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Léopold Sédar Senghor

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Léopold Sédar Senghor (), né le 9 octobre 1906 à Joal (Sénégal) et mort le 20 décembre 2001 à Verson (France), est un homme d'État français puis sénégalais, poète, écrivain et premier président de la République du Sénégal. Il est ministre en France avant l'indépendance du Sénégal et est le premier Africain à siéger à l'Académie française. Il est le symbole de la coopération entre la France et ses anciennes colonies pour ses partisans ou du néocolonialisme français en Afrique pour ses détracteurs. Sa poésie, fondée sur le chant de la parole incantatoire, est construite sur l'espoir de créer une Civilisation de l'Universel, fédérant les traditions par-delà leurs différences. Par ailleurs, il approfondit le concept de négritude, notion introduite par Aimé Césaire qui la définit ainsi : « La négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture. »

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Poésies

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    A New York (pour un orchestre de jazz : solo de trompette) - I - New York ! D’abord j’ai été confondu par ta beauté, ces grandes filles d’or aux jambes longues. Si timide d’abord devant tes yeux de métal bleu, ton sourire de givre Si timide. Et l’angoisse au fond des rues à gratte-ciel Levant des yeux de chouette parmi l’éclipse du soleil. Sulfureuse ta lumière et les fûts livides, dont les têtes foudroient le ciel Les gratte-ciel qui défient les cyclones sur leurs muscles d’acier et leur peau patinée de pierres. Mais quinze jours sur les trottoirs chauves de Manhattan - C’est au bout de la troisième semaine que vous saisit la fièvre en un bond de jaguar Quinze jours sans un puits ni pâturage, tous les oiseaux de l’air Tombant soudain et morts sous les hautes cendres des terrasses. Pas un rire d’enfant en fleur, sa main dans ma main fraîche Pas un sein maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur. Pas un mot tendre en l’absence de lèvres, rien que des cœurs artificiels payés en monnaie forte Et pas un livre où lire la sagesse. La palette du peintre fleurit des cristaux de corail. Nuits d’insomnie ô nuits de Manhattan ! si agitées de feux follets, tandis que les klaxons hurlent des heures vides Et que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des fleuves en crue des cadavres d’enfants. - II - Voici le temps des signes et des comptes New York ! or voici le temps de la manne et de l’hysope. Il n’est que d’écouter les trombones de Dieu, ton cœur battre au rythme du sang ton sang. J’ai vu dans Harlem bourdonnant de bruits de couleurs solennelles et d’odeurs flamboyantes - C’est l’heure du thé chez le livreur-en-produits-pharmaceutiques J’ai vu se préparer la fête de la Nuit à la fuite du jour. C’est l’heure pure où dans les rues, Dieu fait germer la vie d’avant mémoire Tous les éléments amphibies rayonnants comme des soleils. Harlem Harlem ! voici ce que j’ai vu Harlem Harlem ! Une brise verte de blés sourdre des pavés labourés par les pieds nus de danseurs Dans Croupes de soie et seins de fers de lance, ballets de nénuphars et de masques fabuleux Aux pieds des chevaux de police, les mangues de l’amour rouler des maisons basses. Et j’ai vu le long des trottoirs, des ruisseaux de rhum blanc des ruisseaux de lait noir dans le brouillard bleu des cigares. J’ai vu le ciel neiger au soir des fleurs de coton et des ailes de séraphins et des panaches de sorciers. Écoute New York ! ô écoute ta voix mâle de cuivre ta voix vibrante de hautbois, l’angoisse bouchée de tes larmes tomber en gros caillots de sang Écoute au loin battre ton cœur nocturne, rythme et sang du tam-tam, tam-tam sang et tam-tam. - III - New York! je dis New York, laisse affluer le sang noir dans ton sang Qu’il dérouille tes articulations d’acier, comme une huile de vie Qu’il donne à tes ponts la courbe des croupes et la souplesse des lianes. Voici revenir les temps très anciens, l’unité retrouvée la réconciliation du Lion du Taureau et de l’Arbre L’idée liée à l’acte l’oreille au cœur le signe au sens. Voilà tes fleuves bruissants de caïmans musqués et de lamantins aux yeux de mirages. Et nul besoin d’inventer les Sirènes. Mais il suffit d’ouvrir les yeux à l’arc-en-ciel d’Avril Et les oreilles, surtout les oreilles à Dieu qui d’un rire de saxophone créa le ciel et la terre en six jours. Et le septième jour, il dormit du grand sommeil nègre.

