres laqués, cendrés vieillots, ternis, la Sibylle, la Fée, la Vierge de Lui ni. et la Sainte de Léonard au sourire discret ; je verrais mes trois fenêtres aux carreaux verts, tamisant la lumière moirée, marine, blonde comme au glauque royaume de Voglinde, de Vellgunde..., et des cloches légères s'égrèneraient dans l'air. Tout le reste, perdu dans la nuit équivoque d'un cerveau fatigué, les soirs de solitude, le spectacle affolant d'inouïes platitudes, les compagnons aigris, niais, pédants, baroques, tout le reste, fantoches, fossiles hantés de lucre, d'égoïsme, d'envie, n'était qu'un cauchemar ! C'est fini, bien fini. Tu rêvas, tel Omar. Sens plutôt ce parfum de fruits mûrs et de sucre, montant (tiens ! on oublia de fermer les portes...) de la cuisine, temple de ta gourmande enfance. Et ces étranges dissonances ? Sur quel clavecin grêle tapotent des mains mortes ? C'est la bonne qui époussette le piano. O Nirvana délicieux ! Je me rassure. L'encens vertigineux que font les confitures, et ces notes menues d'hystérique moineau m'auraient fait, autrefois, pousser les hauts cris ; mais, après ce mauvais rêve où j'ai cru, bonnement, mourir d'effroi, de lassitude, d'écœurement, loin de tous ceux que j'aime, de tout ce que j'aimais, savourons cette pseudo-délectation ; après ce mauvais rêve, laissez-moi, sensations futiles et sans art d'un bourgeois crépuscule, goûter vos petits chocs touchants et ridicules. Stratagème innocent et puéril manège, livrons-nous, ô mes nerfs, à des lévitations. Fantasque et tutélaire imagination, vous m'avez transporté au clair pays des neiges... Je ne suis pas ici, dans ce collège froid, l'esclave salarié de petites donzelles. Ma sèche conférence sur Théodore Jouffroy devient un beau poème où palpitent des ailes, et ces pas que j'entends sont les pas de Maman... Je suis dans le petit et le tendre univers des choses et des gens aux âmes familières, — chez nous... J'ouvris les yeux — Ah, quel déchirement !

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    Paul Verlaine

    Paul Verlaine

    @paulVerlaine

    Ballade en rêve J'ai rêvé d'elle, et nous nous pardonnions Non pas nos torts, il n'en est en amour, Mais l'absolu de nos opinions Et que la vie ait pour nous pris ce tour. Simple elle était comme au temps de ma cour, En robe grise et verte et voilà tout, (J'aimai toujours les femmes dans ce goût), Et son langage était sincère et coi. Mais quel émoi de me dire au débout : J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi. Elle ni moi nous ne nous résignions À plus souffrir pas plus tard que ce jour. Ô nous revoir encore compagnons, Chacun étant descendu de sa tour Pour un baiser bien payé de retour ! Le beau projet ! Et nous étions debout, Main dans la main, avec du sang qui bout Et chante un fier 'donec gratus'. Mais quoi ? C'était un songe, ô tristesse et dégoût ! J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi. Et nous suivions tes luisants fanions, Soie et satin, ô Bonheur vainqueur, pour Jusqu'à la mort, que d'ailleurs nous niions. J'allais par les chemins, en troubadour, Chantant, ballant, sans craindre ce pandour Qui vous saute à la gorge et vous découd. Elle évoquait la chère nuit d'Août Où son aveu bas et lent me fit roi. Moi, j'adorais ce retour qui m'absout. J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi ! Envoi. Princesse elle est, sans doute, à l'autre bout Du monde où règne et persiste ma foi. Amen, alors, puisqu'à mes dam et coût, J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi.

