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Jules Breton

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    Jules Breton

    @julesBreton

    Aurore La glèbe, à son réveil, verte et toute mouillée, Autour du bourg couvert d’une épaisse feuillée Où les toits assoupis fument tranquillement ; Dans la plaine aux replis soyeux que rien ne cerne, Parmi les lins d’azur, l’oeillette et la luzerne, Berce les jeunes blés pleins de frissonnement. Sereine et rafraîchie aux brumes dilatées, Sous l’humide baiser de leurs traînes lactées, Elle semble frémir dans l’ivresse des pleurs, Et, ceinte des trésors dont son flanc large abonde, Sourire à l’éternel époux qui la féconde, Au grand soleil qui sort, vibrant, d’un lit de fleurs. L’astre vermeil ruisselle en sa gerbe éclatante ; Chaque fleur, alanguie aux langueurs de l’attente, Voluptueusement, vers le foyer du jour Tourne sa tige et tend son avide calice, Et boit ton charme, Aurore, et rougit de délice… Et le germe tressaille aux chauds rayons d’amour. Juillet 1871.

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    Automne A Jules Dupré. La rivière s’écoule avec lenteur. Ses eaux Murmurent, près du bord, aux souches des vieux aulnes Qui se teignent de sang ; de hauts peupliers jaunes Sèment leurs feuilles d’or parmi les blonds roseaux. Le vent léger, qui croise en mobiles réseaux Ses rides d’argent clair, laisse de sombres zones Où les arbres, plongeant leurs dômes et leurs cônes, Tremblent, comme agités par des milliers d’oiseaux. Par instants se répète un cri grêle de grive, Et, lancé brusquement des herbes de la rive, Etincelle un joyau dans l’air limpide et bleu ; Un chant aigu prolonge une note stridente ; C’est le martin-pêcheur qui fuit d’une aile ardente Dans un furtif rayon d’émeraude et de feu. Courrières, 1875

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    Beau soir d’hiver La neige – le pays en est tout recouvert – Déroule, mer sans fin, sa nappe froide et vierge, Et, du fond des remous, à l’horizon désert, Par des vibrations d’azur tendre et d’or vert, Dans l’éblouissement, la pleine lune émerge. A l’Occident s’endort le radieux soleil, Dans l’espace allumant les derniers feux qu’il darde A travers les vapeurs de son divin sommeil, Et la lune tressaille à son baiser vermeil Et, la face rougie et ronde, le regarde. Et la neige scintille, et sa blancheur de lis Se teinte sous le flux enflammé qui l’arrose. L’ombre de ses replis a des pâleurs d’iris, Et, comme si neigeaient tous les avrils fleuris, Sourit la plaine immense ineffablement rose.

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    Courrières Lorsqu’à travers ta brume, ô plaine de Courrière, L’ombre monte au clocher dans l’or bruni du soir, Que s’inclinent tes blés comme pour la prière, Et que ton marais fume, immobile encensoir ; Quand reviennent des bords fleuris de ta rivière, Portant le linge frais qu’a blanchi le lavoir, Tes filles le front ceint d’un nimbe de lumière, Je n’imagine rien de plus charmant à voir. D’autres courent bien loin pour trouver des merveilles ; Laissons-les s’agiter : dans leurs fiévreuses veilles, Ils ne sentiraient pas ta tranquille beauté. Tu suffis à mon cœur, toi qui vis mes grands-pères, Lorsqu’ils passaient joyeux, en leurs heures prospères, Sur ces mêmes chemins, aux mêmes soirs d’été.

