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Soupir

13 poésies en cours de vérification
Soupir

Poésies de la collection soupir

    A

    Albert Mérat

    @albertMerat

    Passe-port Nez moyen. Œil très-noir. Vingt ans. Parisienne Les cheveux bien plantés sur un front un peu bas. Nom simple et très joli, que je ne dirai pas. Signe particulier : ta maîtresse, ou la mienne. Une grâce, charmante et tout à fait païenne ; L'allure d'un oiseau qui retient ses ébats ; Une voix attirante, à ramper sur ses pas Comme un serpent aux sons d'une flûte indienne. Trouvée un soir d'hiver sous un bouquet de bal ; Chérissant les grelots, ivre de carnaval, Et vous aimant... le temps de s'affoler d'un autre. Une adorable fille, — une fille sans cœur, Douce comme un soupir sur un accord moqueur... Signe particulier: ma maîtresse, ou la vôtre.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Cantate de Bettine Nina, ton sourire, Ta voix qui soupire, Tes yeux qui font dire Qu'on croit au bonheur, Ces belles années, Ces douces journées, Ces roses fanées, Mortes sur ton coeur... Nina, ma charmante, Pendant la tourmente, La mer écumante Grondait à nos yeux ; Riante et fertile, La plage tranquille Nous montrait l'asile Qu'appelaient nos voeux ! Aimable Italie, Sagesse ou folie, Jamais, jamais ne t'oublie Qui t'a vue un jour ! Toujours plus chérie, Ta rive fleurie Toujours sera la patrie Que cherche l'amour.

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    A

    Antoine de Latour

    @antoineDeLatour

    La chanson d'adieu Je cherche au firmament une étoile nouvelle, Celle qui me fut chère a disparu des cieux ; Je ne la maudis pas, sa clarté me fut belle, Et son dernier rayon est encore dans mes yeux. Peut-être un autre cœur, à mes vœux moins rebelle, En vers mieux inspirés ou plus mélodieux Me rendra les soupirs qui s'égaraient vers elle Mais soyons-lui clément, à l'heure des adieux. Elle ira dans ce monde où celle qui fut Laure Entre ses jeunes sœurs murmure, à chaque aurore, Le doux nom de Pétrarque et sa chanson d'amour ; Mais jamais, dans le ciel, de sa bouche sévère, Elle ne redira le nom de son trouvère, Et son cœur, s'il l'a su, ne l'aura su qu'un jour.

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    Arsène Houssaye

    Arsène Houssaye

    @arseneHoussaye

    Soupir La nuit avec amour se penche sur la terre ! Le ciel de juin s'enflamme à l'horizon, Et la rosée argente le gazon. Toute ramée en fleur abrite un doux mystère ! La chanson que j'entends au loin Me fait tressaillir d'allégresse : C'est la chanson de ma maîtresse, Bouquet de pampre et de sainfoin. Toute ramée en fleur abrite un doux mystère ! Les rossignols chantent l'amour en chœur ; Je vous attends, vous, l'âme de mon cœur : La nuit avec amour se penche sur la terre !

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    La jeune veuve La perte d'un époux ne va point sans soupirs. On fait beaucoup de bruit, et puis on se console. Sur les ailes du Temps la tristesse s'envole ; Le Temps ramène les plaisirs. Entre la Veuve d'une année Et la veuve d'une journée La différence est grande : on ne croirait jamais Que ce fût la même personne. L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits. Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne ; C'est toujours même note et pareil entretien : On dit qu'on est inconsolable ; On le dit, mais il n'en est rien, Comme on verra par cette Fable, Ou plutôt par la vérité. L'Epoux d'une jeune beauté Partait pour l'autre monde. A ses côtés sa femme Lui criait : Attends-moi, je te suis ; et mon âme, Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler. Le Mari fait seul le voyage. La Belle avait un père, homme prudent et sage : Il laissa le torrent couler. A la fin, pour la consoler, Ma fille, lui dit-il, c'est trop verser de larmes : Qu'a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ? Puisqu'il est des vivants, ne songez plus aux morts. Je ne dis pas que tout à l'heure Une condition meilleure Change en des noces ces transports ; Mais, après certain temps, souffrez qu'on vous propose Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose Que le défunt.- Ah ! dit-elle aussitôt, Un Cloître est l'époux qu'il me faut. Le père lui laissa digérer sa disgrâce. Un mois de la sorte se passe. L'autre mois on l'emploie à changer tous les jours Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure. Le deuil enfin sert de parure, En attendant d'autres atours. Toute la bande des Amours Revient au colombier : les jeux, les ris, la danse, Ont aussi leur tour à la fin. On se plonge soir et matin Dans la fontaine de Jouvence. Le Père ne craint plus ce défunt tant chéri ; Mais comme il ne parlait de rien à notre Belle : Où donc est le jeune mari Que vous m'avez promis ? dit-elle.

