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Daniel Leduc

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Poésies

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    Daniel Leduc

    @danielLeduc

    Geste(S) du Jour Matrice de la nuit, les yeux clos te regardent, l’univers est un vol de poussières expectorées du temps, là-bas sur les frontières se brisent les vagues des Hommes sans voix, ce sont les pipistrelles qui mangent les ombres suintant des miroirs, et me voilà envie, désir d’accompagner les femmes les enfants vers d’autres balançoires – que la vie tangue, ventre de houle. Le chagrin se fera cuir, crachin sur l’écorce des vaisseaux. Nuit, que viens-tu dévoiler qui ne soit volatile, quelle fleur en ton soleil ? Me voilà dissous dans le café que l’aube sucre déjà. Des miettes de pain sur le visage. Le jour se fend d’une insolente clarté. Il n’y a plus de nuages. Plus d’éclairs plus de ciel. Ce que nous lègue l’aurore, c’est, en chaque lieu, la présence de la vie verticale. Mon corps est cet arbre sur lequel s’ancrent les mousses les lichens et les vents – tout un passé qui croît en sa demeure, Les jardins sont des pages, des écritures sarclées ; je préfère le désordre en jachère – l’espoir y est plus grand. La foule dans le métro est une entité secrète ; derrière chaque visage s’obscurcissent des paroles que le jour tente de percer. Les quais ont une odeur de lente réalité où se heurte l’empressement du désordre. Il faut choisir entre les lignes, savoir prendre la bonne trame, que le transport se fasse par le hasard de la nécessité. À ce sujet je n’ai qu’un seul regret : les saccades et autres secousses – de plus en plus rares – comme si la vie devait rouler se dérouler dans un mouvement sans valse… Et que faire de tout ce qui déraille ? Toutes les rues ont une destinée, ne sont que passage, traversée où tenants et aboutissants se rejoignent dans un même entrelacs. Je circule entre le désir et l’errance, avec dans mes pas la volonté de me perdre là où les femmes surprennent ce qui ne se dit pas. Regardez comme les toits sont les planchers du ciel, comme l’asphalte recouvre ce qui est tu. Partez plus loin que la raison – allez donc voir tous ces oiseaux sans ailes… Le piéton de la ville déplace son regard dans la lenteur du jour. Chaque pas est une seconde dans un premier temps, un mètre déployé par une pensée en marche ; chaque pas s’en va vers la face qui nous crée. Et je m’en vais tranquille au plus près des façades, derrière lesquelles se vautrent de nouvelles ombres, furtives – comme est furtif le mot. Je marche en une phrase qui traverse les saisons. L’allure est un écho, au timbre imperceptible. Les trottoirs, souvent, s’inscrivent comme des pages dans un livre de grêle ou de printemps. Des vendeurs à la sauvette s’y déploient dans des cris de mouettes ou d’échassiers ; on y trouve ainsi des montres et des miroirs, du temps furtif, et de la fantaisie ; le jour s’échappe à l’approche du gendarme ; on y trouve des pensées, subitement gaillardes ; des gestes incongrus qu’il faudrait disséquer ; de la moelle dans les mots des passants. Les trottoirs, parfois, sont les toits où s’abritent ceux qui n’ont plus de toit, plus de porte à franchir, sinon celle qui les porte vers les seuls courants d’air ; trop souvent les trottoirs nous soufflent l’arbi- traire – la vie qui passe, dévêtue livide, épluchée -- jusqu’au sang. Alors même que le trafic s’accroît, que les artères se sclérosent, que les carrefours tournent en rond : je débarque. Des pigeons roucoulent comme des vagues sur mon regard breton. Il paraîtrait que les places ont toujours été prises ; que le vide s’est occupé des demandes sans réponses – l’espace n’a d’infini que ses propres limites. Parce qu’il faut traverser au risque de se faire aplatir, je baisse les paupières – jusqu’à la nuit tombée. Un klaxon vrombit ; il est temps… d’espacer. Le fleuve traverse la ville sous des clartés latentes ; ses eaux miroitent l’obscur passé des pierres ; et ce futur qui nous attend dans l’embrasure du ciel. Quelques nuages, lourds de souillures, annoncent une pluie, âcre, comme de l’acide. Il y a des feux qui réchauffent, d’autres qui consument. Dans la bouche une odeur de pétrole brûle mes mots. Des lettres se pétrifient. Déjà. La pente, ce n’est jamais qu’un plan qui tangue, tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. C’est bien pourquoi – je monte les rues qui descendent, comme je dévale celles qui grimpent – le sommet n’est qu’illusoire. Et mes pas m’entraînent où la vie fait le tango ; ganchos et boleos, colgadas et sauts ; la vie s’improvise au gré de l’inclinaison du corps par rapport à l’horizon. L’horizon qui se décline selon ta vue, dans les limites des contours de ta chorégraphie pensante – chaque pas soulève de la poussière : c’est ainsi que tangue le temps. La mémoire des villes sourd de la pierre, comme un jaillissement reclus dans son silence. J’ai pesé sur mon ombre autant qu’il est possible, et des esquilles se sont plantées dans mon miroir. La ville, par son squelette, fait un bruit de charpentes crissant sur la chaussée, où beuglent tous les encom- brements. C’est l’intestin qui stase, les boyaux qui s’embarrassent, le flux dans les artères : stoppé ! La nuit même retient ce qui circule – dans nos échos de pierre. Le pour, le contre, j’ai pesé leur devanture. Encore combien de portes nous faudra-t-il pousser avant de découvrir la bonne adresse ? Je cherche à saisir ce qu’il y a d’imprenable dans le cœur de la ville ; et je claudique de bar en zinc, tel un crabe soûlé des effluves marins. Les caniveaux ne charrient plus les miasmes d’antan : ils se font balayer, ainsi que les migrants, les parias, les putains – que le bourgeois puisse ballonner en paix ! Je n’ai d’autre fortune que des mots rapiécés ; ce sont eux. qui frappent à votre porte. Sachez ! Les femmes, voilées de leur mystère, n’ont besoin de parures que pour dire qu’elles sont nues. J’aime ce qui se cache dans l’éclat de la lumière ; ce qui se dévêt par les paroles obscures ; l’affrontement des signes, par les pleins et les déliés. Le cliquetis des escarpins dans la nuit débottée de la ville : petite averse érotique, sur le cœur infini. La route, il nous faudra la prendre par un matin sans bruine ; que nos pas se dispersent, loin, devant les lueurs de la ville ; qu’il y ait un autre cheminement parallèle aux vertiges, s’écartant des sentiers trop battus et des terres trop civiles ; il nous faudra la prendre, avant que le gel nous saisisse, que l’ankylose s’empare de nos rides, que les racines nous tirent vers le néant. Je monte l’escalier de la Butte Montmartre ; mon regard, déjà, s’en est allé par delà toutes les périphéries – du monde. Il nous faudra… l’apprendre. Le corps des femmes, les corps de femme : j’aime ! Il n’y a pas d’autre écriture possible que celle de l'enlacement des formes. L’ordinateur bourdonne. Par la fenêtre, captation des murmures de la nuit. J’aime ! Un jour j’écrirai ce qui retient les mots, ce qui les tord et les délivre. La ville est un orgasme sans fin. Peut-être n’y a-t-il pas d’équilibre ; juste quelques bras qui s’ouvrent – et nous retiennent. Le chemin, ce qu’il nous montre des perspectives, ne provient-il pas des ombres du regard ? Le réel, si tenté qu’il existe, s’appuie sur le contraste, bien plus que sur le flux. Tous les ondes, les corpuscules achoppent sur la mémoire des formes, sur ce qui nous sculpte, dans l’air du temps. Nous ne percevons que quelques angles des multiples facettes qui s’exposent ; les autres nous sont contés par l’imagination. Le goût du café est comme un goût de vivre, je l’apprécie même sous les ciels sombres. Et la ville, par ses bouffées capricieuses, me renvoie dans la petite enfance, là où l’espace est encore dans les mains, et peut-être dans la gorge. Je chante : ainsi je marche. Daniel Leduc

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