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Mer

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Mer

Poésies de la collection mer

    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    L'homme et la mer Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame, Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer. Tu te plais à plonger au sein de ton image ; Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur Se distrait quelquefois de sa propre rumeur Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage. Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets : Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ; Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets ! Et cependant voilà des siècles innombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remord, Tellement vous aimez le carnage et la mort, Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    La chevelure Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d’autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum. J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève ! Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire A grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m’enivre ardemment des senteurs confondues De l’huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le voyage A Maxime Du Camp. I Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes, L’univers est égal à son vaste appétit. Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme, Le coeur gros de rancune et de désirs amers, Et nous allons, suivant le rythme de la lame, Berçant notre infini sur le fini des mers : Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ; D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns, Astrologues noyés dans les yeux d’une femme, La Circé tyrannique aux dangereux parfums. Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent D’espace et de lumière et de cieux embrasés ; La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent, Effacent lentement la marque des baisers. Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons, De leur fatalité jamais ils ne s’écartent, Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues, Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon, De vastes voluptés, changeantes, inconnues, Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom ! II Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils La Curiosité nous tourmente et nous roule, Comme un Ange cruel qui fouette des soleils. Singulière fortune où le but se déplace, Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où ! Où l’homme, dont jamais l’espérance n’est lasse, Pour trouver le repos court toujours comme un fou ! Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ; Une voix retentit sur le pont :  » Ouvre l’oeil !  » Une voix de la hune, ardente et folle, crie .  » Amour… gloire… bonheur !  » Enfer ! c’est un écueil ! Chaque îlot signalé par l’homme de vigie Est un Eldorado promis par le Destin ; L’Imagination qui dresse son orgie Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin. Ô le Pauvre amoureux des pays chimériques ! Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer, Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques Dont le mirage rend le gouffre plus amer ? Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue, Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ; Son oeil ensorcelé découvre une Capoue Partout où la chandelle illumine un taudis. III Etonnants voyageurs ! quelles nobles histoires Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers ! Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires, Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers. Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile ! Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons, Passer sur nos esprits, tendus comme une toile, Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons. Dites, qu’avez-vous vu ? IV  » Nous avons vu des astres Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ; Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres, Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici. La gloire du soleil sur la mer violette, La gloire des cités dans le soleil couchant, Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète De plonger dans un ciel au reflet alléchant. Les plus riches cités, les plus grands paysages, Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux De ceux que le hasard fait avec les nuages. Et toujours le désir nous rendait soucieux ! – La jouissance ajoute au désir de la force. Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais, Cependant que grossit et durcit ton écorce, Tes branches veulent voir le soleil de plus près ! Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace Que le cyprès ? – Pourtant nous avons, avec soin, Cueilli quelques croquis pour votre album vorace, Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin ! Nous avons salué des idoles à trompe ; Des trônes constellés de joyaux lumineux ; Des palais ouvragés dont la féerique pompe Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;  » Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ; Des femmes dont les dents et les ongles sont teints, Et des jongleurs savants que le serpent caresse.  » V Et puis, et puis encore ? VI  » Ô cerveaux enfantins ! Pour ne pas oublier la chose capitale, Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché, Du haut jusques en bas de l’échelle fatale, Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide, Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût ; L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide, Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout ; Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ; La fête qu’assaisonne et parfume le sang ; Le poison du pouvoir énervant le despote, Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ; Plusieurs religions semblables à la nôtre, Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté, Comme en un lit de plume un délicat se vautre, Dans les clous et le crin cherchant la volupté ; L’Humanité bavarde, ivre de son génie, Et, folle maintenant comme elle était jadis, Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :  » Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis !  » Et les moins sots, hardis amants de la Démence, Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin, Et se réfugiant dans l’opium immense ! – Tel est du globe entier l’éternel bulletin.  » VII Amer savoir, celui qu’on tire du voyage ! Le monde, monotone et petit, aujourd’hui, Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui ! Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ; Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste, Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit, Comme le Juif errant et comme les apôtres, A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau, Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d’autres Qui savent le tuer sans quitter leur berceau. Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine, Nous pourrons espérer et crier : En avant ! De même qu’autrefois nous partions pour la Chine, Les yeux fixés au large et les cheveux au vent, Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres Avec le coeur joyeux d’un jeune passager. Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres, Qui chantent :  » Par ici ! vous qui voulez manger Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim ; Venez vous enivrer de la douceur étrange De cette après-midi qui n’a jamais de fin ?  » A l’accent familier nous devinons le spectre ; Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.  » Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre !  » Dit celle dont jadis nous baisions les genoux. VIII Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre, Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons ! Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte ! Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Maesta et errabunda Dis-moi, ton cœur parfois s'envole-t-il, Agathe, Loin du noir océan de l'immonde cité, Vers un autre océan où la splendeur éclate, Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ? Dis-moi, ton cœur parfois s'envole-t-il, Agathe ? La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs, De cette fonction sublime de berceuse ? La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate ! Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs ! - Est-il vrai que parfois le triste cœur d'Agathe Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs, Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ?

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Parfum exotique Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne, Je respire l'odeur de ton sein chaleureux, Je vois se dérouler des rivages heureux Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ; Une île paresseuse où la nature donne Des arbres singuliers et des fruits savoureux ; Des hommes dont le corps est mince et vigoureux, Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Un voyage à Cythère Mon coeur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux Et planait librement à l'entour des cordages ; Le navire roulait sous un ciel sans nuages, Comme un ange enivré d'un soleil radieux. Quelle est cette île triste et noire ? - C'est Cythère, Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons, Eldorado banal de tous les vieux garçons. Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.

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    Charles Cros

    Charles Cros

    @charlesCros

    Hiéroglyphe J’ai trois fenêtres à ma chambre : L’amour, la mer, la mort, Sang vif, vert calme, violet. Ô femme, doux et lourd trésor ! Froids vitraux, odeurs d’ambre. La mer, la mort, l’amour, Ne sentir que ce qui me plaît… Femme, plus claire que le jour ! Par ce soir doré de septembre, La mort, l’amour, la mer, Me noyer dans l’oubli complet. Femme! femme! cercueil de chair !

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    Christian Mégrelis

    @christianMegrelis

    Des rives et des rêves Souvenir de Panama Le monde défilait, tu lui tournais la tête, Sûr qu’il attendrait ton tour. Le monde, ce jour- là, avait l’allure parfaite D’un vaisseau au long cours. Venait-il des Indes ou bien de Cipango, Solitaire et blasé tu feignais d’ignorer, Ou bien des Antipodes ou de Valparaiso ? Pendant qu’autour de toi on jouait à qui saurait ! C’était à Miraflore où pivotait l’écluse . Et je rêvais du jour où je t’ai contemplé Dans un berceau pimpant, dormant avec ma muse Au bord d’une autre rive où les coques haletaient, Déjà indifférent aux trafics vraquiers. Pourtant j’imaginais qu’un jour t’arrive Ce qui m’est arrivé : trouver sa liberté Aux carrefours du monde ,et qu’explorer les rives C’était déjà rêver de ponts vers l’avenir. Mais c’était autrefois et nous étions heureux ! Tout nous était possible , il suffisait de dire : Le monde ces temps- là se ployait à nos vœux. Aujourd’hui est menace, qui vive ! aux barrières. Rien n’est plus sûr , hélas, rien n’est moins sûr, non plus. Et tout pas en avant peut tirer en arrière . Le brillant avenir qui gouvernait nos vues Devient illisible et nous jette au hasard . Mais il faut bien voguer au milieu des périls Et larguer les amarres ! Le large qui t’attend est un mouvant asile. C’est là que l’âge compte et qu’écouter les rares Qui ont conduit leurs vies tête aux vents dominants, C’est choisir la sagesse . Ils ont vu des tempêtes Et pour les surmonter, ont trouvé des courants Qui les ont dirigé vers ces canaux en quête De nouveaux océans. Les vents leur ont apprît que, pour être conduit, Il faut toujours marier les rives et les rêves. Alors, jeune étourdi que le canal ennuie, Regarde ! Le monde passe, un nouveau jour se lève. Ces coques qui balancent entre océans et mers, Glissant sous ton berceau ou encombrant ta vue, Sont le sang de la race et les outils des pères. Sans eux le monde meurt, qu’elles voguent, et tout est vu. Regarde ! leurs sillages t’invitent à les rejoindre. Détroits, presqu’îles, canaux, ces rives à gagner, Tu les verras, entre tes rêves, crânement poindre Pour te guider à celles que tu t’ais assignées. Ta vie sera heureuse car tu l’auras gardée D’entrer à reculons dans l’océan du monde De grand-père pour Achille

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    Christine de Pisan

    Christine de Pisan

    @christineDePisan

    Car trop griefment est la mer perilleuse C'est fort chose qu'une nef se conduise, Es fortunes de mer, a tout par elle, Sanz maronnier ou patron qui la duise, Et le voile soit au vent qui ventelle; Se sauvement a bon port tourne celle, En verité c'est chose aventureuse; Car trop griefment est la mer perilleuse. Et non obstant que parfois soleil luise, Et que si droit s'en voit que ne chancelle, Si qu'il semble que nul vent ne lui nuise, Ne nul decours, ne la lune nouvelle, Si est elle pourtant en grant barelle De soubdain vent ou d'encontre encombreuse; Car trop griefment est la mer perilleuse. Si est pitié, quant fault que mort destruise Nul bon patron, ou meneur de nacelle; Et est bien droit que le cuer dueille et cuise. Qui a tresor, marchandise ou vaisselle, Ou seul vaissel qui par la mer brandelle: N'est pas asseur, mais en voie doubteuse; Car trop griefment est la mer perilleuse.

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    C

    Claude Luezior

    @claudeLuezior

    Racines Echoué aux revers des marées qui délitent et dérobent et ressaquent mes falaises écartelé dans la béance de gouffres et failles qui aiguisent leurs vertiges au nom d’amnésies frontalières assoiffé telle souche aux rocailles du désert qui s’effritent sous la lime insatiable des sables nomade à ces landes où l’on sarcle infiniment méandres, crêtes et vallons où n’émergent que les sonnailles de troupeaux endormis j’aurai pour balise tes racines singulières sèves et labours dans l’humus de tes énigmes

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    C

    Claude Pélieu

    @claudePelieu

    Basse Mer Basse mer mots en liberté espaces et gestes éclairs rouges et noirs basse mer tire d'ailes vent d'Ouest basse mer Eaux Lentes ouate basse mer étage de la nuit basse mer zodiaque en feu basse mer sur le sang sur le sable basse mer sueurs et algues scaphandres de peau scaphandres de barbelés basse mer explosion bleu-orange tables d'écoute des profondeurs basse mer L'CKIL DÉRAPE basse mer drapé de rouge cerné de silence pierres à feu chute de corps arc-en-ciel basse mer et les larmes du vent inconsolables

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    Clément Marot

    Clément Marot

    @clementMarot

    A la mer O cruauté de impétueuses vagues, Mer variable, où toute crainte abonde, Cause mouvant, dont trop cruelles dagues L'ont fait périr de mort tant furibonde. Si haut désir de connaître le monde T'avait transmis si gentil personnage, Las ! fallait-il qu'en la fleur de son âge Par-devers toi si rudement le prinses, Sans plus revoir la cour des nobles Princes, Où tant il est à présent regretté ? O mer amère, aux mordantes espinces ; Certainement, ce qu'arrêtes et pinces, Au gré de tous est trop bien arrêté.

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    D

    Didier Sicchia

    @didierSicchia

    A l’horizon J’ai encore souvenance de ces navires, Voilures chahutées par de fiers aquilons, Éthers qui enjôlaient l’ivresse de ces sbires ; Ces marins râblés, l’épiderme macaron. – J’ai encore souvenance de ces navires… Aux tempêtes injurieuses, les nefs subirent Tant de véhémence – Tephillim tympanon Qu’en finalité létale elles se fendirent Et délivrèrent aux océans leurs cargaisons. – Aux tempêtes injurieuses, les nefs subirent… Les terribles aventures des longs gréements, Aujourd’hui résonnent fort et comme un airain ; Fabuleux voyages aux propos captivants En mon esprit agité – un sang de mutin. – Les terribles aventures des longs gréements… Vois ! A l’horizon se profilent les chalands, Vierges sacrifiées à de pénibles destins. Aussi on devine dans les nuages blancs Quelques équipages le mouchoir à la main. – Lors, à l’horizon se profilent les chalands… J’ai encore souvenance de ces navires : Aux tempêtes injurieuses, les nefs subirent Les terribles aventures des longs gréements ; Vois ! A l’horizon se profilent les chalands.

