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Titre : Le soir d’une bataille

Auteur : Charles Marie René Leconte de Lisle Recueil : Poèmes barbares

Tels que la haute mer contre les durs rivages, À la grande tuerie ils se sont tous rués, Ivres et haletants, par les boulets troués, En d’épais tourbillons pleins de clameurs sauvages. Sous un large soleil d’été, de l’aube au soir, Sans relâche, fauchant les blés, brisant les vignes, Longs murs d’hommes, ils ont poussé leurs sombres lignes Et là, par blocs entiers, ils se sont laissés choir. Puis ils se sont liés en étreintes féroces, Le souffle au souffle uni, l’œil de haine chargé. Le fer d’un sang fiévreux à l’aise s’est gorgé ; La cervelle a jailli sous la lourdeur des crosses. Victorieux, vaincus, fantassins, cavaliers, Les voici maintenant, blêmes, muets, farouches, Les poings fermés, serrant les dents, et les yeux louches, Dans la mort furieuse étendus par milliers. La pluie, avec lenteur lavant leurs pâles faces, Aux pentes du terrain fait murmurer ses eaux ; Et par la morne plaine où tourne un vol d’oiseaux Le ciel d’un soir sinistre estompe au loin leurs masses. Tous les cris se sont tus, les râles sont poussés. Sur le sol bossué de tant de chair humaine, Aux dernières lueurs du jour on voit à peine Se tordre vaguement des corps entrelacés ; Et là-bas, du milieu de ce massacre immense, Dressant son cou roidi, percé de coups de feu, Un cheval jette au vent un rauque et triste adieu Que la nuit fait courir à travers le silence. Ô boucherie ! ô soif du meurtre ! acharnement Horrible ! odeur des morts qui suffoques et navres ! Soyez maudits devant ces cent mille cadavres Et la stupide horreur de cet égorgement. Mais, sous l’ardent soleil ou sur la plaine noire, Si, heurtant de leur cœur la gueule du canon, Ils sont morts, Liberté, ces braves, en ton nom, Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire !