Ils : deux garçons qui font l'amour. Ils n'ont pas d'identité, pas d'histoire, pas de psychologie, mais un corps aussi lisse qu'un marbre de Canova, un membre qualifié d'« idéal ».
Il n'y a pas de décor, ou plutôt c'est n'importe quel décor, chambre, plage ou clairière moussue : la seule chose qui importe, c'est qu'ils puissent s'y étendre pour faire l'amour.
On ne sait pas ce qu'ils se sont dit : ils se taisent lorsque cela commence. La voix, les mots entre eux n'ayant fait que préparer à l'amour : « ils entraient par la voix dans le plaisir de la chair. » Maintenant ils sont dans ce plaisir.
La description détaillée de cette scène d'amour, emblème de toutes les scènes d'amour, est le fil central du roman et détermine sa durée. Elle court du premier instant à la conclusion, sans rien dissimuler, rien arranger, rien oublier.
Les deux garçons sont dans le présent de la chair, sa pureté. Ils se dissolvent dans le plaisir pris et donné. Au point que « il » est l'un ou l'autre, interchangeable, unique et double. Vertige des corps que l'écriture rend palpable, refusant d'identifier, de dialoguer, de séparer ce magnifique oubli de soi qui est le comble de soi-même et qui n'existe que dans l'amour sensuel.

Quercus est le mot latin pour désigner le chêne; l'auteur, qui dit avoir vécu, enfant, entouré, de chênes, se lance ici, après Virgile et accompagné de Gianni Burattoni et de ses dessins, dans une série de bucoliques. C'est un chant de vie exalté, une déclaration de panthéisme athée assez rare dans la poésie contemporaine. Le séminaire des nuits est une plongée dans le monde fantasmatique de la nuit, avec ses frayeurs enfantines et ses dérives adultes, sa mélancolie et la solitude. Le côté varoque, la tonalité et la maîtrise de cette poésie sont les marques de cet auteur.

Quercus ; le séminaire des nuits

Roger Vailland, libertinage et lutte des classes

Les saisons

La Fabrique des fleurs est un recueil de poésie qui alterne vers libres et proses sans ponctuation. Chaque texte est consacré à une fleur ou plus largement à une plante qui devient le prétexte à une exploration autobiographique ou à une suite d'images. Le mot " fabrique " est à prendre ici suivant deux définitions que nous emprunterons au dictionnaire de Littré. La première, " établissement où l'on fabrique ", indique que la fleur est prise comme une machinerie à produire tout à la fois une imagerie poétique et le souvenir. Elle est une usine d'où sort du langage, qui crée de la parole. L'autobiographie devient donc, ici, non pas la cause du discours mais la conséquence d'un enchaînement de mots. On entend également par " fabriques ", " toutes constructions qui servent à l'ornement des parcs, des jardins ". Le recueil peut également se lire comme une promenade dans des lieux qui ont marqué l'enfance de l'auteur comme la campagne bourguignonne, la forêt de Fontainebleau, ou qui font partie de son environnement actuel comme un jardin de Touraine, un café de Tanger ou une villa toulonnaise. La fleur est ici prise comme le microcosme du paysage qui est une construction de l'oeil et donc, sans doute, ce qui est nommé comme tel: élément du paysage, la fleur devient le paysage lui-même en le faisant exister. La Fabrique des fleurs peut enfin se lire comme une célébration matérialiste de la Nature, un retour à ce Logos des Grecs qui faisait de l'homme une part de la Nature et qu'ils symbolisaient sous les traits du Grand Pan. Jouant avec une forme poétique médiévale, l'arbre fourchu, l'auteur expose ce que le monde végétal peut enseigner à l'homme de son destin. Amor fati.