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    Chant de printemps III Je t’ai dit : — Écoute le silence sous les colères flamboyantes La voix de l’Afrique planant au-dessus de la rage des canons longs La voix de ton cœur de ton sang, écoute-la sous le délire de ta tête de tes cris. Est-ce sa faute si Dieu lui a demandé les prémices de ses moissons Les plus beaux épis et les plus beaux corps élus patiemment parmi mille peuples ? Est-ce sa faute si Dieu fait de ses fils les verges à châtier la superbe des nations ? Écoute sa voix bleue dans l’air lavé de haine, vois le sacri- ficateur verser les libations au pied du tumulus. Elle proclame le grand émoi qui fait trembler les corps aux souffles chauds d’Avril Elle proclame l’attente amoureuse du renouveau dans la fièvre de ce printemps La vie qui fait vagir deux enfants nouveau-nés au bord d’un tombeau cave. Elle dit ton baiser plus fort que la haine et la mort. Je vois au fond de tes yeux troubles la lumière étale de l’Été Je respire entre tes collines l’ivresse douce des moissons. Ah ! cette rosée de lumière aux ailes frémissantes de tes narines ! Et ta bouche est comme un bourgeon qui se gonfle au soleil Et comme une rose couleur de vin vieux qui va s’épanouir au chant de tes lèvres. Écoute le message, mon amie sombre au talon rose. J’entends ton cœur d’ambre qui germe dans le silence et le Printemps.

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    Cher frère blanc Quand je suis né, j'étais noir, Quand j'ai grandi, j'étais noir, Quand je suis au soleil, je suis noir, Quand je suis malade, je suis noir, Quand je mourrai, je serai noir. Tandis que toi, homme blanc, Quand tu es né, tu étais rose, Quand tu as grandi, tu étais blanc, Quand tu vas au soleil, tu es rouge, Quand tu as froid, tu es bleu, Quand tu as peur, tu es vert, Quand tu es malade, tu es jaune, Quand tu mourras, tu seras gris. Alors, de nous deux, Qui est l'homme de couleur?

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    Lettre à un prisonnier Ngom ! champion de Tyâné ! C’est moi qui te salue, moi ton voisin de village et de cœur. Je te lance mon salut blanc comme le cri blanc de l’aurore, par dessus les barbelés De la haine et de la sottise, et je nomme par ton nom et ton honneur. Mon salut au Tamsir Dargui Ndyâye qui se nourrit de parchemins Qui lui font la langue subtile et les doigts plus fins et plus longs A Samba Dyouma le poète, et sa voix est couleur de flamme, et son front porte les marques du destin A Nyaoutt Mbodye, à Koli Ngom ton frère de nom A tous ceux qui, à l’heure où les grands bras sont tristes comme des branches battues de soleil Le soir, se groupent frissonnants autour du plat de l’amitié. Je t’écris dans la solitude de ma résidence surveillée – et chère – de ma peau noire. Heureux amis, qui ignorez les murs de glace et les appartements trop clairs qui stérilisent Toute graine sur les masques d’ancêtres et les souvenirs mêmes de l’amour. Vous ignorez le bon pain blanc et le lait et le sel, et les mets substantiels qui ne nourrissent, qui divisent les civils Et la foule des boulevards, les somnambules qui ont renié leur identité d’homme Caméléons sourds de la métamorphose, et leur honte vous fixe dans votre cage de solitude. Vous ignorez les restaurants et les piscines, et la noblesse au sang noir interdite Et la Science et l’Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude. Faut-il crier plus fort ? ou m’entendez-vous, dites ? Je ne reconnais plus les hommes blancs, mes frères Comme ce soir au cinéma, perdus qu’ils étaient au-delà du vide fait autour de ma peau. Je t’écris parce que mes livres sont blancs comme l’ennui, comme la misère et comme la mort. Faites-moi place autour du poêle, que je reprenne ma place encore tiède. Que nos mains se