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    Marceline Desbordes-Valmore

    Marceline Desbordes-Valmore

    @marcelineDesbordesValmore

    Au livre de Léopardi Il est de longs soupirs qui traversent les âges Pour apprendre l'amour aux âmes les plus sages. Ô sages ! De si loin que ces soupirs viendront, Leurs brûlantes douceurs un jour vous troubleront. Et s'il vous faut garder parmi vos solitudes Le calme qui préside aux sévères études, Ne risquez pas vos yeux sur les tendres éclairs De l'orage éternel enfermé dans ces vers, Dans ces chants, dans ces cris, dans ces plaintes voilées, Tocsins toujours vibrant de douleurs envolées. Oh ! N'allez pas tenter, d'un courage hardi, Tout cet amour qui pleure avec Léopardi ! Léopardi ! Doux Christ oublié de son père, Altéré de la mort sans le ciel qu'elle espère, Qu'elle ouvre d'une clé pendue à tout berceau, Levant de l'avenir l'insoulevable sceau. Ennemi de lui seul ! Aimer, et ne pas croire ! Sentir l'eau sur sa lèvre, et ne pas l'oser boire ! Ne pas respirer Dieu dans l'âme d'une fleur ! Ne pas consoler l'ange attristé dans son coeur ! Ce que l'ange a souffert chez l'homme aveugle et tendre, Ce qu'ils ont dit entre eux sans venir à s'entendre, Ce qu'ils ont l'un par l'autre enduré de combats, Sages qui voulez vivre, oh ! Ne l'apprenez pas ! Oh ! La mort ! Ce sera le vrai réveil du songe ! Liberté ! Ce sera ton règne sans mensonge ! Le grand dévoilement des âmes et du jour ! Ce sera Dieu lui-même... oh ! Ce sera l'amour !

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Déclin d'amour Dans le mortel soupir de l'automne, qui frôle Au bord du lac les joncs frileux, Passe un murmure éteint : c'est l'eau triste et le saule Qui se parlent entre eux. Le saule : « Je languis, vois ! Ma verdure tombe Et jonche ton cristal glacé ; Toi qui fus la compagne, aujourd'hui sois la tombe De mon printemps passé. » Il dit. La feuille glisse et va jaunir l'eau brune. L'eau répond : « Ô mon pâle amant, Ne laisse pas ainsi tomber une par une Tes feuilles lentement ; « Ce baiser me fait mal, autant, je te l'assure, Que les coups des avirons lourds ; Le frisson qu'il me donne est comme une blessure Qui s'élargit toujours. « Ce n'est qu'un point d'abord, puis un cercle qui tremble Et qui grandit, multiplié ; Et les fleurs de mes bords sentent toutes ensemble Un sanglot à leur pied. « Que ce tressaillement rare et long me tourmente ! Pourquoi m'oublier peu à peu ? Secoue en une fois, cruel, sur ton amante Tous tes baisers d'adieu ! »

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Soupir Ne jamais la voir ni l'entendre, Ne jamais tout haut la nommer, Mais, fidèle, toujours l'attendre, Toujours l'aimer. Ouvrir les bras et, las d'attendre, Sur le néant les refermer, Mais encor, toujours les lui tendre, Toujours l'aimer. Ah ! Ne pouvoir que les lui tendre, Et dans les pleurs se consumer, Mais ces pleurs toujours les répandre, Toujours l'aimer. Ne jamais la voir ni l'entendre, Ne jamais tout haut la nommer, Mais d'un amour toujours plus tendre Toujours l'aimer.

