Vigée-le Brun ; souvenirs
Souvenirs - Tome 3
Publié par Editions l'Escalier, le 01 janvier 2012
224 pages
Résumé
Extrait CHAPITRE II Portrait de l’impératrice Marie - Les grands-ducs - Le grand archimandrite - Fête à Péterhoff - Le roi de Pologne - Sa mort - Joseph Poniatowski. L’empereur m’avait commandé de faire le portrait de l’impératrice sa femme, que je représentai en pied, portant un costume de cour et une couronne de diamants sur la tête. Je n’aime point à peindre des diamants, le pinceau ne saurait en rendre l’éclat. Toutefois, en faisant pour fond un grand rideau de velours cramoisi, qui me donnait un ton vigoureux dont j’avais besoin pour faire ressortir la couronne, je parvins à la faire briller autant que possible. Lorsque je fis venir ce tableau chez moi pour terminer les accessoires, on voulut me prêter avec l’habit de cour tous les diamants qui l’ornaient; mais il y en avait pour une somme si considérable, que je refusai cette marque de confiance qui m’aurait fait vivre dans l’inquiétude; je préférai les peindre au palais, où je fis reporter mon tableau. L’impératrice Marie était une fort belle femme; et son embonpoint lui conservait de la fraîcheur. Elle avait une taille élevée, pleine de noblesse, et de superbes cheveux blonds. Je me souviens de l’avoir vue dans un grand bal, ses beaux cheveux bouclés retombant de chaque côté sur ses épaules et le dessus de la tête couronné de diamants. Cette grande et belle personne s’élevait majestueusement près de Paul qui lui donnait le bras, ce qui formait un contraste frappant. Le plus beau caractère se joignait à tant de beauté : l’impératrice Marie était vraiment la femme de l’Évangile, et ses vertus étaient si bien connues qu’elle offre peut-être le seul exemple d’une femme que la calomnie n’osa jamais attaquer. J’avoue que j’étais fière de me trouver honorée de ses bontés et que j’attachais un grand prix à la bienveillance qu’elle me témoignait en toute occasion. Nos séances avaient lieu aussitôt après le dîner de la cour, en sorte que l’empereur et ses deux fils, Alexandre et Constantin, y assistaient habituellement. Ceci ne me causait aucune gêne, attendu que l’empereur, le seul qui aurait pu m’intimider, était fort aimable pour moi. Un jour que l’on vint servir le café, comme j’étais déjà à mon chevalet, il m’en apporta lui-même une tasse, puis il attendit que je l’eusse bue pour la reprendre et la reporter. Il est vrai qu’une autre fois il me rendit témoin d’une scène assez burlesque. Je faisais placer un paravent derrière l’impératrice pour me donner un fond tranquille. Dans un moment de repos, Paul se mit à faire mille gambades, absolument comme un singe; grattant le paravent et faisant mine de l’escalader. Ce jeu dura longtemps. Alexandre et Constantin me paraissaient souffrir de voir leur père faire des tours aussi grotesques, devant une étrangère et moi-même j’étais mal à l’aise pour lui. Pendant l’une des séances, l’impératrice fit venir ses deux plus jeunes fils, le grand-duc Nicolas et le grand-duc Michel. Je n’ai jamais vu un plus bel enfant que le grand-duc Nicolas2. Je pourrais encore, je crois, le peindre de mémoire aujourd’hui, tant j’admirai ce charmant visage qui avait tous les caractères de la beauté grecque. Je conserve de même le souvenir d’un type de beauté, dans un tout autre genre, puisqu’il s’agit d’un vieillard. Quoique l’empereur soit en Russie le chef suprême de la religion aussi bien que celui de l’administration et de l’armée, le pouvoir religieux est exercé sous lui par le premier pope, que l’on appelle “le grand archimandrite”, et qui est à peu près pour les Russes ce que le pape est pour nous. Depuis que j’habitais Pétersbourg, j’avais souvent entendu parler du mérite et des vertus de celui qui remplissait alors cette fonction, et un jour, plusieurs personnes de ma connaissance qui allaient le voir, m’ayant proposé de me mener avec elles, j’acceptai l’offre avec empressement. De ma vie je ne me suis trouvée en présence d’un homme dont l’aspect m’ait autant imposé. Sa taille était grande et majestueuse; son beau visage, dont tous les traits avaient une régularité parfaite, offrait à la fois une expression de douceur et de dignité qu’on ne saurait peindre, et une longue barbe blanche, qui tombait plus bas que la poitrine, ajoutait encore au caractère vénérable de cette superbe tête. Son costume était simple et noble. Il portait une longue robe blanche, coupée du haut en bas sur le devant par une large bande d’étoffe noire sur laquelle ressortait admirablement la blancheur de sa barbe et sa démarche, ses gestes, son regard, enfin tout en lui imprimait le respect dès le premier abord. Le grand archimandrite en effet était un homme supérieur. Il avait beaucoup d’esprit, une prodigieuse instruction; il parlait plusieurs langues, et, en outre, ses vertus et sa bonté le faisaient chérir de tous ceux qui l’approchaient. La gravité de son état ne l’avait jamais empêché de se montrer aimable et gracieux avec le grand monde. Un jour, une des princesses Galitzine, qui était fort belle, l’ayant aperçu dans un jardin, courut se jeter à genoux devant lui. Le vieillard aussitôt cueillit une rose avec laquelle il lui donna sa bénédiction. Un de mes regrets, en quittant Pétersbourg, était celui de n’avoir point fait le portrait de l’archimandrite; car je ne crois pas qu’un peintre puisse rencontrer un plus beau modèle.
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