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Beauté

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Beauté

Poésies de la collection beauté

    Aimé Césaire

    Aimé Césaire

    @aimeCesaire

    Beau sang giclé Ta forme est un éclair qui laisse les bras vides, Ton sourire est l’instant que l’on ne peut saisir… Tu fuis, lorsque l’appel de mes lèvres avides T’implore, ô mon Désir ! Froide comme l’Espoir, ta caresse cruelle Meurtrit sans assouvir ; il n’en reste en effet Que l’éternelle faim et la soif éternelle Et l’éternel regret. Tu frôles sans étreindre, ainsi que la Chimère Vers qui tendent toujours tes vœux inapaisés… Rien ne vaut ce tourment ni cette extase amère De tes rares baisers !

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    Alain Bosquet

    Alain Bosquet

    @alainBosquet

    Beau néant Je trouve le néant très confortable : j'éprouve le bien-être entre ses murs qui vagabondent, ses toits qui s'ouvrent pour inviter l'étoile à me rendre visite, et ses fontaines sans eau et sans musique. Je suis heureux de n'avoir plus le souci du bonheur. Un chêne vient à ma rencontre : « Vous serez moi, je serai vous. » Une cigogne ajoute : « Vous me feriez plaisir en volant à ma place. » Exister ne m'est pas nécessaire. Je n'ai ni forme ni prénom. Je suis pierre le soir et plante le matin. Ce qui subsiste de ma raison ne peut plus s'insurger : je ne suis pas définissable. Le néant est si riche :

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    Albert Camus

    Albert Camus

    @albertCamus

    Au fond de toute beauté gît quelque chose d’inhumain Au fond de toute beauté gît quelque chose d’inhumain et ces collines, la douceur du ciel, ces dessins d’arbres, voici qu’à la minute même, ils perdent le sens illusoire dont nous les revêtions, désormais plus lointains qu’un paradis perdu. L’hostilité primitive du monde, à travers les millénaires, remonte vers nous. Pour une seconde, nous ne le comprenons plus puisque pendant des siècles nous n’avons compris en lui que les figures et les dessins que préalablement nous y mettions, puisque désormais les forces nous manquent pour user de cet artifice. Le monde nous échappe puisqu’il redevient lui-même. Ces décors masqués par l’habitude redeviennent ce qu’ils sont. Ils s’éloignent de nous. De même qu’il est des jours où, sous le visage familier d’une femme, on retrouve comme une étrangère celle qu’on avait aimée il y a des mois ou des années, peut-être allons-nous désirer même ce qui nous rend soudain si seuls. Mais le temps n’est pas encore venu. Une seule chose : cette épaisseur et cette étrangeté du monde, c’est l’absurde.

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    A

    Albert Mérat

    @albertMerat

    Le nez Ouvert à la fraîcheur des roses embaumées, Le nez, suite du front classiquement étroit, Se dessine un peu grand, irréprochable et droit, Dans la convention plastique des camées. La plus belle parmi les mortes bien-aimées, Cléopâtre, la reine à qui mon rêve croit, Avait ce nez petit dont, mieux qu'un charme froid, La grâce fit qu'Antoine oublia ses armées ! J'aime encore le nez des Juives, pâle et fin, Dont la narine rose anime le confins De la joue, et palpite et s'enfle sensuelle. La colère le plisse et le dédain le tord, Et l'on voit, frémissant tout entier dans son aile, Le grand amour sans peur, sans mesure et sans tort.

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    A

    Albert Mérat

    @albertMerat

    Le pied Je veux, humiliant mon front et mes genoux, Prosterné devant toi comme on est quand on prie, Sous le ciel de tes yeux qui font ma rêverie, Baiser pieusement tes pieds petits et doux. J'étancherai, gardant tout mon désir pour vous, La grande soif d'aimer qui n'est jamais tarie, Ô petits pieds, trésor dont la beauté marie La rose triomphale et claire au lys jaloux. Vous avez des frissons subtils comme les ailes ; Non moins immaculés que les mains et plus frêles, A peine vous posez sur notre sol impur. Peureux, lorsque ma lèvre amoureuse vous touche, Je crois sentir trembler, au souffle de ma bouche, Des oiseaux retenus captifs loin de l'azur.

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    A

    Albert Mérat

    @albertMerat

    Non, tu ne m'as rien emporté Non, tu ne m'as rien emporté ! C'est encor moi qui te possède ; J'ai gardé toute ta beauté ; A nul autre je ne te cède ! Écoute ! L'homme à qui tes bras Ouvrent le ciel de tes caresses, Quoi qu'il fasse, ne t'aura pas, Ô la plus belle des maîtresses ! J'ai mis à l'abri mes trésors Comme un avare statuaire ; Et la merveille de ton corps A mon âme pour sanctuaire.

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    A

    Albert Mérat

    @albertMerat

    Ta bouche Ta bouche a deux façons charmantes de causer, Deux charmantes façons : le rire et le baiser. Si vous voulez savoir celle que je préfère, J'aime mieux celle-ci, mais l'autre m'est plus chère.

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    A

    Albert Mérat

    @albertMerat

    Tes cheveux Elle est charmante, elle est aussi brune que blonde. Vous la reconnaîtrez, perfide comme l'onde, A ses cheveux changeant de tons et de parfums. Lorsque cela me plaît, moi, je les trouve bruns. Lorsque cela me plaît, je dis : « Sa chevelure A les reflets d'or mat que prend la moisson mûre. » Elle est blonde, elle est brune, et j'ai toujours raison. Un poète a chanté cela dans la saison Où la chanson des prés, douce et point ironique, Vient jusque dans les bois bercer la véronique. Cela dépend du jour, de l'heure, du moment. Il se peut que ce soit gênant, mais c'est charmant. On dirait que l'on voit, resplendissant et sombre, Un mouvant réseau d'or qui scintille dans l'ombre.

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Comme un père en ses bras Comme un père en ses bras tient une enfant bercée Et doucement la serre, et, loin des curieux, S'arrête au coin d'un mur pour lui baiser les yeux, Je te porte couvée au secret de mon âme, Ô toi que j'élus douce entre toutes les femmes, Et qui marches, suave, en tes parfums flottants. Les soirs fuyants et fins aux ciels inconsistants Où défaille et s'en va la lumière vaincue, Je n'en sens la douceur tout entière vécue Que si ton nom chanté sur un rite obsesseur Coule en tièdes frissons de ma bouche à mon cœur !... Ô longs doigts vaporeux qui font rêver la lyre !... C'est ta robe évoquée avec un long sourire Qui monte, qui s'étend dans la chute du jour Et, flottante, remplit le ciel entier d'amour... Ô femme, lac profond qui garde qui s'y plonge, Leurre ou piège, qu'importe ? ... ô chair tissée en songe, Qui jamais, qui jamais connaîtra sous les cieux D'où vient cet éternel sanglot délicieux Qui roule du profond de l'homme vers Tes Yeux !