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    Didier Venturini

    @didierVenturini

    Le phare Il a toujours été là Comme érigé par les vents Pour qu’il puisse être ce mât Enchassé dans l’océan Et même si des carcasses gisent Comme des monstres de fer crevés Au pied de ces tempes grises Faites de sel sur les rochers Il a l’oeil sur les ressacs Colosse au squelette de pierre Combien d’Ulysse loin d’Ithaque Lui doivent leur retour à terre Dans les abimes de la nuit Sur l’incertitude des heures Quand le soir se sait promis Aux égarements des douleurs Quand la colère des flots fume Et qu’elle déchire les récifs Que des écharpes de brumes S’enroulent à son corps massif Il tend son flanc souverain Aux torpeurs enivrantes Affilé par les embruns Et leurs étreintes conquérantes Sur l’autel de ses écumes Dans l’orgie de ses reflux Quand sous ses quartiers de lune La peur déroule ses affûts Il émerge de cette attente Epuisé par les aguets Et les craintes de ces tourmentes Qui menacent de leurs ivraies Ce n’est que dans les aurores Qu’il détend son col de nuit Puis renaît de ses efforts Et de ces scènes d’agonies

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    D

    Didier Venturini

    @didierVenturini

    Une barque Une barque, une coquille Dans la gueule de l’enfer L’océan l’écarquille La prend dans ses revers Une barque à la dérive Qui fuit d’là où çà flotte L’espoir d’une autre rive L’espoir d’un antidote Une barque sans matelot Sans boussole, sans compas Qui ronge un dernier flot L’Europe est ce bien par là ? Une barque pleine de galères Qui rame comme un forçat Pour un morceau de terre Une manche avec son bras Une barque, une brindille Une bouteille à la mer Du fil pour un exil Qu’il reprise la misère Une barque qui s’fait la baille Qu’a peur d’être un cercueil Ou rien qu’un feu de paille Sur une terre d’écueil Une barque, une coquille Dans la gueule de l’enfer

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    D

    Dominique Blanchemain

    @dominiqueBlanchemain

    Jeux dangereux Sous le délabrement du ciel Les arbres couchés Au pied du promontoire Les corps évidés Et les mères qui pleurent L’océan dans son impatience N’a que faire de la pitié Il rage Il gronde Il ravage les visages Et les enfants rejetés dans leur silence L’océan dans la rumeur N’a que faire des faiblesses Il capture Il viole Il déchire les cœurs Et les mères qui pleurent Dans le bruit des vagues scélérates Il ne reste que la vie en naufrage

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    Edouard Glissant

    Edouard Glissant

    @edouardGlissant

    Arrière-Plage Rocs, on vous guette — et votre soif Attise un vent plus dur que le toucher des vagues. Vous serez sable sec au goût de désespoir, Strié du vent. Bon pour litière aux coquillages, Que la mer pour la mort Jugea et rejeta.

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    E

    Eleni Cay

    @eleniCay

    La maison c’est des mains Les jours tombent, l’un après l’autre, telles des gouttelettes d’une pluie chaude. Un vent insolent tourne des pages de ton livre jusqu’à ce que tu oublies tout. Tout. Tout ce qui t’était cher et précieux. Sur une plage, on voit une vague remuer du sable, le lisser. D’un moment à un autre, la vie te revient en pensée. Tu ne te souviens de presque rien, c’est tellement effrayant… Des billes en verre témoignent de tout : comme au tribunal. Oh, mon Dieu, dis-moi, qu’est-ce qui a été oublié et qu’est-ce qui le sera encore ? Ne te soucie de rien, tout finira bien. Il y a des moments rares comme de la nacre des coquillages. Le temps et l’océan ne rattrapperont plus ces moments, car trop loin sur la côte, ils s’étaient enfuis. Ces moments-là avaient l’odeur d’un tabac amer, et uniques – comme les mains de nos mères, ils te porteraient, jusqu’aux étoiles. Eleni Cay, Frémissements d’un papillon en ère numérique, 2015

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Au Nord Deux vieux marins des mers du Nord S’en revenaient, un soir d’automne, De la Sicile et de ses îles souveraines, Avec un peuple de Sirènes, A bord. Joyeux d’orgueil, ils regagnaient leur fiord, Parmi les brumes mensongères, Joyeux d’orgueil, ils regagnaient le Nord Sous un vent morne et monotone, Un soir de tristesse et d’automne. De la rive, les gens du port Les regardaient, sans faire un signe : Aux cordages le long des mâts, Les Sirènes, couvertes d’or, Tordaient, comme des vignes, Les lignes Sinueuses de leurs corps. Et les gens se taisaient, ne sachant pas Ce qui venait de l’océan, là-bas, A travers brumes ; Le navire voguait comme un panier d’argent Rempli de chair, de fruits et d’or bougeant Qui s’avançait, porté sur des ailes d’écume. Les Sirènes chantaient Dans les cordages du navire, Les bras tendus en lyres, Les seins levés comme des feux ; Les Sirènes chantaient Devant le soir houleux, Qui fauchait sur la mer les lumières diurnes ; Les Sirènes chantaient, Le corps serré autour des mâts, Mais les hommes du port, frustes et taciturnes, Ne les entendaient pas. Ils ne reconnurent ni leurs amis – Les deux marins – ni le navire de leur pays, Ni les focs, ni les voiles Dont ils avaient cousu la toile ; Ils ne comprirent rien à ce grand songe Qui enchantait la mer de ses voyages, Puisqu’il n’était pas le même mensonge Qu’on enseignait dans leur village ; Et le navire auprès du bord Passa, les alléchant vers sa merveille, Sans que personne, entre les treilles, Ne recueillît les fruits de chair et l’or.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Le port Toute la mer va vers la ville ! Son port est innombrable et sinistre de croix, Vergues transversales barrant les grands mâts droits. Son port est pluvieux de suie à travers brumes, Où le soleil comme un œil rouge et colossal larmoie. Son port est ameuté de steamers noirs qui fument Et mugissent, au fond du soir, sans qu’on les voie. Son port est fourmillant et musculeux de bras Perdus en un fouillis dédalien d’amarres. Son port est concassé de chocs et de fracas Et de marteaux tonnant dans l’air leurs tintamarres. Toute la mer va vers la ville ! Les flots qui voyagent comme les vents, Les flots légers, les flots vivants, Pour que la ville en feu l’absorbe et le respire Lui rapportent le monde en des navires. Les orients et les midis tanguent vers elle Et les Nords blancs et la folie universelle Et tous nombres dont le désir prévoit la somme. Et tout ce qui s’invente et tout ce que les hommes Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniques Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes : Elle est la ville en rut des humaines disputes, Elle est la ville au clair des richesses uniques Et les marins naïfs peignent son caducée Sur leur peau rousse et crevassée, À l’heure où l’ombre emplit les soirs océaniques. Toute la mer va vers la ville ! Ô les Babels enfin réalisées ! Et les peuples fondus et la cité commune ; Et les langues se dissolvant en une ; Et la ville comme une main, les doigs ouverts. Se refermant sur l’univers. Dites, les docks bondés jusques au faîte ! Et la montagne, et le désert, et les forêts, Et leurs siècles captés comme en des rets ; Dites, leurs blocs d’éternité : marbres et bois, Que l’on achète, Et que l’on vend au poids, Et puis, dites ! les morts, les morts, les morts Qu’il a fallu pour ces conquêtes. Toute la mer va vers la ville ! La mer soudaine, ardente et libre, Qui tient la terre en équilibre ; La mer que domine la loi des multitudes, La mer où les courants tracent les certitudes ; La mer et ses vagues coalisées, Comme un désir multiple et fou, Qui renversent des rocs depuis mille ans debout Et retombent et s’effacent, égalisées ; La mer dont chaque lame ébauche une tendresse Ou voile une fureur, la mer plane ou sauvage, La mer qui inquiète et angoisse et oppresse De l’ivresse de son image. Toute la mer va vers la ville ! Son port est flamboyant et tourmenté de feux Qui éclairent de hauts leviers silencieux. Son port est hérissé de tours dont les murs sonnent D’un bruit souterrain d’eau qui s’enfle et ronfle en elles. Son port est lourd de blocs taillés, où des gorgones Dardent les réseaux noirs des vipères mortelles. Son port est fabuleux de déesses sculptées À l’avant des vaisseaux dont les mâts d’or s’exaltent. Son port est solennel de tempêtes domptées En des havres d’airain de marbre et de basalte.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Le voyage Je ne puis voir la mer sans rêver de voyages. Le soir se fait, un soir ami du paysage, Où les bateaux, sur le sable du port, En attendant le flux prochain, dorment encor. Oh ce premier sursaut de leurs quilles cabrées, Au fouet soudain des montantes marées ! Oh ce regonflement de vie immense et lourd Et ces grands flots, oiseaux d’écume, Qui s’abattent du large, en un effroi de plumes, Et reviennent sans cesse et repartent toujours ! La mer est belle et claire et pleine de voyages. A quoi bon s’attarder près des phares du soir Et regarder le jeu tournant de leurs miroirs Réverbérer au loin des lumières trop sages ? La mer est belle et claire et pleine de voyages Et les flammes des horizons, comme des dents, Mordent le désir fou, dans chaque coeur ardent : L’inconnu est seul roi des volontés sauvages. Partez, partez, sans regarder qui vous regarde, Sans nuls adieux tristes et doux, Partez, avec le seul amour en vous De l’étendue éclatante et hagarde. Oh voir ce que personne, avec ses yeux humains, Avant vos yeux à vous, dardés et volontaires, N’a vu ! voir et surprendre et dompter un mystère Et le résoudre et tout à coup s’en revenir, Du bout des mers de la terre, Vers l’avenir, Avec les dépouilles de ce mystère Triomphales, entre les mains ! Ou bien là-bas, se frayer des chemins, A travers des forêts que la peur accapare Dieu sait vers quels tourbillonnants essaims De peuples nains, défiants et bizarres. Et pénétrer leurs moeurs, leur race et leur esprit Et surprendre leur culte et ses tortures, Pour éclairer, dans ses recoins et dans sa nuit, Toute la sournoise étrangeté de la nature ! Oh ! les torridités du Sud – ou bien encor La pâle et lucide splendeur des pôles Que le monde retient, sur ses épaules, Depuis combien de milliers d’ans, au Nord ? Dites, l’errance au loin en des ténèbres claires, Et les minuits monumentaux des gels polaires, Et l’hivernage, au fond d’un large bateau blanc, Et les étaux du froid qui font craquer ses flancs, Et la neige qui choit, comme une somnolence, Des jours, des jours, des jours, dans le total silence. Dites, agoniser là-bas, mais néanmoins, Avec son seul orgueil têtu, comme témoin, Vivre pour s’en aller – dès que le printemps rouge Aura cassé l’hiver compact qui déjà bouge – Trouer toujours plus loin ces blocs de gel uni Et rencontrer, malgré les volontés adverses, Quand même, un jour, ce chemin qui traverse, De part en part, le coeur glacé de l’infini. Je ne puis voir la mer sans rêver de voyages. Le soir se fait, un soir ami du paysage Où les bateaux, sur le sable du port, En attendant le flux prochain dorment encor… Oh ce premier sursaut de leurs quilles cabrées Aux coups de fouet soudains des montantes marées !

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Évasion Et je serai face à la mer qui viendra baigner les galets. Caresses d’eau, de vent et d’air. Et de lumière. D’immensité. Et en moi sera le désert. N’y entrera que ciel léger. Et je serai face à la mer qui viendra battre les rochers. Giflant. Cinglant. Usant la pierre. Frappant. S’infiltrant. Déchaînée. Et en moi sera le désert. N’y entrera ciel tourmenté. Et je serai face à la mer, statue de chair et coeur de bois. Et me ferai désert en moi. Qu’importera l’heure. Sombre ou claire…

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Offrande Au creux d’un coquillage Que vienne l’heure claire Je cueillerai la mer Et je te l’offrirai. Y dansera le ciel Que vienne l’heure belle. Y dansera le ciel Et un vol d’hirondelle Et un bout de nuage Confondant les images En l’aurore nouvelle Dans un reflet moiré Dans un peu de marée Dans un rien de mirage Au fond d’un coquillage. Et te les offrirai.

