Texte énigmatique et entièrement inédit, Le Calcul des langues marque la première tentative de Jacques Derrida d'écrire un livre en deux colonnes. Annoncé comme " à paraître " sur la quatrième de couverture de l'Archéologie du frivole (1973) mais jamais publié du vivant de l'auteur, le tapuscrit de ce projet inachevé fut retrouvé chez Derrida après son décès. La publication posthume de ce texte fort original met au jour un véritable laboratoire typographique où, avant l'écriture de l'un de ses textes les plus célèbres, Glas (1974), Derrida ose couper la page en deux en vue de repenser la relation entre philosophie et écriture.

Poursuivant une réflexion sur les sciences du langage au XVIIIe siècle entamée avec De la grammatologie (1967), Derrida propose ici une lecture en partie double de L'Art d'écrire de Condillac. Mais à la différence de Glas, dont les deux colonnes confrontent un philosophe (Hegel) à un auteur littéraire (Genet), Le Calcul des langues confronte Condillac à lui-même. Si la colonne de gauche propose une exégèse plutôt conventionnelle et méthodologique de L'Art d'écrire, celle de droite divague sans cesse, multipliant les digressions en direction de Freud et d'autres penseurs, à la recherche d'un plaisir de l'écriture qui échapperait à la philosophie.

Lecture de Condillac en deux colonnes, donc, mais aussi en " deux styles " comme l'indique le sous-titre (" Distyle "), cet ouvrage tout à fait singulier dans le corpus derridien donne à lire l'une des plus belles expérimentations de l'écriture déconstructrice.

Le texte a été établi par Geoffrey Bennington et Katie Chenoweth.

Le calcul des langues - Distyle

A l'heure où toutes les frontières tremblent, s'effacent ou se renforcent avec la violence que l'on sait, il serait urgent de reprendre et de repenser le concept même de frontière. Mais y a-t-il un tel concept, à trouver ou à construire ? C'est ce que nous commençons à mettre en doute ici, à partir d'une relecture de Kant, pour qui la frontière se révèle être à la fois l'élément même de sa pensée, et la frustration permanente de sa conceptualité. En suivant ce fil conducteur d'abord dans les textes " politiques " de Kant, et ensuite dans la Critique du jugement téléologique - si méconnue -, nous tentons de dégager une structure complexe, abyssale, fractale, qui inscrit toujours un reste de nature violente dans toute frontière (y compris conceptuelle), et qui complique l'argumentation la plus explicite, la plus rationnelle, de Kant lui-même (qui va toujours vers le cosmopolitisme et la paix dite perpétuelle) en y ajoutant un motif de réticence ou d'interruption. Comme il se trouve qu'il ne pourrait y avoir de paix perpétuelle que dans la mort, il faut interrompre le mouvement téléologique qui risque de nous y mener, il faut maintenir des frontières (et donc une certaine violence) là où tout semblait nous porter à souhaiter leur disparition pacifique, ne fût-ce que dans l'ordre de l'Idée. Ne s'agissant ici ni d'une critique de Kant, ni d'un retour à Kant (ces deux gestes si fatigués), le livre propose aussi une nouvelle réflexion sur la lecture philosophique, pour laquelle la pensée de la frontière serait à la fois la ressource essentielle et la frustration récurrente et féconde.

Frontières kantiennes

This extraordinary book offers a clear and compelling biography of Jacques Derrida along with one of Derrida's strangest and most unexpected texts. Geoffrey Bennington's account of Derrida leads the reader through the philosopher's familiar yet widely misunderstood work on language and writing to the less familiar themes of signature, sexual difference, law, and affirmation. In an unusual and unprecedented "dialogue," Derrida responds to Bennington's text by interweaving Bennington's text with surprising and disruptive "periphrases." Truly original, this dual and dueling text opens new dimensions in Derrida's thought and work."Bennington is a shrewd and well-informed commentator whose book should do something to convince the skeptics . . . that Jacques Derrida's work merits serious attention."—Christopher Norris, New Statesman & Society"Geoffrey Bennington and Jacques Derrida have presented a fascinating example of what might be called post-structuralist autobiography."—Laurie Volpe, French Review"Bennington's account of what Derrida is up to is better in almost all respects—more intelligent, more plausible, more readable, and less pretentious—than any other I have read."—Richard Rorty, Contemporary Literature

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