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A Julie On me demande, par les rues, Pourquoi je vais bayant aux grues, Fumant mon cigare au soleil, A quoi se passe ma jeunesse, Et depuis trois ans de paresse Ce qu’ont fait mes nuits sans sommeil. Donne-moi tes lèvres, Julie ; Les folles nuits qui t’ont pâlie Ont séché leur corail luisant. Parfume-les de ton haleine ; Donne-les-moi, mon Africaine, Tes belles lèvres de pur sang. Mon imprimeur crie à tue-tête Que sa machine est toujours prête, Et que la mienne n’en peut mais. D’honnêtes gens, qu’un club admire, N’ont pas dédaigné de prédire Que je n’en reviendrai jamais. Julie, as-tu du vin d’Espagne ? Hier, nous battions la campagne ; Va donc voir s’il en reste encor. Ta bouche est brûlante, Julie ; Inventons donc quelque folie Qui nous perde l’âme et le corps. On dit que ma gourme me rentre, Que je n’ai plus rien dans le ventre, Que je suis vide à faire peur ; Je crois, si j’en valais la peine, Qu’on m’enverrait à Sainte-Hélène, Avec un cancer dans le coeur. Allons, Julie, il faut t’attendre A me voir quelque jour en cendre, Comme Hercule sur son rocher. Puisque c’est par toi que j’expire, Ouvre ta robe, Déjanire, Que je monte sur mon bûcher.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A Madame G (1) Dans dix ans d’ici seulement, Vous serez un peu moins cruelle. C’est long, à parler franchement. L’amour viendra probablement Donner à l’horloge un coup d’aile. Votre beauté nous ensorcelle, Prenez-y garde cependant : On apprend plus d’une nouvelle En dix ans. Quand ce temps viendra, d’un amant Je serai le parfait modèle, Trop bête pour être inconstant, Et trop laid pour être infidèle. Mais vous serez encor trop belle

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    À Juana Ô ciel ! je vous revois, madame, De tous les amours de mon âme Vous le plus tendre et le premier. Vous souvient-il de notre histoire ? Moi, j'en ai gardé la mémoire : C'était, je crois, l'été dernier. Ah ! marquise, quand on y pense, Ce temps qu'en folie on dépense, Comme il nous échappe et nous fuit ! Sais-tu bien, ma vieille maîtresse, Qu'à l'hiver, sans qu'il y paraisse, J'aurai vingt ans, et toi dix-huit ? Eh bien ! m'amour, sans flatterie, Si ma rose est un peu pâlie, Elle a conservé sa beauté. Enfant ! jamais tête espagnole Ne fut si belle, ni si folle. Te souviens-tu de cet été ? De nos soirs, de notre querelle ? Tu me donnas, je me rappelle, Ton collier d'or pour m'apaiser, Et pendant trois nuits, que je meure, Je m'éveillai tous les quarts d'heure, Pour le voir et pour le baiser. Et ta duègne, ô duègne damnée ! Et la diabolique journée Où tu pensas faire mourir, O ma perle d'Andalousie, Ton vieux mari de jalousie, Et ton jeune amant de plaisir ! Ah ! prenez-y garde, marquise, Cet amour-là, quoi qu'on en dise, Se retrouvera quelque jour. Quand un coeur vous a contenue, Juana, la place est devenue Trop vaste pour un autre amour. Mais que dis-je ? ainsi va le monde. Comment lutterais-je avec l'onde Dont les flots ne reculent pas ? Ferme tes yeux, tes bras, ton âme ; Adieu, ma vie, adieu, madame, Ainsi va le monde ici-bas. Le temps emporte sur son aile Et le printemps et l'hirondelle, Et la vie et les jours perdus ; Tout s'en va comme la fumée, L'espérance et la renommée, Et moi qui vous ai tant aimée, Et toi qui ne t'en souviens plus !