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    Federico Garcia Lorca

    Federico Garcia Lorca

    @federicoGarciaLorca

    Ode à Salvador Dali Une rose dans le haut jardin que tu désires. Une roue dans la pure syntaxe de l’acier. Elle est nue la montagne de brume impressionnistes. Les gris en sont à leurs dernières balustrades. Dans leurs blancs studios, les peintres modernes Coupent la fleur aseptique de la racine carrée. Sur les eaux de la Seine, un iceberg de marbre Refroidit les fenêtres et dissipe les lierres. L’homme, d’un pas ferme, foule les rues dallées Et les vitres esquivent la magie du reflet. Le Gouvernement a fermé les boutiques de parfums. La machine éternise ses mouvements binaires. C’est une absence de forêts, de paravents, d’entre-sourcils Qui rôde par les terrasses des maisons antiques. Et c’est l’air qui polit son prisme sur la mer, C’est l’horizon qui monte comme un grand aqueduc. Les marins ignorant le vin et la pénombre Décapitent les sirènes sur des mers de plomb. La Nuit, noire statue de la prudence, Tient le miroir rond de la lune dans sa main. Un désir nous gagne, de formes, de limites. Voici l’homme qui voit à l’aide d’un mètre jaune. Venus est une blanche nature-morte. Voici que les collectionneurs de papillons s’effacent. * Cadaquès, sur le fléau de l’eau et de la colline, Soulève des gradins et enfouit des coquilles. Des flûtes de bois pacifient l’air. Un vieux dieu sylvestre donne des fruits aux enfants. Sans avoir pris le temps de s’endormir, les pêcheurs dorment sur la sable. En haute mer, ils ont une rose pour boussole. L’horizon vierge de mouchoirs blessés Joint les masses vitrifiées du poisson et de la lune. Une dure couronne de blanches brigantines Ceint des fronts amers, des cheveux de sable. Les sirènes persuasives ne nous suggestionnent pas. Elles apparaissent au premier verre d’eau douce. * Ô Salvador Dali à la voix olivée ! Je ne vante pas ton imparfait pinceau adolescent, Ni ta couleur qui courtise la couleur de ton temps. Je chante ton angoisse, ô limité, limité éternel ! Âme hygiénique, tu vis sur des marbres nouveaux. Tu fuis l’obscure selve des formes incroyables. Où atteignent tes mains, ta fantaisie atteint, Et tu jouis du sonnet de la mer dans ta fenêtre. Aux premières bornes que l’homme rencontre, Le monde n’est que désordre et que sourde pénombre. Mais déjà les étoiles, cachant les paysages, Désignent le schéma parfait de ses orbites. Le courant du temps s’apaise et s’ordonne Dans les formes numériques d’un siècle, et d’un autre siècle. La Mort vaincue se réfugie en tremblant Dans le cercle étroit de la minute présente. En prenant ta palette, dont l’aile est trouée d’un coup de feu, Tu demandes la lumière qui anime la coupe renversée de l’olivier. Large lumière de Minerve, constructrice d’échafaudages, Lumière où ni le songe, ni sa flore inexacte n’ont place. Tu demandes la lumière antique qui reste sur le front, Qui ne descend ni à la bouche, ni au cœur de l’homme. Lumière que craignent les vignes poignantes de Bacchus Et la force désordonnée qui porte l’eau courbe. Tu as raison de banderoler la limite obscure, Toute brillante de nuit. Et en tant que peintre, Tu ne veux pas que ta forme soit amollie Par le coton changeant d’un nuage imprévu. Le poisson dans le vivier, l’oiseau dans la cage, Tu ne veux pas les inventer dans la mer ou le vent. Après les avoir, de tes honnêtes pupilles, bien regardés, Tu stylises ou copies les petits corps agiles. Tu aimes une matière définie et exacte Où le champignon ne puisse dresser sa tente. Tu aimes l’architecture qui contruit dans l’absent Et tu prends le drapeau pour une simple plaisanterie. Le compas d’acier rythme son court vers élastique. La sphère déjà dément les îles inconnues. La ligne droite exprime son effort vertical Et les cristaux savants chantent leurs géométries. * Mais encore et toujours la rose du jardin où tu vis. Toujours la rose, toujours ! nord et sud de nous-mêmes ! Tranquille et concentrée comme une statue aveugle, Ignorante des efforts souterrains qu’elle cause. Rose pure, abolissant artifices et croquis Et nous ouvrant les ailes ténues du sourire. (Papillon cloué qui médite son vol). Rose de l’équilibre sans douleurs voulues. Toujours la rose ! * Ô Salvador Sali à la voix olivée ! Je dis ce que me disent ta personne et tes tableaux. Je ne loue pas ton imparfait pinceau adolescent, Mais je chante la parfaite direction de tes flèches. Je chante ton bel effort de lumières catalanes Et ton amour pour tout ce qui explicable. Je chante ton cœur astronomique et tendre, Ton cœur de jeu de cartes, ton cœur sans blessure. Je chante cette anxiété de statue que tu poursuis sans trêve, La peur de l’émotion qui t’attend dans la rue. Je chante la petite sirène de la mer qui te chante, Montée sur une bicyclette de coraux et de coquillages. Mais avant tout je chante une pensée commune Qui nous unit aux heures obscures et dorées. L’art, sa lumière ne gâche pas nos yeux. C’est l’amour, l’amitié, l’escrime qui nous aveuglent. Bien avant le tableau que, patient, tu dessines, Bien avant le sein de Thérèse, à la peau d’insomnie, Bien avant la boucle serrée de Mathilde l’ingrate, Passe notre amitié peinte comme un jeu d’oie. Que des traces dactylographiques de sang sur l’or Rayant le cœur de la Catalogne éternelle ! Que les étoiles comme des poings sans faucon t’illuminent, Pendant que ta peinture et que ta vie fleurissent. Ne regarde pas la clepsydre aux ailes membraneuses, Ni la dure faux des allégories. Habille et déshabille toujours ton pinceau dans l’air, Face à la mer peuplée de barques et de marins.

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    Francis Etienne Sicard

    @francisEtienneSicard

    Caveau d’émail Au cyanure du soir se creuse la marée, Que des draps de satin ourlés d’enluminures, Couvrent de gouffres flous griffés d’éclaboussures, Où la voile arrachée épousera la fée. L’ampélite de l’eau d’une lame effleurée Au souffle vagabond de rêves en boutures, Efface le dessin des profondes voussures Que le marin toisait de son âme apeurée. Le silence invisible aux murmures des vagues, Hisse un velours de brume aux plis d’un catafalque, Dont les ganses de moire affranchissent les dagues. Au premier franc frisson du bois qui se déchire, La nef et le marin, sous un papier de calque, Croquent l’éternité de la mer en délire.

