La recitation de l'oubli

Faite de courts paragraphes d'une étrange densité, la poésie de
 Franck André Jamme développe une tension constante entre une
 narration qui vise à une sorte de neutralité et l'enchaînement des
 visions froides qui la hantent - ou dont elle est traversée. Des
 contrées ici dépeintes, et des créatures de lumière qui les
 peuplent, émane cette certitude venue des songes que l'écriture
 fixe sans en dissiper le trouble, ni l'énigme majeure. Sous la fine
 surface de ce qu'il montre, le poème suggère une présence plus
 indicible : dans le vertige ou le vacillement du réel.La Récitation de l'oubli redonne à lire les premiers poèmes en prose
 de Franck André Jamme, autrefois réunis chez Granit (1985) et Fata
 Morgana (1986). À cet ensemble inaugural, épuisé de longue date,
 l'auteur a adjoint un titre plus récent, paru chez Unes en 1998.

La Récitation de l'oubli

Page Soudain Qui devient barqueOn va traverser la mer

L'avantage de la parole

" maintenant que le temps a passé, que nous sommes à deux doigts de la matérialisation de ces pages, je me rends compte à quel point elles furent un contre-poison à des saisons un peu perdues.
 Le salut, en somme, par le jeu.  car avant même de penser à en faire un livre, longtemps j'aurai joué à tracer d'abord ces tablettes sur des feuilles de papier doré - comme pour les offrir je ne sais trop comment aux bouches ou aux mains des morts qui commençaient à m'entourer.  a peine un peu plus tard sur des miroirs - de façon à ce que la simple lecture des lettres et des mots annulent d'un coup les visages, à commencer par le mien.
 " franck andré jamme.

Nouveaux exercices

C'était juste leur histoire, certainement une autre vie.

Elle pensait à ses pas dans les couloirs de la mémoire. La pluie, le crépitement de ses ongles sur la terre et la peau, même les ailes à ses chevilles :

Cette étrange sensation, lorsqu'elle se déplaçait, de ne la voir pratiquement jamais toucher le sol.

Volait presque.

Une autre vie. 

It was merely their story, certainly another life.

She thought about her steps through the corridors of memory.

The rain, the scraping of her nails on the earth and skin, even the wings on her ankles :

That strange sensation, when she moved, of practically never seeing her touch the ground.

Almost flying.

Another life.

Mantra des anxiétés et des cinq nuisances

James Brown - Internal Order

Ils ne croient pas que la vie les aime, qu'elle est capable de se répandre entière : il suffirait pourtant que le regard qu'ils posent soudain sur elle soit ému, et appelle. Quand je demande sans demander, c'est pour voir jusqu'à quelle cache vraiment perdue, secrète, je peux faire reculer les dormeurs. Ils ne voient chez moi qu'une sorte de compassion. Fausse route. Il n'y a que l'amour, ici, qui les attend. Ils mourront vraisemblablement presque tous avant de comprendre.

Un diamant sans étonnement

L'Inde, marges - Dessins tantriques

Au secret, publié par nos soins en 2010, annonçait en quelques allusions son « frère », L'Apprenti dans le soleil, qui paraît aujourd'hui. Le novice, en filigrane du livre, reprend son chemin, ou plutôt son sillon, sa traversée du champ du réel.
C'est encore un chant s'enroulant au fil des pages, d'une voix étourdissante et chuchotante, qui nous appelle à une « manière d'abandon » contre les entraves de la pensée, qui nous entraîne à saisir « l'aubaine / de pouvoir s'échapper / en prenant un chemin / parsemé de curieux éclairs » ou « le privilège de laisser aller / autant qu'il se pouvait / la longe du sens ».
Ces pages nous emportent dans une certaine dérive, un vertige ; on est saisi d'un sentiment de l'errance, du toujours changeant, jamais établi. « Ramassage des éclats » - fluctuations et miroitements (l'éblouissement du soleil), leurres et enchantements... - qui vient aiguiser les sens, la pensée. Avec cette lucidité que seule permet la vraie naïveté (ou l'éternel apprentissage), car il s'agit bien du « coeur / l'espace entre les deux berges / du fleuve dans votre dos // susceptible de s'enfouir / dans son propre lit / à la moindre erreur », de « la vie sur les fils // à affûter votre harmonie / au-dessus du trou ».

L'apprenti dans le soleil

Il était des gifles (et des baisers) qui mettaient infiniment de temps à nous avertir. On ne savait jamais s'il fallait revenir par le rouge ou par le bleu. Le sang ou le ciel. Certaines phrases, il y avait derrière elles, cachés, des paons. On nous avait d'abord vivement recommandé le combat. Sur la route, plus tard, on nous avait signalé aussi, en passant, que de toute façon nous le perdrions.

Encore une attaque silencieuse

De la distraction

Mantra box

"On se réveille. Dans le jardin, deux ou trois ? eurs sont nées durant la nuit. Juste là, derrière la vitre". Ce volume fait alterner, dans une composition subtile, de courts poèmes très denses et des proses d'une gravité contenue.

Pour Les Simples

Ce sont deux amis, à la campagne, pour une longue soirée. Ils rêvent, écoutent de la musique, boivent des verres, se parlent aussi, de temps en temps... mais aucun d'eux n'est en fait très bavard. Entre ces courtes séquences de dialogue, une sorte de nuage de mots et de pensées se matérialise chaque fois, un nuage qui semble constitué de tout ce qu'ils ne se sont pas dit lorsqu'ils conversaient l'instant d'avant, et dans lequel leurs deux esprits finissent par se confondre. À travers ces fragments en prose, qui jouent entre eux à la manière d'une partition musicale, Franck André Jamme nous livre un texte poétique et lumineux, à l'affût de l'invisible et du silence. Dans ce poème/récit, il cherche à recomposer un sens menacé de disparition - non sans espièglerie, ni distance. Et son travail sur la simplicité de la langue et la polyphonie transforme ces " extraits " en petits joyaux fulgurants.

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