touchent en puisant dans le riz fumant de l’amitié Que les vieux mots sérères de bouches en bouche passent comme une pipe amicale. Que Dargui nous partage ses fruits succulents – foin de toute sécheresse parfumée ! Toi, sers-nous tes bons mots, énormes comme le nombril de l’Afrique prodigieuse. Quel chanteur ce soir convoquera tous les ancêtres autour de nous Autour de nous le troupeau pacifique des bêtes de la brousse ? Qui logera nos rêves sous les paupières des étoiles ? Ngom ! réponds-moi par le courrier de la lune nouvelle. Au détour du chemin, j’irai au devant de tes mots nus qui hésitent. C’est l’oiselet au sortir de sa cage Tes mots si naïvement assemblés ; et les doctes en rient, et ils ne restituent le surréel Et le lait m’en rejaillit au visage. J’attends ta lettre à l’heure ou le matin terrasse la mort. Je la recevrai pieusement comme l’ablution matinale, comme la rosée de l’aurore.

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    Ma négritude Ma Négritude point n’est sommeil de la race mais soleil de l’âme, ma négritude vue et vie Ma Négritude est truelle à la main, est lance au poing Réécade. Il n’est question de boire, de manger l’instant qui passe Tant pis si je m’attendris sur les roses du Cap-Vert! Ma tâche est d ‘éveiller mon peuple aux futurs flamboyants Ma joie de créer des images pour le nourrir, ô lumières rythmées de la Parole!

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    Poème à mon frère blanc Cher frère blanc, Quand je suis né, j’étais noir, Quand j’ai grandi, j’étais noir, Quand je suis au soleil, je suis noir, Quand je suis malade, je suis noir, Quand je mourrai, je serai noir.

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    Prière de paix I. Seigneur Jésus, à la fin de ce livre que je T’offre comme un ciboire de souffrances Au commencement de la Grande Année, au soleil de Ta paix sur les toits neigeux de Paris - Mais je sais bien que le sang de mes frères rougira de nouveau l’Orient jaune, sur les bords de l’Océan Pacifique que violent tempêtes et haines Je sais bien que ce sang est la libation printanière dont les Grands Publicains depuis septante années engraissent les terres d’Empire Seigneur, au pied de cette croix – et ce n’est plus Toi l’arbre de douleur, mais au-dessus de l’Ancien et du Nouveau Monde l’Afrique crucifiée Et son bras droit s’étend sur mon pays, et son côté gauche ombre l’Amérique Et son cœur est Haïti cher, Haïti qui osa proclamer l’Homme en face du Tyran Au pied de mon Afrique crucifiée depuis quatre cents ans et pourtant respirante Laisse-moi Te dire Seigneur, sa prière de paix et de pardon. II. Seigneur Dieu, pardonne à l’Europe blanche ! Et il est vrai, Seigneur, que pendant quatre siècles de lumières elle a jeté la bave et les abois de ses molosses sur mes terres Et les chrétiens, abjurant Ta lumière et la mansuétude de Ton cœur On éclairé leurs bivouacs avec mes parchemins, torturé mes talbés, déporté mes docteurs et mes maîtres-de-science. Leur poudre a croulé dans l’éclair la fierté des tatas et des collines Et leurs boulets ont traversé les reins d’empires vastes comme le jour clair, de la Corne de l’Occident jusqu’à l’Horizon oriental Et comme des terrains de chasse, ils ont incendié les bois intangibles, tirant Ancêtres et génies par leur barbe paisible. Et ils ont fait de leur mystère la distraction dominicale de bourgeois somnambules. Seigneur, pardonne à ceux qui ont fait des Askia des maquisards, de mes princes des adjudants De mes domestiques des boys et de mes paysans des salariés, de mon peuple un peuple de prolétaires. Car il faut bien que Tu pardonnes à ceux qui ont donné la chasse à mes enfants comme à des éléphants sauvages. Et ils les ont dressés à coups de chicotte, et ils ont fait d’eux les mains noires de ceux dont les mains étaient blanches. Car il faut bien que Tu oublies ceux qui ont exporté dix millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires Qui en ont supprimé deux cents millions. Et ils m’ont fait une vieillesse solitaire parmi la forêt de mes nuits et la savane de mes jours. Seigneur la glace de mes yeux s’embue Et voilà que le serpent de la haine lève la tête dans mon cœur, ce serpent que j’avais cru mort… III. Tue-le Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin, et je veux prier singulièrement pour la France. Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père. Oh ! je sais bien qu’elle aussi est l’Europe, qu’elle m’a ravi mes enfants comme un brigand du Nord des boeufs, pour engraisser ses terre à cannes et coton, car la sueur nègre est fumier. Qu’elle aussi a porté la mort et le canon dans mes villages bleus, qu’elle a dressé les miens les uns contre les autres comme des chiens se disputant un os Qu’elle a traité les résistants de bandits, et craché sur les têtes-aux-vastes-desseins. Oui, Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques Qui m’invite à sa table et me dit d’apporter mon pain, qui me donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié. Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si gravement Qui ouvre des voies triomphales aux héros et traite ses Sénégalais en mercenaires, faisant d’eux les dogues noirs de l’Empire Qui est la République et livre les pays aux Grands-Concessionnaires Et de ma Mésopotamie, de mon Congo, ils ont fait un grand cimetière sous le soleil blanc. IV. Ah ! Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n’est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France Ce masque de petitesse et de haine pour qui je n’ai que haine – mais je peux bien haïr le Mal Car j’ai une grande faiblesse pour la France. Bénis de peuple garrotté qui par deux fois sut libérer ses mains et osa proclamer l’avènement des pauvres à la royauté Qui fit des esclaves du jour des hommes libres égaux fraternels Bénis ce peuple qui m’a apporté Ta Bonne Nouvelle, Seigneur, et ouvert mes paupières lourdes à la lumière de la foi. Il a ouvert mon cœur à la connaissance du monde, me montrant l’arc-en-ciel des visages neufs de mes frères. Je vous salue mes frères : toi Mohamed Ben Abdallah, toi Razafymahatratra, et puis toi là-bas Pham-Manh-Tuong, vous des mers pacifiques et vous des forêts enchantées Je vous salue tous d’une cœur catholique. Ah ! je sais bien que plus d’un de Tes messagers a traqué mes prêtres comme gibier et fait un grand carnage d’images pieuses. Et pourtant on aurait pu s’arranger, car elles furent, ces images, de la terre à Ton ciel l’échelle de Jacob La lampe au beurre clair qui permet d’attendre l’aube, les étoiles qui préfigurent le soleil. Je sais que nombre de Tes missionnaires ont béni les armes de la violence et pactisé avec l’or des banquiers Mais il faut qu’il y ait des traîtres et des imbéciles. V. O bénis ce peuple, Seigneur, qui cherche son propre visage sous le masque et a peine à le reconnaître Qui Te cherche parmi le froid, parmi la faim qui lui rongent os et entrailles Et la fiancée pleure sa viduité, et le jeune homme voit sa jeunesse cambriolée Et la femme lamente oh ! l’œil absent de son mari, et la mère cherche le rêve de son enfant dans les gravats. O bénis ce peuple qui rompt ses liens, bénis ce peuple aux abois qui fait front à la meute boulimique des puissants et des tortionnaires. Et avec lui tous les peuples d’Europe, tous les peuples d’Asie tous les peuples d’Afrique et tous les peuples d’Amérique Qui suent sang et souffrances. Et au milieu de ces millions de vagues, vois les têtes houleuses de mon peuple. Et donne à leurs mains chaudes qu’elles enlacent la terre d’une ceinture de mains fraternelles. DESSOUS L’ARC-EN-CIEL DE TA PAIX. Paris, janvier 1945

