La chambre d'écho
Opéra sérieux
Publié par Actes Sud, le 04 avril 2012
135 pages
Résumé
1926. Dans un "siècle de putréfaction de la métaphysique", Elina Marsch pousse son premier cri au soir d'une représentation à l'opéra de L'Affaire Makropoulos dans lequel son père, ténor préféré du compositeur tchèque Janá?ek, vient de triompher. Sa soprano de mère, quant à elle, a rendu son dernier souffle au moment même où la diva, sur scène, chantait son ultime note funeste. Elan de vie, mouvement contraire de la mort, voix ondulante de la cantatrice tel un appel : du jour même de la naissance d'Elina, tous les sons du monde s'engouffrent en elle à la manière d'un torrent. L'enfant grandit entre un père mi-aimant mi-absent et ses nombreuses maîtresses - toutes des sopranos -, bercée par le chant de ces Sirènes qui fait vibrer ses entrailles et la rassure le temps d'un allegro furioso. La musique la tient, la porte et, lorsque le silence fait son oeuvre, l'angoisse la saisit, les rapaces se fraient un chemin jusque dans sa tête, un grand vide sournois creuse des galeries en elle, la poussant à rechercher l'enveloppe réconfortante d'un placenta de substitution, qui se matérialise d'abord par une anfractuosité dans un mur lambrissé du domicile familial puis par l'opéra, sa deuxième maison. Dotée d'une voix exceptionnelle, Elina est très tôt privée d'école pour préserver ses cordes vocales. Elle vit en vase clos et chante pour éloigner d'elle le spectre de sa mère morte en couches. Au fil des ans, sa future carrière de soprano se dessine et bientôt, elle navigue de choeur d'enfants en cours de chant, de lecture de livrets d'opéras en visites chez le laryngologue. Son univers est celui des thèmes phares de l'opéra : l'amour impossible, la mort. Elina ne vit que par son chant. La Seconde Guerre mondiale éclate : les artistes, quand ils deviennent des Juifs artistes, font alors figures de parias. Contrairement à Max Lorenz et à Elisabeth Schwarzkopf ("qui n'auraient pas dû insister auprès des nazis pour avoir le droit de chanter"), son père, afin de poursuivre sa carrière, se réfugie en Amérique, "pays des cow-boys", où Elina découvre que "tout le monde embrasse tout le monde" et que le suicide y est un sujet tabou. Elina n'a toujours pas d'amant, pas de corps, et sur la porte de sa loge, son père a d'ailleurs placardé un prophylactique "Don't kiss". D'ailleurs, Elina déteste que sa voix et la nourriture empruntent indifféremment son larynx, cet "organe sexuel qui donne au chant toute sa personnalité" ainsi qu'un de ses professeurs de chant le lui a enseigné ("on a même accusé de viol un professeur qui faisait chanter trop aigu"). Bientôt elle découvre cependant une dimension plus vaste de la sexualité, s'approprie en même temps l'américain - "une vraie langue de femme" - et feuillette les pages de Life Magazine qui ne cesse de publier les images des atrocités de la guerre à présent terminée, qui l'horrifient et la fascinent. De retour en Europe, Elina, devenue maîtresse de son art, comprend que sa voix a été créée "pour tuer sans laisser de traces". C'est elle, à présent, beaucoup plus que son père, qui méduse un public égaré dans la volupté des larmes, tandis qu'elle jouit des changements de décor, des costumes de scène, de son corps bien ancré dans la terre et de son souffle éduqué sans merci afin d'acquérir cette endurance de "plongeuse" qui permet de toujours remonter à la surface et de "survivre à sa sensibilité". Même sa "voix de détresse" est à présent, dit-on, "tout sim-plement miraculeuse". A l'entendre chanter les gens défaillent - de plaisir ou de désespoir - et son chant pourrait bien se révéler aussi dangereux que celui des Sirènes pour Elina elle-même. Dans ce court roman d'une intensité exceptionnelle porté par une écriture virtuose, Régine Detambel fait entendre tous les mystères de la voix humaine, étrange vapeur qui séduit et où le sexe se profère tout en portant au devant de nous et vers les autres, les pulsions de vie ou de mort qui, dans le secret, nous habitent.
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