Après la "langue du lecteur" , les contributions rassemblées dans ce nouveau volume du séminaire Approches Interdisciplinaires de la Lecture (12e session) s'interrogent sur la lecture comme performance, sur des "paroles de lecteurs" . Le pluriel semble de mise : si la parole engage un sujet, en-deçà de son discours, elle ne saurait s'abstraire de l'ensemble des déterminants, reconnus ou plus ou moins occultés, qui contribuent à en forger le tour particulier, oral ou écrit. Parmi les jeux de rôle subsumés sous la catégorie du lecteur mais socialement codés, on retrouve les fonctions de traducteur, d'éditeur, de critique ou de lecteur ordinaire, mais aussi d'auteur, fonction devenue depuis le siècle dernier hautement problématique. Acte de langage, la parole de lecteur se trouve en effet face au texte écrit confrontée au paradoxe d'un sujet-auteur absent, absenté, hypothèse devenue inutile depuis la proclamation de la "disparition élocutoire du poète" . Dès lors faut-il n'admettre que des paroles de lecteurs et faire l'économie d'une "parole d'auteur" , renvoyée au néant de son insignifiance ou de son éloignement irrémédiable, de sa mort symbolique ? Doit-on au contraire, sous le signe de la parole, rendue au jeu interlocutif et au processus langagier de contre-interpellation, faire une place dans la pensée littéraire, à "l'incompréhensible pluralité des individus dans l'espèce" ?

Paroles de lecteurs

A quoi tient qu'une oeuvre littéraire nous émeut, nous touche, nous donne à penser ? L'incursion dans l'imaginaire de l'autre, dans ses fantasmes, la reconnaissance des éléments de l'histoire (la grande et la petite) convoqués dans le roman, la pièce de théâtre ou le poème viennent élargir notre expérience. Toute création est sans doute dépassement d'un donné arrière-textuel par la confrontation avec la langue, ses contraintes et ses potentialités. Mais que se passe-t-il si l'on replace l'acte créatif dans la relation littéraire comme co-création ? C'est ce phénomène d'écho qu'explore, sous le nom de résonance, le présent volume, dixième de la collection Approches Interdisciplinaires de la Lecture, entre harmonie et dissonance, dans la confrontation des espaces socioculturels liés à la production du texte et à ses lectures successives, dans la recherche, par-delà les problèmes de longueur d'onde, d'un noyau de vérité à exhumer, ou à faire advenir.

La résonance lectorale

Le présent volume, qui rassemble les contributions au séminaire Approches Interdisciplinaires de la Lecture pour l'année 2013-2014, s'est donné pour objet, dans le prolongement de la réflexion sur " le corps à l'oeuvre ", d'interroger les articulations du fantasme et de l'Histoire. Corps, obsessions et histoire, personnelle et collective, sont en effet des éléments indissociables. Les études portent, dans la tradition de la collection, sur des romans de différentes aires culturelles, de l'Antiquité à nous jours. Il s'agit toujours d'explorer l'arrière-texte à l'oeuvre chez l'auteur et le lecteur, autrement dit d'arpenter à notre façon " les sentiers de la création ".

Articuler le fantasme et l'histoire

L'implication du corps dans la création artistique ne fait puère de doute : il. constitue la quatrième dimension de l'arrière-texte, la plus secrète. Il en vo de cette entité fuyante, proche et insaisissable, comme du temps selon saint Aupustin : on croit savoir ce dont il s'agit. mais si on y réfléchit un peu, tout se brouille. Cet en-deçà du langage. culturellement (re)construit. fonctionne dans la langue comme un signe articulé à un référent barré. inaccessible. Encodant symboliquement la trace refoulée de pulsions ou littéraire joue néanmoins le double jeu d'inscrire et d'ex-crire le corps. selon le mot d'Antonin Artaud.