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    Paul Verlaine

    Paul Verlaine

    @paulVerlaine

    En rêve J'ai rêvé d'elle, et nous nous pardonnions Non pas nos torts, il n'en est " en amour, Mais l'absolu de nos opinions Et que la vie ait pour nous pris ce tour. Simple elle était comme au temps de ma cour, En robe grise et verte et voilà tout, (J'aimai toujours les femmes dans ce goût). Et son langage était sincère et coi. Mais quel émoi de me dire au débout : J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi. Elle ni moi nous ne nous résignions A plus souffrir pas plus tard que ce jour. nous revoir encore compagnons, Chacun étant descendu de sa tour Pour un baiser bien payé de retour ! Le beau projet ! Et nous étions debout, Main dans la main, avec du sang qui bout Et chante un fier donec gratus. Mais quoi ? C'était un songe, ô tristesse et dégoût ! J*ai rêvé d'elle et pas elle de moi. Et nous suivions tes luisants Fanions, Soie et satin, ô Bonheur vainqueur, pour Jusqu'à la mort, que d'ailleurs nous niions. J'allais par les chemins, en troubadour. Chantant, ballant, sans craindre ce pandour Qui vous saute à la gorge et vous découd* Elle évoquait la chère nuit d'Août Où son aveu bas et lent me fit roi. Moi, j'adorais ce retour qui m'absout. J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi ! ENVOI Princesse elle est, sans doute, à l'autre bout Du monde où règne et persiste ma foi *. Amen, alors, puisqu'à mes dam et coût, J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi.

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    Paul-Jean Toulet

    Paul-Jean Toulet

    @paulJeanToulet

    Rêves d'enfant Circé des bois et d'un rivage Qu'il me semblait revoir, Dont je me rappelle d'avoir Bu l'ombre et le breuvage ; Les tambours du Morne Maudit Battant sous les étoiles Et la flamme où pendaient nos toiles D'un éternel midi ; Rêves d'enfant, voix de la neige, Et vous, murs où la nuit Tournait avec mon jeune ennui... Collège, noir manège.

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    Rainer Maria Rilke

    Rainer Maria Rilke

    @rainerMariaRilke

    De ton rêve trop plein De ton rêve trop plein, fleur en dedans nombreuse, mouillée comme une pleureuse, tu te penches sur le matin. Tes douces forces qui dorment, dans un désir incertain, développent ces tendres formes entre joues et seins.

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    Raymond Queneau

    Raymond Queneau

    @raymondQueneau

    Je n'ai donc pu rêver Je n'ai donc pu rêver que de fausses manœuvres, vaisseau que des hasards menaient de port en port, de havre en havre et de la naissance à la mort, sans connaître le fret ignorant de leur œuvre. Marins et passagers et navire qui tangue et ce je qui débute ont même expression, une charte-partie ou la démolition, mais sur ce pont se livrent des combats exsangues. Voici : le capitaine a regardé les nuages qui démolissaient l'horizon, il descend dans la cale où déjà du naufrage se profile l'inclinaison. Voici : les rats se sauvent et plus d'un prisonnier trouve sa délivrance. La coquille a viré pour courir d'autres chances, et voici : l'on innove. Que disent les marins ? ils grimpent aux cordages en sacrant comme des loups, ils ont passé la ligne affublés en sauvages, voulant encor faire les fous. Voici : ce navire entre dans d'autres eaux, d'autres mers où les orages n'ont pas détruit le balisage, et voici : les marins ont fermé leurs couteaux. Voici : ce ne sont plus vers de faux rivages que nous appareillons. La vie est un songe, dit-on, mais deux c'est trop pour mon âge.

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    René Char

    René Char

    @reneChar

    La scie rêveuse S'assurer de ses propres murmures et mener l'action jusqu'à son verbe en fleur. Ne pas tenir ce bref feu de joie pour mémorable. Cessons de lancer nos escarbilles au visage des dieux faillis. C'est notre regard qui s'emplit de larmes. Il en est qui courent encore, amants tardifs de l'espace et du retrait. Ainsi, dieux improbables, se veulent-ils peu diligents dans la maison mais empressés dans l'étendue. Loi de rivière, loi au juste report, aux pertes compensées mais aux flancs déchirés, lorsque l'ambitieuse maison d'esprit croula, nous te reconnûmes et te trouvâmes bonne. Souffle au sommeil derrière ses charrues : « Halte un moment : le lit n'est pas immense ! » Entends le mot accomplir ce qu'il dit. Sens le mot être à son tour ce que tu es. Et son existence devient doublement la tienne. Seule des autres pierres, la pierre du torrent a le contour rêveur du visage enfin rendu.