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    À la malibran I Sans doute il est trop tard pour parler encor d’elle ; Depuis qu’elle n’est plus quinze jours sont passés, Et dans ce pays-ci quinze jours, je le sais, Font d’une mort récente une vieille nouvelle. De quelque nom d’ailleurs que le regret s’appelle, L’homme, par tout pays, en a bien vite assez. II Ô Maria-Felicia ! le peintre et le poète Laissent, en expirant, d’immortels héritiers ; Jamais l’affreuse nuit ne les prend tout entiers. À défaut d’action, leur grande âme inquiète De la mort et du temps entreprend la conquête, Et, frappés dans la lutte, ils tombent en guerriers. III Celui-là sur l’airain a gravé sa pensée ; Dans un rythme doré l’autre l’a cadencée ; Du moment qu’on l’écoute, on lui devient ami. Sur sa toile, en mourant, Raphaël l’a laissée, Et, pour que le néant ne touche point à lui, C’est assez d’un enfant sur sa mère endormi. IV Comme dans une lampe une flamme fidèle, Au fond du Parthénon le marbre inhabité Garde de Phidias la mémoire éternelle, Et la jeune Vénus, fille de Praxitèle, Sourit encor, debout dans sa divinité, Aux siècles impuissants qu’a vaincus sa beauté. V Recevant d’âge en âge une nouvelle vie, Ainsi s’en vont à Dieu les gloires d’autrefois ; Ainsi le vaste écho de la voix du génie Devient du genre humain l’universelle voix… Et de toi, morte hier, de toi, pauvre Marie, Au fond d’une chapelle il nous reste une croix ! VI Une croix ! et l’oubli, la nuit et le silence ! Écoutez ! c’est le vent, c’est l’Océan immense ; C’est un pêcheur qui chante au bord du grand chemin. Et de tant de beauté, de gloire et d’espérance, De tant d’accords si doux d’un instrument divin, Pas un faible soupir, pas un écho lointain ! VII Une croix ! et ton nom écrit sur une pierre, Non pas même le tien, mais celui d’un époux, Voilà ce qu’après toi tu laisses sur la terre ; Et ceux qui t’iront voir à ta maison dernière, N’y trouvant pas ce nom qui fut aimé de nous, Ne sauront pour prier où poser les genoux. VIII Ô Ninette ! où sont-ils, belle muse adorée, Ces accents pleins d’amour, de charme et de terreur, Qui voltigeaient le soir sur ta lèvre inspirée, Comme un parfum léger sur l’aubépine en fleur ? Où vibre maintenant cette voix éplorée, Cette harpe vivante attachée à ton coeur ? IX N’était-ce pas hier, fille joyeuse et folle, Que ta verve railleuse animait Corilla, Et que tu nous lançais avec la Rosina La roulade amoureuse et l’oeillade espagnole ? Ces pleurs sur tes bras nus, quand tu chantais le Saule, N’était-ce pas hier, pâle Desdemona ? X N’était-ce pas hier qu’à la fleur de ton âge Tu traversais l’Europe, une lyre à la main ; Dans la mer, en riant, te jetant à la nage, Chantant la tarentelle au ciel napolitain, Coeur d’ange et de lion, libre oiseau de passage, Espiègle enfant ce soir, sainte artiste demain ? XI N’était-ce pas hier qu’enivrée et bénie Tu traînais à ton char un peuple transporté, Et que Londre et Madrid, la France et l’Italie, Apportaient à tes pieds cet or tant convoité, Cet or deux fois sacré qui payait ton génie, Et qu’à tes pieds souvent laissa ta charité ? XII Qu’as-tu fait pour mourir, ô noble créature, Belle image de Dieu, qui donnais en chemin Au riche un peu de joie, au malheureux du pain ? Ah ! qui donc frappe ainsi dans la mère nature, Et quel faucheur aveugle, affamé de pâture, Sur les meilleurs de nous ose porter la main ? XIII Ne suffit-il donc pas à l’ange de ténèbres Qu’à peine de ce temps il nous reste un grand nom ? Que Géricault, Cuvier, Schiller, Goethe et Byron Soient endormis d’hier sous les dalles funèbres, Et que nous ayons vu tant d’autres morts célèbres Dans l’abîme entr’ouvert suivre Napoléon ? XIV Nous faut-il perdre encor nos têtes les plus chères, Et venir en pleurant leur fermer les paupières, Dès qu’un rayon d’espoir a brillé dans leurs yeux ? Le ciel de ses élus devient-il envieux ? Ou faut-il croire, hélas ! ce que disaient nos pères, Que lorsqu’on meurt si jeune on est aimé des dieux ? XV Ah ! combien, depuis peu, sont partis pleins de vie ! Sous les cyprès anciens que de saules nouveaux ! La cendre de Robert à peine refroidie, Bellini tombe et meurt ! – Une lente agonie Traîne Carrel sanglant à l’éternel repos. Le seuil de notre siècle est pavé de tombeaux. XVI Que nous restera-t-il si l’ombre insatiable, Dès que nous bâtissons, vient tout ensevelir ? Nous qui sentons déjà le sol si variable, Et, sur tant de débris, marchons vers l’avenir, Si le vent, sous nos pas, balaye ainsi le sable, De quel deuil le Seigneur veut-il donc nous vêtir ? XVII Hélas ! Marietta, tu nous restais encore. Lorsque, sur le sillon, l’oiseau chante à l’aurore, Le laboureur s’arrête, et, le front en sueur, Aspire dans l’air pur un souffle de bonheur. Ainsi nous consolait ta voix fraîche et sonore, Et tes chants dans les cieux emportaient la douleur. XVIII Ce qu’il nous faut pleurer sur ta tombe hâtive, Ce n’est pas l’art divin, ni ses savants secrets : Quelque autre étudiera cet art que tu créais ; C’est ton âme, Ninette, et ta grandeur naïve, C’est cette voix du coeur qui seule au coeur arrive, Que nul autre, après toi, ne nous rendra jamais. XIX Ah ! tu vivrais encor sans cette âme indomptable. Ce fut là ton seul mal, et le secret fardeau Sous lequel ton beau corps plia comme un roseau. Il en soutint longtemps la lutte inexorable. C’est le Dieu tout-puissant, c’est la Muse implacable Qui dans ses bras en feu t’a portée au tombeau. XX Que ne l’étouffais-tu, cette flamme brûlante Que ton sein palpitant ne pouvait contenir ! Tu vivrais, tu verrais te suivre et t’applaudir De ce public blasé la foule indifférente, Qui prodigue aujourd’hui sa faveur inconstante À des gens dont pas un, certes, n’en doit mourir. XXI Connaissais-tu si peu l’ingratitude humaine ? Quel rêve as-tu donc fait de te tuer pour eux ? Quelques bouquets de fleurs te rendaient-ils si vaine, Pour venir nous verser de vrais pleurs sur la scène, Lorsque tant d’histrions et d’artistes fameux, Couronnés mille fois, n’en ont pas dans les yeux ? XXII Que ne détournais-tu la tête pour sourire, Comme on en use ici quand on feint d’être ému ? Hélas ! on t’aimait tant, qu’on n’en aurait rien vu. Quand tu chantais le Saule, au lieu de ce délire, Que ne t’occupais-tu de bien porter ta lyre ? La Pasta fait ainsi : que ne l’imitais-tu ? XXIII Ne savais-tu donc pas, comédienne imprudente, Que ces cris insensés qui te sortaient du coeur De ta joue amaigrie augmentaient la pâleur ? Ne savais-tu donc pas que, sur ta tempe ardente, Ta main de jour en jour se posait plus tremblante, Et que c’est tenter Dieu que d’aimer la douleur ? XXIV Ne sentais-tu donc pas que ta belle jeunesse De tes yeux fatigués s’écoulait en ruisseaux, Et de ton noble coeur s’exhalait en sanglots ? Quand de ceux qui t’aimaient tu voyais la tristesse, Ne sentais-tu donc pas qu’une fatale ivresse Berçait ta vie errante à ses derniers rameaux ? XXV Oui, oui, tu le savais, qu’au sortir du théâtre, Un soir dans ton linceul il faudrait te coucher. Lorsqu’on te rapportait plus froide que l’albâtre, Lorsque le médecin, de ta veine bleuâtre, Regardait goutte à goutte un sang noir s’épancher, Tu savais quelle main venait de te toucher. XXVI Oui, oui, tu le savais, et que, dans cette vie, Rien n’est bon que d’aimer, n’est vrai que de souffrir. Chaque soir dans tes chants tu te sentais pâlir. Tu connaissais le monde, et la foule, et l’envie, Et, dans ce corps brisé concentrant ton génie, Tu regardais aussi la Malibran mourir. XXVII Meurs donc ! ta mort est douce, et ta tâche est remplie. Ce que l’homme ici-bas appelle le génie, C’est le besoin d’aimer ; hors de là tout est vain. Et, puisque tôt ou tard l’amour humain s’oublie, Il est d’une grande âme et d’un heureux destin

