Revue Liberté 307 - La moitié du monde - Comment le féminisme pense la société
L'absente de tous bouquets
Publié par Sabine Wespieser, le 06 mai 2021
192 pages
Résumé
« Tu n'as jamais cultivé ton jardin. » C'est avec ces mots adressés à sa mère récemment disparue que s'ouvre le nouveau livre de Catherine Mavrikakis. Arrivée au Québec en 1957, pour épouser un homme fantasque qu'elle passera sa vie à attendre - dont on peut lire le flamboyant portrait dans La Ballade d'Ali Baba (2014), de la même autrice -, la jeune femme originaire du bocage normand ne cultivera en effet que l'ennui et la nostalgie d'une France à laquelle Paris Match et TV5 la reliaient en permanence. Dans ce journal de deuil, tenu par sa fille pendant une année après sa mort, les souvenirs de cette mère possessive, repliée sur son passé et refusant de voyager comme de s'intéresser au monde, sont comme filtrés par le chagrin en des fragments mélancoliques et tendres. En émerge le portrait d'une femme obsédée par la Seconde Guerre mondiale qu'elle a vécue enfant - elle était née en 1925 -, mais qui, les bons jours, acceptait de livrer quelques anecdotes de ses heureuses années cinquante à Saint-Germain-des-Prés. Avec cette Absente de tous bouquets, Catherine Mavrikakis nous offre également, en creux, un pudique autoportrait, où s'éclairent bien sûr sa propre fascination pour les fantômes et son goût de la solitude, acquis pendant une enfance vécue sous cloche, mais surtout son amour immodéré pour les mots. Car, dans sa détestation du Canada, sa chère maman entretenait aussi bien son accent français - hors de question pour la petite Catherine de parler devant elle avec une intonation autre que parisienne - qu'un formidable florilège d'expressions idiomatiques et surannées. « Tu n'étais ni zazou, ni bécasse, ni gourgandine, ni gigolette, ni goton. Mais pour toi, moi j'incarnais toutes ces greluches avec joie » lui confie l'écrivaine... Par-delà les portraits en miroir de ces deux femmes liées à jamais, ce beau livre explore avec une très grande finesse l'ambiguïté d'une relation filiale tissée de silence, de culpabilité et d'incompréhension, qu'illustre superbement la métaphore botanique courant au fil des pages, la mère n'aimant que les fleurs coupées, alors que la fille s'émeut à l'apparition du premier crocus et s'évertue de planter sur la tombe maternelle un parterre luxuriant.
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