Les canaris Lorsqu’un vaisseau vaincu dérive en pleine mer ;
Que ses voiles carrées
Pendent le long des mâts, par les boulets de fer
Largement déchirées ;
Qu’on n’y voit que des morts tombés de toutes parts,
Ancres, agrès, voilures,
Grands mâts rompus, traînant leurs cordages épars
Comme des chevelures ;
Que le vaisseau, couvert de fumée et de bruit,
Tourne ainsi qu’une roue ;
Qu’un flux et qu’un reflux d’hommes roule et s’enfuit
De la poupe à la proue ;
Lorsqu’à la voix des chefs nul soldat ne répond ;
Que la mer monte et gronde ;
Que les canons éteints nagent dans l’entre-pont,
S’entre-choquant dans l’onde ;
Qu’on voit le lourd colosse ouvrir au flot marin
Sa blessure béante,
Et saigner, à travers son armure d’airain,
La galère géante ;
Qu’elle vogue au hasard, comme un corps palpitant,
La carène entr’ouverte,
Comme un grand poisson mort, dont le ventre flottant
Argente l’onde verte ;
Alors gloire au vainqueur ! Son grappin noir s’abat
Sur la nef qu’il foudroie ;
Tel un aigle puissant pose, après le combat,
Son ongle sur sa proie !
Puis, il pend au grand mât, comme au front d’une tour,
Son drapeau que l’air ronge,
Et dont le reflet d’or dans l’onde, tour à tour,
S’élargit et s’allonge.
Et c’est alors qu’on voit les peuples étaler
Les couleurs les plus fières,
Et la pourpre, et l’argent, et l’azur onduler
Aux plis de leurs bannières.
Dans ce riche appareil leur orgueil insensé
Se flatte et se repose,
Comme si le flot noir, par le flot effacé,
En gardait quelque chose !
Malte arborait sa croix ; Venise, peuple-roi,
Sur ses poupes mouvantes,
L’héraldique lion qui fait rugir d’effroi
Les lionnes vivantes.
Le pavillon de Naple est éclatant dans l’air,
Et quand il se déploie
On croit voir ondoyer de la poupe à la mer
Un flot d’or et de soie.
Espagne peint aux plis des drapeaux voltigeant
Sur ses flottes avares,
Léon aux lions d’or, Castille aux tours d’argent,
Les chaînes des Navarres.
Rome a les clefs; Milan, l’enfant qui hurle encor
Dans les dents de la guivre ;
Et les vaisseaux de France ont des fleurs de lys d’or
Sur leurs robes de cuivre.
Stamboul la turque autour du croissant abhorré
Suspend trois blanches queues ;
L’Amérique enfin libre étale un ciel doré
Semé d’étoiles bleues.
L’Autriche a l’aigle étrange, aux ailerons dressés,
Qui, brillant sur la moire,
Vers les deux bouts du monde à la fois menacés
Tourne une tête noire.
L’autre aigle au double front, qui des czars suit les lois,
Son antique adversaire,
Comme elle regardant deux mondes à la fois,
En tient un dans sa serre.
L’Angleterre en triomphe impose aux flots amers
Sa splendide oriflamme,
Si riche qu’on prendrait son reflet dans les mers
Pour l’ombre d’une flamme.
C’est ainsi que les rois font aux mâts des vaisseaux
Flotter leurs armoiries,
Et condamnent les nefs conquises sur les eaux
A changer de patries.
Ils traînent dans leurs rangs ces voiles dont le sort
Trompa les destinées,
Tout fiers de voir rentrer plus nombreuses au port
Leurs flottes blasonnées.
Aux navires captifs toujours ils appendront
Leurs drapeaux de victoire,
Afin que le vaincu porte écrite à son front
Sa honte avec leur gloire !
Mais le bon Canaris, dont un ardent sillon
Suit la barque hardie,
Sur les vaisseaux qu’il prend, comme son pavillon,
Arbore l’incendie !
il y a 8 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Oceano Nox Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis ?
Combien ont disparu, dure et triste fortune ?
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfouis ?
Combien de patrons morts avec leurs équipages ?
L’ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d’un souffle il a tout dispersé sur les flots !
Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée,
Chaque vague en passant d’un butin s’est chargée ;
L’une a saisi l’esquif, l’autre les matelots !
Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus
Oh ! que de vieux parents qui n’avaient plus qu’un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus !
On s’entretient de vous parfois dans les veillées,
Maint joyeux cercle, assis sur les ancres rouillées,
Mêle encore quelque temps vos noms d’ombre couverts,
Aux rires, aux refrains, aux récits d’aventures,
Aux baisers qu’on dérobe à vos belles futures
Tandis que vous dormez dans les goémons verts !
On demande: « Où sont-ils ? Sont-ils rois dans quelque île ?
Nous ont’ ils délaissés pour un bord plus fertile ? »
Puis, votre souvenir même est enseveli.
Le corps se perd dans l’eau, le nom dans la mémoire.
Le temps qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli.
Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
L’un n’a-t-il pas sa barque et l’autre sa charrue ?
