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Yves Bonnefoy

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Yves Bonnefoy, né le 24 juin 1923 à Tours et mort le 1er juillet 2016 à Paris 15e, est un poète, critique d'art et traducteur français. Il est considéré comme un poète majeur de la seconde moitié du XXe et du début du XXIe siècle.

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Poésies

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    Yves Bonnefoy

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    @yvesBonnefoy

    A une terre d'aube Aube, fille des larmes, rétablis La chambre dans sa paix de chose grise Et le cœur dans son ordre. Tant de nuit Demandait à ce feu qu'il décline et s'achève, Il nous faut bien veiller près du visage mort. A peine a-t-il changé... Le navire des lampes Entrera-t-il au port qu'il avait demandé. Sur les tables d'ici la flamme faite cendre Grandira-t-elle ailleurs dans une autre clarté ? Aube, soulève, prends le visage sans ombre, Colore peu à peu le temps recommencé.

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    Art de la poésie Dragué fut le regard hors de cette nuit. Immobilisées et séchées les mains. On a réconcilié la fièvre. On a dit au coeur D'être le cceur. Il y avait un démon dans ces veines Qui s'est enfui en criant. II y avait dans la bouche une voix morne sanglante Qui a été lavée et rappelée.

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    Art poétique Visage séparé de ses branches premières, Beauté loute d'alarme par ciel bas, En quel àtre dresser le feu de ton visage O Ménade saisie jetée la tête en bas ?

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    L'agitation du rêve I Dans ce rêve le fleuve encore : c'est l'amont, Une eau serrée, violente, où des troncs d'arbres S'entrechoquent, dévient; de toute part Des rivages stériles m'environnent, De grands oiseaux m'assaillent, avec un cri De douleur et d'étonnement, — mais moi, j'avance À la proue d'une barque, dans une aube. J'y ai amoncelé des branches, me dit-on, En tourbillons s'élève la fumée, Puis le feu prend, d'un coup, deux colonnes torses, Tout un porche de foudre. Je suis heureux De ce ciel qui crépite, j'aime l'odeur De la sève qui brûle dans la brume. Et plus tard je remue des cendres, dans un âtre De la maison où je viens chaque nuit, Mais c'est déjà du blé, comme si l'âme Des choses consumées, à leur dernier souffle, Se détachait de l'épi de matière Pour se faire le grain d'un nouvel espoir. Je prends à pleines mains cette masse sombre Mais ce sont des étoiles; je déplie Les draps de ce silence, mais découvre Très lointaine, très proche la forme nue De deux êtres qui dorment, dans la lumière Compassionnée de l'aube, qui hésite À effleurer du doigt leurs paupières closes Et fait que ce grenier, cette charpente, Cette odeur du blé d'autrefois, qui se dissipe, C'est encore leur lieu, et leur bonheur. Je dois me délivrer de ces images. Je m'éveille et me lève et marche. Et j'entre Dans le jardin de quand j'avais dix ans, Qui ne fut qu'une allée, bien courte, entre deux masses De terre mal remuée, où les averses Laissent longtemps des flaques où se prirent Les premières lumières que j'aie aimées. Mais c'est la nuit maintenant, je suis seul, Les êtres que j'ai connus dans ces années Parlent là-haut et rient, dans une salle Dont tombe la lueur sur l'allée; et je sais Que les mots que j'ai dits, décidant parfois De ma vie, sont ce sol, cette terre noire. Autour de moi le dédale, infini, D'autres menus jardins avec leurs serres Défaites, leurs tuyaux sur des plates-bandes Derrière des barrières, leurs appentis Où des meubles cassés, des portraits sans cadre, Des brocs, et parfois des miroirs comme à l'aguet Sous des bâches, prêts à s'ouvrir aux feux qui passent, Furent aussi, hors du temps, ma première Conscience de ce monde où l'on va seul. Vais-je pouvoir reprendre à la glaise dure Ces bouts de fer rouilles, ces éclats de verre, Ces morceaux de charbon? Agenouillé, Je détache de l'infini l'inexistence Et j'en fais des figures, d'une main Que je distingue mal, tant est la nuit Précipitée, violente par les mondes. Que lointaine est ici l'aube du signe! J'ébauche une constellation mais tout se perd. II Et je lève les yeux, je l'ose enfin, Et je vois devant moi, dans le ciel nu, Passer la barque qui revint, parfois sans lumière, Dans tant des rêves qui miroitent dans le sable De la très longue rive de cette nuit. Je regarde la barque, qui hésite. Elle a tourné comme si des chemins Se dessinaient pour elle sur la houle Qui parcourt doucement, brisant l'écume, L'immensité de l'ombre de l'étoile. Et qui sont-ils, à bord? Un homme, une femme Qui se détachent noirs de la fumée D'un feu qu'ils entretiennent à la proue. De l'homme, de la femme le désir Est donc ce feu au dédale des inondes. III Je referme les yeux. Et m'apparaît Maintenant, dans le flux de la mémoire, Une coupe de terre rouge, dont des flammes Débordent sur la main qui la soulève Au-dessus de la barque qui s'éloigne. Et c'est là un enfant, qui me demande De m'approcher, mais il est dans un arbre, Les reflets s'enchevêtrent dans les branches. Qui es-tu? dis-je. Et lui à moi, riant : Qui es-tu? Puisque tu ne sais pas souffler la flamme. Qui es-tu? Vois, moi je souffle le monde, Il fera nuit, je ne te verrai plus, Veux-tu que ne nous reste que la lumière? - Mais je ne sais répondre, de par un charme Qui m'a étreint, de plus loin que l'enfance. IV Et je m'éloigne et vais vers le rivage. La barque, et d'autres barques, y sont venues. Mais tout y est silence, même l'eau claire. Les figures de proue ont les yeux encore Clos, à l'avant de ces lumières closes. Et les rameurs sont endormis, le front Dans leurs bras repliés en dehors des siècles. La marque sur leur épaule, rouge sang, Tristement brille encore, dans la brume Que ne dissipe pas le vent de l'aube.

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