Pierres noires
Joseph Malègue
Joseph Malègue est un écrivain français, né à La Tour-d'Auvergne le 8 décembre 1876 et mort à Nantes le 30 décembre 1940. Aîné de cinq enfants, renfermé et solitaire, il a cependant une enfance heureuse marquée par la foi chrétienne de sa mère. Élève d'abord médiocre, il termine brillamment ses humanités, puis de nouveaux échecs dus à la maladie altèrent sa santé au physique et au moral, hypothéquant les carrières dont il rêve. Sa famille appartient à la petite bourgeoisie rurale liée aux notables catholiques en déclin, évincés par une classe en ascension depuis la proclamation de la République en 1870. Cette première crise du catholicisme, aggravée par la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 l'affecte lui et les siens. Elle précède de peu la crise moderniste de 1907, critique radicale qui, s'appuyant sur des méthodes scientifiques modernes, met en cause l'interprétation traditionnelle des Évangiles et conduit chez certains à douter de la divinité de Jésus. Le modernisme, crise dont les effets se prolongent aujourd'hui,, ronge, chez Malègue, jusqu'à ses raisons de vivre. Pour Hervé Serry, le modernisme contraint l'Église à faire taire un clergé tenté par cette critique, ouvrant ainsi un espace dans le champ intellectuel religieux pour les écrivains de la Renaissance littéraire catholique. L'Église compte, pour s'imposer à nouveau dans le domaine des idées, sur ces laïcs plus sûrs qu'un clergé formé aux savoirs liés à l'exercice de son autorité doctrinale, disposant, s'il le veut, des armes intellectuelles pour la subvertir. Or, ses quinze années d'études à Paris mettent Malègue au contact des intelligences et acteurs (de tous bords) de ces bouleversements pénibles aux catholiques. Il acquiert ainsi, malgré son échec à l'École normale, une immense culture philosophique, théologique, sociologique, géographique, littéraire, économique, juridique, qui lui permet de comprendre et d'assumer ce que les écrivains de la renaissance catholique appréhendent mal, intellectuellement (le modernisme) ou sociologiquement (le déclin des notables catholiques). Malgré cet échec, les maladies, la Première Guerre mondiale et le sentiment souvent exprimé d'avoir « raté sa vie », il travaille de 1912 à 1933 à un très long manuscrit sur cette crise. Le 28 août 1923, à Nantes, il épouse Yvonne Pouzin, première femme praticien hospitalier en France, alors âgée de 39 ans. Elle va jouer un rôle décisif dans la carrière de son mari. Elle l'aide moralement à compléter puis à faire publier le manuscrit d'Augustin ou Le Maître est là. Ce roman, qui paraît en 1933, consacre tardivement le parfait inconnu qu'est Malègue jusque-là, comme « un grand de la littérature ». Cinq décennies plus tard, Émile Goichot le considère toujours comme « le roman du modernisme ». Il souligne fortement l'importance de l'intelligence dans la démarche de la foi, face à cette plus grande crise du catholicisme qui le frappe en plein cœur. Dans ce roman « philosophique » et de la mort de Dieu (Lebrec), racontant beauté des femmes, splendeur des paysages, ironie des situations, sons, couleurs, odeurs, la pensée jaillit du récit concret pour marquer durablement ses lecteurs jusqu'au XXIe siècle avec des personnalités comme André Manaranche ou le pape François. Le deuxième roman de Malègue, Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut, traite de l'autre crise du catholicisme : déclin des élites catholiques, laïcisation, déchristianisation. L'écrivain s'y rapproche encore plus de Proust par l'abondance de ce qu'il enregistre puis dissèque longuement et finement : beauté des femmes encore, mais aussi divisions sociales implacables, fortunes détruites, mariages ratés, suicides illustrant La Fin des notables catholiques. Pour Léon Émery, les deux romans sont chevillés l'un à l'autre et certains commentateurs récents (Benoît Neiss, Claude Barthe, pensent que le deuxième roman, quoique inachevé est supérieur au premier donnant ainsi à Malègue une importance qu'il n'aurait pas sans lui. Cette lecture de la déchristianisation, nourrie discrètement de la sociologie d'Émile Durkheim donne l'impression (fondée), au fil d'un récit purement romanesque, que renaissent les intuitions fondatrices de la pensée de Bergson sur la religion et la morale. Malègue avait pensé Pierres noires comme une trilogie dont il avait espéré publier les trois tomes en même temps. Mais les médecins diagnostiquent chez lui un cancer incurable en juin 1940. Malègue tente de rendre le premier tome publiable et de regrouper les idées des deux tomes suivants sans les intégrer dans le premier. Jean Lebrec ajoute que « chacun des deux amples romans n'aurait été [...] lui-même qu'un élément d'une plus vaste fresque, —univers maléguien enraciné dans la terre du Cantal et en recherche des voies du salut. » La trilogie reste inachevée et paraît à titre posthume en 1958. Mystique, amoureux de l'intelligence (y compris dans ses essais et nouvelles), Malègue recherche des formules audacieuses, comme « ce que le Christ ajoute à Dieu » ou de nouveaux concepts, comme classes moyennes du Salut, le sous-titre du roman inachevé de Malègue qui, selon certains critiques, parachève toute son œuvre et lui donne à fois tant son sens que sa véritable importance.
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