Bérécynthienne Telle que dans son char la Bérécynthienne
Couronnée de tours, et joyeuse d'avoir
Enfanté tant de dieux, telle se faisait voir
En ses jours plus heureux cette ville ancienne :
Cette ville, qui fut plus que la Phrygienne
Foisonnante en enfants, et de qui le pouvoir
Fut le pouvoir du monde, et ne se peut revoir
Pareille à sa grandeur, grandeur sinon la sienne.
il y a 8 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Comme le champ semé Comme le champ semé en verdure foisonne,
De verdure se hausse en tuyau verdissant,
Du tuyau se hérisse en épi florissant,
D'épi jaunit en grain, que le chaud assaisonne ;
Et comme en la saison le rustique moissonne
Les ondoyants cheveux du sillon blondissant,
Les met d'ordre en javelle, et du blé jaunissant
Sur le champ dépouillé mille gerbes façonne ;
Ainsi de peu à peu crût l'empire romain,
Tant qu'il fut dépouillé par la barbare main
Qui ne laissa de lui que ces marques antiques
Que chacun va pillant : comme on voit le glaneur,
Cheminant pas à pas recueillir les reliques
De ce qui va tombant après le moissonneur.
il y a 8 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Je vis l’oiseau qui le soleil contemple Je vis l’oiseau qui le soleil contemple
D’un faible vol au ciel s’aventurer,
Et peu à peu ses ailes assurer,
Suivant encor le maternel exemple.
Je le vis croître, et d’un voler plus ample
Des plus hauts monts la hauteur mesurer,
Percer la nue, et ses ailes tirer
Jusqu’au lieu où des dieux est le temple.
Là se perdit : puis soudain je l’ai vu
Rouant par l’air en tourbillon de feu,
Tout enflammé sur la plaine descendre.
Je vis son corps en poudre tout réduit,
Et vis l’oiseau, qui la lumière fuit,
Comme un vermet renaître de sa cendre.
il y a 8 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n'aperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,
Et ces vieux murs, c'est ce que Rome on nomme.
Vois quel orgueil, quelle ruine : et comme
Celle qui mit le monde sous ses lois,
Pour dompter tout, se dompta quelquefois,
Et devint proie au temps, qui tout consomme.
Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit,
Reste de Rome. O mondaine inconstance !
Ce qui est ferme, est par le temps détruit,
Et ce qui fuit, au temps fait résistance.
il y a 8 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Qui a vu quelquefois un grand chêne asséché Qui a vu quelquefois un grand chêne asséché,
Qui pour son ornement quelque trophée porte,
Lever encore au ciel sa vieille tête morte,
Dont le pied fermement n'est en terre fiché,
il y a 8 mois
J
Jules Delavigne
@julesDelavigne
Le cauchemar Vers le vide
il se précipite, cet homme
dans les rues de cette ville sans nom
Sous un ciel rouge de flammes, de bruits
il ne s’arrête pas pour regarder autour de lui
il n’a pas le temps
Un cri, «tourne vite
non, pas par-là
vite! rejoins les autres, quels autres?»
Tête basse, il suit les lignes
il suit son ombre
ne voyant même pas les bâtiments sur le coté
Il n’entend que cette voix qui lui dit
«cours, vas-y, plus vite»
Le son d’acier qui frappe les murs
frappe encore dans sa tête
Est-ce qu’ils sont là? il ne le sait pas
Il continue comme une bête
c’est le renard coincé par des chiens
qui veulent le déchiqueter
Il a peur
Il entre vite dans le jardin
les arbres le soulagent
ils filtrent la lumière éclatante, éblouissante
L’herbe mouillée lui fait penser à des jours plus tranquilles
Il ferme les yeux, tout se calme
mais ces couleurs, ces bruits, pèsent sur lui
Il entend toujours cette voix qui lui dit
«vas-y plus vite, cours, cours, cours»
Puis il la sent dans toute sa richesse
doucement lui percer la peau, la chair, le cœur
Petit à petit le film se ralentit devant ses yeux
et il se réjouit
Tout s’engourdit en lui
tout devient plus beau
il y a 8 mois
Jules Laforgue
@julesLaforgue
Spleen Tout m'ennuie aujourd'hui. J'écarte mon rideau,
En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie,
En bas la rue où dans une brume de suie
Des ombres vont, glissant parmi les flaques d'eau.