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    En voyage Je partais pour un long voyage. En wagon, tapi dans mon coin, J'écoutais fuir l'aigu sillage Du sifflet dans la nuit, au loin ; Je goûtais la vague indolence, L'état obscur et somnolent, Où fait tomber sans qu'on y pense Le train qui bourdonne en roulant ; Et je ne m'apercevais guère, Indifférent de bonne foi, Qu'une jeune fille et sa mère Faisaient route à côté de moi. Elles se parlaient à voix basse : C'était comme un bruit de frisson, Le bruit qu'on entend quand on passe Près d'un nid le long d'un buisson ; Et bientôt elles se blottirent, Leurs fronts l'un vers l'autre penchés, Comme deux gouttes d'eau s'attirent Dès que les bords se sont touchés ; Puis, joue à joue, avec tendresse, Elles se firent toutes deux Un oreiller de leur caresse, Sous la lampe aux rayons laiteux. L'enfant, sur le bras de ma stalle, Avait laissé poser sa main Qui reflétait, comme une opale, La moiteur d'un jour incertain ; Une main de seize ans à peine : La manchette l'ombrait un peu ; L'azur, d'une petite veine, La nuançait comme un fil bleu ; Elle pendait, molle et dormante, Et je ne sais si mon regard Pressentit qu'elle était charmante Ou la rencontra par hasard, Mais je m'étais tourné vers elle, Sollicité sans le savoir : On dirait que la grâce appelle Avant même qu'on l'ait pu voir. « Heureux, me dis-je, le touriste Que cette main-là guiderait ! » Et ce songe me rendait triste : Un vœu n'éclôt que d'un regret. Cependant glissaient les campagnes Sous les fougueux rouleaux de fer, Et le profil noir des montagnes Ondulait ainsi qu'une mer. Force étrange de la rencontre ! Le cœur le moins prime-sautier, D'un lambeau d'azur qui se montre, Improvise un ciel tout entier : Une enfant dort, une étrangère, Dont la main paraît à demi, Et ce peu d'elle me suggère Un vœu d'un bonheur infini ! Je la rêve, inconnue encore, Sur ce peu de réalité, Belle de tout ce que j'ignore Et du possible illimité... Je rêve qu'une main si blanche, D'un si confiant abandon, Ne peut-être que sûre et franche, Et se donnerait tout de bon. Bienheureux l'homme qu'au passage Cette main fine enchaînerait ! Calme à jamais, à jamais sage... — Vitry ! Cinq minutes d'arrêt ! À ces mots criés sur la voie, Le couple d'anges s'éveilla, Battit des ailes avec joie, Et disparut. Je restai là. Cette enfant, qu'un autre eût suivie, Je me la laissais enlever. Un voyage ! Telle est la vie Pour ceux qui n'osent que rêver.

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Fin du rêve Le rêve, serpent traître éclos dans le duvet, Roule autour de mes bras une flatteuse entrave, Sur mes lèvres distille un philtre dans sa bave, Et m'amuse aux couleurs changeantes qu'il revêt. Depuis qu'il est sorti de dessous mon chevet, Mon sang glisse figé comme une tiède lave, Ses nœuds me font captif et ses regards esclave, Et je vis comme si quelque autre en moi vivait. Mais bientôt j'ai connu le mal de sa caresse ; Vainement je me tords sous son poids qui m'oppresse, Je retombe et ne peux me défaire de lui. Sa dent cherche mon cœur, le retourne et le ronge ; Et, tout embarrassé dans des lambeaux de songe, Je meurs. — Ô monstre lourd ! qui donc es-tu ? — L'Ennui.

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Ici-bas Ici-bas tous les lilas meurent, Tous les chants des oiseaux sont courts ; Je rêve aux étés qui demeurent Toujours... Ici-bas les lèvres effleurent Sans rien laisser de leur velours ; Je rêve aux baisers qui demeurent Toujours... Ici-bas tous les hommes pleurent Leurs amitiés ou leurs amours ; Je rêve aux couples qui demeurent Toujours...