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    Stéphane Mallarmé

    Stéphane Mallarmé

    @stephaneMallarme

    Soupir Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur, Un automne jonché de taches de rousseur Et vers le ciel errant de ton œil angélique Monte, comme dans un jardin mélancolique, Fidèle, un blanc jet d'eau soupire vers l'Azur ! — Vers l'Azur attendri d'Octobre pâle et pur Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie Et laisse, sur l'eau morte où la fauve agonie Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon, Se traîner le soleil jaune d'un long rayon.

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    Théodore Agrippa d'Aubigné

    Théodore Agrippa d'Aubigné

    @theodoreAgrippaDaubigne

    Soupirs épars, sanglots en l’air perdus Soupirs épars, sanglots en l’air perdus, Témoins piteux des douleurs de ma gêne, Regrets tranchants avortés de ma peine, Et vous, mes yeux, en mes larmes fondus, Désirs tremblants, mes pensers éperdus, Plaisirs trompés d’une espérance vaine, Tous les tressauts qu’à ma mort inhumaine Mes sens lassés à la fin ont rendus, Cieux qui sonnez après moi mes complaintes, Mille langueurs de mille morts éteintes, Faites sentir à Diane le tort Qu’elle me tient, de son heur ennemie, Quand elle cherche en ma perte sa vie Et que je trouve en sa beauté la mort !

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    Théophile Gautier

    Théophile Gautier

    @theophileGautier

    À travers les soupirs, les plaintes et le râle À travers les soupirs, les plaintes et le râle Poursuivons jusqu'au bout la funèbre spirale De ses détours maudits. Notre guide n'est pas Virgile le poète, La Béatrix vers nous ne penche pas la tête Du fond du paradis. Pour guide nous avons une vierge au teint pâle Qui jamais ne reçut le baiser d'or du hâle Des lèvres du soleil. Sa joue est sans couleur et sa bouche bleuâtre, Le bouton de sa gorge est blanc comme l'albâtre, Au lieu d'être vermeil. Un souffle fait plier sa taille délicate ; Ses bras, plus transparents que le jaspe ou l'agate, Pendent languissamment ; Sa main laisse échapper une fleur qui se fane, Et, ployée à son dos, son aile diaphane Reste sans mouvement. Plus sombres que la nuit, plus fixes que la pierre, Sous leur sourcil d'ébène et leur longue paupière Luisent ses deux grands yeux, Comme l'eau du Léthé qui va muette et noire, Ses cheveux débordés baignent sa chair d'ivoire À flots silencieux. Des feuilles de ciguë avec des violettes Se mêlent sur son front aux blanches bandelettes, Chaste et simple ornement ; Quant au reste, elle est nue, et l'on rit et l'on tremble En la voyant venir ; car elle a tout ensemble L'air sinistre et charmant. Quoiqu'elle ait mis le pied dans tous les lits du monde, Sous sa blanche couronne elle reste inféconde Depuis l'éternité. L'ardent baiser s'éteint sur sa lèvre fatale, Et personne n'a pu cueillir la rose pâle De sa virginité.