Je regarde sans voir fouillant mon vieux cerveau,
Et machinalement sur la vitre ternie
Je fais du bout du doigt de la calligraphie.
Bah ! sortons, je verrai peut-être du nouveau.
Pas de livres parus. Passants bêtes. Personne.
Des fiacres, de la boue, et l'averse toujours…
Puis le soir et le gaz et je rentre à pas lourds…
il y a 8 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Contrastes Vous avez la statue de la Liberté
à l’entrée de la baie d’Hudson
Nous avons de la nature la vérité
et l’amour infini des personnes
Bercés par le bourdonnement des abeilles
et le chant de l’oiseau
nous marchons au pied de vos gratte-ciels
parmi des citadins-robots
Le flot de voitures
sous un soleil urbain
ne vaut pas le vent dans les ramures
et la lumière du matin
C’est vrai la célèbre Manhattan
fait rêver certains êtres humains
cette île où l’on se damne
pour ressembler aux Américains
C’est là que bat le coeur
de la « Big Apple »
New-York et ses rockers,
la ville de la perpétuelle
insomnie
Nous préférons cette vie au ralenti
où palpite la lenteur
où l’on ne nous a pas menti
sur la recette du bonheur
il y a 8 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Martyrs Vous faites vos adieux
à l’humanité
en demandant que l’on se souvienne de vous
soldats courageux
dans Marioupol dévastée
sans munitions sans nourriture
face à l’étau russe qui se resserre
pour vous broyer
Est-ce donc cela notre présent
des temps en proie aux fous
qui avec des corps déchiquetés
inaugurent
leur sanglante littérature ?
Et vous, notre Père,
en qui l’on croit
n’est-ce pas grande misère
que cette interminable ivresse de sang ?
Le poète ne peut se taire
Il crie au nom des innocents
parce qu’il pressent
que nous entrons dans l’ère
du terrestre enfer
il y a 8 mois
Max Jacob
@maxJacob
Angoisses et autres J'ai peur que tu ne t'offenses
lorsque je mets en balance
dans mon cœur et dans mes œuvres
ton amour dont je me prive
et l'autre amour dont je meurs
Qu'écriras-tu en ces vers
ou bien Dieu que tu déranges
Dieu les prêtres et les anges
ou bien tes amours d'enfer
et leurs agonies gourmandes
Justes rochers vieux molochs
je pars je reviens j'approche
de mon accessible mal
mes amours sont dans ma poche
je vais pleurer dans une barque
Sur les remparts d'Édimbourg
tant de douleur se marie ce soir
avec tant d'amour
que ton cheval Poésie
en porte une voile noire
il y a 8 mois
Nicolas Boileau
@nicolasBoileau
Les embarras de Paris Qui frappe l'air, bon Dieu ! de ces lugubres cris ?
Est-ce donc pour veiller qu'on se couche à Paris ?
Et quel fâcheux démon, durant les nuits entières,
Rassemble ici les chats de toutes les gouttières ?
J'ai beau sauter du lit, plein de trouble et d'effroi,
Je pense qu'avec eux tout l'enfer est chez moi :
L'un miaule en grondant comme un tigre en furie ;
L'autre roule sa voix comme un enfant qui crie.