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Lucie Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. J’aime son feuillage éploré ; La pâleur m’en est douce et chère, Et son ombre sera légère À la terre où je dormirai. Un soir, nous étions seuls, j’étais assis près d’elle ; Elle penchait la tête, et sur son clavecin Laissait, tout en rêvant, flotter sa blanche main. Ce n’était qu’un murmure : on eût dit les coups d’aile D’un zéphyr éloigné glissant sur des roseaux, Et craignant en passant d’éveiller les oiseaux. Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques Sortaient autour de nous du calice des fleurs. Les marronniers du parc et les chênes antiques Se berçaient doucement sous leurs rameaux en pleurs. Nous écoutions la nuit ; la croisée entr’ouverte Laissait venir à nous les parfums du printemps ; Les vents étaient muets, la plaine était déserte ; Nous étions seuls, pensifs, et nous avions quinze ans. Je regardais Lucie. – Elle était pâle et blonde. Jamais deux yeux plus doux n’ont du ciel le plus pur Sondé la profondeur et réfléchi l’azur. Sa beauté m’enivrait ; je n’aimais qu’elle au monde. Mais je croyais l’aimer comme on aime une soeur, Tant ce qui venait d’elle était plein de pudeur ! Nous nous tûmes longtemps ; ma main touchait la sienne. Je regardais rêver son front triste et charmant, Et je sentais dans l’âme, à chaque mouvement, Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine, Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur, Jeunesse de visage et jeunesse de coeur. La lune, se levant dans un ciel sans nuage, D’un long réseau d’argent tout à coup l’inonda. Elle vit dans mes yeux resplendir son image ; Son sourire semblait d’un ange : elle chanta. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fille de la douleur, harmonie ! harmonie ! Langue que pour l’amour inventa le génie ! Qui nous vins d’Italie, et qui lui vins des cieux ! Douce langue du coeur, la seule où la pensée, Cette vierge craintive et d’une ombre offensée, Passe en gardant son voile et sans craindre les yeux ! Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire Dans tes soupirs divins, nés de l’air qu’il respire, Tristes comme son coeur et doux comme sa voix ? On surprend un regard, une larme qui coule ; Le reste est un mystère ignoré de la foule, Comme celui des flots, de la nuit et des bois ! – Nous étions seuls, pensifs ; je regardais Lucie. L’écho de sa romance en nous semblait frémir. Elle appuya sur moi sa tête appesantie. Sentais-tu dans ton coeur Desdemona gémir, Pauvre enfant ? Tu pleurais ; sur ta bouche adorée Tu laissas tristement mes lèvres se poser, Et ce fut ta douleur qui reçut mon baiser. Telle je t’embrassai, froide et décolorée, Telle, deux mois après, tu fus mise au tombeau ; Telle, ô ma chaste fleur ! tu t’es évanouie. Ta mort fut un sourire aussi doux que ta vie, Et tu fus rapportée à Dieu dans ton berceau. Doux mystère du toit que l’innocence habite, Chansons, rêves d’amour, rires, propos d’enfant, Et toi, charme inconnu dont rien ne se défend, Qui fis hésiter Faust au seuil de Marguerite, Candeur des premiers jours, qu’êtes-vous devenus ? Paix profonde à ton âme, enfant ! à ta mémoire ! Adieu ! ta blanche main sur le clavier d’ivoire, Durant les nuits d’été, ne voltigera plus… Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. J’aime son feuillage éploré ; La pâleur m’en est douce et chère, Et son ombre sera légère À la terre où je dormirai.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Qu’elle est superbe en son désordre Avez-vous vu, dans Barcelone, Une Andalouse au sein bruni ? Pâle comme un beau soir d’automne ! C’est ma maîtresse, ma lionne ! La marquesa d’Amaëgui ! J’ai fait bien des chansons pour elle, Je me suis battu bien souvent. Bien souvent j’ai fait sentinelle, Pour voir le coin de sa prunelle, Quand son rideau tremblait au vent. Elle est à moi, moi seul au monde. Ses grands sourcils noirs sont à moi, Son corps souple et sa jambe ronde, Sa chevelure qui l’inonde, Plus longue qu’un manteau de roi ! C’est à moi son beau corps qui penche Quand elle dort dans son boudoir, Et sa basquina sur sa hanche, Son bras dans sa mitaine blanche, Son pied dans son brodequin noir.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    Dolorida Yo amo mas a tu amor que a tu vida (J’aime mieux ton amour que ta vie) Proverbe espagnol. Est-ce la Volupté qui, pour ses doux mystères, Furtive, a rallumé ces lampes solitaires ? La gaze et le cristal sont leur pâle prison. Aux souffles purs d’un soir de l’ardente saison S’ouvre sur le balcon la moresque fenêtre ; Une aurore imprévue à minuit semble naître, Quand la lune apparaît, quand ses gerbes d’argent Font pâlir les lueurs du feu rose et changeant ; Les deux clartés à l’oeil offrent partout leurs pièges, Caressent mollement le velours bleu des sièges, La soyeuse ottomane où le livre est encor, La pendule mobile entre deux vases d’or, La Madone d’argent, sous des roses cachée, Et sur un lit d’azur une beauté couchée. Oh ! jamais dans Madrid un noble cavalier Ne verra tant de grâce à plus d’art s’allier ; Jamais pour plus d’attraits, lorsque la nuit commence, N’a frémi la guitare et langui la romance ; Jamais, dans nulle église, on ne vit plus beaux yeux Des grains du chapelet se tourner vers les cieux ; Sur les mille degrés du vaste amphithéâtre On n’admira jamais plus belles mains d’albâtre, Sous la mantille noire et ses paillettes d’or, Applaudissant, de loin, l’adroit Toréador. Mais, ô vous qu’en secret nulle oeillade attentive Dans ses rayons brillants ne chercha pour captive, Jeune foule d’amants, Espagnols à l’oeil noir, Si sous la perle et l’or vous l’adoriez le soir, Qui de vous ne voudrait (dût la dague andalouse Le frapper au retour de sa pointe jalouse) Prosterner ses baisers sur ces pieds découverts, Ce col, ce sein d’albâtre, à l’air nocturne ouverts, Et ces longs cheveux noirs tombant sur son épaule, Comme tombe à ses pieds le vêtement du saule ? Dolorida n’a plus que ce voile incertain, Le premier que revêt le pudique matin Et le dernier rempart que, dans sa nuit folâtre, L’amour ose enlever d’une main idolâtre. Ses bras nus à sa tête offrent un mol appui, Mais ses yeux sont ouverts, et bien du temps a fui Depuis que, sur l’émail, dans ses douze demeures, Ils suivent ce compas qui tourne avec les heures. Que fait-il donc, celui que sa douleur attend ? Sans doute il n’aime pas, celui qu’elle aime tant. A peine chaque jour l’épouse délaissée Voit un baiser distrait sur sa lèvre empressée Tomber seul, sans l’amour ; son amour cependant S’accroît par les dédains et souffre plus ardent. Près d’un constant époux, peut-être, ô jeune femme ! Quelque infidèle espoir eût égaré ton âme ; Car l’amour d’une femme est semblable à l’enfant Qui, las de ses jouets, les brise triomphant, Foule d’un pied volage une rose immobile, Et suit l’insecte ailé qui fuit sa main débile. Pourquoi Dolorida seule en ce grand palais, Où l’on n’entend, ce soir, ni le pied des valets, Ni, dans la galerie et les corridors tristes, Les enfantines voix des vives caméristes ? Trois heures cependant ont lentement sonné ; La voix du temps est triste au coeur abandonné ; Ses coups y réveillaient la douleur de l’absence, Et la lampe luttait ; sa flamme sans puissance Décroissait inégale, et semblait un mourant Qui sur la vie encor jette un regard errant. A ses yeux fatigués tout se montre plus sombre, Le crucifix penché semble agiter son ombre ; Un grand froid la saisit, mais les fortes douleurs Ignorent les sanglots, les soupirs et les pleurs : Elle reste immobile, et, sous un air paisible Mord, d’une dent jalouse, une main insensible. Que le silence est long ! Mais on entend des pas ; La porte s’ouvre, il entre : elle ne tremble pas ! Elle ne tremble pas, à sa pâle figure Qui de quelque malheur semble traîner l’augure ; Elle voit sans effroi son jeune époux, si beau, Marcher jusqu’à son lit comme on marche au tombeau. Sous les plis du manteau se courbe sa faiblesse ; Même sa longue épée est un poids qui le blesse. Tombé sur ses genoux, il parle à demi-voix : « — Je viens te dire adieu ; je me meurs, tu le vois, Dolorida, je meurs ! une flamme inconnue, Errante, est de mon sang jusqu’au coeur parvenue. Mes pieds sont froids et lourds, mon oeil est obscurci ; Je suis tombé trois fois en revenant ici. Mais je voulais te voir ; mais, quand l’ardente fièvre Par des frissons brûlants a fait trembler ma lèvre, J’ai dit : Je vais mourir ; que la fin de mes jours Lui fasse au moins savoir qu’absent j’aimais toujours. Alors je suis partis ne demandant qu’une heure Et qu’un peu de soutien pour trouver ta demeure. Je me sens plus vivant à genoux devant toi. — Pourquoi mourir ici, quand vous viviez sans moi ? — Ô coeur inexorable ! oui, tu fus offensée ! Mais écoute mon souffle, et sens ma main glacée ; Viens toucher sur mon front cette froide sueur, Du trépas dans mes yeux vois la terne lueur ; Donne, oh ! donne une main ; dis mon nom. Fais entendre Quelque mot consolant, s’il ne peut être tendre. Des jours qui m’étaient dus je n’ai pas la moitié : Laisse en aller mon âme en rêvant ta pitié ! Hélas ! devant la mort montre un peu d’indulgence ! — La mort n’est que la mort et n’est pas la vengeance. — Ô Dieux ! si jeune encor ! tout son coeur endurci ! Qu’il t’a fallu souffrir pour devenir ainsi ! Tout mon crime est empreint au fond de ton langage, Faible amie, et ta force horrible est mon ouvrage. Mais viens, écoute-moi, viens, je mérite et veux Que ton âme apaisée entende mes aveux. Je jure, et tu le vois, en expirant, ma bouche Jure devant ce Christ qui domine ta couche, Et si par leur faiblesse ils n’étaient pas liés, Je lèverais mes bras jusqu’au sang de ses pieds ; Je jure que jamais mon amour égarée N’oublia loin de toi ton image adorée ; L’infidélité même était pleine de toi, Je te voyais partout entre ma faute et moi, Et sur un autre coeur mon coeur rêvait tes charmes Plus touchants par mon crime et plus beaux par tes larmes. Séduit par ces plaisirs qui durent peu de temps ! Je fus bien criminel ; mais, hélas ! j’ai vingt ans. — T’a-t-elle vu pâlir ce soir dans tes souffrances ? — J’ai vu son désespoir passer tes espérances, Oui, sois heureuse, elle a sa part dans nos douleurs ; Quand j’ai crié ton nom, elle a versé des pleurs ; Car je ne sais quel mal circule dans mes veines ; Mais je t’invoquais seule avec des plaintes vaines. J’ai cru d’abord mourir et n’avoir pas le temps D’appeler ton pardon sur mes derniers instants. Oh ! parle ; mon coeur fuit ; quitte ce dur langage ; Qu’un regard… Mais quel est ce blanchâtre breuvage Que tu bois à longs traits et d’un air insensé ? — Le reste du poison qu’hier je t’ai versé. » Écrit en 1823, dans les Pyrénées