Seules, durant ces nuits où l’orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encore de vous en remuant la cendre
De leur foyer et de leur coeur !
Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
Dans l’étroit cimetière où l’écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s’effeuille à l’automne,
Pas même la chanson naïve et monotone
Que chante un mendiant à l’angle d’un vieux pont !
Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
O flots ! que vous savez de lugubres histoires !
Flots profonds redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir, quand vous venez vers nous !
il y a 8 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Soirée en mer Près du pêcheur qui ruisselle,
Quand tous deux, au jour baissant,
Nous errons dans la nacelle,
Laissant chanter l’homme frêle
Et gémir le flot puissant ;
Sous l’abri que font les voiles
Lorsque nous nous asseyons,
Dans cette ombre où tu te voiles
Quand ton regard aux étoiles
Semble cueillir des rayons ;
Quand tous deux nous croyons lire
Ce que la nature écrit,
Réponds, ô toi que j’admire,
D’où vient que mon cœur soupire ?
D’où vient que ton front sourit ?
Dis ? d’où vient qu’à chaque lame,
Comme une coupe de fiel,
La pensée emplit mon âme ?
C’est que moi je vois la rame
Tandis que tu vois le ciel !
C’est que je vois les flots sombres,
Toi, les astres enchantés !
C’est que, perdu dans leurs nombres,
Hélas, je compte les ombres
Quand tu comptes les clartés !
Chacun, c’est la loi suprême,
Rame, hélas ! jusqu’à la fin.
Pas d’homme, ô fatal problème !
Qui ne laboure ou ne sème
Sur quelque chose de vain !
L’homme est sur un flot qui gronde.
L’ouragan tord son manteau.
Il rame en la nuit profonde,
Et l’espoir s’en va dans l’onde
Par les fentes du bateau.
Sa voile que le vent troue
Se déchire à tout moment,
De sa route l’eau se joue,
Les obstacles sur sa proue
Écument incessamment !
Hélas ! hélas ! tout travaille
Sous tes yeux, ô Jéhovah !
De quelque côté qu’on aille,
Partout un flot qui tressaille,
Partout un homme qui va !
Où vas-tu ? – Vers la nuit noire.
Où vas-tu ? – Vers le grand jour.
Toi ? – Je cherche s’il faut croire.
Et toi ? – Je vais à la gloire.
Et toi ? – Je vais à l’amour.
Vous allez tous à la tombe !
Vous allez à l’inconnu !
Aigle, vautour, ou colombe,
Vous allez où tout retombe
Et d’où rien n’est revenu !
Vous allez où vont encore
Ceux qui font le plus de bruit !
Où va la fleur qu’avril dore !
Vous allez où va l’aurore !
Vous allez où va la nuit !
À quoi bon toutes ces peines ?
Pourquoi tant de soins jaloux ?
Buvez l’onde des fontaines,
Secouez le gland des chênes,
Aimez, et rendormez-vous !
Lorsque ainsi que des abeilles
On a travaillé toujours ;
Qu’on a rêvé des merveilles ;
Lorsqu’on a sur bien des veilles
Amoncelé bien des jours ;
Sur votre plus belle rose,
Sur votre lys le plus beau,
Savez-vous ce qui se pose ?
C’est l’oubli pour toute chose,
Pour tout homme le tombeau !
Car le Seigneur nous retire
Les fruits à peine cueillis.
Il dit : Échoue ! au navire.
Il dit à la flamme : Expire !
Il dit à la fleur : Pâlis !
Il dit au guerrier qui fonde :
– Je garde le dernier mot.
Monte, monte, ô roi du monde !
La chute la plus profonde
Pend au sommet le plus haut. –
Il a dit à la mortelle :
– Vite ! éblouis ton amant.
Avant de mourir sois belle.
Sois un instant étincelle,
Puis cendre éternellement ! –
Cet ordre auquel tu t’opposes
T’enveloppe et t’engloutit.
Mortel, plains-toi, si tu l’oses,
Au Dieu qui fit ces deux choses,
Le ciel grand, l’homme petit !
Chacun, qu’il doute ou qu’il nie,
Lutte en frayant son chemin ;
Et l’éternelle harmonie
Pèse comme une ironie
Sur tout ce tumulte humain !
Tous ces faux biens qu’on envie
Passent comme un soir de mai.
Vers l’ombre, hélas ! tout dévie.
Que reste-t-il de la vie,
Excepté d’avoir aimé !
¯¯¯¯¯¯¯¯
Ainsi je courbe ma tête
Quand tu redresses ton front.
Ainsi, sur l’onde inquiète,
J’écoute, sombre poète,
Ce que les flots me diront.
Ainsi, pour qu’on me réponde,
J’interroge avec effroi ;
Et dans ce gouffre où je sonde
La fange se mêle à l’onde… –
Oh ! ne fais pas comme moi !
Que sur la vague troublée
J’abaisse un sourcil hagard ;
Mais toi, belle âme voilée,
Vers l’espérance étoilée
Lève un tranquille regard !
Tu fais bien. Vois les cieux luire.
Vois les astres s’y mirer.
Un instinct là-haut t’attire.
Tu regardes Dieu sourire ;
Moi, je vois l’homme pleurer !
il y a 8 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Écrit sur le tombeau d'un petit enfant au bord de la mer Vieux lierre, frais gazon, herbe, roseaux, corolles ;
Église où l'esprit voit le Dieu qu'il rêve ailleurs ;
Mouches qui murmurez d'ineffables paroles
À l'oreille du pâtre assoupi dans les fleurs ;
Vents, flots, hymne orageux, choeur sans fin, voix sans nombre ;
Bois qui faites songer le passant sérieux ;
Fruits qui tombez de l'arbre impénétrable et sombre,
Étoiles qui tombez du ciel mystérieux ;
Oiseaux aux cris joyeux, vague aux plaintes profondes ;
Froid lézard des vieux murs dans les pierres tapi ;
Plaines qui répandez vos souffles sur les ondes ;
Mer où la perle éclôt, terre où germe l'épi ;
Nature d'où tout sort, nature où tout retombe,
Feuilles, nids, doux rameaux que l'air n'ose effleurer,
Ne faites pas de bruit autour de cette tombe ;
Laissez l'enfant dormir et la mère pleurer !
Le 21 janvier 1840.
il y a 8 mois
Walt Whitman
@waltWhitman
Dans la cabine des vaisseaux en mer Dans la cabine des vaisseaux en mer,
L’infini du bleu expansivement de tous côtés,
Vents sifflants, vagues musicales, immenses vagues impérieuses,
Ou peut-être à bord d’une barque solitaire balançant sur l’épaisseur marine,
Emplie de foi joyeuse, déployant ses voiles blanches,
Epousant l’éther dans l’étincellement d’écume du jour, ou sous la foule des
étoiles nocturnes,
Par des marins jeunes ou vieux je serai lu, réminiscence de la terre,
Dans la perfection des rapports, enfin.
Voici nos pensées de voyageurs,
Voici que la terre seule la terre ferme n’apparaît plus, diront-ils alors,
Voici que le ciel tend son arc sur nos têtes, nous sentons le vacillement du
pont sous nos pieds,
Nous sentons les longues pulsations, le flux et le reflux du mouvement infini,
Les tonalités du mystère invisible, les vastes vagues suggestions de la salure
liquide, des syllabes fluides et liquides,
Le parfum, le craquement léger des cordages, le rythme mélancolique,
L’horizon sans bornes, l’horizon brumeux lointain, tout nous accompagne,
Et voici devant nous le poème de l’océan.
Ne faiblis pas mon Livre, accomplis ton destin,
Toi qui n’es pas réminiscence de la terre seule,
Toi qui navigues telle la barque solitaire sillonnant le ciel, barque de but
inconnu et cependant de foi totale ,
Va de conserve avec tous les vaisseaux, va vogue !
Porte-leur le pli de mon amour (chers marins, je vous le plie dans le pli de
chaque feuille) ;
Accélère, mon Livre ! déploie tes voiles blanches ma petite barque à travers les
vagues impérieuses,
Musique, fais voile, emporte apporte au-delà de l’infini du bleu à toutes les
mers,
Ce chant que je destine aux marins et leurs vaisseaux.
il y a 8 mois
W
Winston Perez
@winstonPerez
Hyper Chinois Chavirer,
n’est pas bon pour moi
Chavirer,
n’est pas ma tasse de thé
C’est
Le jour
C’est
La nuit
Tu es dans ton lit et tu bois ton café trop froid
avec du lait
Il y a du soleil,
La lune se cache…
C’est toujours pareil
C’est
Le jour
C’est
La nuit
Tu fumes dans ton lit et tu n’es jamais en retard
Tu n’as jamais le cafard
Il fait trop chaud
Tu prends le vaporetto
Et tu t’allonges nu
Et tu écoutes le boléro
de Ravel ou Jorge Pardo ?
C’est
Le jour
C’est
La nuit
Tu fumes du haschisch
Tu es l’Hyper chinois
comme si tu étais un Roi
Qui aimes casser des noix
Et tu donnes à manger à ton chien
Et tu commences à te sentir bien
C’est très bien
Maintenant,
tu prépares des sushis
C’est bientôt minuit…
Chavirer,
n’est pas bon pour moi
Chavirer,
n’est pas ma tasse de thé
il y a 8 mois
W
Winston Perez
@winstonPerez
Sonnet à creus Ô Sculptures pliées par le doigt des Dieux
Créations invisibles qu’on n’ose pas toucher
Et l’aigle qui vole par dessus l’Enfer
et qui se fixe sur l’astre aride craché par la mer
Et le vent qui vient chaque jour défier l’horizon
puis dessiner ces formes mortes hurlant à l’unisson
Et le vent qui souffle son éternel Amour
à la Gloire du Vide, et du Silence lourd
Chaque pas sur le chemin raconte cette autre histoire
Celle qu’on ne raconte pas, par peur de voir
le Nous, le Eux, que l’on ne verra plus jamais
Et même si on a cru le voir dans un passé lointain
Ce sera le chameau qui surgira au bout de la route
et le Rhinocéros sèché paraîtra endormi