Trance. Autobiografia di un lettore
La vie pieds nus
Publié par Christian Bourgeois, le 04 octobre 2007
116 pages
Résumé
Sur la plage on rêve beaucoup. Le programme d'une nuit normale à Cabo Polonio - la station balnéaire uruguayenne où je passe l'été depuis cinq ans - ressemble aux marathons du cinéma auxquels nous participions au Roxy, mon père, mon frère et moi, tous deux enfants, une salle située à l'angle de l'avenue Las Heras et de la rue Agüero détruite alors que nous avions oublié son nom depuis longtemps. Mettons que chaque rêve est un film. Chaque nuit comprend trois ou quatre rêves, qui sont séparés par des entractes, comme l'étaient les films au Roxy. Ce sont des intervalles incertains, d'une durée variable, dont on ne sait jamais s'ils sont prémédités ou accidentels. Il y a donc deux solutions : soit on reste à sa place et on attend sagement que la projection reprenne, soit on se lève d'un bond et on fait ce qu'on a à faire le plus vite possible, pour pouvoir être de retour quand le film suivant débute.Comme les rêves à l'affiche durant l'été 2005 furent particulièrement nombreux, j'eus l'idée de tenir un registre sporadique de la programmation. Je transcris ci-après celle de la nuit du mercredi 16 février.Première séance. Jack Nicholson nous invite à passer quelques jours dans son hôtel de Los Angeles. Avant que l'action du rêve commence, comme dans les clips illustrant la performance ou la carrière des candidats lors de la cérémonie des Oscars, je vois un montage de scènes interprétées par Nicholson et extraites de films qui n'existent pas. Nicholson astronaute (agitant un rasoir dans le vide, en apesanteur). Nicholson vedette de football américain (se faisant mal au nerf sciatique tandis qu'il lace ses chaussures). Nicholson astrologue (cherchant désespérément un thème astral dans un paquet de photos de filles nues). La trame du rêve ne démarre jamais.Deuxième séance. Une galerie d'art. En plein vernissage, un écrivain que je connais (qu'en réalité j'ai bien connu il y a longtemps, alors qu'il n'était pas encore écrivain mais cadre en pleine ascension au sein des jeunesses démocrates chrétiennes et fervent marianiste) me parle à voix basse des graves problèmes d'une autre personne que je connais, également écrivain, qui vit en France et dont je ne puis m'empêcher de dire un peu partout qu'elle est un des représentants de Satan sur la Terre, car j'ai naturellement tendance à me méfier de toute forme de bonté qui attire trop l'attention et plus encore de l'altruisme qu'on sème allègrement aux quatre vents, tel un nouveau riche distribuant des billets de banque à peine imprimés.Troisième séance. Je me rends à un concert de Miguel Mateos, le seul véritable outsider du rock argentin. Je suis surtout impressionné par le public : des jeunes gens de vingt ans venus de province, tous gominés et vêtus de costumes sombres, portant de fines cravates et des chaussures montantes. Je constate que c'est le même public qui fréquente les anciens cinémas de l'avenue Rivadavia dans lesquels se produisent les prédicateurs, des salles aujourd'hui recyclées en self-services chrétiens décorés de crucifix au néon, de rideaux rouge sang et de moquettes synthétiques qui transforment les fidèles en fanfare ambulante.Pourquoi rêve-t-on autant sur la plage ? Je suppose qu'à Cabo Polonio, c'est pour compenser les effets d'un certain syndrome d'abstinence. L'endroit n'est pas doté de l'éclairage électrique - il n'y a pas de cinémas, pas de télévision, pas d'ordinateurs - et il est si pauvre que les formes de communication publicitaire les plus élaborées qu'il tolère sont les slogans politiques peints sur les murs («Chiruchi gros pédé» affirmait l'un d'eux il y a deux étés, destiné m'a-t-on dit à scier à la base la carrière d'un candidat au siège de maire) et les affiches des cigarettes Nevada, indifférentes à tout et presque communistes dans leur intransigeance, qui se contentent de reproduire fièrement le classique logo rouge et vert de la marque. En d'autres termes : si l'on rêve beaucoup, c'est parce que la plage est un territoire vide de toute image. Son sex-appeal - et aussi son enviable capacité d'ennui - résident entièrement dans cette sorte de chasteté iconographique que les paysages marins ne partagent, me semblent-ils, qu'avec un de leurs deux précurseurs naturels : les déserts. (L'autre est l'île.) Le sable et la mer supportent mal le caractère actuel des images, non leur puissance. Au contraire de paysages comme la forêt ou la montagne, dont les nervures et autres détails à l'évident potentiel dramatique sautent toujours aux yeux, ils ont une texture homogène, neutre, tel un support ou une surface, réticente à jouer les premiers rôles mais dans le même temps incroyablement fertile quand il s'agit d'inspirer les figurants. Ainsi, avec leurs images virtuelles, les rêves sont-ils à la plage ce que les mirages sont au désert : Y envers du décor. (Les images ne peuvent coexister avec le décor : elles ne surgissent que lorsque le décor réel a laissé place au sommeil ou à l'hallucination.)
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