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    Élégie pour Martin Luther King I Qui a dit que j’étais stable dans ma maîtrise, noir sous l’écarlate sous l’or ? Mais qui a dit, comme le maître de la masse et du marteau, maître du dyoung-dyoung du tam-tam. Coryphée de la danse, qu’avec ma récade sculptée Je commandais les Forces rouges, mieux que les chameliers leurs dromadaires au long cours ? Ils ploient si souples, et les vents tombent et les pluies fécondes. Qui a dit qui a dit, en ce siècle de la haine et de l’atome Quand tout pouvoir est poussière toute force faiblesse, que les Sur-Grands Tremblent la nuit sur leurs silos profonds de bombes et de tombes, quand A l’horizon de la saison, je scrute dans la fièvre les tornades stériles Des violences intestines ? Mais dites qui a dit ? Flanqué du sabar au bord de l’orchestre, les yeux intègres et la bouche blanche Et pareil à l’innocent du village, je vois la vision j’entends le mode et l’instrument Mais les mots comme un troupeau de buffles confus se cognent contre mes dents Et ma voix s’ouvre dans le vide. Se taise le dernier accord, je dois repartir à zéro, tout réapprendre de cette langue Si étrangère et double, et l’affronter avec ma lance lisse me confronter avec le monstre Cette lionne-lamantin sirène-serpent dans le labyrinthe des abysses. Au bord du chœur au premier pas, au premier souffle sur les feuilles de mes reins J’ai perdu mes lèvres donné ma langue au chat, je suis brut dans le tremblement. Et tu dis mon bonheur, lorsque je pleure Martin Luther King ! II Cette nuit cette claire insomnie, je me rappelle hier et hier il a un an. C’était lors le huitième jour, la huitième année de notre circoncision La cent soixante-dix-neuvième année de notre mort-naissance à Saint-Louis. Saint-Louis Saint-Louis ! Je me souviens d’hier d’avant hier, c’était il y a un an Dans la Métropole du Centre, sur la presqu’île de proue pourfendant Droit la substance amère. Sur la voie longue large et comme une victoire Les drapeaux rouge et or les étandards d’espérance claquaient, splendides au soleil. Et sous la brise de la joie, un peuple innombrable et noir fêtait son triomphe Dans les stades de la Parole, le siège reconquis de sa prestance ancienne. C’était hier à Saint-Louis parmi la Fête, parmi les Linguères et les Signares Les jeunes femmes dromadaires, la robe ouverte sur leurs jambes longues Parmi les coiffures altières, parmi l’éclat des dents le panache des rires des boissons. Soudain Je me suis souvenu, j’ai senti lourd sur mes épaules, mon cœur, tout le plomb du passé J’ai regardé j’ai vu les robes fanées fatiguées sous le sourire des Signares et des Linguères. Je vois les rires avorter, et les dents se voiler des nuages bleu noir des lèvres Je revois Martin Luther King couché, une rose rouge à la gorge Et je sens dans la mœlle de mes os déposées les voix et les larmes, hâ ; déposé le sang. De quatre cents années, quatre cents millions d’yeux deux cents millions de cœurs deux cents millions de bouches, deux cents millions de morts, Inutiles, je sens qu’aujourd’hui, mon Peuple je sens que Quatre Avril tu es vaincu deux fois mort, quand Martin Luther King. Linguères ô Signares mes girafes belles, que m’importent vos mouchoirs et vos mousselines Vos finettes et vos fobines, que m’importent vos chants si ce n’est pour magnifier MARTIN LUTHER KING LE ROI DE LA PAIX ? Ah, brûlez vos fanaux Signares, arrachez, vous Linguères vos perruques Rapareilles et vous militantes mes filles, que vous soyez de cendres, fermez laissez tomber vos robes Qu’on ne voie vos chevilles : Toutes femmes sont nobles Qui nourrissent le peuple de leurs mains polies de leurs chants rythmés. Car craignez Dieu, mais Dieu déjà nous