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    La colère de samson Le désert est muet, la tente est solitaire. Quel pasteur courageux la dressa sur la terre Du sable et des lions ? — La nuit n’a pas calmé La fournaise du jour dont l’air est enflammé. Un vent léger s’élève à l’horizon et ride Les flots de la poussière ainsi qu’un lac limpide. Le lin blanc de la tente est bercé mollement ; L’œuf d’autruche, allumé, veille paisiblement, Des voyageurs voilés intérieure étoile, Et jette longuement deux ombres sur la toile. L’une est grande et superbe, et l’autre est à ses pieds : C’est Dalila, l’esclave, et ses bras sont liés Aux genoux réunis du maître jeune et grave Dont la force divine obéit à l’esclave. Comme un doux léopard elle est souple et répand Ses cheveux dénoués aux pieds de son amant. Ses grands yeux, entr’ouverts comme s’ouvre l’amande, Sont brûlants du plaisir que son regard demande, Et jettent, par éclats, leurs mobiles lueurs. Ses bras fins tout mouillés de tièdes sueurs, Ses pieds voluptueux qui sont croisés sous elle, Ses flancs, plus élancés que ceux de la gazelle, Pressés de bracelets, d’anneaux, de boucles d’or, Sont bruns, et, comme il sied aux filles de Hatsor, Ses deux seins, tout chargés d’amulettes anciennes, Sont chastement pressés d’étoffes syriennes. Les genoux de Samson fortement sont unis Comme les deux genoux du colosse Anubis. Elle s’endort sans force et riante et bercée Par la puissante main sous sa tête placée. Lui, murmure le chant funèbre et douloureux Prononcé dans la gorge avec des mots hébreux. Elle ne comprend pas la parole étrangère, Mais le chant verse un somme en sa tête légère. « Une lutte éternelle en tout temps, en tout lieu, Se livre sur la terre, en présence de Dieu, Entre la bonté d’Homme et la ruse de Femme. Car la Femme est un être impur de corps et d’âme. L’Homme a toujours besoin de caresse et d’amour, Sa mère l’en abreuve alors qu’il vient au jour, Et ce bras le premier l’engourdit, le balance Et lui donne un désir d’amour et d’indolence. Troublé dans l’action, troublé dans le dessein, Il rêvera partout à la chaleur du sein, Aux chansons de la nuit, aux baisers de l’aurore, À la lèvre de feu que sa lèvre dévore, Aux cheveux dénoués qui roulent sur son front, Et les regrets du lit, en marchant, le suivront. Il ira dans la ville, et, là, les vierges folles Le prendront dans leurs lacs aux premières paroles. Plus fort il sera né, mieux il sera vaincu, Car plus le fleuve est grand et plus il est ému. Quand le combat que Dieu fit pour la créature Et contre son semblable et contre la nature Force l’Homme à chercher un sein où reposer, Quand ses yeux sont en pleurs, il lui faut un baiser. Mais il n’a pas encor fini toute sa tâche. Vient un autre combat plus secret, traître et lâche ; Sous son bras, sous son cœur se livre celui-là, Et, plus ou moins, la Femme est toujours Dalila. Elle rit et triomphe, en sa froideur savante, Au milieu de ses sœurs elle attend et se vante De ne rien éprouver des atteintes du feu. À sa plus belle amie elle en a fait l’aveu : « Elle se fait aimer sans aimer elle-même ; « Un Maître lui fait peur. C’est le plaisir qu’elle aime, « L’Homme est rude et le prend sans savoir le donner. « Un sacrifice illustre et fait pour étonner « Rehausse mieux que l’or, aux yeux de ses pareilles, « La beauté qui produit tant d’étranges merveilles « Et d’un sang précieux sait arroser ses pas. » — Donc ce que j’ai voulu, Seigneur, n’existe pas ! — Celle à qui va l’amour et de qui vient la vie, Celle-là, par orgueil, se fait notre ennemie. La Femme est, à présent, pire que dans ces temps Où, voyant les humains, Dieu dit : « Je me repens ! » Bientôt, se retirant dans un hideux royaume, La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome ; Et se jetant, de loin, un regard irrité, Les deux sexes mourront chacun de son côté. Éternel ! Dieu des forts ! vous savez que mon âme N’avait pour aliment que l’amour d’une femme, Puisant dans l’amour seul plus de sainte vigueur Que mes cheveux divins n’en donnaient à mon cœur. — Jugez-nous. — La voilà sur mes pieds endormie. Trois fois elle a vendu mes secrets et ma vie, Et trois fois a versé des pleurs fallacieux Qui n’ont pu me cacher la rage de ses yeux ; Honteuse qu’elle était, plus encor qu’étonnée, De se voir découverte ensemble et pardonnée ; Car la bonté de l’Homme est forte, et sa douceur Écrase, en l’absolvant, l’être faible et menteur. Mais enfin je suis las. J’ai l’âme si pesante, Que mon corps gigantesque et ma tête puissante Qui soutiennent le poids des colonnes d’airain Ne la peuvent porter avec tout son chagrin. Toujours voir serpenter la vipère dorée Qui se traîne en sa fange et s’y croit ignorée ; Toujours ce compagnon dont le cœur n’est pas sûr, La Femme, enfant malade et douze fois impur ! Toujours mettre sa force à garder sa colère Dans son cœur offensé, comme en un sanctuaire D’où le feu s’échappant irait tout dévorer. Interdire à ses yeux de voir ou de pleurer, C’est trop ! Dieu, s’il le veut, peut balayer ma cendre. J’ai donné mon secret, Dalila va le vendre. Qu’ils seront beaux, les pieds de celui qui viendra Pour m’annoncer la mort ! — Ce qui sera, sera ! » Il dit et s’endormit près d’elle jusqu’à l’heure Où les guerriers tremblants d’être dans sa demeure, Payant au poids de l’or chacun de ses cheveux, Attachèrent ses mains et brûlèrent ses yeux, Le traînèrent sanglant et chargé d’une chaîne Que douze grands taureaux ne tiraient qu’avec peine, La placèrent debout, silencieusement, Devant Dagon, leur Dieu, qui gémit sourdement Et deux fois, en tournant, recula sur sa base Et fit pâlir deux fois ses prêtres en extase ; Allumèrent l’encens ; dressèrent un festin Dont le bruit s’entendait du mont le plus lointain ; Et près de la génisse aux pieds du Dieu tuée Placèrent Dalila, pâle prostituée, Couronnée, adorée et reine du repas, Mais tremblante et disant : Il ne me verra pas ! – Terre et ciel ! avez-vous tressailli d’allégresse Lorsque vous avez vu la menteuse maîtresse Suivie d’un œil hagard les yeux tachés de sang Qui cherchaient le soleil d’un regard impuissant ? Et quand enfin Samson, secouant les colonnes Qui faisaient le soutien des immenses Pylônes, Écrasa d’un seul coup, sous les débris mortels, Ses trois mille ennemis, leurs dieux et leurs autels ? Terre et Ciel ! punissez par de telles justices La trahison ourdie en des amours factices, Et la délation du secret de nos cœurs Arraché dans nos bras par des baisers menteurs ! Écrit à Shavington (Angleterre), 7 avril 1839.