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    Le soir A Louis Cabat. C’est un humble fossé perdu sous le feuillage ; Les aunes du bosquet les couvrent à demi ; L’insecte, en l’effleurant, trace un léger sillage Et s’en vient seul rayer le miroir endormi. Le soir tombe, et c’est l’heure où se fait le miracle, Transfiguration qui change tout en or ; Aux yeux charmés tout offre un ravissant spectacle ; Le modeste fossé brille plus qu’un trésor. Le ciel éblouissant, tamisé par les branches, A plongé dans l’eau noire un lumineux rayon ; Tombant de tous côtés, des étincelles blanches Entourent un foyer d’or pâle en fusion. Aux bords, tout est mystère et douceur infinie. On y voit s’assoupir quelques fleurs aux tons froids, Et les reflets confus de verdure brunie Et d’arbres violets qui descendent tout droits. Dans la lumière, au loin, des touffes d’émeraude Vous laissent deviner la ligne des champs blonds, Et le ciel enflammé d’une teinte si chaude, Et le soleil tombé qui tremble dans les joncs. Et dans mon âme émue, alors, quand je compare L’humilité du site à sa sublimité, Un délire sacré de mon esprit s’empare, Et j’entrevois la main de la divinité. Ce n’est rien et c’est tout. En créant la nature Dieu répandit partout la splendeur de l’effet ; Aux petits des oiseaux s’il donne la pâture, Il prodigue le beau, ce suprême bienfait. Ce n’est rien et c’est tout. En te voyant j’oublie, Pauvre petit fossé qui me troubles si fort, Mes angoisses de coeur, mes rêves d’Italie, Et je me sens meilleur, et je bénis le sort. Courrières, 1867

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    Les cigales Lorsque dans l’herbe mûre aucun épi ne bouge, Qu’à l’ardeur des rayons crépite le froment, Que le coquelicot tombe languissamment Sous le faible fardeau de sa corolle rouge, Tous les oiseaux de l’air ont fait taire leurs chants ; Les ramiers paresseux, au plus noir des ramures, Somnolents, dans les bois, ont cessé leurs murmures, Loin du soleil muet incendiant les champs. Dans les blés, cependant, d’intrépides cigales Jetant leurs mille bruits, fanfare de l’été, Ont frénétiquement et sans trêve agité Leurs ailes sur l’airain de leurs folles cymbales. Frémissantes, debout sur les longs épis d’or, Virtuoses qui vont s’éteindre avant l’automne, Elles poussaient au ciel leur hymne monotone, Qui dans l’ombre des nuits retentissait encor. Et rien n’arrêtera leurs cris intarissables; Quand on les chassera de l’avoine et des blés, Elles émigreront sur les buissons brûlés Qui se meurent de soif dans les déserts de sables. Sur l’arbuste effeuillé, sur les chardons flétris Qui laissent s’envoler leur blanche chevelure, On reverra l’insecte à la forte encolure. Plein d’ivresse, toujours s’exalter dans ses cris ; Jusqu’à ce qu’ouvrant l’aile en lambeaux arrachée, Exaspéré, brûlant d’un feu toujours plus pur, Son œil de bronze fixe et tendu vers l’azur, Il expire en chantant sur la tige séchée.

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    Les ruines Les vieillards, quand près d’eux, semaine par semaine, Le temps a dévasté, tour à tour, fleurs et fruits, Les vieillards ont, ainsi que la cité romaine, Au cœur un forum mort plein de temples détruits ; Silencieux désert où leur âme promène Son long ennui stérile, où l’ortie et le buis, Et l’herbe solitaire, en l’antique domaine, Ont étouffé l’orgueil des fastes et des bruits; Où des frontons muets la légende effacée Sous la rouille des ans dérobe sa pensée. Plus de chants, les oiseaux aiment les floraisons. Plus de prisme charmeur irisant les bruines, Mais de graves soleils, de vastes horizons, Éclairant la beauté dernière des ruines.