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    Tristan Corbière

    Tristan Corbière

    @tristanCorbiere

    À une demoiselle Pour Piano et Chant. La dent de ton Érard, râtelier osanore, Et scie et broie à crû, sous son tic-tac nerveux, La gamme de tes dents, autre clavier sonore... Touches qui ne vont pas aux cordes des cheveux ! – Cauchemar de meunier, ta : Rêverie agile ! – Grattage, ton : Premier amour à quatre mains ! Ô femme transposée en Morceau difficile, Tes croches sans douleur n'ont pas d'accents humains ! Déchiffre au clavecin cet accord de ma lyre ; Télégraphe à musique, il pourra le traduire : Cri d'os, dur, sec, qui plaque et casse – Plangorer... Jamais ! – La clef-de-Sol n'est pas la clef de l'âme, La clef-de-Fa n'est pas la syllabe de Femme, Et deux demi-soupirs... ce n'est pas soupirer.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Force des choses Que devant les coquins l'honnête homme soupire ; Que l'histoire soit laide et plate ; que l'empire Boîte avec Talleyrand ou louche avec Parieu ; Qu'un tour d'escroc bien fait ait nom grâce de Dieu ; Que le pape en massue ait changé sa houlette ; Qu'on voie au Champ de Mars piaffer sous l'épaulette Le Meurtre général, le Vol aide de camp ; Que hors de l'Elysée un prince débusquant, Qu'un flibustier quittant l'île de la Tortue, Assassine, extermine, égorge, pille et tue ; Que les bonzes chrétiens, cognant sur leur tam-tam Hurlent devant Soufflard : Attollite portam ! Que pour claqueurs le crime ait cent journaux infâmes, Ceux qu'à la maison d'or, sur les genoux des femmes, Griffonnent les Romieux, le verre en main, et ceux Que saint-Ignace inspire à des gredins crasseux ; Qu'en ces vils tribunaux, où le regard se heurte De Moreau de la Seine à Moreau de la Meurthe, La justice ait reçu d'horribles horions ; Que, sur un lit de camp, par des centurions La loi soit violée et râle à l'agonie ; Que cet être choisi, créé par Dieu génie, L'homme, adore à genoux le loup fait empereur ; Qu'en un éclat de rire abrégé par l'horreur, Tout ce que nous voyons aujourd'hui se résume ; Qu'Hautpoul vende son sabre et Cucheval sa plume ; Que tous les grands bandits, en petit copiés, Revivent ; qu'on emplisse un sénat de plats-pieds Dont la servilité négresse et mamelouque Eût révolté Mahmoud et lasserait Soulouque ; Que l'or soit le seul culte, et qu'en ce temps vénal, Coffre-fort étant Dieu, Gousset soit cardinal ; Que la vieille Thémis ne soit plus qu'une gouine Baisant Mandrin dans l'antre où Mongis baragouine ; Que Montalembert bave accoudé sur l'autel ; Que Veuillot sur Sibour crève sa poche au fiel ; Qu'on voie aux bals de cour s'étaler des guenipes Qui le long des trottoirs traînaient hier leurs nippes, Beautés de lansquenet avec un profil grec ; Que Haynau dans Brescia soit pire que Lautrec ; Que partout, des Sept-Tours aux colonnes d'Hercule, Napoléon, le poing sur la hanche, recule, Car l'aigle est vieux, Essling grisonne, Marengo À la goutte, Austerlitz est pris d'un lombago ; Que le czar russe ait peur tout autant que le nôtre ; Que l'ours noir et l'ours blanc tremblent l'un devant l'autre ; Qu'avec son grand panache et sur son grand cheval Rayonne Saint-Arnaud, ci-devant Florival, Fort dans la pantomime et les combats à l'hache ; Que Sodome se montre et que Paris se cache ; Qu'Escobar et Houdin vendent le même onguent ; Que grâce à tous ces gueux qu'on touche avec le gant, Tout dorés au dehors, au dedans noirs de lèpres, Courant les bals, courant les jeux, allant à vêpres, Grâce à ces bateleurs mêlés aux scélérats, La Saint-Barthélemy s'achève en mardi gras ; Ô nature profonde et calme, que t'importe ! Nature, Isis voilée assise à notre porte, Impénétrable aïeule aux regards attendris, Vieille comme Cybèle et fraîche comme Iris, Ce qu'on fait ici-bas s'en va devant ta face ; À ton rayonnement toute laideur s'efface ; Tu ne t'informes pas quel drôle ou quel tyran Est fait premier chanoine à Saint-Jean-de-Latran ; Décembre, les soldats ivres, les lois faussées, Les cadavres mêlés aux bouteilles cassées, Ne te font rien ; tu suis ton flux et ton reflux. Quand l'homme des faubourgs s'endort et ne sait plus Bourrer dans un