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    F

    Francis Ponge

    @francisPonge

    Bords de Mer La mer jusqu'à l'approche de ses limites est une chose simple qui se répète flot par flot. Mais les choses les plus simples dans la nature ne s'abordent pas sans y mettre beaucoup de formes, faire beaucoup de façons, les choses les plus épaisses sans subir quelque amenuisement. C'est pourquoi l'homme, et par rancune aussi contre leur immensité qui l'assomme, se précipite aux bords ou à l'intersection des grandes choses pour les définir. Car la raison au sein de l'uniforme dangereusement ballotte et se raréfie : un esprit en mal de notions doit d'abord s'approvisionner d'apparences. Tandis que l'air même tracassé soit par les variations de sa température ou par un tragique besoin d'influence et d'informations par lui-même sur chaque chose ne feuillette pourtant et corne que superficiellement le volumineux tome marin, l'autre élément plus stable qui nous supporte y plonge obliquement jusqu'à leur garde rocheuse de larges couteaux terreux qui séjournent dans l'épaisseur. Parfois à la rencontre d'un muscle énergique une lame ressort peu à peu : c'est ce qu'on appelle une plage. Dépaysée à l'air libre, mais repoussée par les profondeurs quoique jusqu'à un certain point familiarisée avec elles, cette portion de l'étendue s'allonge entre les deux plus ou moins fauve et stérile, et ne supporte ordinairement qu'un trésor de débris inlassablement polis et ramassés par le destructeur. Un concert élémentaire, par sa discrétion plus délicieux et sujet à réflexion, est accordé là depuis l'éternité pour personne : depuis sa formation par l'opération sur une platitude sans bornes de l'esprit d'insistance qui souffle parfois des cieux, le flot venu de loin sans heurts et sans reproche enfin pour la première fois trouve à qui parler. Mais une seule et brève parole est confiée aux cailloux et aux coquillages, qui s'en montrent assez remués, et il expire en la proférant; et tous ceux qui le suivent expireront aussi en proférant la pareille, parfois par temps à peine un peu plus fort clamée. Chacun par-dessus l'autre parvenu à l'orchestre se hausse un peu le col, se découvre, et se nomme à qui il fut adressé. Mille homonymes seigneurs ainsi sont admis le même jour à la présentation par la mer prolixe et prolifique en offres labiales à chacun de ses bords. Aussi bien sur votre forum, 6 galets, n'est-ce pas, pour une harangue grossière, quelque paysan du Danube qui vient se faire entendre : mais le Danube lui-même, mêlé à tous les autres fleuves du monde après avoir perdu leur sens et leur prétention, et profondément réservés dans une désillusion amère seulement au goût de qui aurait à conscience d'en apprécier par absorption la qualité la plus secrète, la saveur. C'est en effet, après l'anarchie des fleuves, à leur relâchement dans le profond et copieusement habité lieu commun de la matière liquide, que l'on a donné le nom de mer. Voilà pourquoi à ses propres bords celle-ci semblera toujours absente : profitant de l'éloi-gnement réciproque qui leur interdit de communiquer entre eux sinon à travers elle ou par de grands détours, elle laisse sans doute croire à chacun d'eux qu'elle se dirige spécialement vers lui. En réalité, polie avec tout le monde, et plus que polie : capable pour chacun d'eux de tous les emportements, de toutes les convictions successives, elle garde au fond de sa cuvette à demeure son infinie possession de courants. Elle ne sort jamais de ses bornes qu'un peu, met elle-même un frein à la fureur de ses flots, et comme la méduse qu'elle abandonne aux pêcheurs pour image réduite ou échantillon d'elle-même, fuit seulement une révérence extatique par tous ses bords. Ainsi en est-il de l'antique robe de Neptune, cet iiinonccllcnient pseudo-organique de voiles sur les trois quarts du monde uniment répandus. Ni par l'aveugle poignard des roches, ni par la plus creusante tempête tournant des paquets de feuilles à la fois, ni par l'œil attentif de l'homme employé avec peine et d'ailleurs sans contrôle dans un milieu interdit aux orifices débouchés des autres sens et qu'un bras plongé pour saisir trouble plus encore, ce livre au fond n'a été lu.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Angélus I Tapi dans les rochers qui regardent la plage, Au pied de la falaise est le petit village. Sur les vagues ses toits ont l’air de se pencher, Et ses mâts de bateaux entourent son clocher. C’est en mai. – L’Océan, dans ces belles journées, A l’azur tiède et clair des méditerranées. Il chante, et le soleil rend plus brillante encor Son écume glissant le long des sables d’or. L’odeur du flot se mêle aux parfums de la terre Et, là-bas, le petit jardin du presbytère, A mi-côte, est rempli de fleurs et de rayons. Blond, rieur et chassant aux premiers papillons, Un bel enfant y joue et va, sur la pelouse, Du vieux prêtre en soutane au vieux bonhomme en blouse Qui sont là, l’un disant ses prières tout bas, L’autre arrosant des fleurs qu’il ne regarde pas, Car pour mieux voir l’enfant, qui court dans la lumière, L’un néglige ses fleurs et l’autre sa prière ; Et tous les deux se font des sourires joyeux. Le prêtre est le curé de l’endroit ; l’autre vieux En est le fossoyeur. Le premier dans sa cure Mène depuis vingt ans sa douce vie obscure. Ce juste a fait le bien, ainsi qu’il l’a prêché, Et se laisse appeler bonhomme à l’évêché, Sans s’étonner et sans que son zèle en décroisse. Comme le cimetière est près de la paroisse, Qu’il est bien seul, qu’il aime à deviser un peu En se chauffant les pieds, le soir, au coin du feu, Et comme il n’entend rien aux choses maritimes, Le fossoyeur et lui sont devenus intimes. Car c’est, à la campagne, un causeur assuré Qu’un soldat vétéran auprès d’un vieux curé. Celui-là, revenu dès longtemps au village, Invalide vaincu par la guerre et par l’âge, Trop vieux pour devenir laboureur ou marin, Est fossoyeur, et chante, aux grands jours, au lutrin. Or, c’est un compagnon agréable au vieux prêtre, Disant trop longuement ses batailles, peut-être, Mais résigné, naïf, n’engendrant point l’ennui, Et que le curé sait doux et bon comme lui. Tous deux s’aiment. Et quant au bel enfant qui joue, Le ciel dans le regard, l’aurore sur la joue, Et pour lequel ils ont ce sourire attendri, C’est Angelus, l’enfant trouvé, leur fils chéri. Ces cheveux blonds au vent sont la dernière flamme Qui se reflète encore au miroir de leur âme ; Et, parmi les bleuets et les coquelicots, Ce bon rire aux éclats vibrants et musicaux Leur fait une vieillesse encore ensoleillée. Car naguère ils étaient bien seuls, et la veillée Leur semblait longue. Assis près de l’âtre et rêvant, Tandis qu’ils écoutaient les longs sanglots du vent Et la mer se brisant aux rochers des presqu’îles, Un nuage passait sur leurs âmes tranquilles. La causerie avec le foyer s’éteignait. Le vieux prêtre fermait son livre, et se signait Comme contre un désir coupable et qu’on repousse ; Le vétéran vidait sa pipe sur son pouce ; Et tous deux se taisaient, songeant qu’ils étaient seuls Et que tous ces vieux morts, cousus dans leurs linceuls, Qui venaient réclamer de l’un une prière Et de l’autre un trou noir au fond du cimetière, Avaient du moins autour de leur pauvre cercueil Des femmes qui pleuraient et des enfants en deuil ; Que ces gens se faisaient répéter la promesse Que l’on n’oublierait rien, ni les fleurs, ni la messe : Et qu’eux, lorsqu’ils seraient à jamais endormis Sous terre, ils n’auraient point de parents ni d’amis Pour arracher l’ortie et la ronce mauvaise Frissonnant sur leur tombe au vent de la falaise. Un soir le fossoyeur, d’un ton mal assuré Et les deux mains au feu, dit : « Monsieur le curé, Puisque vous savez tout, vous devriez me dire Ce qui fait qu’aujourd’hui nous ne pouvons pas rire ; Cependant, sans avoir besoin d’être indulgents, Nous pouvons nous donner comme deux braves gens. Je ne sais rien, c’est vrai ; que le bon Dieu m’assiste ! Mais pourquoi notre cœur, étant pur, est-il triste ? » – C’est vrai, » dit le curé. Puis, après un moment De silence, il reprit ; bas et timidement : « Oui, nous avons rendu, malgré la chair fragile, A César comme à Dieu ce que veut l’Évangile, Et nous n’avons ni l’un ni l’autre fait le mal. Nos cœurs sont innocents comme au jour baptismal ; Rien ne les assombrit et rien ne les déprave, Le mien étant pieux et le vôtre étant brave. Priant pour les vivants et prenant soin des morts, Nous vieillissons ici, calmes et sans remords. Et pourtant notre vie est triste ! – Au point, dit l’autre, Que vous, monsieur l’abbé, vous, plus saint qu’un apôtre, Je vous ai vu jeter, dans vos jours de souci, Un regard envieux aux plus pauvres d’ici. – Le pêcheur, dit le prêtre, heureux parmi les hommes, N’a pas du laboureur les ennuis économes ; Il a la mer ; il a sa plage de galets Pour prendre du varech et sécher ses filets ; Et, si les flancs épais de sa barque normande Regorgent de saumon, de congre ou de limande, Oublieux du péril auquel il s’exposa, Il revient tout joyeux à son feu de colza, Sans penser que demain il faut qu’il recommence Sa bataille éternelle avec la mer immense, Et pose à son retour des baisers triomphants Sur les fronts inégaux de ses petits enfants. Un enfant ! C’est cela qui nous manque peut-être. Nous n’avons pas d’enfant, hélas ! Et le vieux prêtre Reprit, en tisonnant tout doucement son feu : « Tous les moyens sont doux, ami, de plaire à Dieu. Il est doux d’obéir, d’être humble et d’être chaste ; Mais notre cœur humain est-il donc si peu vaste, Que la patrie et Dieu, dans ce cœur enfermés, N’y puissent laisser place à des êtres aimés ? Pourtant Dieu, c’est l’amour. lisait bien que nous sommes Aimants ; et puis c’est grand, cela : faire des hommes. Vivre au milieu de fils chrétiens, c’est aussi beau Que servir un autel ou défendre un drapeau. Ce doit être un devoir bien plus lourd qu’on ne pense, Oui, mais qui porte en lui sa chère récompense. Nous n’avons pas d’enfant, voilà ! ? Certainement, Dit l’autre. Quand j’étais encore au régiment, Et quand, les pieds meurtris aux cailloux des montagnes, Je m’en allais coucher chez les gens des campagnes, Qui m’accueillaient fort mal et n’avaient d’autre soin Pour moi que de passer leur fourche dans le foin, Parfois, en attendant qu’on fît de la lumière, J’ai vu de beaux enfants jouer dans la chaumière, Et je leur ai souri. Mais il fallait passer Sans leur dire un seul mot et sans les embrasser, Et s’en aller dormir sur son sac, dans la grange. Mais ces fois-là j’étais plus las, et, c’est étrange, Je repartais le cœur plus sombre. » Et, soupirant, Ils restèrent au coin de leur foyer mourant, Sans entendre, du fond de leur pénible rêve, Se lamenter au loin l’Océan sur la grève. II Si le son de la cloche est triste, il l’est bien plus L’hiver, quand vient la nuit et quand c’est l’angelus Qui sonne lourdement au clocher du village, Rythmé par les sanglots de la mer sur la plage. Dans les cœurs son écho lugubre retentit : Celle qui reste songe à celui qui partit Sur sa barque parmi la brume et la tempête, Et se demande, auprès du rouet qui s’arrête, Si là-bas, dans les flots, son homme, le marin, A comme elle entendu les coups du grave airain, Et si, malgré la lame affreuse qui grommelle, Il s’est bien souvenu de se signer comme elle. Ayant sonné la cloche et dit les oraisons, Les deux vieillards allaient regagner leurs maisons Et se disaient adieu sur le seuil de l’église, Quand ils virent, gisant sur une pierre grise, Quelque chose de blanc qu’on avait laissé là ; Et, s’étant approchés tous deux, il leur sembla Que cela remuait vaguement. Le vieux prêtre, Inquiet, se pencha vite et put reconnaître Que c’était un pauvre être à peine emmailloté, Un enfant qu’une mère horrible avait jeté, Profitant du sommeil confiant de l’enfance, En passant, dans ce coin, presque nu, sans défense, Comme un voyageur las jette au loin son fardeau. « Hélas ! dit le curé, qui des mains du bedeau Prend le pauvre petit, notre raison humaine Est folle en voulant fuir la route où Dieu la mène. Vous avez vu par nous vos desseins outragés, Dieu très juste, et voici comment vous vous vengez. L’autre soir, nous sentions dans nos âmes farouches Fermenter les désirs coupables, et nos bouches Ont prononcé tout bas des propos envieux. Mais vous vous êtes dit : « Ces deux hommes sont vieux : « Leur voyage fut long ; ils sont las de leur course ; « Ils ont besoin d’un peu d’ombre et de quelque source ; « Ce sont de vrais chrétiens, ce sont de bons amis ; « Il faut leur pardonner. » Et vous avez permis Que notre foi n’eût plus même ce seul obstacle. Merci ! Que cet enfant, donné par un miracle, Bonheur que nos vieux jours n’auraient jamais rêvé, Porte le nom de l’heure où nous l’avons trouvé : Qu’il s’appelle Angelus ! c’est un nom de prière. Mon Angelus, je vous baptise au nom du Père, Du Fils et de l’Esprit ! – Amen ! » dit le soldat. Et, de peur que le vent de mer n’incommodât Davantage l’enfant tout transi sur les pierres Et qui ne rouvrait pas encore ses paupières, En prenant à travers un terrain labouré Ils rentrèrent en hâte au logis du curé. Là, pour faire du feu, le soldat s’agenouille ; De son vieux manteau noir le curé se dépouille Et reste ainsi, portant le petit sur les bras, Et tout semblable, dans son naïf embarras, Au saint Vincent de Paul des naïves images. Jadis un autre enfant, celui vers qui les mages, Écoutant dans le ciel un mystique concert Et suivant une étoile à travers le désert, Vinrent pour présenter l’or, l’encens et la myrrhe, L’enfant divin, l’enfant Jésus qu’encore admire Le monde qui pourtant a brisé tous ses dieux, L’enfant de Bethléem parut moins radieux, Dans sa crèche adorable, aux pèlerins augustes, Que cet enfant trouvé ne parut à ces justes, Lorsque sur le lit blanc et pur comme un berceau Ils l’eurent déposé dans son sommeil d’oiseau, Et que sous le profond rideau qui se soulève Ils le virent tous deux continuer son rêve. « Oui-da ! dit le soldat qui tenait le rideau, Le bon Dieu nous a fait un bien joli cadeau. Nous voulions un enfant, c’est comme dans un conte, Le voilà. Nous allons l’élever et, j’y compte, Plus tard en faire un gars robuste et bien portant. C’est entendu, monsieur le curé. Mais pourtant Il faut aussi songer à ce qui va s’ensuivre. Vous êtes, vous, d’abord, éduqué comme un livre : L’enfant saura de vous tout ce qu’il faut savoir. Moi, pour les menus soins, je me flatte d’avoir La chose d’employer le fil et les aiguilles. Mais, voilà : nous avons vécu loin des familles, Loin des berceaux ; jamais on ne nous révéla Comme on s’y prend avec ces petits êtres-là. Leur parler, vous savez le langage des anges, Ce n’est rien. Mais ôter et remettre leurs langes, Les nourrir comme il faut et leur dire ces chants Qui les font s’endormir alors qu’ils sont méchants, Les soigner, eux toujours malades et débiles, A cela, voyez-vous ! nous serons malhabiles. Qu’y faire ? Une servante ?… Eh ! nous ne pourrions pas La payer. Faites-vous toujours vos deux repas ? Pour nous, les serviteurs sont des gens trop avides. Et tous vos pauvres, qui s’en iraient les mains vides ! Puis, quel autre aussi bien que nous en aurait soin ? – Comment, une servante ! il n’en est pas besoin, Dit le vieux prêtre avec son bon regard sincère. Nous saurons bien ce qui lui sera nécessaire. Nous désirions un fils, Dieu nous l’envoie : ainsi, Ce n’est pas, à coup sûr, pour qu’il sorte d’ici. En lui donnant d’abord toute notre tendresse, Nous ne commettrons pas de grave maladresse. Nous sommes, il est vrai, très pauvres ; mais enfin Notre enfant ne mourra ni de froid ni de faim : J’ai de beau linge blanc tout plein ma vieille armoire, Et je pourrais encor vous remettre en mémoire, Mon cuisinier d’un jour, que, quand vient Monseigneur, Notre hospitalité nous fait assez d’honneur, En ajoutant tout bas que pour Son Éminence Un jour passé chez moi n’est pas jour d’abstinence. – Vos poulets ? votre vin ? pour qui ? pour ce petit ? Mais à son âge on n’a pas si bon appétit Qu’un archevêque ; et c’est bien plus tard qu’on les sèvre. – Eh bien, en attendant, nous aurons une chèvre… Et puis je vous défends de rire du clergé. – Bien, ne vous fâchez pas, la bonne a son congé. C’est dit. L’enfant aura d’abord quelque surprise De votre robe noire et de ma barbe grise ; Mais nous lui sourirons ; puis, nous n’y pouvons rien. Vous, monsieur le curé, pour sûr, vous saurez bien Ce qu’il lui faut, vous qui savez soigner les âmes ; Les vieux prêtres, mais c’est aussi doux que les femmes ! Et vous avez les mains blanches comme les leurs. Moi, j’aimerai l’enfant comme j’aime mes fleurs, Et nous pourrons mener jusqu’au bout ce caprice, D’apprendre le métier de mère et de nourrice. » Et pendant ce temps-là le pauvre enfant trouvé, Sur l’oreiller moelleux, comme sur le pavé, Dormait toujours, charmant d’abandon et de grâce. Les deux vieillards baisaient sa petite main grasse, Et puis la reposaient doucement sur le lit. Comme on penche le front sur un livre qu’on lit, Ils se tinrent longtemps inclinés sur sa couche, Retenant leur haleine et le doigt sur la bouche. Puis, par un enfantin regard persuadant L’autre qui lui faisait signe d’être prudent, Et comme n’y pouvant résister, le vieux prêtre, Au risque d’éveiller le charmant petit être, Silencieusement le baisa sur le front. Angelus ébaucha de son bras rose et rond Ce geste vague et mou du réveil qui s’approche, Tandis que, s’adressant en secret un reproche, Vite se reculait le vieil audacieux, Au fond très satisfait de voir s’ouvrir les yeux De l’enfant, comme afin d’orienter ses voiles Le marin est heureux du lever des étoiles. L’enfant, qui s’éveilla doucement, leur sourit. Alors, courbant le front, le bon curé le prit Dans ses mains, que rendaient fébriles son grand âge, Mais que la peur faisait trembler bien davantage ; Et, se sentant le cœur plus inquiet encor Que le jour où, vêtu de la chasuble d’or, Et selon la promesse aux chrétiens garantie, Pour la première fois il consacra l’hostie, Il vint s’asseoir auprès du feu qui pétillait ; Et, cependant qu’avec lenteur il dépouillait L’enfant de ses haillons liés par des ficelles, S’étonnant de ne pas lui découvrir des ailes, Le fossoyeur, avec un air tout réjoui, Se tenait immobile et debout devant lui, L’encourageant des yeux et le regardant faire. Et cette heure leur fut exquise. L’atmosphère Était intime. A peine entendait-on le bruit Du vent et de la mer qui pleuraient dans la nuit. Le colza sec brûlait, clair, dans la cheminée ; Toute la vieille chambre était illuminée. La bouilloire chantait gaîment devant le feu En laissant échapper son mince filet bleu ; Et le petit enfant, frêle espérance d’âme, Content de se sentir tout nu devant la flamme, Sur les genoux des deux vieillards extasiés Serrait ses petits poings, frottait ses petits pieds Et murmurait, le front ballant et l’œil atone, Son doux vagissement heureux et monotone. III Comme le presbytère est joyeux maintenant ! Bien qu’au bord de la mer il soit moins rayonnant, Le printemps, qui sourit parmi les giboulées, Éclaire le gazon frileux dans les allées, Réchauffe le vieux seuil, le cep en espalier, Et vient mourir au bas du gothique escalier. Le jardin rajeunit, rempli de pousses vertes. L’éclat de rire sort des fenêtres ouvertes. La brique a le ton rose et charmant d’un décor, Et le chaume brillant pétille comme l’or. Ah ! si le jardin sombre et les vieux murs moroses Se sont transfigurés si vite, si les roses Ont si vite chassé l’ortie et le chardon, Si la tendre espérance et l’aimable pardon De floréal ont pris ce coin noir pour leurs fêtes, Si plus pures et plus exquises se sont faites Pour ce lieu les senteurs premières des lilas, Si ce miracle advint, c’est que tu t’y mêlas, C’est que tu l’accomplis sans le savoir, Enfance ! C’est qu’une sympathique et douce connivence S’installe entre ta grâce et la grâce d’avril ; C’est qu’un enchaînement adorable et subtil Comme lui t’embellit de charme et de surprise, Fait ton rire semblable aux chansons de sa brise Et l’or pâle de ta chevelure pareil Aux rayons étonnés de son jeune soleil ! Car de longs mois, depuis cette nuit de novembre Où près des deux vieillards et dans la vieille chambre, Confiant, protégé par leur regard ami, Pour la première fois l’enfant avait dormi, De bien longs mois, de bien doux mois, toute une année D’extase stupéfaite et de joie étonnée Avait passé, bien chère et trop courte pour eux. Et dès le lendemain de ce jour bienheureux Ils avaient entrepris leur délicat ouvrage. D’abord ils avaient craint les dangers du sevrage ; Mais tout semblait venir en aide à leur dessein. Rejeton du malheur, né sur un maigre sein Avare de son lait comme de sa tendresse, Angelus, élevé sans soin et sans caresse, N’étant pas mort, hélas ! s’était vite endurci, Car la misère tue ou rend robuste. Aussi, Plus fort que ne le sont les bambins de cet âge, Il supportait déjà la soupe et le laitage. Ensuite, autre souci, cet enfant inconnu Avait été trouvé par eux à peu près nu Il fallait le vêtir au plus tôt, faire emplette De toile, lui fournir sa layette complète, Payer quelque ouvrière enfin ; et justement Le curé n’était pas bien riche en ce moment ; Ses pauvres de la veille avaient vidé ses poches. Et le voilà déjà s’accablant de reproches Et se disant tout haut, d’un air très irrité, Qu’il était imprudent et que la charité Comme cela, c’était une chose coupable. Mais le soldat, fronçant le nez d’un air capable, Prit les deux meilleurs draps dans l’armoire en noyer, Et, s’armant de ciseaux, il se mit à tailler Des ronds et des carrés dans le vieux linge jaune. Parfois il devenait rêveur, prenait une aune, Se trompait, puis jetait ses ciseaux, plein d’effroi, Comme un tailleur gâtant le bleu manteau d’un roi. Le bon prêtre, ignorant comme une vieille fille Et stupéfait, le vit enfiler son aiguille, Coudre longtemps, soufflant très fort à chaque point, Puis enfin, d’un air grave, essayer sur son poing Un tout petit bonnet d’enfant du premier âge. Ce n’était pas parfait ; mais, sans perdre courage, Le bonhomme, étouffant quelquefois un juron, Vite en tailla plusieurs sur le même patron. Sans doute il essuyait bien souvent ses lunettes, Les coutures n’étaient ni droites ni bien nettes, Mais le vieil apprenti des choses du berceau, Le soir, eut terminé tout le petit trousseau. Pour eux ce fut alors une douce existence : Ces hommes maladroits, mais remplis de constance, Tâchaient de deviner, enchantés et surpris, Ces mille petits soins qu’ils n’avaient pas appris, Intuition du cœur, science maternelle, Qu’avec l’enfant conçu la femme porte en elle. Certes, ce ne fut pas d’abord sans embarras. Lorsque Angelus pleurait en leur tendant les bras, Souvent ils ne savaient que faire ni que dire. Que lui fallait-il donc ? Un baiser ? un sourire ? On les lui prodiguait. Que voulait-il enfin ? Souffrait-il ? avait-il sommeil ? avait-il faim ? Et puis, comme toujours un esprit qui travaille Découvre, ils découvraient ; et de chaque trouvaille, De chaque invention de leur ardent amour, Ils se sentaient le cœur heureux pour tout un jour ; Et le bonheur est fait de ces riens éphémères. Ils allaient à tâtons, consultaient les commères Du village, et prenaient des conseils très prudents Pour l’âge où le petit devrait faire ses dents. O candeur ! ils avaient des fiertés de nourrices, Et quand l’enfant dormait tout nu, montrant ses cuisses Où le sang rose et pur venait à fleur de peau, Les yeux brillants de joie, ils disaient : « Qu’il est beau ! » Angelus grandissait, et, sur ces entrefaites, Un beau jour il voulut marcher. Nouvelles fêtes ! Ces vieux, avec leurs dos voûtés et leurs pas lents, Semblaient faits pour guider les efforts chancelants De ce petit garçon, leur fils et leur élève. Chaque soir, sur le sable humide de la grève Ils le firent marcher, surveillant avec soin Ses progrès, chaque jour allant un peu plus loin, Et, plus tard, chaque jour allant un peu plus vite. L’encourageant par un bon rire qui l’invite, Chacun d’eux soutenait un des bras de l’enfant ; Et celui-ci parfois s’arrêtait, triomphant, Après un petit pas qui lui semblait immense, Heureux ainsi qu’on l’est toujours quand on commence ; Et les deux bons vieillards étaient tout égayés Lorsque Angelus, ouvrant de grands yeux effrayés, Jetait un léger cri, douce et claire syllabe, Devant la fuite oblique et bizarre d’un crabe, Ou quand il leur fallait, en se baissant un peu, L’aider à ramasser le coquillage bleu Ou le petit galet joli comme une perle Que jetait à leurs pieds la vague qui déferle. Et quel triomphe encor quand, s’étant hasardé, Un beau matin l’enfant courut sans être aidé ! Depuis lors il allait en avant, eux derrière. Le curé regardait par-dessus son bréviaire, Et l’autre se frottait les mains, l’air tout joyeux. Et quand leur fils courait trop vite, les deux vieux Hâtaient le pas, l’abbé refermait son gros livre, Et tous les deux riaient de ne pouvoir le suivre. Toute leur vie était pleine de ce marmot. Après le premier pas, ce fut le premier mot. Chaque jour amenait sa nouvelle surprise. Et comme le bonheur nous égare et nous grise, Le petit Angelus n’avait pas seulement Trouvé parmi ses cris ce vague bégaiement, Effort de la pensée éclose qui s’envole Et qui ressemble à peine encore à la parole, Que déjà le curé, plein d’ardeur et rêvant A le faire bientôt devenir très savant, Cherchait dans un coin noir de sa bibliothèque Son vieux savoir latin et sa science grecque, Et rouvrait ses bouquins de poussière chargés, Se reprochant de les avoir tant négligés, Et critiquant tout bas la Messe et l’Évangile Qui le brouillaient avec la langue de Virgile. Pourtant, sans honte, ainsi qu’un tout jeune garçon, Il se remit à l’œuvre, apprenant sa leçon Tous les jours et vivant sur son dictionnaire, Comme lorsqu’il était au petit séminaire. Pour mieux se souvenir, souvent il récitait Du latin à voix haute, et, quand il s’arrêtait Cherchant le mot perdu dans son livre d’étude, Le vétéran disait : Amen ! par habitude. Ils étaient donc heureux tout à fait ; et le soir Près du berceau chéri tous deux venaient s’asseoir, Et, le cœur attendri, silencieux, timides, Ils contemplaient l’enfant avec des yeux humides. IV Or le printemps avait sept fois fleuri ; l’été, Dardant sur les blés mûrs son or diamanté, Avait sept fois donné sa moisson, et l’automne Sa vendange, et l’hiver sa neige monotone. Auprès des deux vieillards l’enfant avait grandi, Mais sans prendre cet air libre, vif, étourdi, Ce goût des jeux bruyants et ce doux caquetage Qu’on trouve d’ordinaire aux garçons de cet âge : Sa grâce ? les enfants sont toujours gracieux ? Était comme voilée et craintive ; ses yeux Cachaient une douleur dans leur azur sincère ; Il était pâle et doux comme une fleur de serre ; Son sourire était rare et contraint. Souffrait-il ? Peut-être ; mais d’un mal bien lent et bien subtil, Et qui, ne s’exprimant jamais par une plainte, Ne pouvait éveiller l’affectueuse crainte Des deux vieillards naïfs, qui trouvaient justement L’enfant, dans sa douceur malade, plus charmant. Pourtant, s’il suffisait, pour que la fleur qui pousse Embaumât le jardin d’une haleine plus douce Et pour que l’enfant prît des forces chaque jour, D’un rayon généreux de soleil et d’amour, Angelus, qu’entourait deux fois l’amour d’un père, Aurait dû, tout pareil à la fleur qui prospère, S’épanouir en fraîche et robuste santé. Si le baiser longtemps et souvent répété Faisait éclore seul les roses sur la joue ; Si la bonté d’un cœur d’aïeul qui se dévoue, La tendresse tremblante et toujours en éveil, Le front à cheveux blancs penché sur le sommeil, Suffisaient pour servir de garde et de défense A ce fragile espoir qu’on appelle l’enfance, Angelus, délivré des langes du berceau, Aurait dû s’élancer, léger comme un oiseau, Par la nature et faire en courant bien des lieues, Fou des insectes d’or et des fleurettes bleues, Heureux, libre, voulant tout sentir, tout saisir, Tout connaître, cédant à l’avide désir, Tapageur, les cheveux emmêlés par les branches, Mordant les fruits trop verts de toutes ses dents blanches, Faisant rire avec lui les échos du chemin Et prenant sans effroi des bêtes dans sa main ! Mais non ! le jeune fils des deux vieux, au contraire, Par aucun jeu d’enfant ne se laissait distraire. Souvent, ouvrant ses yeux étonnés et chercheurs, Il regardait passer les enfants des pêcheurs, Qui, lorsque revenait la saison douce et belle, Allaient au bois voisin, en longue ribambelle, Cueillir des mûres ou chasser les papillons. Il regardait passer ces gaîtés en haillons, Qui couraient les pieds nus et d’aurore coiffées, Et ces blouses, et ces culottes étoffées De grands-pères, et ces cheveux blonds sans bonnet, Leur faisait un sourire, et puis s’en revenait, Marchant à petits pas, rêveur et solitaire, Tout seul, dans le jardin calme du presbytère. Quand il voyait l’enfant revenir et s’asseoir, Son père le soldat, qui tenait l’arrosoir Ou passait le râteau sur quelque plate-bande, En écoutant au loin chanter la folle bande, Grommelait, de son air affable et belliqueux : « Voyons donc, fainéant, va jouer avec eux. » Mais l’enfant, sans prêter l’oreille aux cris de fête, Soupirait, secouait négligemment la tête Et s’approchait du vieux pour lui dire : « Pourquoi ? Je m’amuse bien mieux quand je suis avec toi. » Puis Angelus passait bien des heures à lire ; Et le savoir n’est pas le père du sourire. Il lisait trop. D’abord ce désir curieux Avait rendu le bon curé tout glorieux : Tel le semeur qui voit prospérer ses semailles. Ce jeune esprit déjà plein d’heureuses trouvailles, Ces prompts étonnements, ces vives questions, Au vieux prêtre inspiraient quelques ambitions, Car Angelus avait toujours aimé le livre. A peine avait-il eu