Ce n'est pas tout encor : les souris et les rats
Semblent, pour m'éveiller, s'entendre avec les chats,
Plus importuns pour moi, durant la nuit obscure,
Que jamais, en plein jour, ne fut l'abbé de Pure.
il y a 8 mois
P
Patrice Cosnuau
@patriceCosnuau
Le plein blues Chevalier sédentaire, écuyer des saisons,
Tu fus, en d’autres temps, rebelle créatif
Quand, lassé de cueillir, tu imposas ta griffe
A notre Terre-Mère. En semant de raison
Ce qu’il te fut donné de goûter à foison,
Tu défrichas d’abord pour nourrir les natifs
Des siècles en chantier, sillon méditatif
Qui présente au soleil vitraux et floraisons.
La Science, lancée à l’assaut des famines
Et griffonnant, plein champ, sa chimique doctrine,
Fit passer le paysan à la moulinette.
« Tous en ville ! Et qui veut chevaucher sa machine
Amassera le blé sans courber trop l’échine ! »
Mais où sont les moissons de Jeanne et de Ninette ?
il y a 8 mois
Paul-Jean Toulet
@paulJeanToulet
En Arles Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd ;
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes.
il y a 8 mois
Pierre Corneille
@pierreCorneille
Les imprécations de Camille Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore !
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés
Saper ses fondements encor mal assurés !
Et si ce n'est assez de toute l'Italie,
Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie ;
Que cent peuples unis des bouts de l'univers
Passent pour la détruire et les monts et les mers !
Qu'elle même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du Ciel allumé par mes vœux
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause et mourir de plaisir !
il y a 8 mois
Robert Desnos
@robertDesnos
Couplet de la rue de Bagnolet Le soleil de la rue de Bagnolet
N'est pas un soleil comme les autres.
Il se baigne dans le ruisseau,
Il se coiffe avec un seau,
Tout comme les autres,
Mais, quand il caresse mes épaules,
C'est bien lui et pas un autre,
Le soleil de la rue Bagnolet
Qui conduit son cabriolet
Ailleurs qu'aux portes des palais,
Soleil, soleil ni beau ni laid,
Soleil tout drôle et tout content,
Soleil de la rue de Bagnolet,
Soleil d'hiver et de printemps,
Soleil de la rue de Bagnolet,
Pas comme les autres.
il y a 8 mois
Robert Desnos
@robertDesnos
Couplet de la rue Saint-Martin Je n'aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin,
Je n'aime rien, pas même le vin.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
C'est mon ami, c'est mon copain.
Nous partagions la chambre et le pain.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin.
il y a 8 mois
T
Thibault Desbordes
@thibaultDesbordes
Les cônes 23h54.
Un bâton de réglisse ancré entre les dents,
Le béton d’un quartier battant sous ma semelle,
L’odeur du chèvrefeuille exprime dans mon chant
Le regard de la Lune, aussi blanche que belle.
Sous cette rue livide où la lumière est jaune,
Des armadas de nefs croisent en ciel obscur.
Alors que sur le sol, de bien modestes cônes
Pointent vers les hauteurs, exaspérés d’azur !
il y a 8 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Ce que disent les hirondelles Déjà plus d'une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis ;
Soir et matin, la brise est fraîche,
Hélas ! les beaux jours sont finis !
On voit s'ouvrir les fleurs que garde
Le jardin, pour dernier trésor :
Le dahlia met sa cocarde
Et le souci sa toque d'or.
La pluie au bassin fait des bulles ;
Les hirondelles sur le toit
Tiennent des conciliabules :
Voici l'hiver, voici le froid !
Elles s'assemblent par centaines,
Se concertant pour le départ.
L'une dit : « Oh ! que dans Athènes
Il fait bon sur le vieux rempart !
« Tous les ans j'y vais et je niche
Aux métopes du Parthénon.
Mon nid bouche dans la corniche
Le trou d'un boulet de canon. »
L'autre : « J'ai ma petite chambre
A Smyrne, au plafond d'un café.
Les Hadjis comptent leurs grains d'ambre
Sur le seuil d'un rayon chauffé.
il y a 8 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Fantaisie d'hiver Dans le bassin des
Tuileries,
Le cygne s'est pris en nageant,
Et les arbres, comme aux féeries,
Sont en filigrane d'argent.