fusil des balles de calibre ; Quand le peuple français n'est plus le peuple libre ; Quand mon esprit, fidèle au but qu'il se fixa, Sur cette léthargie applique un vers moxa, Toi, tu rêves ; souvent du fond des geôles sombres, Sort, comme d'un enfer, le murmure des ombres Que Baroche et Rouher gardent sous les barreaux, Car ce tas de laquais est un tas de bourreaux ; Etant les cœurs de boue, ils sont les cœurs de roche ; Ma strophe alors se dresse, et, pour cingler Baroche, Se taille un fouet sanglant dans Rouher écorché ; Toi, tu ne t'émeus point ; flot sans cesse épanché, La vie indifférente emplit toujours tes urnes ; Tu laisses s'élever des attentats nocturnes, Des crimes, des fureurs, de Rome mise en croix, De Paris mis aux fers, des guets-apens des rois, Des pièges, des serments, des toiles d'araignées, L'orageuse clameur des âmes indignées ; Dans ce calme où toujours tu te réfugias, Tu laisses le fumier croupir chez Augias, Et renaître un passé dont nous nous affranchîmes, Et le sang rajeunir les abus cacochymes, La France en deuil jeter son suprême soupir, Les prostitutions chanter, et se tapir Les lâches dans leurs trous, la taupe en ses cachettes, Et gronder les lions, et rugir les poètes ! Ce n'est pas ton affaire à toi de t'irriter. Tu verrais, sans frémir et sans te révolter, Sur tes fleurs, sous tes pins, tes ifs et tes érables, Errer le plus coquin de tous ces misérables. Quand Troplong, le matin, ouvre un œil chassieux, Vénus, splendeur sereine éblouissant les cieux, Vénus, qui devrait fuir courroucée et hagarde, N'a pas l'air de savoir que Troplong la regarde ! Tu laisserais cueillir une rose à Dupin ! Tandis que, de velours recouvrant le sapin, L'escarpe couronné que l'Europe surveille, Trône et guette, et qu'il a, lui parlant à l'oreille, D'un côté Loyola, de l'autre Trestaillon, Ton doigt au blé dans l'ombre entrouvre le sillon. Pendant que l'horreur sort des sénats, des conclaves, Que les États-Unis ont des marchés d'esclaves Comme en eut Rome avant que Jésus-Christ passât, Que l'américain libre à l'africain forçat Met un bât, et qu'on vend des hommes pour des piastres, Toi, tu gonfles la mer, tu fais lever les astres, Tu courbes l'arc-en-ciel, tu remplis les buissons D'essaims, l'air de parfums et les nids de chansons, Tu fais dans le bois vert la toilette des roses, Et tu fais concourir, loin des hommes moroses, Pour des prix inconnus par les anges cueillis, La candeur de la vierge et la blancheur du lys. Et quand, tordant ses mains devant les turpitudes, Le penseur douloureux fuit dans tes solitudes, Tu lui dis : Viens ! c'est moi ! moi que rien ne corrompt ! Je t'aime ! et tu répands dans l'ombre, sur son front Où de l'artère ardente il sent battre les ondes, L'âcre fraîcheur de l'herbe et des feuilles profondes ! Par moments, à te voir, parmi les trahisons, Mener paisiblement tes mois et tes saisons, À te voir impassible et froide, quoi qu'on fasse, Pour qui ne creuse point plus bas que la surface, Tu sembles bien glacée, et l'on s'étonne un peu. Quand les proscrits, martyrs du peuple, élus de Dieu, Stoïques, dans la mort se couchent sans se plaindre, Tu n'as l'air de songer qu'à dorer et qu'à peindre L'aile du scarabée errant sur leurs tombeaux. Les rois font les gibets, toi, tu fais les corbeaux. Tu mets le même ciel sur le juste et l'injuste. Occupée à la mouche, à la pierre, à l'arbuste, Aux mouvements confus du vil monde animal, Tu parais ignorer le bien comme le mal ; Tu laisses l'homme en proie à sa misère aiguë. Que t'importe Socrate ! et tu fais la ciguë. Tu créas le besoin, l'instinct et l'appétit ; Le fort mange le faible et le grand le petit, L'ours déjeune du rat, l'autour de la colombe, Qu'importe ! allez, naissez, fourmillez pour la tombe, Multitudes ! vivez, tuez, faites l'amour, Croissez ! le pré verdit, la nuit succède au jour, L'âne brait, le cheval hennit, le taureau beugle. Ô figure terrible, on te croirait aveugle ! Le bon et le mauvais se mêlent sous tes pas. Dans cet immense oubli, tu ne vois même pas Ces deux géants lointains penchés sur ton abîme, Satan, père du mal, Caïn, père du crime ! Erreur ! erreur ! erreur ! ô géante aux cent yeux, Tu fais