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    A

    Amable Tastu

    @amableTastu

    La jeune fille Qu’elle est gracieuse et belle ! Est-il rien d’aussi beau qu’elle ? Me diras-tu, matelot, Sur ta galère fidèle, Si la galère, ou le flot, Ou l’étoile est aussi belle ? Me diras-tu, chevalier, Toi dont l’épée étincelle, Si l’épée, ou le coursier, Ou la guerre est aussi belle ? Me diras-tu, pastoureau, En paissant l’agneau qui bêle, Si la montagne, ou l’agneau, Ou la plaine est aussi belle ? Qu’elle est gracieuse et belle ! Est-il rien d’aussi beau qu’elle ?

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Bel astre de Vénus Bel astre de Vénus, de son front délicat Puisque Diane encor voile le doux éclat, Jusques à ce tilleul, au pied de la colline, Prête à mes pas secrets ta lumière divine. Je ne vais point tenter de nocturnes larcins, Ni tendre aux voyageurs des pièges assassins. J’aime : je vais trouver des ardeurs mutuelles, Une nymphe adorée, et belle entre les belles, Comme, parmi les feux que Diane conduit, Brillent tes feux si purs, ornement de la nuit.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Euphosyne Ah ! ce n’est point à moi qu’on s’occupe de plaire. Ma soeur plus tôt que moi dut le jour à ma mère. Si quelques beaux bergers apportent une fleur, Je sais qu’en me l’offrant ils regardent ma soeur ; S’ils vantent les attraits dont brille mon visage, Ils disent à ma soeur :  » C’est ta vivante image.  » Ah ! pourquoi n’ai-je encore vu que douze moissons ? Nul amant ne me flatte en ses douces chansons ; Nul ne dit qu’il mourra si je suis infidèle. Mais j’attends. L’âge vient. Je sais que je suis belle. Je sais qu’on ne voit point d’attraits plus désirés Qu’un visage arrondi, de longs cheveux dorés, Dans une bouche étroite un double rang d’ivoire, Et sur de beaux yeux bleus une paupière noire.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    La jeune tarentine Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez. Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine. Un vaisseau la portait aux bords de Camarine. Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement, Devaient la reconduire au seuil de son amant. Une clef vigilante a pour cette journée Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée Et l'or dont au festin ses bras seraient parés Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés. Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles, Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles L'enveloppe. Étonnée, et loin des matelots, Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots. Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine. Son beau corps a roulé sous la vague marine. Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher Aux monstres dévorants eut soin de le cacher. Par ses ordres bientôt les belles Néréides L'élèvent au-dessus des demeures humides, Le portent au rivage, et dans ce monument L'ont, au cap du Zéphir, déposé mollement. Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes, Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes, Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil, Répétèrent : « Hélas ! » autour de son cercueil. Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée. Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée. L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds. Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Marseille Ô beautés de Marseille… vous avez une tournure vive et attrayante… vos cheveux… vos yeux noirs et… ont des regards bien doux. Heureux qui peut vivre près de vous… Marseille est une ville… dans son port tout hérissé d’une forêt de mâts, on trouve le Musulman, l’Indien, etc… Marseille est tout l’univers… elle a toujours été florissante… unissant le commerce aux sciences et à la guerre… Pythéas… depuis l’Ibérie jusqu’à la Ligurie, plusieurs opulentes cités la reconnaissent pour mère… fille des Phocéens, amie de Rome, rivale de Carthage, elle a été l’Athènes gauloise… Tel est le destin que lui promit le vieux Protée lorsque… les Phocéens sortant de leur pays… ils mettent à la voile… leur serment… Protée s’élève sur la mer et leur prédit… (c’est ici qu’il faut mettre ce que dessus), ils arrivent pendant que le roi de cette côte préparait le festin nuptial pour sa fille… Cette belle les avait vus arriver ;… elle avait dit à sa nourrice : Ô que cet étranger est beau !… Il n’a point l’air sauvage de nos Gaulois… La douceur et la fierté sont sur son visage… Le héros grec est invité au festin… Elle entre, la belle barbare. Suivant l’usage on lui donne la coupe… Celui à qui elle la présentera sera son époux… Elle tourne… et rougissant et baissant les yeux, elle présente au héros grec la coupe nuptiale… Et malgré les fureurs de la horde rivale, Le héros… boit la coupe nuptiale. Salut, ô ville grecque, honneur du nom français Toi par qui, dans l’horreur de nos vieilles forêts, Du cruel Teutates le prêtre sanguinaire Entendit les doux sons de la langue d’Homère ; Qui, disciple à la fois de Minerve et de Mars, Fis couler sur nos bords l’opulence et les arts. Et, de nos durs aïeux polissant la rudesse, Sur des rochers gaulois sus transplanter la Grèce.