Les vases ont des fleurs de givre,
Sous la charmille aux blancs réseaux;
Et sur la neige on voit se suivre
Les pas étoiles des oiseaux.
Au piédestal où, court-vêtue,
Vénus coudoyait
Phocion,
L'Hiver a posé pour statue
La
Frileuse de
Clodion.
il y a 8 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Soleil couchant En passant sur le pont de la Tournelle, un soir,
Je me suis arrêté quelques instants pour voir
Le soleil se coucher derrière Notre-Dame.
Un nuage splendide à l’horizon de flamme,
Tel qu’un oiseau géant qui va prendre l’essor,
D’un bout du ciel à l’autre ouvrait ses ailes d’or,
- Et c’était des clartés à baisser la paupière.
Les tours au front orné de dentelles de pierre,
Le drapeau que le vent fouette, les minarets
Qui s’élèvent pareils aux sapins des forêts,
Les pignons tailladés que surmontent des anges
Aux corps roides et longs, aux figures étranges,
D’un fond clair ressortaient en noir ; l’Archevêché,
Comme au pied de sa mère un jeune enfant couché,
Se dessinait au pied de l’église, dont l’ombre
S’allongeait à l’entour mystérieuse et sombre.
- Plus loin, un rayon rouge allumait les carreaux
D’une maison du quai ; – l’air était doux ; les eaux
Se plaignaient contre l’arche à doux bruit, et la vague
De la vieille cité berçait l’image vague ;
Et moi, je regardais toujours, ne songeant pas
Que la nuit étoilée arrivait à grands pas.
il y a 8 mois
Victor Hugo
@victorHugo
À l’Arc de triomphe II
Oh ! Paris est la cité mère !
Paris est le lieu solennel
Où le tourbillon éphémère
Tourne sur un centre éternel !
Paris ! feu sombre ou pure étoile !
Morne Isis couverte d’un voile !
Araignée à l’immense toile
Où se prennent les nations !
Fontaine d’urnes obsédée !
Mamelle sans cesse inondée
Où pour se nourrir de l’idée
Viennent les générations !
Quand Paris se met à l’ouvrage
Dans sa forge aux mille clameurs,
A tout peuple, heureux, brave ou sage,
Il prend ses lois, ses dieux, ses moeurs.
Dans sa fournaise, pêle-mêle,
Il fond, transforme et renouvelle
Cette science universelle
Qu’il emprunte à tous les humains ;
Puis il rejette aux peuples blêmes
Leurs sceptres et leurs diadèmes,
Leurs préjugés et leurs systèmes,
Tout tordus par ses fortes mains !
Paris, qui garde, sans y croire,
Les faisceaux et les encensoirs,
Tous les matins dresse une gloire,
Eteint un soleil tous les soirs ;
Avec l’idée, avec le glaive,
Avec la chose, avec le rêve,
Il refait, recloue et relève
L’échelle de la terre aux cieux ;
Frère des Memphis et des Romes,
Il bâtit au siècle où nous sommes
Une Babel pour tous les hommes,
Un Panthéon pour tous les dieux !
Ville qu’un orage enveloppe !
C’est elle, hélas ! qui, nuit et jour,
Réveille le géant Europe
Avec sa cloche et son tambour !
Sans cesse, qu’il veille ou qu’il dorme,
Il entend la cité difforme
Bourdonner sur sa tête énorme
Comme un essaim dans la forêt.
Toujours Paris s’écrie et gronde.
Nul ne sait, question profonde !
Ce que perdrait le bruit du monde
Le jour où Paris se tairait !
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
Les usines Se regardant avec les yeux cassés de leurs fenêtres
Et se mirant dans l'eau de poix et de salpêtre
D'un canal droit, marquant sa barre à l'infini,
Face à face, le long des quais d'ombre et de nuit,
Par à travers les faubourgs lourds
Et la misère en pleurs de ces faubourgs,
Ronflent terriblement usine et fabriques.