Les regrets Pourquoi ne me rendez-vous pas
Les doux insrants de ma jeunesse !
Dieux puissants! ramenez la course enchanteresse
De ce temps qui s'enfuit dans la nuit du trépas !
Mais quelle ambition frivole !
Ah ! dieux ! si mes désirs pouvaient être entendus,
Rendez-moi donc aussi le plaisir qui s'envole
Et les amis que j'ai perdus!
Campagne d'Arpajon ! solitude riante
Où l'Orge fait couler son onde transparente !
Les vers que ma main a gravés
Sur tes saules chéris ne sont-ils plus encore ?
Le temps les a-t-il enlevés
Comme les jeux de mon aurore ? ô désert ! confident des plus tendres amours !
Depuis que j'ai quirté ta retraite fleurie,
Que d'orages cruels ont toutmenté mes jours !
Ton ruisseau dont le bruit flattait ma rêverie,
Plus fidèle que moi, sur la même prairie.
Suit constamment le même cours :
Ton bosquet porte encore une cime touffue
Et depuis dix printemps, ma couronne a vieilli,
Et dans les régions de l'éternel oubli
Ma jeune amante est descendue.
Quand irai-je revoir ce fortuné vallon
Qu'elle embellissait de ses charmes ?
Quand pourrai-je sur le gazon
Répandre mes dernières larmes ?
D'une tremblante main, j'écrirai dans ces lieux : «
C'est ici que je fus heureux ! »
Amour, fortune, renommée,
Tes bienfaits ne me tentent plus ;
La moitié de ma vie est déjà consumée,
Et les projets que j'ai conçus
Se sont exhalés en fumée :
De ces moissons de gloire et de félicité
Qu'un trompeur avenir présentait à ma vue,
Imprudent! qu'ai-je rapporté?
L'empreinte de ma chaîne et mon obscurité :
L'illusion est disparue ;
Je pleure maintenant ce qu'elle m'a coûté ;
Je regrette ma liberté
Aux dieux de la faveur si follement vendue.
Ah ! plutôt que d'errer sur des flots inconstants,
Que n'ai-je le destin du laboureur tranquille !
Dans sa cabane étroite, au déclin de ses ans.
Il repose entouré de ses nombreux enfants ;
L'un garde les troupeaux ; l'autre porte à la ville
Le lait de son étable, ou les fruits de ses champs.
Et de son épouse qui file
Il entend les folâtres chants.
Mais le temps même à qui tout cède
Dans les plus doux abris n'a pu fixer mes pas !
Aussi léger que lui, l'homme est toujours, hélas !
Mécontent de ce qu'il possède
Et jaloux de ce qu'il n'a pas.
Dans cette triste inquiétude,
On passe ainsi la vie à chercher le bonheur. À quoi sert de changer de lieux et d'habitude
Quand on ne peut changer son cœur?
il y a 8 mois
Pierre Corneille
@pierreCorneille
Regrets d'amour Caliste, lorsque je vous vois,
Dirai-je que je vous admire ?
C'est vous dire bien peu pour moi,
Et peut-être c'est trop vous dire.
Je m'expliquerais un peu mieux
Pour un moindre rang que le vôtre,
Vous êtes belle, j'ai des yeux,
Et je suis homme comme un autre.
Que n'êtes-vous à votre tour,
Caliste, comme une autre femme !
Je serais pour vous tout d'amour
Si vous n'étiez point si grande dame.
Votre grade hors du commun
Incommode fort qui vous aime,
Et sous le respect importun
Un beau feu s'éteint de lui-même.
J'aime un peu l'indiscrétion
Quand je veux faire des maîtresses ;
Et quand j'ai de la passion,
J'ai grand amour pour les caresses.
Mais si j'osais me hasarder
Avec vous au moindre pillage,
Vous me feriez bien regarder
Le grand chemin de mon village.
J'aime donc mieux laisser mourir
L'ardeur qui serait mal traitée,
Que de prétendre à conquérir
Ce qui n'est point de ma portée.
il y a 8 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
J'ai l'âme de regrets touchée J'ai l'âme, pour un lit, de regrets si touchée,
Que nul homme jamais ne fera que j'approche
De la chambre amoureuse, encore moins de la couche
Où je vis ma maîtresse, au mois de Mai couchée.