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    L’offrande à la nature Nature au cœur profond sur qui les cieux reposent, Nul n’aura comme moi si chaudement aimé La lumière des jours et la douceur des choses, L’eau luisante et la terre où la vie a germé. La forêt, les étangs et les plaines fécondes Ont plus touché mes yeux que les regards humains, Je me suis appuyée à la beauté du monde Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains. J’ai porté vos soleils ainsi qu’une couronne Sur mon front plein d’orgueil et de simplicité, Mes jeux ont égalé les travaux de l’automne Et j’ai pleuré d’amour aux bras de vos étés. Je suis venue à vous sans peur et sans prudence Vous donnant ma raison pour le bien et le mal, Ayant pour toute joie et toute connaissance Votre âme impétueuse aux ruses d’animal. Comme une fleur ouverte où logent des abeilles Ma vie a répandu des parfums et des chants, Et mon cœur matineux est comme une corbeille Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants. Soumise ainsi que l’onde où l’arbre se reflète, J’ai connu les désirs qui brûlent dans vos soirs Et qui font naître au cœur des hommes et des bêtes La belle impatience et le divin vouloir. Je vous tiens toute vive entre mes bras, Nature. Ah ! faut-il que mes yeux s’emplissent d’ombre un jour, Et que j’aille au pays sans vent et sans verdure Que ne visitent pas la lumière et l’amour…

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    Antoine-Vincent Arnault

    Antoine-Vincent Arnault

    @antoineVincentArnault

    À Madame de Beaufort Je lis et cite tour à tour Ce recueil qui jamais ne lasse, Ces vers écrits par une Grâce Avec les plumes de l'Amour. De vos amis, moi qui vous aime, Je n'ai ni l'esprit ni les yeux : Je ne vois en vous que vous-même, Et vous m'en plaisez beaucoup mieux. Brillante de votre lumière, Belle de vos propres attraits, Vous ne me retracez jamais Ni La Suze ni Deshoulière. La voix de leurs admirateurs Déjà vous place à côté d'elles ; Vous aurez des imitateurs, Mais vous n'eûtes pas de modèles. Écrit en 1795.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    A Isabelle Rimbaud Marseille, 23 juin 1891. Ma chère sœur, Tu ne m'as pas écrit ; que s'est-il passé ? Ta lettre m'avait fait peur, j'aimerais avoir de tes nouvelles. Pourvu qu'il ne s'agisse pas de nouveaux ennuis, car, hélas, nous sommes trop éprouvés à la fois ! Pour moi, je ne fais que pleurer jour et nuit, je suis un homme mort, je suis estropié pour toute ma vie. Dans la quinzaine, je serai guéri, je pense ; mais je ne pourrai marcher qu'avec des béquilles. Quant à une jambe artificielle, le médecin dit qu'il faudra attendre très longtemps, au moins six mois ! Pendant ce temps que ferai-je, où resterai-je ? Si j'allais chez vous, le froid me chasserait dans trois mois, et même en moins de temps ; car, d'ici, je ne serai capable de me mouvoir que dans six semaines, le temps de m'exercer à béquiller ! Je ne serais donc chez vous que fin juillet. Et il me faudrait repartir fin septembre. Je ne sais pas du tout quoi faire. Tous ces soucis me rendent fou : je ne dors jamais une minute. Enfin, notre vie est une misère, une misère sans fin ! Pourquoi donc existons-nous ? Envoyez-moi de vos nouvelles. Mes meilleurs souhaits. RIMBAUD Hôpital de la Conception, Marseille.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Being Beauteous Devant une neige un Être de Beauté de haute taille. Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s'élargir et trembler comme un spectre ce corps adoré ; des blessures écarlates et noires éclatent dans les chairs superbes. Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent, et se dégagent autour de la Vision, sur le chantier. Et les frissons s'élèvent et grondent et la saveur forcenée de ces effets se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté, — elle recule, elle se dresse. Oh ! nos os sont revêtus d'un nouveau corps amoureux.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Comédie en trois baisers Elle était fort déshabillée, Et de grands arbres indiscrets Aux vitres penchaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près. Assise sur ma grande chaise, Mi-nue, elle joignait les mains. Sur le plancher frissonnaient d’aise Ses petits pieds si fins, si fins. — Je regardai, couleur de cire Un petit rayon buissonnier Papillonner, comme un sourire Sur son beau sein, mouche au rosier. — Je baisai ses fines chevilles. Elle eut un long rire tris-mal Qui s’égrenait en claires trilles, Une risure de cristal… Les petits pieds sous la chemise Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! » — La première audace permise, Le rire feignait de punir ! — Pauvrets palpitants sous ma lèvre, Je baisai doucement ses yeux : — Elle jeta sa tête mièvre En arrière : « Oh c’est encor mieux !… » « Monsieur, j’ai deux mots à te dire… » — Je lui jetai le reste au sein Dans un baiser, qui la fit rire D’un bon rire qui voulait bien… — Elle était fort déshabillée Et de grands arbres indiscrets Aux vitres penchaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près.

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    A

    Auguste Angellier

    @augusteAngellier

    Les caresses des yeux Les caresses des yeux sont les plus adorables ; Elles apportent l'âme aux limites de l'être, Et livrent des secrets autrement ineffables, Dans lesquels seul le fond du coeur peut apparaître. Les baisers les plus purs sont grossiers auprès d'elles ; Leur langage est plus fort que toutes les paroles ; Rien n'exprime que lui les choses immortelles Qui passent par instants dans nos êtres frivoles. Lorsque l'âge a vieilli la bouche et le sourire Dont le pli lentement s'est comblé de tristesses, Elles gardent encor leur limpide tendresse ; Faites pour consoler, enivrer et séduire, Elles ont les douceurs, les ardeurs et les charmes ! Et quelle autre caresse a traversé des larmes ?

