Voici bien longtemps que la poésie avait renié l'ancrage de la terre. Sans rien ignorer de ses voyages fulgurants - « Amiens, Bruxelles, Aix-la-Chapelle, Dortmund » - Pierre Cadis, brutalement, tendrement, la ramène à quelques horizons - Lorelei, Alsace, Picardie - que maîtrisent, avec un rare bonheur, ses mots, ses images, ses rythmes. Écartelés entre un besoin d'enracinement et le désir qui la propulse de routes en ciels, de villes en saisons, l'écriture prend ici parti de la lenteur comme d'une extrême célérité. Dans les deux cas, le mot fait loi, n'a plus que faire des révérences syntaxiques : il faut vivre ici l'espace, cauchemar ou merveille, comme la chance peut-être ultime de respirer.

Anti-buée

Pierre, quand ta Volkswagen blanche s'arrête, 3 rue Laënnec, deux roues sur le trottoir, deux roues sur la chaussée, en instance de départ, instance instable, je sais qu'elle va défiler des poèmes compte-tours, herbes, liserons, nuages peignés par les blés jusqu'à Grandvilliers. Tu es pressé, Pierre, tu es de passage. Le plateau picard est un bon endroit pour passer. Silex à fleur de champ, à fleur d'histoire, il faut se faire silex pour tailler le vent, de peur que le vent ne t'entaille. Il y a du sang, des écorchures, aux croisements, au coin des lignes, mais ton poème accélère, tu rattrapes le sourire, tu es immobile - c'est le ciel, alors, qui défile devant toi.

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