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    Robert Desnos

    Robert Desnos

    @robertDesnos

    J’ai tant rêvé de toi J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m’est chère ? J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être. Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années je deviendrais une ombre sans doute, Ô balances sentimentales. J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l’amour et toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu. J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie.

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    S

    Salim Zouhaier

    @salimZouhaier

    A travers ma fenêtre Je divague dans les cieux en apercevant la lune , les nuages sont pieux d'avoir évité la lacune de ne pas avoir bonne mine Amine indique qu'ils sont beaux, fantastiques parcourus par des pigeons migrateurs fuyant les dictateurs de cette terre emplie d'objets, pour la nature ravageurs

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    La pente de la rêverie Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ; Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ; Et quand s'offre à vos yeux un océan qui dort, Nagez à la surface ou jouez sur le bord. Car la pensée est sombre ! Une pente insensible Va du monde réel à la sphère invisible ; La spirale est profonde, et quand on y descend, Sans cesse se prolonge et va s'élargissant, Et pour avoir touché quelque énigme fatale, De ce voyage obscur souvent on revient pâle ! L'autre jour, il venait de pleuvoir, car l'été, Cette année, est de bise et de pluie attristé, Et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre, Prend le masque d'avril qui sourit et qui pleure. J'avais levé le store aux gothiques couleurs. Je regardais au loin les arbres et les fleurs. Le soleil se jouait sur la pelouse verte Dans les gouttes de pluie, et ma fenêtre ouverte Apportait du jardin à mon esprit heureux Un bruit d'enfants joueurs et d'oiseaux amoureux. Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière, Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière De cet astre de mai dont le rayon charmant Au bout de tout brin d'herbe allume un diamant ! Je me laissais aller à ces trois harmonies, Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ; La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil Faisait évaporer à la fois sur les grèves L'eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves ! Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi Mes amis, non confus, mais tels que je les vois Quand ils viennent le soir, troupe grave et fidèle, Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle, Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent, Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant. Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages, Tous, même les absents qui font de longs voyages. Puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux-ci, Avec l'air qu'ils avaient quand ils vivaient aussi. Quand j'eus, quelques instants, des yeux de ma pensée, Contemplé leur famille à mon foyer pressée, Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés Pâlir en s'effaçant leurs fronts décolorés, Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s'écoule, Se perdre autour de moi dans une immense foule. Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas. Ceux qu'on n'a jamais vus, ceux qu'on ne connaît pas. Tous les vivants ! - cités bourdonnant aux oreilles Plus qu'un bois d'Amérique ou des ruches d'abeilles, Caravanes campant sur le désert en feu, Matelots dispersés sur l'océan de Dieu, Et, comme un pont hardi sur l'onde qui chavire, Jetant d'un monde à l'autre un sillon de navire, Ainsi que l'araignée entre deux chênes verts Jette un fil argenté qui flotte dans les airs ! Les deux pôles ! le monde entier ! la mer, la terre, Alpes aux fronts de neige, Etnas au noir cratère, Tout à la fois, automne, été, printemps, hiver, Les vallons descendant de la terre à la mer Et s'y changeant en golfe, et des mers aux campagnes Les caps épanouis en chaînes de