jadis besoin de suivre Le doigt ridé qui montre en tremblant l’alphabet. Le piège était tentant ; le bonhomme y tombait, Et parfois sa science était tout étonnée Quand l’enfant, sachant plus que la leçon donnée, Avec son éternel « Pourquoi ? » l’embarrassait. Il ne comprenait pas le danger : il laissait Angelus absorbé dans ses livres d’estampes, Et n’apercevait pas palpiter à ses tempes Les rêves trop pesants pour ce jeune cerveau Avide avant le temps d’étrange et de nouveau. Et chaque jour, malgré le calme de l’asile Où sa vie aurait dû couler, pure et facile, Dans les fleurs en été, près de l’âtre en hiver, Malgré le souffle sain et puissant de la mer Qui caressait son front sans y mettre le hâle, Angelus devenait plus souffrant et plus pâle ; Et de ce mal visible à peine, mais profond, Les vieux ne savaient rien, presque contents au fond ? Car chez les plus aimants l’égoïsme sommeille ? Que cette enfance fût moins fraîche et moins vermeille, Mais plus tendre et toujours présente à leur foyer. Tous deux s’étaient hâtés bien vite d’oublier Leurs doutes de jadis. On leur eût fait offense De leur dire à présent ce qu’il faut à l’enfance. Ils croyaient seulement que leur fils n’était pas Un être comme un autre, et se disaient tout bas Que leur affection avait fait ce prodige. Ils étaient étonnés de leur œuvre ; et, que dis-je ! De cette ardeur précoce, où déjà s’épuisait Angélus, leur orgueil paternel s’amusait. Hélas ! leur ignorance était seule coupable, Non pas leur cœur ; et tout ce dont était capable De soin, de dévoûment et d’amour, en effet, Leur vieillesse naïve et bonne, ils l’avaient fait. Mais malgré tout, malgré leur charité divine, Ils n’avaient pas appris ce qu’il faut qu’on devine ; Et leurs cerveaux, trop froids, ne pouvaient plus avoir L’instinct, bien plus puissant encor que le savoir. Car la grande Nature est jalouse : elle exige Qu’on ne s’écarte pas des règles qu’elle inflige, Et ne fait si chétif l’enfant qui naît au jour, Que pour qu’il soit aimé d’un plus prudent amour A cause des soucis et des craintes qu’il donne ; Elle veut que cet œil flottant et qui s’étonne Ne puisse supporter l’immense éclat des cieux Sans l’avoir vu d’abord reflété par les yeux De la mère, qui veille à côté de la couche ; Elle veut que, cruelle et rude, cette bouche Pour y boire le lait morde à même le sein ; Elle ordonne, dans son immuable dessein, Un travail réciproque à tous ceux qu’elle affame, Aux mères pour l’Enfant, aux époux pour la Femme ; Elle ne peut avoir pitié des célibats ; Ni les autels sacrés, ni les nobles combats Ne sauraient un instant plier sa règle austère, Et toujours elle dit : « Malheur au solitaire ! » Oui, ces deux justes, oui, ces excellents vieillards, Dont tous les battements de cœur, tous les regards Étaient pour cet enfant adorablement triste, Ne voyaient pas, dans leur amour presque égoïste, Que pour cet être, espoir de leur humble maison, Leur étreinte était une étouffante prison ; Que sur ce faible front leur sénile tendresse Appuyait trop longtemps la trop lente caresse ; Qu’Angelus en souffrait, et que chaque baiser Venait encore plus l’abattre et l’épuiser ; Qu’à son sourire, fleur exquise de sa lèvre, Volaient les papillons obsédants de la fièvre, Et qu’enfant pressentant déjà le séraphin, Sans regret et sans plainte il se mourait enfin. Car Angelus, nature affectueuse et douce, Ignorait tout à fait le geste qui repousse. A ces baisers mortels, dont il était brisé, Toujours il présentait son sourire lassé Et se jetait au cou du soldat et du prêtre. On meurt d’être aimé trop comme de ne pas l’être, Et c’est un mal divin dont nul ne se défend. Une mère aurait lu dans les yeux de l’enfant La fatale langueur de ce mal qui s’ignore. Elle eût dit : « C’est assez ! » Les vieux disaient : « Encore ! » Et par leur faute, et dans leurs bras, et sous leurs yeux, Angelus se mourait, martyr délicieux ! O Nature ! c’était pourtant bien peu de chose : Laisser vivre un enfant, laisser croître une rose, Épargner ce dernier supplice à ces deux saints, Cela n’importait pas beaucoup à tes desseins. Ne se peut-il donc pas, ô Mère, que tu veuilles Qu’en un an l’arbrisseau pousse deux fois ses feuilles ? Et si, sous le soleil d’automne, et trop hâtifs, Ses rameaux ont donné quelques bourgeons chétifs, Faut-il toujours, faut-il, hélas ! que tu l’accables Sous ton hiver et sous tes neiges implacables ? Pourtant c’était l’espoir de l’antique forêt. Ces chênes, dont le cercle auguste l’entourait Et peut-être au printemps jetait sur lui trop d’ombre, Ne pourront-ils, alors que revient le temps sombre, Étendre jusqu’à lui leurs grands bras paternels ? Non, tu ne changes rien aux ordres éternels ! Non ! Avril renaîtra sans que l’arbre renaisse, Et, retrouvant encore un effort de jeunesse, Les vieux troncs, tout pourris sous le lierre, verront Le feuillage épuisé reverdir à leur front ; Et ces aïeux, dont l’âme altière et résignée Ne craignait même plus les coups de la cognée, En voyant ce trépas qui précède le leur, Les vieux chênes des bois gémiront de douleur ! V Ce soir-là, – c’était vers le milieu de septembre, – Les vieillards et l’enfant avaient gardé la chambre, Angelus se sentant plus malade et plus las. Le prêtre et le soldat, les deux pères, hélas ! Ne pouvaient se douter que la fin fût si proche. Ils étaient sans effroi, se sentant sans reproche. « Ce sera, pensaient-ils, un malaise d’un jour. » Et leur bonheur n’était pas troublé, leur amour Les trompant, et l’enfant donnant à sa caresse Toujours plus de fiévreuse et de mièvre tendresse. Auprès de la fenêtre, où fraîchissait le soir, Dans son large fauteuil le curé fit asseoir Angelus ; et tous trois devant le clair de lune Écoutèrent mourir les lames sur la dune. Abandonné, fermant ses beaux yeux à demi, L’enfant, qui se mourait, paraissait endormi. La sueur sur son front collait ses cheveux d’ange ; Et, d’un geste navrant, mais plein d’un charme étrange, Il cherchait vaguement, comme on cherche un appui, Les mains des deux vieillards, assis auprès de lui. Mais ceux-ci ne pouvaient deviner sa souffrance : Leurs cœurs simples étaient toujours pleins d’espérance ; Et, pensant qu’Angelus ne les entendait pas, Avec un bon sourire ils échangeaient tout bas Les décevants projets et les douces chimères, Comme auprès des berceaux en évoquent les mères. « Puisque voilà l’enfant près de nous endormi, Disait le prêtre, il faut songer, mon bon ami, Que, pour qu’il soit heureux plus tard, notre prière Ne suffit pas. Voyons à choisir sa carrière. Notre Angelus devient grand garçon, et déjà Sa jeune âme, que Dieu jusqu’ici protégea, Blanc calice, s’entr’ouvre et cherche la lumière. Nous avons bien guidé son enfance première : Il ne sait rien encor de mauvais ni d’amer ; Il n’a vu jusqu’ici que le ciel et la mer ; Par la chanson du flux son âme fut bercée, Et l’azur est moins pur que sa fraîche pensée Et que ses sens nouveaux encore appesantis, Car la grande nature est bonne aux tout petits. Mais il faut profiter de l’heureuse minute. Nous sommes vieux. Demain, seul, il faudra qu’il lutte ; Et, comme le devoir paternel le prescrit, Nous devons lui donner les armes de l’esprit. Je ne désire pas, moi, qu’il se fasse prêtre. Oh ! qu’il soit bon chrétien, que la foi le pénètre, Qu’il aime et qu’il espère enfin, et qu’il soit tel Qu’un lys pur qui fleurit à l’ombre de l’autel ! Mais, si j’en puis juger par sa petite enfance, J’aimerais mieux ? que Dieu pardonne mon offense ! Que la vocation de grâce lui manquât, Car pour le sacerdoce il est trop délicat. C’est en souffrant qu’il faut que le pasteur travaille Pour ses brebis. Il faut qu’il se lève et qu’il aille Par la nuit, bien avant le petit point du jour, Sous la bise, à travers les terres de labour, Emportant dans un coin du manteau le ciboire, Et cherchant, tout au fond de la campagne noire, A découvrir enfin au douteux horizon La lueur qui trahit la funèbre maison Où quelque agonisant, quand il arrive à l’heure, Lui montre en blasphémant sa famille qui pleure, Son foyer sans fagot et sa huche sans pain. Puis, avec l’eau bénite et la bière en sapin, Il faut le lendemain qu’il revienne et qu’il donne Au mort une prière, aux vivants son aumône, Et, s’il n’a pas d’argent, qu’il en trouve, et qu’il ait Pour ses pauvres toujours du pain bis et du lait. Et, s’il chemine un jour, heureux, lisant son livre, Respirant les sentiers en fleurs, et qu’un homme ivre, Qui sort du cabaret et qu’il ne connaît point, L’appelle fainéant en lui montrant le poing, Il faut que sans pâlir il subisse l’insulte. Et puis ce n’est pas tout. Le serviteur du culte A bien d’autres soucis, et l’on ne peut savoir Combien grave et combien austère est son devoir, Car la tentation est bien près de la faute. Pourquoi, près de la chaire où l’on parle à voix haute, Ce confessionnal où l’on parle tout bas ? Il faut l’aide de Dieu pour n’y succomber pas. Ne nous le prends donc point, Seigneur, pour ton service, Et permets qu’à tel point il ignore le vice Que même pour l’abattre, il y soit étranger ; Car, tu le sais, l’agneau ne peut être berger. – Et maintenant, monsieur le curé, reprit l’autre, A mon tour, n’est-ce pas ? car cet enfant est nôtre, Et je suis comme vous le père d’Angelus. Pas de soutane, soit ! pas de sabre non plus. Très souvent le plumet tricolore dérange Les projets. Ces gamins ont un goût fort étrange Pour les habits dorés tout partout sur le corps Comme ceux des housards et des tambours-majors. Sachant qu’ils n’aiment pas beaucoup qu’on les chicane, On les laisse d’abord chevaucher sur sa canne Et grimper aux genoux comme on grimpe aux remparts ; C’est gentil. Puis un jour ils vous disent : « Je pars. » Et ce jour-là ce sont des hommes pour la tête ; Et l’on reste à pleurer tout seul comme une bête. Et voilà qu’ils s’en vont à la guerre là-bas, Dans des pays affreux d’où l’on ne revient pas. Ils meurent, et les vieux les suivent. C’est stupide ! Veillons-y. Le petit m’a l’air d’un intrépide. Quand il se portait mieux, il grimpait aux pruniers Les plus hauts. Le dimanche, il va voir les douaniers, A l’heure où le sergent fait faire la parade. Morbleu ! qu’il n’aille pas, le petit camarade, Vouloir être soldat, ou nous nous fâcherons ! – Bien, bien ! dit le curé, nous y réfléchirons. Sans être cardinal ni maréchal de France, Angelus peut encor passer notre espérance. L’enfant a tant d’esprit qu’il m’étonne souvent : Ce sera quelque artiste ou bien quelque savant ; Et, quoi qu’il soit d’ailleurs, nous en ferons un juste. Mais avant tout il faut qu’il devienne robuste, Qu’il retrouve son rire et ses fraîches couleurs. Mes livres sont mauvais : qu’il coure dans vos fleurs ! Une leçon vaut moins pour lui qu’une culbute A cette heure. Ainsi donc, ajournons la dispute. Tous deux en étaient là de leurs propos joyeux, Lorsque Angelus ouvrit tout doucement les yeux Et de cet air malin, si charmant dans l’enfance, Il leur dit : « C’est fort bien. On arrange d’avance Ce qu’on fera plus tard de son enfant gâté. Mais je ne dormais pas, et j’ai tout écouté. Savez-vous que c’est mal de disposer des autres ? Pourtant n’ayez pas peur, car, sans gêner les vôtres, Je puis vous confier maintenant mes projets. Ils sont très sérieux, vous verrez ! Je songeais Depuis assez longtemps, pères, à vous les dire. Ces livres dans lesquels vous m’apprîtes à lire Et ce vaste Océan qui berce mon sommeil Me les ont inspirés et m’ont donné conseil. Je veux être marin sur la mer. Ces volumes, Que j’épelais jadis si mal, puis que nous lûmes Ensemble et qu’aujourd’hui je relis couramment, M’ont parlé de pays au ciel toujours clément, Aux arbres toujours verts, pleins d’oiseaux magnifiques, Où l’on allait porté par les flots pacifiques. Je veux partir pour ces pays délicieux. Ce ciel gris m’est fatal. Quand je ferme les yeux, Tout prend la couleur d’or du soleil dans mes rêves ; Et les vagues au loin murmurant sur les grèves Me disent – car j’entends des mots dans leurs rumeurs : – « Viens avec nous, et fuis ces climats où tu meurs ! » Pères, ne tentez pas d’arrêter mon courage Et ne me parlez pas d’écueils et de naufrage ; Car j’ai lu quelque part, et c’était arrivé, Que toujours un marin, un seul, s’était sauvé A la nage, à cheval sur une vieille planche, Et qu’il voyait bientôt poindre la voile blanche D’un navire passant pour lui porter secours. Moi, je serai celui qui se sauve toujours. Si je tarde longtemps, il est bien inutile D’avoir peur. Non. C’est que je serai dans une île Où je m’établirai comme a fait Robinson, En attendant qu’il passe un brick à l’horizon. Il arrive toujours, le moment qu’on espère. Alors, je reviendrai. Ce n’est pas vrai, ce père Qui pleure et devient vieux, et dit : « Pauvre petit ! » De son fils, grand garçon déjà quand il partit. Les contes n’ont jamais une fin si fatale. L’enfant revient toujours à la maison natale, Près des vieux. On s’assied en cercle autour du feu, Et, pour les effrayer beaucoup, il ment un peu. Comme les voyageurs de mes belles lectures, Je vous raconterai toutes mes aventures. Vous verrez, en ouvrant de grands yeux ébahis, Toutes les mers, tous les peuples, tous Ies pays Où m’auront promené la voile et la machine. Je vous rapporterai des choses de la Chine. Vous verrez le trois-mâts glissant près des îlots Avec son pavillon qui traîne sur les flots, Et le peuple tout nu, très noir et très sauvage, Qui nous suit en tirant des flèches du rivage, Et ce sera charmant, et vous m’embrasserez Au beau milieu de mon récit, et vous serez Tout surpris de ma barbe et de mon air si grave. Aux beaux endroits, tout bas, vous direz : « Qu’il est brave ! Vous sourirez, et vous m’embrasserez encor, Et vous jouerez avec mes épaulettes d’or. Mais, je le sais, il faut un long apprentissage. Et dès demain je vais bien apprendre, être sage, Lire beaucoup, veiller sous ma lampe l’hiver ; Et puis je m’en irai pour longtemps sur la mer. » Il se tut, souriant à quelque intime joie. Et, comme un affamé qui réclame une proie, L’Océan qui montait gronda dans les rochers. Les astres de la nuit furent soudain cachés. L’enfant agonisait ; mais la voix sépulcrale De la lame étouffait le bruit sourd de son râle. Alors comme brisé par ce qu’il avait dit, Angelus referma ses beaux yeux et tendit Aux deux amis ses mains plus froides et plus molles. Mais sur ceux-ci déjà les bizarres paroles De l’enfant moribond exerçaient leur pouvoir. Sombres, ils regardaient ce ciel devenu noir, Ils écoutaient le bruit plus sinistre des vagues, Et se sentaient venir au cœur ces craintes vagues Qu’on repousse, mais dont l’âme en vain se défend. Sans doute ce n’étaient que des rêves d’enfant, Inspirés par un livre ou bien par quelque image, Qu’ils laissent aussitôt sans dire : « C’est dommage ! » Et qui durent un jour ou deux pour la plupart. Mais tout cela parlait d’absence, de départ, Avec une éloquence étrange et captivante ; Et l’âme des vieillards était dans l’épouvante. Les yeux toujours fermés, le petit Angelus Reprit tout bas : Venez plus près, je n’y vois plus. Le ciel et l’Océan sont noirs comme l’ébène. Ce que je vous ai dit vous a fait de la peine Tout à l’heure. Il faudra tâcher de l’oublier. Pères, j’ai maintenant un rêve singulier. Est-ce un rêve ? Prenez mes deux mains dans les vôtres. Les astres dans la mer les uns après les autres Sont tous tombés, tombés ! Et dans le ciel en deuil, Ainsi qu’un christ d’argent sur le drap d’un cercueil, Il n’en reste plus qu’un. Vous devez le connaître, Celui-là ; car il brille au haut de ma fenêtre, Le soir, et je le vois de mon cher petit lit ; Et c’est le seul qui reste au ciel. Mais il pâlit ! Il a l’air aussi d’être attiré par le gouffre. On dirait qu’il s’éteint et l’on dirait qu’il souffre. Regardez ! le voilà qui file, qui s’enfuit !