Orgueil J'ai secoué du rêve avec ma chevelure.
Aux foules où j'allais, un long frisson vivant
Me suivait, comme un bruit de feuilles dans le vent ;
Et ma beauté jetait des feux comme une armure.
Au large devant moi les cœurs fumaient d'amour ;
Froide, je traversais les désirs et les fièvres ;
Tout, drame ou comédie, avait lieu sur mes lèvres ;
Mon orgueil éternel demeurait sur la tour.
Du remords imbécile et lâche je n'ai cure,
Et n'ai cure non plus des fadasses pitiés.
Les larmes et le sang, je m'y lave les pieds !
Et je passe, fatale ainsi que la nature.
Je suis sans défaillance, et n'ai point d'abandons.
Ma chair n'est point esclave au vieux marché des villes.
Et l'homme, qui fait peur aux amantes serviles,
Sent que son maître est là quand nous nous regardons.
J'ai des jardins profonds dans mes yeux d'émeraude,
Des labyrinthes fous, d'où l'on ne revient point.
De qui me croit tout près je suis toujours si loin,
Et qui m'a possédée a possédé la Fraude.
Mes sens, ce sont des chiens qu'au doigt je fais coucher,
Je les dresse à forcer la proie en ses asiles ;
Puis, l'ayant étranglée, ils attendent, dociles,
Que mes yeux souverains leur disent d'y toucher.
Je voudrais tous les cœurs avec toutes les âmes !
Je voudrais, chasseresse aux féroces ardeurs,
Entasser à mes pieds des cœurs, encor des cœurs...
Et je distribuerais mon butin rouge aux femmes !
Je traîne, magnifique, un lourd manteau d'ennui,
Où s'étouffe le bruit des sanglots et des râles.
Les flammes qu'en passant j'allume aux yeux des mâles,
Sont des torches de fête en mon cœur plein de nuit.
La haine me plaît mieux, étant moins puérile.
Mère, épouse, non pas : ni femelle vraiment !
Je veux que mon corps, vierge ainsi qu'un diamant,
À jamais comme lui soit splendide et stérile.
Mon orgueil est ma vie, et mon royal trésor ;
Et jusque sur le marbre, où je m'étendrai froide,
Je veux garder, farouche, aux plis du linceul roide,
Une bouche scellée, et qui dit non encor.
il y a 9 mois
Charles Baudelaire
@charlesBaudelaire
Châtiment de l'orgueil En ces temps merveilleux où la Théologie
Fleurit avec le plus de sève et d'énergie
On raconte qu'un jour un docteur des plus grands,
- Après avoir forcé les coeurs indifférents ;
Les avoir remués dans leurs profondeurs noires ;
Après avoir franchi vers les célestes gloires
Des chemins singuliers à lui-même inconnus,
Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus,
Comme un homme monté trop haut, pris de panique,
S'écria, transporté d'un orgueil satanique :
" Jésus, petit Jésus ! je t'ai poussé bien haut !
Mais, si j'avais voulu t'attaquer au défaut
De l'armure, ta honte égalerait ta gloire,
Et tu ne serais plus qu'un foetus dérisoire ! "
Immédiatement sa raison s'en alla.
L'éclat de ce soleil d'un crêpe se voila ;
Tout le chaos roula dans cette intelligence,
Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence,
Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.
Le silence et la nuit s'installèrent en lui,
Comme dans un caveau dont la clef est perdue.
Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue,
Et, quand il s'en allait sans rien voir, à travers
Les champs, sans distinguer les étés des hivers,
Sale, inutile et laid comme une chose usée,
Il faisait des enfants la joie et la risée.
il y a 9 mois
François Coppée
@francoisCoppee
Orgueil d'aimer Hélas ! la chimère s'envole
Et l'espoir ne m'est plus permis ;
Mais je défends qu'on me console.
Ne me plaignez pas, mes amis.
J'aime ma peine intérieure
Et l'accepte d'un cœur soumis.
Ma part est encor la meilleure
Puisque mon amour m'est resté ;
Ne me plaignez pas si j'en pleure.
À votre lampe, aux soirs d'été,
Les papillons couleur de soufre
Meurent pour avoir palpité.
Ainsi mon amour, comme un gouffre,
M'entraîne et je vais m'engloutir ;
Ne me plaignez pas si j'en souffre.
Car je ne puis me repentir,
Et dans la torture subie
J'ai la volupté du martyr ;
Et s'il faut y laisser ma vie,
Ce sera sans lâches clameurs.
J'aime ! j'aime et veux qu'on m'envie !
Ne me plaignez pas si j'en meurs.