montagnes, Et les grands continents, brumeux, verts ou dorés, Par les grands océans sans cesse dévorés, Tout, comme un paysage en une chambre noire Se réfléchit avec ses rivières de moire, Ses passants, ses brouillards flottant comme un duvet, Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait ! Alors, en attachant, toujours plus attentives, Ma pensée et ma vue aux mille perspectives Que le souffle du vent ou le pas des saisons M'ouvrait à tous moments dans tous les horizons, Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes, A côté des cités vivantes des deux mondes, D'autres villes aux fronts étranges, inouïs, Sépulcres ruinés des temps évanouis, Pleines d'entassements, de tours, de pyramides, Baignant leurs pieds aux mers, leur tête aux cieux humides. Quelques-unes sortaient de dessous des cités Où les vivants encor bruissent agités, Et des siècles passés jusqu'à l'âge où nous sommes Je pus compter ainsi trois étages de Romes. Et tandis qu'élevant leurs inquiètes voix, Les cités des vivants résonnaient à la fois Des murmures du peuple ou du pas des armées, Ces villes du passé, muettes et fermées, Sans fumée à leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins, Se taisaient, et semblaient des ruches sans essaims. J'attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes, Et je les vis marcher ainsi que les vivants, Et jeter seulement plus de poussière aux vents. Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes, Je vis l'intérieur des vieilles Babylones, Les Carthages, les Tyrs, les Thèbes, les Sions, D'où sans cesse sortaient des générations. Ainsi j'embrassais tout : et la terre, et Cybèle ; La face antique auprès de la face nouvelle ; Le passé, le présent ; les vivants et les morts ; Le genre humain complet comme au jour du remords. Tout parlait à la fois, tout se faisait comprendre, Le pélage d'Orphée et l'étrusque d'Évandre, Les runes d'Irmensul, le sphinx égyptien, La voix du nouveau monde aussi vieux que l'ancien. Or, ce que je voyais, je doute que je puisse Vous le peindre : c'était comme un grand édifice Formé d'entassements de siècles et de lieux ; On n'en pouvait trouver les bords ni les milieux ; A toutes les hauteurs, nations, peuples, races, Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces, Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas, Parlant chacun leur langue et ne s'entendant pas ; Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde, De degrés en degrés cette Babel du monde. La nuit avec la foule, en ce rêve hideux, Venait, s'épaississant ensemble toutes deux, Et, dans ces régions que nul regard ne sonde, Plus l'homme était nombreux, plus l'ombre était profonde. Tout devenait douteux et vague, seulement Un souffle qui passait de moment en moment, Comme pour me montrer l'immense fourmilière, Ouvrait dans l'ombre au loin des vallons de lumière, Ainsi qu'un coup de vent fait sur les flots troublés Blanchir l'écume, ou creuse une onde dans les blés. Bientôt autour de moi les ténèbres s'accrurent, L'horizon se perdit, les formes disparurent, Et l'homme avec la chose et l'être avec l'esprit Flottèrent à mon souffle, et le frisson me prit. J'étais seul. Tout fuyait. L'étendue était sombre. Je voyais seulement au loin, à travers l'ombre, Comme d'un océan les flots noirs et pressés, Dans l'espace et le temps les nombres entassés ! Oh ! cette double mer du temps et de l'espace Où le navire humain toujours passe et repasse, Je voulus la sonder, je voulus en toucher Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher, Pour vous en rapporter quelque richesse étrange, Et dire si son lit est de roche ou de fange. Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu, Au profond de l'abîme il nagea seul et nu, Toujours de l'ineffable allant à l'invisible... Soudain il s'en revint avec un cri terrible, Ébloui, haletant, stupide, épouvanté, Car il avait au fond trouvé l'éternité. Mai 1830.