a frappés de sa gauche terrible L’Afrique plus durement que 1es autres, et le Sénégal que l’Afrique En mil neuf cent soixante-huit ! III C’est la troisième année c’est la troisième plaie, c’est comme jadis sur notre mère l’Egypte. L’année dernière, ah Seigneur, jamais tu ne t’étais tant fâché depuis la Grande Faim Et Martin Luther King n’était plus là, pour chanter ton écume et l’apaiser. Il y a dans le ciel des jours brefs de cendres, des jours de silence gris sur la terre. De la pointe des Almadies jusqu’aux contreforts de Fongolimbi Jusqu’à la mer en flammes de Mozambique, jusqu’au cap de Désespoir Je dis la brousse est rouge et blancs les champs, et les forêts des boîtes d’allumettes Qui craquent. Comme de grandes marées de nausées, tu as fait remonter les faims du fond de vos mémoires. Voici nos lèvres sans huile et trouées de crevasses, c’est sous l’Harmattan le poto-poto des marigots. La sève est tarie à sa source, les citernes s’étonnent, sonores Aux lèvres des bourgeons, la sève n’est pas montée pour chanter la joie pascale Mais défaillent les swi-mangas sur les fleurs les feuilles absentes, et les abeilles sont mortelles. Dieu est un tremblement de terre une tornade sèche, rugissant comme le lion d’Ethiopie au jour de sa fureur. Les volcans ont sauté au jardin de l’Eden, sur trois mille kilomètres, comme feux d’artifice aux fêtes du péché Aux fêtes de Séboïm de Sodome de Gomorrhe, 1es volcans ont brûlé les lacs Et les savanes. Et les maladies, les troupeaux ; et les hommes avec Parce que nous ne l’avons pas aidé, nous ne l’avons pas pleuré Martin Luther King. Je dis non, ce ne sont plus les kapos, le garrot le tonneau le chien et la chaux vive, Le piment pilé et le lard fondu, le sac le hamac le micmac, et les fesses au vent au feu, ce ne sont plus le nerf de bœuf la poudre au cul La castration l’amputation la cruxifixion – l’on vous dépèce délicatement, vous brûle savamment à petit feu le cœur C’est la guerre post-coloniale pourrie de bubons, la pitié abolie le code d’honneur La guerre où les Sur-Grands vous napalment par parents interposés. Dans l’enfer du pétrole, ce sont deux millions et demi de cadavres humides Et pas une flamme apaisante où les consumer tous Et le Nigéria rayé de la sphère, comme la Nigritie pendant sept fois mais sept fois soixante-dix ans. Sur le Nigéria Seigneur tombe, et sur la Nigritie, la voix de Martin Luther King ! IV C’était donc le quatre Avril mil neuf cent soixante huit Un soir de printemps dans un quartier gris, un quartier malodorant de boue d’éboueurs Où jouaient au printemps les enfants dans les rues, fleurissaient le printemps dans les cours sombres Jouaient le bleu murmure des ruisseaux, le chant des rossignols dans la nuit des ghettos Des cœurs. Martin Luther King les avait choisis, le motel le quartier les ordures 1es éboueurs Avec les yeux du cœur en ces jours de printemps, ces jours de passion Où la boue de la chair serait glorifiée dans la lumière du Christ. C’était le soir quand la lumière est plus claire et l’air plus doux L’avant-soir à l’heure du cœur, de ses floraisons en confidences bouche à bouche, et de l’orgue et du chant et de l’encens. Sur le balcon maintenant de vermeil, où l’air est plus limpide Martin Luther debout dit pasteur au pasteur : « Mon frère n’oublie pas de louer le Christ dans sa résurrection, et que son nom soit clair chanté ! » Et voici qu’en face, dans une maison de passe de profanation de perdition, oui dans le motel Lorraine - Ah, Lorraine, ah, Jeanne la blanche, la bleue, que nos bouches te purifient, pareilles à l’encens qui monte ! Une maison mauvaise de matous de marlous, se tient debout un homme, et à la main le fusil Remington. James Earl Ray dans son télescope regarde le Pasteur Martin Luther King regarde la mort du Christ : « Mon frère n’oublie pas de magnifier ce soir le Christ dans sa résurrection ! » Il regarde, l’envoyé de Judas, car du pauvre vous avez fait le lycaon du pauvre Il regarde dans sa lunette, ne voit que le cou tendre et noir et beau. Il hait la gorge d’or, qui bien module la flûte des anges La gorge de bronze trombone, qui tonne sur Sodome terrible et sur Adama. Martin regarde devant lui la maison en face de lui, il voit des gratte-ciel de verre de lumière Il voit des têtes blondes bouclées des têtes sombre frisées, qui fleurissent des rêves Comme des orchidées mystérieuses, et les lèvres bleues et les roses chantent en chœur comme l’orgue accordées. Le Blanc regarde, dur et précis comme l’acier. James Earl vise et fait mouche Touche Martin qui s’affaisse en avant, comme une fleur odorante Qui tombe : « Mon frère chantez clair Son nom, que nos os exultent dans la Résurrection ! » V Cependant que s’évaporait comme l’encensoir le cœur du pasteur Et que son âme s’envolait, colombe diaphane qui monte Voilà que j’entendis, derrière mon oreille gauche, le battement lent du tam-tam. La voix me dit, et son souffle rasait ma joue : « Ecris et prends ta plume, fils du Lion ». Et je vis une vision. Or c’était en belle saison, sur les montagnes du Sud comme du Fouta-Djallon Dans la douceur des tamariniers. Et sur un tertre Siégeait l’Etre qui est Force, rayonnant comme un diamant noir. Sa barbe déroulait la splendeur des comètes ; et à ses pieds Sous les ombrages bleus, des ruisseaux de miel blanc de frais parfums de paix. Alors je reconnus, autour de sa Justice sa Bonté, confondus les élus et les Noirs et les Blancs Tous ceux pour qui Martin Luther avait prié. Confonds-les donc, Seigneur, sous tes yeux sous ta barbe blanche : Les bourgeois et les paysans paisibles, coupeurs de canne cueilleurs de coton Et les ouvriers aux mains fiévreuses, et ils font rugir les usines, et le soir ils sont soûlés d’amertume amère. Les Blancs et les Noirs, tous les fils de la même terre mère. Et ils chantaient à plusieurs voix, ils chantaient Hosanna ! Alléluia ! Comme au Royaume d’Enfance autrefois, quand je rêvais. Or ils chantaient l’innocence du monde, et ils dansaient la floraison Dansaient les forces que rythmait, qui rythmaient la Force des forces : la Justice accordée, qui est Beauté Bonté. Et leurs battements de pieds syncopés étaient comme une symphonie en noir et blanc Qui pressaient les fleurs écrasaient les grappes, pour les noces des âmes : Du Fils unique avec les myriades d’étoiles. Je vis donc – car je vis – Georges Washington et Phillis Wheatley, bouche de bronze bleue qui annonça la liberté – son chant l’a consumée _ Et Benjamin Franklin, et le marquis de La Fayette sous son panache de cristal Abraham Lincoln qui donna son sang, ainsi qu’une boisson de vie à l’Amérique Je vis Booker T. Washington le Patient, et William E.B. Dubois l’Indomptable qui s’en alla planter sa tombe en Nigritie J’entendis la voix blues de Langston Hughes, jeune comme la trompette d’Armstrong. Me retournant je vis Près de moi John F. Kennedy, plus beau que le rêve d’un peuple, et son frère Robert, une armure fine d’acier. Et je vis – que je chante ! – tous les Justes les Bons, que le Destin dans son cyclone avait couchés Et ils furent debout par la voix du poète, tels de grands arbres élancés Qui jalonnent la voie, et au milieu d’eux Martin Luther King. Je chante Malcom X, l’ange rouge de notre nuit Par les yeux d’Angela chante Georges Jackson, fulgurant comme l’Amour sans ailes ni flèches Non sans tourment. Je chante avec mon frère La Négritude debout, une main blanche dans sa main vivante Je chante l’Amérique transparente, où la lumière est polyphonie de couleurs Je chante un paradis de paix.

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