splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi

Titre : La ceinture

Auteur : Guillaume Apollinaire Recueil : Poèmes à Lou

La muse Depuis longtemps déjà je t’ai laissé tout seul Cependant me voici t’apportant mon mensonge Poète sois joyeux tu sembles un linceul Regarde-moi c’est moi je ne suis pas un songe Le poète Ô muse je tremblais de ne plus te revoir Voici ton doux regard voici ta robe ouverte Et ta ceinture enfin qui me fait concevoir Un exquis dénouement devant cette mer verte L’Amour Va ne t’excite pas ta Muse qui revient Ne t’aime maintenant plus qu’à travers l’espace Mais prends-lui deux baisers comme un suprême bien Et sois content surtout puisque tout lasse et passe Le poète Mais Amour tu sais bien que je suis maladroit Dérobe sa ceinture et m’en fais ma couronne Je me contenterai de penser à l’endroit Où pressait ce ruban sur sa belle personne La muse Poète me voici j’ai deux baisers pour toi Je t’aimerais toujours d’un amour platonique Mais toi tu m’appartiens je suis ta seule loi Et reçois ma ceinture en un don magnifique Le poète J’adore ta ceinture ô Muse mon amour Elle est ronde comme le monde et ta mamelle Elle est ouverte au centre ainsi ta bouche pour Rire et longue comme un vers à rime éternelle Elle est mon art elle est ma vie et ma douleur Elle est l’illusion elle est toute lumière Elle la grande beauté la multiple couleur Et ma muse en second puisque part le première Elle est ta forme aussi car elle a pris ton corps Elle a saisi ton corps comme une belle proie Va-t’en va-t’en là-bas vers les Ests et les Nords Où t’entraînent l’Amour la Bravoure et la Joie Et quand je m’en irai là-bas ou bien ailleurs Ma muse me suivra ta ceinture idéale Irréel arc-en-ciel aux sept belles couleurs Qui décorent ce soir le ciel sur la mer pâle La muse Adieu je pars adieu tu m’attends à jamais L’Amour s’impatiente et la nuit va descendre Le poète Eh ! que m’importe à moi puisque moi je t’aimais Ce soir j’ai dénoué ta ceinture à jamais Et toi tu n’as de moi pas même un brin de cendre L’Amour Espère dans l’Amour Poète il reviendra Te ramener ta Muse avec sa robe ouverte Ce que l’Amour a dit Poète il le fera Adieu la nuit descend et la mer n’est plus verte Le poète Adieu petit Amour petit enfant ingrat Enfin me voici seul dans la nuit incolore Toi qui n’existes pas CEINTURE je t’adore Nîmes, le 29 mars 1915