Un somme languissant la tenait mi-penchée
Dessus le coude droit, fermant sa belle bouche
Et ses yeux, dans lesquels l'archer Amour se couche,
Ayant toujours la flèche à la corde encochée :
Sa tête, en ce beau mois, sans plus, était couverte
D'un riche escofion (1) ouvré de soie verte,
Où les Grâces venaient à l'envie se nicher ;
Puis, en ses beaux cheveux, choisissaient leur demeure.
J'en ai tel souvenir que je voudrais qu'à l'heure
Mon cœur pour n'y penser plus devenu rocher.
1. Escofion est une coiffe de femme.
il y a 8 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
Il y a longtemps Vous me donniez le bras, nous causions seuls tous deux,
Et les cœurs de vingt ans se font signe bien vite ;
J'en suis encore ému, fille blonde aux yeux bleus ;
Mais vous souviendrez-vous de ma courte visite ?
Hélas ! se souvient-on d'un souffle parasite
Qui n'a fait que passer pour baiser les cheveux,
Du flot où l'on se mire, et de la marguerite
Confidente éphémère où s'effeuillent les vœux ?
Une image en mon cœur peut périr effacée,
Mais non pas tout entière ; elle y devient pensée.
Je garde la douceur de vos traits disparus.
Que je me suis souvent éloigné, l'œil humide,
Avec l'adieu glacé d'une vierge timide
Que je chéris toujours et ne reverrai plus !
il y a 8 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
Juin Pendant avril et mai, qui sont les plus doux mois,
Les couples, enchantés par l'éther frais et rose,
Ont ressenti l'amour comme une apothéose ;
Ils cherchent maintenant l'ombre et la paix des bois.
Ils rêvent, étendus sans mouvement, sans voix ;
Les cœurs désaltérés font ensemble une pause,
Se rappelant l'aveu dont un lilas fut cause
Et le bonheur tremblant qu'on ne sent pas deux fois.
Lors le soleil riait sous une fine écharpe,
Et, comme un papillon dans les fils d'une harpe,
Dans ses rayons encore un peu de neige errait.
Mais aujourd'hui ses feux tombent déjà torrides,
Un orageux silence emplit le ciel sans rides,
Et l'amour exaucé couve un premier regret.
il y a 8 mois
S
Sophie d'Arbouville
@sophieDarbouville
L'hirondelle Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?
Moi, sous le même toit, je trouve tour à tour
Trop prompt, trop long, le temps que peut durer un jour.
J'ai l'heure des regrets et l'heure du sourire,
J'ai des rêves divers que je ne puis redire ;
Et, roseau qui se courbe aux caprices du vent,
L'esprit calme ou troublé, je marche en hésitant.
Mais, du chemin je prends moins la fleur que l'épine,
Mon front se lève moins, hélas ! qu'il ne s'incline ;
Mon cœur, pesant la vie à des poids différents,
Souffre plus des hivers qu'il ne rit des printemps.
Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?
J'évoque du passé le lointain souvenir ;
Aux jours qui ne sont plus je voudrais revenir.
De mes bonheurs enfuis, il me semble au jeune agi
N'avoir pas à loisir savouré le passage,
Car la jeunesse croit qu'elle est un long trésor,
Et, si l'on a reçu, l'on attend plus encor.
L'avenir nous parait l'espérance éternelle,
Promettant, et restant aux promesses fidèle ;
On gaspille des biens que l'on rêve sans fin...
Mais, qu'on voudrait, le soir, revenir au matin !
Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?
De mes jours les plus doux je crains le lendemain,
Je pose sur mes yeux une tremblante main.
L'avenir est pour nous un mensonge, un mystère ;
N'y jetons pas trop tôt un regard téméraire.
Quand le soleil est pur, sur les épis fauchés
Dormons, et reposons longtemps nos fronts penchés ;
Et ne demandons pas si les moissons futures
Auront des champs féconds, des gerbes aussi mûres.
Bornons notre horizon.... Mais l'esprit insoumis
Repousse et rompt le frein que lui-même avait mis.
Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?
Souvent de mes amis j'imagine l'oubli :
C'est le soir, au printemps, quand le jour affaibli
Jette l'ombre en mon cœur ainsi que sur la terre ;
Emportant avec lui l'espoir et la lumière ;
Rêveuse, je me dis : « Pourquoi m'aimeraient-ils ?