La fabrique des fleurs - Accompagné de huit pointes sèches originales de Geneviève Asse

« [...] Dans ce qu'il écrit, chacun défend sa sexualité ». C'est par cette épigraphe de Barthes que Franck Delorieux ouvre Le corps écrit. Et en e$et, tout le livre va se consacrer à véri /er cette intuition de l'intellectuel français. Le corps écrit regroupe essais littéraires, articles parus dans Les Lettres françaises, dont Franck Delorieux dirige la rubrique « Lettres », conférences, entretiens... Les thèmes et les /gures évoqués sont riches et d'une incroyable variété, démontrant la grande curiosité de l'auteur : Antonio Rocco, Aragon, Cocteau, Montherlant, Genet, Denton Welch, Apollinaire, Casanova, Laclos, Burroughs, Katy Acker, Denis Cooper, John Giorno, Gabriel Matzne$, René Schérer, Pierre Bourgeade, Julien Blaine, Jean Ristat, l'homophobie dans les milieux de gauche et d'extrême gauche, la /gure érotique du vampire...
On pourrait croire que cette diversité dissimule un recueil décousu. Il n'en est rien tant l'écriture de Franck Delorieux cisèle, met à nu et se tient à son sujet. La /nesse des analyses littéraires permet de mettre en évidence les rapports que les écrivains, les artistes, entretiennent avec leur corps et la sexualité, sans ne jamais tomber dans le cliché ou le communautarisme. Car la question est grave : il s'agit de viser au dépassement des catégories sexuelles qui brident et limitent le désir. L'hétérosexualité n'a pas plus d'existence que l'homosexualité. « Dans ce qu'il écrit », Franck Delorieux défend une sexualité heureuse, dont il sait tirer toutes les implications politiques. C'est du bonheur des êtres humains qu'il sera question dans ce livre. Ni plus ni moins.

Le corps écrit

Franck Delorieux, poète, écrivain, chroniqueur aux Lettres françaises, est également connu pour ses oeuvres photographiques. Il a déjà publié chez Editions Helvétius, Le rameau vert. Cette fois-ci il nous offre 51 photographies de La Havane, sous un angle non conventionnel (ces photographies font l'objet d'une exposition dans la capitale cubaine). "La Havane, entre un passé dont elle est fière et une modernité tout aussi riche, est une ville qui regorge d'une énergie qu'elle offre généreusement à ceux qui la visitent. La beauté de La havane est solaire" indique Franck Delorieux. Le livre est préfacé par Patrice Paoli, Ambassadeur de France à Cuba et présenté par Marc Sagaert, dircecteur général de l'Alliance Française à La Havane. On trouvera également un long entretien, mené par Marc Sagaert, avec Franck Delorieux sur l'ensemble de son travail.

Regards sur La Havane/Miradas a La Habana

Les Saisons est un recueil de poèmes placé sous le patronage de la Vénus en arme et victorieuse : il s'agit d'un hommage à l'amour. Après une Adresse à Protée, où l'auteur évoque les métamorphoses du sujet, ses multiples apparences et identités, les saisons défilent. Mais il s'agit de bouleverser l'ordre du temps et, à l'hiver, succède l'automne, suivi de l'été pour terminer sur le printemps - le tout constituant un récit initiatique de la découverte et du triomphe de l'amour. L'hiver, ici, évoque l'enfance associée à la mort ; l'automne est la période de l'adolescence, des rencontres sans lendemains et de la solitude ; l'été est l'épanouissement du poète, heureux enfin et récoltant les fruits et les fleurs d'une liaison sereine ; le printemps, enfin, est l'occasion d'une nouvelle jeunesse sous la figure de la rencontre avec un jeune homme. À ce déroulement s'ajoute une cinquième saison, période héritée de la Chine, qui permet de bousculer l'ordre habituel du temps. Dans l'épilogue, le poète loue la liberté de l'amour, sa gloire pensée comme plus belle raison de vivre.

Le rameau vert est fait de mots, de photographies, de rais de lumières, de noir sur fond noir, de mélange de pierre et de chair. Franck Delorieux nous parle, à travers ces images, de Pierino da Vinci, neveu de Léonard, disparu alors qu'il n'était qu'au début de son oeuvre. il évoque aussi un jeune homme dansant devant l'objectif.En mêlant la pierre immortelle au corps mortel, l'auteur nous montre que l'oeil du photographe est aussi fort que la plume du poète.

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