… Il est tombé !… J’ai froid, j’ai peur !… Et c’est la nuit ! » En prononçant ce mot, ? c’était le mot suprême ! ? Le petit Angelus s’affaissa sur lui-même. Sa bouche ouverte et l’orbe éteint de ses grands yeux S’emplirent d’un effroi vague et mystérieux. Les vieillards, égarés et crispant la narine, Virent son front trop lourd tomber sur sa poitrine, Et ses petites mains, qu’ils lâchèrent alors, Pesamment et d’un coup glisser contre son corps. Pure, à travers la nuit profonde et solennelle, L’âme de l’enfant mort venait d’ouvrir son aile, Ainsi que d’une salle ouverte à l’air du soir S’envole un papillon silencieux et noir. Après un long regard échangé sans rien dire, Un long regard chargé d’horreur et de délire, Les vieillards, abattus par un terrible effort, Tombèrent à genoux devant Angelus mort. Ils restèrent ainsi toute la nuit, farouches, Collant les froides mains du cadavre à leurs bouches, Atterrés, leurs sanglots muets les étouffant, N’osant lever les yeux sur le front de l’enfant Qui prenait la blancheur dure et froide des pierres. Mais, comme s’il était gravé sous leurs paupières, Ce visage chéri, qu’ils ne voulaient plus voir, Leurs yeux, leurs yeux fermés, toujours sur un fond noir Distinguaient Angelus, penché d’un air débile, Pâle et leur souriant d’un sourire immobile. Ah ! cette nuit, tandis qu’ils se désespéraient, Était-ce seulement leur enfant qu’ils pleuraient ? Ne s’accusaient-ils pas, ces deux hommes candides ? Ne maudissaient-ils pas leurs cheveux blancs stupides ? Ne comprenaient-ils pas enfin, les malheureux, Que cet être adorable était tué par eux ? Que l’absurde consigne et la vaine prière, Auxquelles ils avaient donné leur vie entière, Avaient fait leur malheur et leur aveuglement ? Que prier seulement, combattre seulement, Cela n’est pas assez pour l’homme, et qu’il est lâche Et mauvais de n’avoir ici-bas qu’une tâche ? Qu’il faut que chacun soit amant et père un jour ; Que la loi du devoir est une loi d’amour ; Qu’être seul, cela tue et cela paralyse ; Que la famille, c’est la patrie et l’église ; Que l’épée au fourreau doit orner le foyer ; Que les yeux de l’enfant font croire et font prier ; Que si tous deux, le vieux soldat et le vieux prêtre, Ils n’avaient pu sauver ce pauvre petit être, A qui pourtant leur cœur entier se dévouait, C’est qu’ils l’avaient aimé comme on aime un jouet ; Que leur expérience était une chimère ; Qu’ils n’étaient que de vieux enfants ; et qu’une mère, Qui, dans l’humble maison d’un pauvre matelot, Balaye et lave, et met les légumes au pot, Et ravaude son linge, et file sa quenouille, Et tout à la fois baise, allaite et débarbouille Six marmots qu’elle voit autour d’elle courir, Eût fait vivre l’enfant qu’ils avaient fait mourir ? Le matin les surprit aux genoux du cadavre. Et puis ce fut l’histoire ordinaire, et qui navre : Dernier regard qu’on jette au cher enseveli, Dernier baiser qu’on pose au front déjà pâli, Et plus rien ! Mais pour ces vieillards le sort complice Rendit plus douloureux et plus long le supplice. Le prêtre ? il était prêtre, hélas ! – dut sur le corps De son enfant chanter les prières des morts, Lui jeter l’eau bénite en sanglotant, et boire Ses pleurs qui se mêlaient au vin dans le ciboire. Il dut l’accompagner jusqu’au dernier logis, Où le soldat, les yeux par les larmes rougis, Dut sous son vieux sabot pousser la lourde bêche Et couvrir le cercueil de terre toute fraîche. Maintenant ils sont seuls. Tout est déjà rentré Dans l’ordre d’autrefois chez le pauvre curé. Assis au feu, chauffant leurs vieilles mains tremblantes, Ils laissent, sans parler, s’enfuir les heures lentes, Ne sachant rien, sinon que leur enfant est mort. Mornes, sans l’accepter, ils subissent le sort. Le soldat fait ses trous, le prêtre dit sa messe. Ils vivront peu ; mais dans la suprême promesse C’est à peine s’ils ont encor gardé la foi. On lit dans leurs regards je ne sais quel effroi Quand ils sortent tous deux en grand deuil de l’église, Au moment où le soir répand son ombre grise. Et le pêcheur, qui passe et qui les reconnaît, Regarde, tout timide, en ôtant son bonnet, Descendre du parvis les deux vieillards funèbres, Tandis que vibre encore au loin dans les ténèbres, Long, triste et solennel comme leur désespoir, Le dernier tintement de l’angelus du soir.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Aux bains de mer Sur la plage élégante au sable de velours Que frappent, réguliers et calmes, les flots lourds, Tels que des vers pompeux aux nobles hémistiches, Les enfants des baigneurs oisifs, les enfants riches, Qui viennent des hôtels voisins et des chalets, La jaquette troussée au-dessus des mollets, Courent, les pieds dans l’eau, jouant avec la lame. Le rire dans les yeux et le bonheur dans l’âme, Sains et superbes sous leurs habits étoffés Et d’un mignon chapeau de matelot coiffés, Ces beaux enfants gâtés, ainsi qu’on les appelle, Creusent gaîment, avec une petite pelle, Dans le fin sable d’or des canaux et des trous; Et ce même Océan, qui peut dans son courroux Broyer sur les récifs les grands steamers de cuivre, Laisse, indulgent aïeul, son flot docile suivre Le chemin que lui trace un caprice d’enfant. Ils sont là, l’oeil ravi, les cheveux blonds au vent, Non loin d’une maman brodant sous son ombrelle, Et trouvent, à coup sûr, chose bien naturelle, Que la mer soit si bonne et les amuse ainsi. – Soudain, d’autres enfants, pieds nus comme ceux-ci, Et laissant monter l’eau sur leurs jambes bien faites, Des moussaillons du port, des pêcheurs de crevettes, Passent, le cou tendu sous le poids des paniers. Ce sont les fils des gens du peuple, les derniers Des pauvres, et le sort leur fit rude la vie. Mais ils vont, sérieux, sans un regard d’envie Pour ces jolis babys et les plaisirs qu’ils ont. Comme de courageux petits marins qu’ils sont, Ils aiment leur métier pénible et salutaire Et ne jalousent point les heureux de la terre; Car ils savent combien maternelle est la mer Et que pour eux aussi souffle le vent amer Qui rend robuste et belle, en lui baisant la joue, L’enfance qui travaille et l’enfance qui joue.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le naufragé À Constant Coquelin. Devant le cabaret qui domine la rade, Maître Jean Goëllo, le rude camarade, Le vieux gabier manchot du bras droit, le marin Qu’un boulet amputa le jour de Navarin, La pipe aux dents, buvant son grog par intervalles, Conte, les soirs d’été, ses histoires navales Aux pilotins du port attablés avec lui. « Oui, mes enfants, voilà soixante ans aujourd’hui, Leur dit-il, que je suis entré dans la marine Et que j’ai pris la mer sur la Belle-Honorine, Un trois-mâts éreinté, pourri, tout au plus bon A brûler, qui faisait voile pour le Gabon, Avec le vent arrière et la brise bien faite. J’avais grandi, pieds nus, à pêcher la crevette Avec un vieux – mon oncle, à ce qu’on prétendait, – Qui rentrait tous les soirs ivre et qui me battait. Tout enfant, j’ai beaucoup pâti, je puis le dire; Mais, une fois à bord, ce fut encor bien pire, Et c’est laque j’appris à souffrir sans crier. Primo: notre navire était un négrier, Et, dès qu’on fut au large, on ne tint plus secrète L’intention d’aller là-bas faire la traite. Le capitaine était toujours rond comme un oeuf Et menait l’équipage à coups de nerf de boeuf. Tous retombaient sur moi; – la chose est naturelle, Un mousse! – Je vivais au milieu d’une grêle De coups; à chaque pas sur le pont, je tremblais, Et je levais le bras pour parer les soufflets. Ah! nul n’avait pitié de moi. C’était bien rude; Mais dans les temps d’alors, on avait l’habitude D’assommer un enfant pour en faire un marin; Et je ne pleurais plus tant j’avais de chagrin. Enfin j’aurais fini par crever de misère, Quand je fus consolé par un ami sincère. Dieu – nous y croyons tous; en mer, il le faut bien! – Chez ces hommes méchants avait mis un bon chien. Traité comme moi-même, il vivait dans les transes, Et nous fûmes bientôt de vieilles connaissances. C’était un terre-neuve, et Black était son nom; Noir, avec des yeux d’or; et ce doux compagnon, Dès lors ne me quitta guère plus que mon ombre. Et par les belles nuits aux étoiles sans nombre, Quand il ne restait plus que les hommes de quart, Accroupi sur le pont avec Black à l’écart, Dans un recoin formé d’une demi-douzaine De ballots arrimés près du mât de misaine, Et mes deux bras passés au cou du brave chien, Je déchargeais mon coeur en pleurant près du sien. Oui, je pleurais, bercé par le bateau qui tangue, Tandis qu’il me léchait avec sa grosse langue. Mon pauvre Black! Allez! je songe à lui souvent. Nous avions eu d’abord bonne mer et bon vent; Mais, un jour qu’il faisait une chaleur atroce, Notre vieux capitaine – une bête féroce, C’est vrai, mais bon marin, on ne peut le nier! – Fit une étrange moue et dit au timonier: « Vois donc ce grain là-bas… La drôle de visite!… » L’autre répond: « Il est bien noir et vient bien vite! – Holà! hé! tu vas voir comment je le reçois… Haie bas le clin-foc!… Serre le catacois! » Bah! c’était la tempête; et toujours trop de toile! On serre les huniers, on cargue la grand’voile; Enfin le loup de mer prend ses précautions. Mais le navire était trop vieux, et nous dansions, Mes enfants, que le diable en aurait pris les armes. On travaillait, malgré l’orage et ses vacarmes; Mais quand on eut de l’eau plein la cale, il fallut S’occuper promptement des moyens de salut. Harassés, aveuglés, trempés comme une soupe, Pour la mettre à la mer nous parions la chaloupe, Quand tout à coup, et sans nous demander conseil, Voilà le pont qui crève avec un bruit pareil Au fracas d’un vaisseau qui lâche sa bordée. Nous coulions. On ne peut pas se faire une idée De l’émoi que vous cause un de ces plongeons-là. Moi, pendant la minute où le bateau coula En tournant sur lui-même avec un air stupide, Je revis mon passé dans un éclair rapide; Oui, tout, notre vieux port, ses mâts et son clocher, Et la plage où j’allais, pieds nus, sur le rocher, Et le sable semé de méduses vermeilles… Brusquement, l’eau m’emplit la bouche et les oreilles. Je n’aurais pas été longtemps à patauger Et j’allais m’engloutir, ne sachant pas nager, Lorsque Black me saisit au collet par la gueule. Justement la chaloupe avait surnagé seule; Elle était près de nous; le chien, d’un brave effort, Me pousse jusque-là; j’en empoigne le bord Et je saute dedans avec la bonne bête! Quant à notre trois-mâts, l’effroyable tempête N’en avait épargné que le mousse et son chien, Dans ce canot sans mâts, sans avirons, sans rien! Quoique gamin, j’avais le coeur plein de courage; Mais, deux heures après, quand se calma l’orage, Je compris, en songeant à mon sort froidement, Qu’à moins de rencontrer en mer un bâtiment, Je ne parviendrais pas à regagner la terre. J’étais seul sur le vaste océan solitaire, Et nous n’étions sauvés de la noyade enfin, Mon pauvre Black et moi, que pour mourir de faim! Pas un biscuit, pas un bidon dans la cambuse, Comme sur le fameux radeau de la Méduse!… Mais, abrégeons. Les bons récits sont les plus courts. Pendant trois longues nuits et pendant trois longs jours Notre canot flotta, balancé par la lame. La faim grondante au ventre et l’angoisse dans l’âme, Et perdant chaque jour l’espoir du lendemain, Assis près de mon chien qui me léchait la main, Sous le soleil torride ou sous la froide étoile, J’attendis donc, sans voir apparaître une voile A l’horizon fermant sur moi son cercle bleu. Donc, le troisième jour, j’avais la gorge en feu Et la fièvre, lorsque tout à coup je remarque Que Black se rencognait dans un coin de la barque, Qu’il avait l’air tout chose, et que son oeil, si bon D’ordinaire et si doux, luisait comme un charbon. « Allons, mon vieux, lui dis-je, ici! Qu’on te caresse! » Pas du tout. Il me lance un regard de détresse. Je m’avance; il recule et gronde entre ses dents, Tenant toujours fixés sur moi ses yeux ardents, Et veut happer ma main, que, d’instinct, je retire; Et je me demandais: « Qu’est-ce que ça veut dire? » Lorsque avec le frisson de la petite mort, Je vois Black qui saisit le bordage et le mord, En laissant sur le bois couler un flot de bave; Et je devinai tout!… Sur notre atroce épave, Le chien, pas plus que moi, n’avait bu ni mangé! Et voilà maintenant qu’il était enragé! Oui, celui qui m’avait sauvé du grand naufrage, Mon chien, mon matelot, mon frère, avait la rage! Avez-vous bien compris? Voyez-vous le tableau? Cette barque perdue entre le ciel et l’eau, Et, dedans, cet enfant, seul devant cette bête, Avec le grand soleil tropical sur la tête, Blanc de peur et tapi dans un coin du bateau. Je cherchai dans ma poche et j’ouvris mon couteau, Car, machinalement, chacun défend sa vie. Il était temps. Cédant à son horrible envie, L’animal furieux sur moi s’était jeté. D’un brusque mouvement du corps je l’évitai, Je le pris par la nuque, et, le sentant se tordre Et tâcher de tourner la tête pour me mordre, Je pus le terrasser enfin sous mon genou; Puis, tandis qu’il roulait ses pauvres yeux de fou, Et que sous moi ses flancs ronflaient comme une forge, Je lui plongeai trois fois mon couteau dans la gorge… J’avais tué mon seul et mon premier ami! Comment je fus trouvé plus tard, mort à demi, Et tout couvert du sang que vomit le cadavre, Par les hommes d’un brick qui retournait au Havre, Qu’importe? Depuis lors, j’ai bien souvent tué. En guerre, n’est-ce pas? on s’est habitué. Je fus du peloton, un jour, à la Barbade, Qui devait fusiller mon meilleur camarade; Et cela ne m’a pas donné le cauchemar. Sous le contre-amiral Magon, à Trafalgar, Ma hache a bien coupé, pendant les abordages, Plus de dix mains d’Anglais s’accrochant aux cordages; Je n’y pense jamais, pas plus qu’au peloton. A Plymouth, j’ai plongé, pour m’enfuir du ponton, Mon poignard dans le dos à deux factionnaires, Et sans m’en repentir jamais, mille tonnerres! Mais, d’avoir évoqué ce souvenir ancien, De vous avoir conté le meurtre de mon chien, Je ne dormirai pas de la nuit, et pour cause… Garçon, un second grog!… Et parlons d’autre chose!… »