Le corps à l'oeuvre

Le processus de création littéraire, qu'essaie d'appréhender l'étude de l'arrière-texte, met en jeu un triple rapport : au monde extérieur, théâtre de nos vies individuelles et collectives, ou monde intérieur des pensées conscientes ou inconscientes, aux oeuvres littéraires ou artistiques qui font jouer ensemble ces deux mondes. Dès lors se repose la question du ou plutôt des référents. cette catégorie hétérogène étant envisagée ici sur un mode pluriel. L'espace - géographique, psychique, sémiotique - pourrait être la notion aidant à concevoir l'articulation de cette pluralité à l'oeuvre dans la relation littéraire.

Les référents du littéraire

En 1907, dans le premier ouvrage consacré à J-H Rosny, Georges Casella éprouvait une impression "effarante" devant cette "oeuvre considérable", "tellement les idées s'y accumulent, tellement les tentatives de formes neuves y sont nombreuses". Quelques cent ans plus tard, ce ressenti reste d'actualité et, de l'ample bibliothèque rosnyenne, le cercle des amateurs éclairés et des critiques garde, inscrits durablement, les grandes scènes préhistoriques, les longues réflexions sociales, les subtils portraits féminins, les vastes mouvements de foule, la question sans cesse rééditée de la foi en la science et la nouvelle vision du monde apportée par la philosophie pluraliste. C'est dire si, des polémiques initiales avec Zola aux rêves d'un roman nouveau, des nouvelles aux souvenirs, des chroniques aux romans et aux essais, les voies d'accès à cet univers paraissent nombreuses. Rosny aîné ne s'intéressait-il pas "à tout l'univers, à tous les temps, à tous les rêves" ? Toutefois, à la lecture et à la relecture des textes, le mammouth, le socialiste autoritaire ou l'ouvrière du Talus, les Moedigen ou les Variants parlent d'une même voix. Depuis les temps de la nuit ancestrale jusqu'aux frémissements de l'aube scientifique, tous disent combien notre présence au monde paraît fragile, comme semble précaire le diptère près de la vitre. Posant de manière dynamique la question de l'unité profonde et de la cohérence interne de cette production, Relectures de Rosny aîné invite dès lors à découvrir les contours luxuriants et inattendus de ce seul monde...

Un seul monde - Relecture de Rosny aîné

Manuscrits et brouillons, ébauches et notes, plans et scénarios, dossier génétique et avant-texte de l'œuvre constituent un ensemble qui éclaire les processus de création et transforme
profondément le regard porté sur la littérature. Aujourd'hui, toute analyse de texte, toute édition, toute approche critique, toute réflexion sur la littérature s'appuie directement ou indirectement sur les recherches et les travaux de génétique des textes. Unissant point de vue littéraire et réflexion linguistique, l'analyse des manuscrits s'intéresse au processus par lequel le texte devient ce qu'il est. Alors que les programmes d'enseignement de l'école, du collège et du lycée invitent les enseignants à s'intéresser aux processus d'écriture, il est nécessaire d'envisager la transposition didactique des acquis de la critique génétique. Dès lors que l'écriture est envisagée comme une dynamique, quels outils les enseignants peuvent-ils retenir pour concevoir et mettre en œuvre un apprentissage de la lecture et de l'écriture ? Le recours aux travaux sur les manuscrits
d'écrivains peut-il trouver place et sens dans l'enseignement de la littérature ? Alors que l'on tient beaucoup actuellement à redonner toute leur place aux exercices d'écriture, les textes d'élèves peuvent-ils bénéficier des outils de la critique génétique ? Quelles limites les
professeurs, de la maternelle au lycée, doivent-ils se donner dans leur pratique quotidienne ?
Les communications présentées dans cet ouvrage abordent ces questions avec le souci de mettre à disposition des lecteurs le résultat de recherches et d'actions de terrain. Elles ont été proposées lors des cinquièmes rencontres des chercheurs en didactique de la littérature qui se sont tenues à l'IUFM de Champagne-Ardenne en avril 2004.

Seules les traces font rêver - Enseignement de la littérature et génétique textuelle, Actes des 5e rencontres des chercheurs en didactique de la littérature

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