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    L’artois À José-Maria de Heredia I J’aime mon vieil Artois aux plaines infinies, Champs perdus dans l’espace où s’opposent, mêlés, Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies, Les lins bleus, lacs de fleurs, aux verdures brunies, L’oeillette, blanche écume, à l’océan des blés. Au printemps, les colzas aux gais bouquets de chrome, De leur note si vive éblouissent les yeux ; Des mousses de velours émaillent le vieux chaume, Et sur le seuil béni que la verdure embaume On voit s’épanouir de beaux enfants joyeux. Chérubins de village avec leur tête ronde, Leurs cheveux flamboyants qu’allume le soleil ; De sa poudre dorée un rayon les inonde. Quelle folle clameur pousse leur troupe blonde, Quel rire éblouissant et quel éclat vermeil ! Quand nos ciels argentés et leur douce lumière Ont fait place à l’azur si sombre de l’été ; Quand les ormes sont noirs, qu’à sec est la rivière ; Près du chemin blanchi, quand, grise de poussière, La fleur se crispe et meurt de soif, d’aridité ; Dans sa fureur l’Été, soufflant sa chaude haleine, Exaspère la vie et l’enivre de feu ; Mais si notre sang bout et brûle notre veine, Bientôt nous rafraîchit la nuit douce et sereine, Où les mondes ardents scintillent dans le bleu. II Artois aux gais talus où les chardons foisonnent, Entremêlant aux blés leurs têtes de carmin ; Je t’aime quand, le soir, les moucherons bourdonnent, Quand tes cloches, au loin, pieusement résonnent, Et que j’erre au hasard, tout seul sur le chemin. J’aime ton grand soleil qui se couche dans l’herbe ; Humilité, splendeur, tout est là, c’est le Beau ; Le sol fume ; et c’est l’heure où s’en revient, superbe, La glaneuse, le front couronné de sa gerbe Et de cheveux plus noirs que l’aile d’un corbeau. C’est une enfant des champs, âpre, sauvage et fière ; Et son galbe fait bien sur ce simple décor, Alors que son pied nu soulève la poussière, Qu’agrandie et mêlée au torrent de lumière, Se dressant sur ses reins, elle prend son essor. C’est elle. Sur son sein tombent des plis de toile ; Entre les blonds épis rayonne son oeil noir ; Aux franges de la nue ainsi brille une étoile ; Phidias eût rêvé le chef-d’oeuvre que voile Cette jupe taillée à grands coups d’ébauchoir. Laissant à l’air flotter l’humble tissu de laine, Elle passe, et gaîment brille la glane d’or, Et le soleil rougit sur sa face hautaine. Bientôt elle se perd dans un pli de la plaine, Et le regard charmé pense la voir encor. III Voici l’ombre qui tombe, et l’ardente fournaise S’éteint tout doucement dans les flots de la nuit, Au rideau sourd du bois attachant une braise Comme un suprême adieu. Tout se voile et s’apaise, Tout devient idéal, forme, couleur et bruit. Et la lumière avare aux détails se refuse ; Le dessin s’ennoblit, et, dans le brun puissant, Majestueusement le grand accent s’accuse ; La teinte est plus suave en sa gamme diffuse, Et la sourdine rend le son plus ravissant. Miracle d’un instant, heure immatérielle, Où l’air est un parfum et le vent un soupir ! Au crépuscule ému la laideur même est belle, Car le mystère est l’art : l’éclat ni l’étincelle Ne valent un rayon tout prêt à s’assoupir. Mais la nuit vient voiler les plaines infinies, L’immensité de brume où s’endorment, mêlés, Poèmes de fraîcheur et fauves harmonies, Les lins bleus, lacs de fleurs, les verdures brunies, L’oeillette, blanche écume, et l’océan des blés.

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    Nocturne À Gabriel Marc La nuit se mêle encore à de vagues pâleurs ; L’étoile naît, jetant son reflet qui se brouille Dans la mare dormante où croupit la grenouille. Les champs, les bois n’ont plus ni formes ni couleurs. Leurs calices fermés, s’assoupissent les fleurs. Entrevue à travers le brouillard qui la mouille, La faucille du ciel fond sa corne et se rouille. La brume égraine en bas les perles de ses pleurs. Les constellations sont à peine éveillées, Et les oiseaux, blottis sous les noires feuillées, Goûtent, le bec sous l’aile, un paisible repos. Et dans ce grand sommeil de l’être et de la terre, Longtemps chante, rêveuse et douce, des crapauds Mélancoliquement la flûte solitaire.

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    Vieux jardins Qui n’aime ces jardins des humbles dont les haies Sont de neige au printemps, puis s’empourprent de baies Que visite le merle à l’arrière-saison ; Où dort, couvert de mousse, un vieux pan de maison Qu’une vigne gaîment couronne de sa frise, Sous la fenêtre étroite et que le temps irise ; Où des touffes de buis d’âge immémorial Répandent leur parfum austère et cordial ; Où la vieillesse rend les groseilliers avares ; Jardinets mesurant à peine quelques ares, Mais si pleins de verdeurs et de destructions Qu’on y suivrait le fil des générations; Où près du tronc caduc et pourri qu’un ver fouille, Les cheveux allumés, l’enfant vermeil gazouille ; Où vers le banc verdi les bons vieillards tremblants Viennent, sur leur béquille appuyant leurs pas lents Et gardant la gaîté, – car leur âme presbyte Voit mieux les beaux lointains que la lumière habite, – D’un regard déjà lourd de l’éternel sommeil, Tout doucement sourire à leur dernier soleil ?

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