Quelque part dans la grande banlieue, dans une maison à l'écart, un homme veille, se souvient, regarde. Il regarde, de l'autre côté de la rue, dans une villa, vivre un homme et une femme, Bérénice, jeunes tous deux et qui s'aiment. Lui, malade, affaibli, il les regarde vivre et se nourrit de leur vie. Jusqu'au jour où le jeune homme part, où part aussi Bérénice. Commence alors pour notre héros une étrange aventure qui nous entraîne sur les traces des amants jusqu'aux portes de la folie et de la mort. Étrange aventure et singulier roman. L'auteur propose puis, très discrètement, se retire. Le lecteur se retrouve seul, comme devant un tableau - peut-être même un tableau non figuratif. À lui de le parcourir des yeux, de s'en laisser pénétrer, de le recréer, de le faire sien. Alors, tout sera gagné et il n'oubliera plus cette histoire plus obsédante qu'un rêve.

Le départ de novembre

Par une nuit d'été un voyageur parle, dans un bistrot désert des Halles, à une fille endormie. Il lui dit cette nuit où, saisi de dégoût pour son existence parisienne, il a, en quelques heures, largué ses amarres, abandonné maîtresses, fonctions, appartement, tout. Il lui dit les Cyclades, le caïque sur cette mer jadis fendue par les trirèmes de Darius, la plage en arc de cercle avec ses deux longs bras recouverts de laine blanche, et son arrivée saluée par le cri déchirant de l'âne qui, là-bas, annonce les naissances et les morts. Il lui dit les journées de lourde sieste sous le ruissellement d'un soleil divin et les nuits transformées en cérémonies païennes par la grâce de l'ouzo. Et aussi cette partie de pêche au cours de laquelle une grenade mal dégoupillée lui sauta dans la main. Et puis, encore, la Grèce, et son ami Joseph Delteil dont la phrase radieuse inspire son récit. Il parle, la ville dort, la fille n'écoute pas, elle rêve et bouge dans son sommeil.

Le Retour d'Ulysse manchot

Dictionnaire vagabond

«On part vers une île à la fois pour disparaître, pour couper, et dans un rêve de totale métamorphose, mais on sait bien en même temps qu'on va sur l'île pour être plus disponible à certaines rencontres...» Jean-Marie Drot. Jean-Marie Drot nous emmène à Ios, une île des Cyclades, et à Haïti en passant par la Villa Médicis. Il partage avec nous son amitié pour des hommes qui sont eux-mêmes des îles : Joseph Delteil et André Malraux.

Des îles comme des hommes

Joseph Delteil prophète de l'an 2000

J'aime J.-M. Drot, j'aime son oil, sa vitesse, son en pleine pâte, sa révolte, son engagement, son sans peur et sans reproche, et le salue ici pour la raison spéciale qu'il me représente une espèce de double, de paladin qui, par monts et par vaux, bataille et met au monde passionnément ce que, pieusement, je sens et pense depuis toujours. Ce Temps des Désillusions ou Le Retour d'Ulysse Manchot (quel beau titre), c'est le drame immémorial du héros sans cesse en rébellion contre sa condition humaine, sans cesse précipité dans les impitoyables Enfers... "Le grand Pan est mort", "Dieu est mort", "Mai, le grand Mai est mort. Que reste-t-il ?" Il reste le coup d'état du corps, la prise en charge de l'homme par le corps de l'homme, le royaume des valeurs qu'on appelle aujourd'hui hippies et que Saint-François d'Assise déjà... Il reste l'ile grecque... Et l'on part, à la conquête de la liberté... Mais hélas ! il y a l'accident, pomme d'Ève ou banale explosion à bord, au cours d'une partie de pêche, et voilà notre héros manchot... Qui de nous ne se reconnaitrait pas dans le personnage de cette espèce de Croisade ! Joseph Delteil

Le temps des désillusions - Ou Le retour d'Ulysse Manchot

L'homme est arrivé, avec le soir, dans cette cabane perdue sur un plateau de Haute-Provence. Ce n'est pas pour échapper aux conséquences du crime qu'il vient de commettre sur une route du nord. Ce n'est pas non plus pour justifier à ses propres yeux cet acte imprévu. Une fois le premier étonnement passé, il a voulu savoir ce qui l'avait poussé à ouvrir, d'un seul coup, la porte de l'automobile alors que Dora, prise de fatigue, somnolait sur son épaule. Il a voulu comprendre la longue suite de motifs et de causes, qui avaient produit ce geste infime aussi sûrement qu'un arbre produit un fruit. Et de souvenir en souvenir, ce sont tous ses refus, toutes les heures vaines de son existence qu'il retrouve au cours d'une nuit unique passée sans cigarette, en la compagnie de cette paix profonde des nuits méditerranéennes et d'une jarre de vin. Peut-être au matin suivant aurait-il pu vaincre l'essoufflement qui le gagne, mais dans la nuit, il demeure, au bord de la falaise, face à un acte d'accusation d'autant plus terrible qu'il n'a pas été formulé par les autres.

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