un grand labeur, saint et mystérieux ! Oh ! qu'un autre que moi te blasphème, ô nature Tandis que notre chaîne étreint notre ceinture, Et que l'obscurité s'étend de toutes parts, Les principes cachés, les éléments épars, Le fleuve, le volcan à la bouche écarlate, Le gaz qui se condense et l'air qui se dilate, Les fluides, l'éther, le germe sourd et lent, Sont autant d'ouvriers dans l'ombre travaillant ; Ouvriers sans sommeil, sans fatigue, sans nombre. Tu viens dans cette nuit, libératrice sombre ! Tout travaille, l'aimant, le bitume, le fer, Le charbon ; pour changer en éden notre enfer, Les forces à ta voix sortent du fond des gouffres. Tu murmures tout bas : — Race d'Adam qui souffres, Hommes, forçats pensants au vieux monde attachés, Chacune de mes lois vous délivre. Cherchez ! — Et chaque jour surgit une clarté nouvelle, Et le penseur épie et le hasard révèle ; Toujours le vent sema, le calcul récolta. Ici Fulton, ici Galvani, là Volta, Sur tes secrets profonds que chaque instant nous livre, Rêvent ; l'homme ébloui déchiffre enfin ton livre. D'heure en heure on découvre un peu plus d'horizon Comme un coup de bélier au mur d'une prison, Du genre humain qui fouille et qui creuse et qui sonde, Chaque tâtonnement fait tressaillir le monde. L'hymen des nations s'accomplit. Passions, Intérêts, mœurs et lois, les révolutions Par qui le cœur humain germe et change de formes, Paris, Londres, New-York, les continents énormes, Ont pour lien un fil qui tremble au fond des mers. Une force inconnue, empruntée aux éclairs, Mêle au courant des flots le courant des idées. La science, gonflant ses ondes débordées, Submerge trône et sceptre, idole et potentat. Tout va, pense, se meut, s'accroît. L'aérostat Passe, et du haut des cieux ensemence les hommes. Chanaan apparaît ; le voilà, nous y sommes ! L'amour succède aux pleurs et l'eau vive à la mort, Et la bouche qui chante à la bouche qui mord. La science, pareille aux antiques pontifes, Attelle aux chars tonnants d'effrayants hippogriffes Le feu souffle aux naseaux de la bête d'airain. Le globe esclave cède à l'esprit souverain. Partout où la terreur régnait, où marchait l'homme, Triste et plus accablé que la bête de somme, Traînant ses fers sanglants que l'erreur a forgés, Partout où les carcans sortaient des préjugés, Partout où les césars, posant le pied sur l'âme, Etouffaient la clarté, la pensée et la flamme, Partout où le mal sombre, étendant son réseau, Faisait ramper le ver, tu fais naître l'oiseau ! Par degrés, lentement, on voit sous ton haleine La liberté sortir de l'herbe de la plaine, Des pierres du chemin, des branches des forêts, Rayonner, convertir la science en décrets, Du vieil univers mort briser la carapace, Emplir le feu qui luit, l'eau qui bout, l'air qui passe, Gronder dans le tonnerre, errer dans les torrents, Vivre ! et tu rends le monde impossible aux tyrans ! La matière, aujourd'hui vivante, jadis morte, Hier écrasait l'homme et maintenant l'emporte. Le bien germe à toute heure et la joie en tout lieu. Oh ! sois fière en ton cœur, toi qui, sous l'œil de Dieu, Nous prodigues les dons que ton mystère épanche, Toi qui regardes, comme une mère se penche Pour voir naître l'enfant que son ventre a porté, De ton flanc éternel sortir l'humanité ! Vie ! idée ! avenir bouillonnant dans les têtes ! Le progrès, reliant entre elles ses conquêtes, Gagne un point après l'autre, et court contagieux. De cet obscur amas de faits prodigieux Qu'aucun regard n'embrasse et qu'aucun mot ne nomme, Tu nais plus frissonnant que l'aigle, esprit de l'homme, Refaisant mœurs, cités, codes, religion. Le passé n'est que l'oeuf d'où tu sors, Légion ! Ô nature ! c'est là ta genèse sublime. Oh ! l'éblouissement nous prend sur cette cime ! Le monde, réclamant l'essor que Dieu lui doit, Vibre, et dès à présent, grave, attentif, le doigt Sur la bouche, incliné sur les choses futures, Sur la création et sur les créatures, Une vague lueur dans son œil éclatant, Le voyant, le savant, le philosophe entend Dans l'avenir, déjà vivant sous ses prunelles, La palpitation de ces millions d'ailes ! Jersey, le 23 mai 1853.

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