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Post-scriptum des rêves C'était du temps que j'étais jeune ; Je maigrissais ; rien ne maigrit Comme cette espèce de jeûne Qu'on appelle nourrir l'esprit. J'étais devenu vieux, timide, Et jaune comme un parchemin, À l'ombre de la pyramide Des bouquins de l'esprit humain. Tous ces tomes que l'âge rogne Couvraient ma planche et ma cloison. J'étais parfois comme un ivrogne Tant je m'emplissais de raison. Cent bibles encombraient ma table ; Cent systèmes étaient dedans ; On eût, par le plus véritable, Pu se faire arracher les dents. Un jour que je lisais Jamblique, Callinique, Augustin, Plotin, Un nain tout noir à mine oblique Parut et me dit en latin : — « Ne va pas plus loin. Jette l'ancre, « Fils, contemple en moi ton ancien, « Je m'appelle Bouteille-à-l'encre ; « Je suis métaphysicien. « Ton front fait du tort à ton ventre. « Je viens te dire le fin mot « De tous ces livres où l'on entre « Jocrisse et d'où l'on sort grimaud. « Amuse-toi. Sois jeune, et digne « De l'aurore et des fleurs. Isis « Ne donnait pas d'autre consigne « Aux sages que l'ombre a moisis. « Un verre de vin sans litharge « Vaut mieux, quand l'homme le boit pur, « Que tous ces tomes dont la charge « Ennuie énormément ton mur. « Une bamboche à la Chaumière, « D'où l'on éloigne avec soin l'eau, « Contient cent fois plus de lumière « Que Longin traduit par Boileau. « Hermès avec sa bandelette « Occupe ton coeur grave et noir ; « Bacon est le livre où s'allaite « Ton esprit, marmot du savoir. « Si Ninette, la giletière, « Veut la bandelette d'Hermès « Pour s'en faire une jarretière, « Donne-la-lui sans dire mais. « Si Fanchette ou Landerirette « Prend dans ton Bacon radieux « Du papier pour sa cigarette, « Fils des muses, rends grâce aux dieux. « Veille, étude, ennui, patience, « Travail, cela brûle les yeux ; « L'unique but de la science « C'est d'être immensément joyeux. « Le vrai savant cherche et combine « Jusqu'à ce que de son bouquin « Il jaillisse une Colombine « Qui l'accepte pour Arlequin. « Maxime : N'être point morose, « N'être pas bête, tout goûter, « Dédier son nez à la rose, « Sa bouche à la femme, et chanter. « Les anciens vivaient de la sorte ; « Mais vous êtes dupes, vous tous, « De la fausse barbe que porte « Le profil grec de ces vieux fous. « Fils, tous ces austères visages « Sur les plaisirs étaient penchés. « L'homme ayant inventé sept sages, « Le bon Dieu créa sept péchés. « Ô docteurs, comme vous rampâtes ! « Campaspe est nue en son grenier « Sur Aristote à quatre pattes ; « L'esprit a l'amour pour ânier. « Grâce à l'amour, Socrate est chauve. « L'amour d'Homère est le bâton. « Phryné rentrait dans son alcôve « En donnant le bras à Platon. « Salomon, repu de mollesses, « Étudiant les tourtereaux, « Avait juste autant de drôlesses « Que Léonidas de héros. « Sénèque, aujourd'hui sur un socle, « Prenait Chloé sous le menton. « Fils, la sagesse est un binocle « Braqué sur Minerve et Goton. « Les nymphes n'étaient pas des ourses, « Horace n'était pas un loup ; « Lise aujourd'hui se baigne aux sources, « Et Tibur s'appelle Saint-Cloud. « Les arguments dont je te crible « Te sauveront, toi-même aidant, « De la stupidité terrible, « Robe de pierre du pédant. « Guette autour de toi si quelque être « Ne sourit pas innocemment ; « Un chant dénonce une fenêtre, « Un pot de fleurs cherche un amant. « La grisette n'est point difforme, « On donne aux noirs soucis congé « Pour peu que le soir on s'endorme « Sur un oreiller partagé. « Aime. C'est ma dernière botte. « Et je mêle à mes bons avis « Cette fillette qui jabote « Dans la mansarde vis-à-vis. » Or je n'écoutai point ce drôle, Et je le chassai. Seulement, Aujourd'hui que sur mon épaule Mon front penche, pâle et clément, Aujourd'hui que mon oeil plus blême Voit la griffe du sphinx à nu, Et constate au fond du problème Plus d'infini, plus d'inconnu, Aujourd'hui que, hors des ivresses, Près des mers qui vont m'abîmer, Je regarde sur les sagesses Les religions écumer, Aujourd'hui que mon esprit sombre Voit sur les dogmes, flot changeant, L'épaisseur croissante de l'ombre, Ô ciel bleu, je suis indulgent Quand j'entends, dans le vague espace Où toujours ma pensée erra, Une belle fille qui passe En chantant traderidera.

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    Yves Bonnefoy

    Yves Bonnefoy

    @yvesBonnefoy

    L'agitation du rêve I Dans ce rêve le fleuve encore : c'est l'amont, Une eau serrée, violente, où des troncs d'arbres S'entrechoquent, dévient; de toute part Des rivages stériles m'environnent, De grands oiseaux m'assaillent, avec un cri De douleur et d'étonnement, — mais moi, j'avance À la proue d'une barque, dans une aube. J'y ai amoncelé des branches, me dit-on, En tourbillons s'élève la fumée, Puis le feu prend, d'un coup, deux colonnes torses, Tout un porche de foudre. Je suis heureux De ce ciel qui crépite, j'aime l'odeur De la sève qui brûle dans la brume. Et plus tard je remue des cendres, dans un âtre De la maison où je viens chaque nuit, Mais c'est déjà du blé, comme si l'âme Des choses consumées, à leur dernier souffle, Se détachait de l'épi de matière Pour se faire le grain d'un nouvel espoir. Je prends à pleines mains cette masse sombre Mais ce sont des étoiles; je déplie Les draps de ce silence, mais découvre Très lointaine, très proche la forme nue De deux êtres qui dorment, dans la lumière Compassionnée de l'aube, qui hésite À effleurer du doigt leurs paupières closes Et fait que ce grenier, cette charpente, Cette odeur du blé d'autrefois, qui se dissipe, C'est encore leur lieu, et leur bonheur. Je dois me délivrer de ces images. Je m'éveille et me lève et marche. Et j'entre Dans le jardin de quand j'avais dix ans, Qui ne fut qu'une allée, bien courte, entre deux masses De terre mal remuée, où les averses Laissent longtemps des flaques où se prirent Les premières lumières que j'aie aimées. Mais c'est la nuit maintenant, je suis seul, Les êtres que j'ai connus dans ces années Parlent là-haut et rient, dans une salle Dont tombe la lueur sur l'allée; et je sais Que les mots que j'ai dits, décidant parfois De ma vie, sont ce sol, cette terre noire. Autour de moi le dédale, infini, D'autres menus jardins avec leurs serres Défaites, leurs tuyaux sur des plates-bandes Derrière des barrières, leurs appentis Où des meubles cassés, des portraits sans cadre, Des brocs, et parfois des miroirs comme à l'aguet Sous des bâches, prêts à s'ouvrir aux feux qui passent, Furent aussi, hors du temps, ma première Conscience de ce monde où l'on va seul. Vais-je pouvoir reprendre à la glaise dure Ces bouts de fer rouilles, ces éclats de verre, Ces morceaux de charbon? Agenouillé, Je détache de l'infini l'inexistence Et j'en fais des figures, d'une main Que je distingue mal, tant est la nuit Précipitée, violente par les mondes. Que lointaine est ici l'aube du signe! J'ébauche une constellation mais tout se perd. II Et je lève les yeux, je l'ose enfin, Et je vois devant moi, dans le ciel nu, Passer la barque qui revint, parfois sans lumière, Dans tant des rêves qui miroitent dans le sable De la très longue rive de cette nuit. Je regarde la barque, qui hésite. Elle a tourné comme si des chemins Se dessinaient pour elle sur la houle Qui parcourt doucement, brisant l'écume, L'immensité de l'ombre de l'étoile. Et qui sont-ils, à bord? Un homme, une femme Qui se détachent noirs de la fumée D'un feu qu'ils entretiennent à la proue. De l'homme, de la femme le désir Est donc ce feu au dédale des inondes. III Je referme les yeux. Et m'apparaît Maintenant, dans le flux de la mémoire, Une coupe de terre rouge, dont des flammes Débordent sur la main qui la soulève Au-dessus de la barque qui s'éloigne. Et c'est là un enfant, qui me demande De m'approcher, mais il est dans un arbre, Les reflets s'enchevêtrent dans les branches. Qui es-tu? dis-je. Et lui à moi, riant : Qui es-tu? Puisque tu ne sais pas souffler la flamme. Qui es-tu? Vois, moi je souffle le monde, Il fera nuit, je ne te verrai plus, Veux-tu que ne nous reste que la lumière? - Mais je ne sais répondre, de par un charme Qui m'a étreint, de plus loin que l'enfance. IV Et je m'éloigne et vais vers le rivage. La barque, et d'autres barques, y sont venues. Mais tout y est silence, même l'eau claire. Les figures de proue ont les yeux encore Clos, à l'avant de ces lumières closes. Et les rameurs sont endormis, le front Dans leurs bras repliés en dehors des siècles. La marque sur leur épaule, rouge sang, Tristement brille encore, dans la brume Que ne dissipe pas le vent de l'aube.

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