Yannis Ritsos
@yannisRitsos
Comme tu es belle Comme tu es belle. Ta beauté me fait peur. J’ai faim de toi. J’ai soif de toi. Je t’en supplie : cache-toi; rends-toi invisible aux yeux de tous; visible seulement pour moi; recouverte des cheveux jusqu’à la pointe des pieds d’un voile noir transparent que ponctuent les soupirs argentés des lunes de printemps. Tous les pores de ta peau émettent des voyelles, des consonnes ardentes; des mots, des confidences s’articulent; les explosions roses de l’acte d’amour. Ton voile se gonfle, scintille au-dessus de la ville plongée dans l’obscurité avec ses bars louches, ses tavernes de marins; des projecteurs verts éclairent la pharmacie de nuit; une boule de verre tourne rapidement sur elle-même, montrant des paysages du globe terrestre. Un homme ivre titube, emporté dans la tempête de ta respiration. Ne t’en va pas. Ne t’en va pas. Si matérielle, si insaisissable. Un taureau de pierre saute du fronton dans l’herbe sèche. Une femme nue monte l’escalier de bois avec une bassine d’eau chaude. La vapeur empêche de voir son visage. A haute altitude un hélicoptère de reconnaissance bourdonne en des points indéfinis. Prends garde à toi. C’est toi qu’ils recherchent. Cache-toi plus profondément dans mes bras. Le poil de la couverture rouge qui nous abrite n’en finit pas de pousser, maintenant la couverture est une ourse enceinte. Sous l’ourse rouge nous nous aimons infiniment, au-delà du temps et au-delà de la mort même, dans une unique union universelle. Comme tu es belle. Ta beauté me fait peur. Et j’ai faim de toi. Et j’ai soif de toi. Et je t’en supplie : cache-toi.