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    L’attente À Auguste Vacquerie Au bout du vieux canal plein de mâts, juste en face De l’Océan et dans la dernière maison, Assise à sa fenêtre, et quelque temps qu’il fasse, Elle se tient, les yeux fixés sur l’horizon. Bien qu’elle ait la pâleur des éternels veuvages, Sa robe est claire ; et bien que les soucis pesants Aient sur ses traits flétris exercé leurs ravages, Ses vêtements sont ceux des filles de seize ans. Car depuis bien des jours, patiente vigie, Dès l’instant où la mer bleuit dans le matin Jusqu’à ce qu’elle soit par le couchant rougie, Elle est assise là, regardant au lointain. Chaque aurore elle voit une tardive étoile S’éteindre, et chaque soir le soleil s’enfoncer À cette place où doit reparaître la voile Qu’elle vit là, jadis, pâlir et s’effacer. Son cœur de fiancée, immuable et fidèle, Attend toujours, certain de l’espoir partagé, Loyal ; et rien en elle, aussi bien qu’autour d’elle, Depuis dix ans qu’il est parti, rien n’a changé. Les quelques doux vieillards qui lui rendent visite, En la voyant avec ses bandeaux réguliers, Son ruban mince où pend sa médaille bénite, Son corsage à la vierge et ses petits souliers, La croiraient une enfant ingénue et qui boude, Si parfois ses doigts purs, ivoirins et tremblants, Alors que sur sa main fiévreuse elle s’accoude, Ne livraient le secret des premiers cheveux blancs. Partout le souvenir de l’absent se rencontre En mille objets fanés et déjà presque anciens : Cette lunette en cuivre est à lui, cette montre Est la sienne, et ces vieux instruments sont les siens. Il a laissé, de peur d’encombrer sa cabine, Ces gros livres poudreux dans leur oubli profond, Et c’est lui qui tua d’un coup de carabine Le monstrueux lézard qui s’étale au plafond. Ces mille riens, décor naïf de la muraille, Naguère, il les a tous apportés de très loin. Seule, comme un témoin inclément et qui raille, Une carte navale est pendue en un coin ; Sur le tableau jaunâtre, entre ses noires tringles, Les vents et les courants se croisent à l’envi ; Et la succession des petites épingles N’a pas marqué longtemps le voyage suivi. Elle conduit jusqu’à la ligne tropicale Le navire vainqueur du flux et du reflux, Puis cesse brusquement à la dernière escale, Celle d’où le marin, hélas ! n’écrivit plus. Et ce point justement où sa trace s’arrête Est celui qu’un burin savant fit le plus noir : C’est l’obscur rendez-vous des flots où la tempête Creuse un inexorable et profond entonnoir. Mais elle ne voit pas le tableau redoutable Et feuillette, l’esprit ailleurs, du bout des doigts, Les planches d’un herbier éparses sur la table, Fleurs pâles qu’il cueillit aux Indes autrefois. Jusqu’au soir sa pensée extatique et sereine Songe au chemin qu’il fait en mer pour revenir, Ou parfois, évoquant des jours meilleurs, égrène Le chapelet mystique et doux du souvenir ; Et, quand sur l’Océan la nuit met son mystère, Calme et fermant les yeux, elle rêve du chant Des matelots joyeux d’apercevoir la terre, Et d’un navire d’or dans le soleil couchant.

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