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Coucher de soleil sous l’équateur C’était sous l’équateur. Dans la vague apaisé Le char des jours plongeait ses flamboyants essieux, Et la nuit, s’avançant sur la voie embrasée, D’ombre et de paix sereine enveloppait les cieux. Les étoiles s’ouvraient sous un souffle invisible, Et brillaient, fleurs de feu, dans un ciel étouffant. L’Océan, dans son lit tiède, immense, paisible, S’endormait fort et doux et beau comme un enfant. Mais, tel qu’un fol esprit aux ailes vagabondes, Rasant des flots émus le frissonnant azur, Le vent des soirs courait sur les nappes profondes Et, par instants, ridait leur sein tranquille et pur. Et je suivais des yeux cette haleine indécise Se jouant sur l’abîme où dort l’âpre ouragan ; Et j’ai dit : « Dieu permet à la plus faible brise De rider ton front calme, ô terrible Océan ! « Puissant et vaste, il faut la foudre et la tempête Pour soulever ton sein, pour courroucer tes flots ; Et le moindre vent peut, de son aile inquiète, Importuner ton onde et troubler ton repos. « Des passions, poète, il faut aussi l’orage Pour soulever ta muse et ton verbe irrité ; Un souffle peut aussi, dans la paix qui t’ombrage, Troubler ta quiétude et ta sérénité. « Toute vague a son pli, tout bonheur a sa ride. Où trouver le repos, l’oubli, l’apaisement ? Pour cette fleur sans prix notre cœur est aride ! L’inaltérable paix est en Dieu seulement. « Pour moi, je n’irai point demander à la terre Un bonheur qui nous trompe ou qui nous dit adieu ; Mais toujours je mettrai, poète au rêve austère, Mon amour dans la Muse et mon espoir en Dieu ! »

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    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Le cap bernard A … Jetons des fleurs sur nos amitiés mortes. Si nos barques jamais, par la vague entraînées, Devaient sur d’autres mers ensemble dériver ; Dans cette île lointaine où nos âmes sont nées, Si nous devions jamais, ami, nous retrouver ; Emportons, emportons nos dieux et notre culte ! Ne changeons point d’amour en changeant d’horizon. N’imitons point ceux-là dont la vieillesse insulte Le rêve qu’adora leur première saison. N’oublions point nos dieux sur les plages natales, Sur les autels de l’Art veillons jusqu’au tombeau ! Comme ce feu sacré que gardaient les Vestales, Gardons vivant en nous l’amour sacré du beau. Amants de l’Idéal, à l’Idéal fidèles, L’un sur l’autre appuyés, montons notre chemin ! Vers le mont trois fois saint des Muses immortelles Gravissons côte à côte et la main dans la main. N’écoutons point ce monde aux intérêts sordides : En nous sont des ardeurs qui ne sont point en lui. L’Art seul est vrai ! l’Art seul et ses songes splendides Peuvent de notre cœur tromper l’ardent ennui ! Puisque le sort qui tient nos ailes enchaînées Nous refusa ces biens qui font la liberté, Au travail demandant le pain de nos journées, Luttons, résignés fiers, contre l’adversité. Luttons ! mais, quand viendra la nuit aux molles trêves, La nuit libératrice et douce aux bras lassés, Affranchis d’un long jour, vers le ciel de nos rêves, Heureux amis, tournons le vol de nos pensers. Quittons l’homme et la ville aux passions mauvaises, Allons baigner nos fronts dans l’air calmant du soir ; Comme l’oiseau pêcheur, hôte ailé des falaises, Montons sur quelque cap ensemble nous asseoir. O cap Bernard ! géant dressant sur le rivage Tes mornes flancs voilés de mornes filaos, Solitaire falaise, où la vague sauvage Vient battre et prolonger ses éternels sanglots ! Cime à mes pas connue, austère solitude, D’où l’œil monte ébloui dans l’infini des airs, O cap ! sur tes flancs noirs, loin de la multitude, Nous viendrons chaque nuit rêver au bruit des mers. Le soleil est couché : les placides montagnes Plongent leur front sublime au fond des vastes cieux ; La paix vague des soirs plane sur les campagnes ; Les astres dans l’azur ouvrent leurs chastes yeux. Des mornes et des bois lointains et des ravines, Et de la gorge ombreuse où dorment les oiseaux, S’élèvent jusqu’à nous des haleines divines Que la brise des nuits porte au loin sur les eaux. Là-haut, dans leur splendeur, les étoiles sereines Versent sur l’Océan leurs paisibles clartés ; Là-bas, les lourds vaisseaux aux puissantes carènes Se meuvent lentement sur les flots argentés. Et nous, sur le grand cap miné par les tempêtes, Aspirant enivrés le charme des hauts lieux, Muets, nous contemplons sous nos pieds, sur nos têtes, L’immensité des mers, l’immensité des cieux ! O blancheurs de nos nuits ! o tiédeurs de nos grèves ! Des monts, des bois, des eaux souffles inspirateurs ! Éblouis, nous sentons les vagues de nos rêves Se lever, à leur tour, et chanter dans nos cœurs. Et nous mêlons nos voix aux voix calmes et graves Qui montent de la terre et descendent du ciel ; Et moi, j’évoque, ami, sur vos lèvres suaves La strophe au flot limpide et doux comme le miel. Oh ! vous tenez du ciel un ample et beau génie. Pour en doter vos vers vous avez emprunté A l’Océan sa mâle et puissante harmonie, Aux monts leur grande ligne et leur placidité. Si la Muse, pour vous, poète au rythme antique, Fut prodigue, au berceau, de ses dons maternels, Moi, le ciel m’a doué d’une âme sympathique Qui pour votre âme aura des échos fraternels. Épanchez donc en moi vos espoirs et vos songes, Cet idéal cherché dont mon cœur est épris. Ensemble abreuvons-nous de célestes mensonges ; Dans l’absolu divin confondons nos esprits ! Parlons des hauts objets de notre haute ivresse, Des vieux maîtres de l’art, — Dante, Homère, Milton ! – Parlons-en, comme, un soir, deux enfants de la Grèce En auraient su parler sous le ciel de Platon. Soulevons ces grands noms, ces gloires pacifiques, Guides chanteurs portant la lyre pour flambeau, Harmonieux songeurs aux lèvres séraphiques, Qui menaient l’homme à Dieu par les chemins du beau. Parlons de tous ces rois de la pensée humaine, Premiers-nés de la Muse, augustes éprouvés, Qui de l’Art ont pour l’homme agrandi le domaine, Et que l’homme a partout de larmes abreuvés. Et devant ces grands cœurs, ces souffrances sublimes, Devant ces flots, ces monts, ces déserts étoilés, De la vie oubliant les misères infimes, Nous bénirons nos jours que l’Art a consolés. Nous bénirons Celui qui nous a fait une âme Pour t’aimer, ô nature ! et sentir ta beauté ; Qui dans nos yeux a mis la poétique flamme, Et sur nos fronts le sceau de l’idéalité. Nous bénirons Celui qui fit ces globes chastes, Mondes flottants qu’un jour nous irons habiter ; Qui fit les vastes cieux et les horizons vastes Pour le traduire à nous, — et nous, pour le chanter. Et nous le chanterons, lui, le Maître paisible, Qui nous sourit là-haut dans ces radieux corps ; Et nos voix, exhalant l’hymne de l’Invisible, A l’orgue de la mer uniront leurs accords. 1851

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