De nos affections les invisibles fils
Se brisent chaque jour au moindre vent qui passe,
Comme on voit que la brise enlève au loin et casse
Ces fils blancs de la Vierge, errants au sein des cieux ;
Tout amour sur la terre est incertain comme eux ! »
Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?
C'est que, petit oiseau, tu voles loin de nous ;
L'air qu'on respire au ciel est plus pur et plus doux.
Ce n'est qu'avec regret que ton aile légère,
Lorsque les cieux sont noirs, vient effleurer la terre.
Ah ! que ne pouvons-nous, te suivant dans ton vol,
Oubliant que nos pieds sont attachés au sol,
Élever notre cœur vers la voûte éternelle,
Y chercher le printemps comme fait l'hirondelle,
Détourner nos regards d'un monde malheureux,
Et, vivant ici-bas, donner notre âme aux cieux !
Ô petite hirondelle
Qui bats de l'aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d'un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l'hirondelle
Qui bat de l'aile ?
il y a 8 mois
E
Emile Nelligan
@emileNelligan
Le regret des joujoux Toujours je garde en moi la tristesse profonde
Qu'y grava l'amitié d'une adorable enfant,
Pour qui la mort sonna le fatal olifant,
Parce qu'elle était belle et gracieuse et blonde.
Or, depuis je me sens muré contre le monde,
Tel un prince du Nord que son Kremlin défend,
Et, navré du regret dont je suis étouffant,
L'Amour comme à sept ans ne verse plus son onde.
Où donc a fui le jour des joujoux enfantins,
Lorsque Lucile et moi nous jouions aux pantins
Et courions tous les deux dans nos robes fripées ?
La petite est montée au fond des cieux latents,
Et j'ai perdu l'orgueil d'habiller ses poupées...
Ah ! de franchir si tôt le portail des vingt ans !
il y a 8 mois
Evariste de Parny
@evaristeDeParny
Les regrets Justine est seule et gémissante,
Et mes yeux avec intérêt
La suivent dans ce lieu secret
Où sa chute fut si touchante.
D'abord son tranquille chagrin
Garde un morne et profond silence :
Mais des pleurs s'échappent enfin,
Et coulent avec abondance
De son visage sur son sein ;
Et ce sein formé par les Grâces,
Dont le voluptueux satin
Du baiser conserve les traces,
Palpite encore pour Valsin.
Dans sa douleur elle contemple
Ce réduit ignoré du jour,
Cette alcôve, qui fut un temple,
Et redit : Voilà donc l'Amour !
il y a 8 mois
Evariste de Parny
@evaristeDeParny
Élégie Oui, sans regret, du flambeau de mes jours
Je vois déjà la lumière éclipsée.
Tu vas bientôt sortir de ma pensée,
Cruel objet des plus tendres amours !
Ce triste espoir fait mon unique joie.
Soins importuns, ne me retenez pas.
Eléonore a juré mon trépas ;
Je veux aller où sa rigueur m'envoie,
Dans cet asile ouvert à tout mortel,
Où du malheur on dépose la chaîne,
Où l'on s'endort d'un sommeil éternel,
Où tout finit, et l'amour et la haine.
Tu gémiras, trop sensible Amitié !
De mes chagrins conserve au moins l'histoire,
Et que mon nom sur la terre oublié
Vienne parfois s'offrir à ta mémoire.
Peut-être alors tu gémiras aussi,
Et tes regards se tourneront encore
Sur ma demeure, ingrate Eléonore,
Premier objet que mon cœur a choisi.
Trop tard, hélas ! tu répandras des larmes.
Oui, tes beaux yeux se rempliront de pleurs.
Je te connais, et malgré tes rigueurs,
Dans mon amour tu trouves quelques charmes.
Lorsque la mort, favorable à mes vœux,
De mes instants aura coupé la trame,
Lorsqu'un tombeau triste et silencieux
Renfermera ma douleur et ma flamme ;
Ô mes amis ! vous que j'aurai perdus,
Allez trouver cette beauté cruelle,
Et dites-lui : c'en est fait, il n'est plus.
Puissent les pleurs que j'ai versés pour elle
N'être rendus !... Mais non ; dieu des Amours,
Je lui pardonne ; ajoutez à ses jours
Les jours heureux que m'ôta l'infidèle.