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Titre : Les armes de la douleur

Auteur : Paul Éluard Recueil : Les Armes de la douleur, 1944

A la mémoire de Lucien Legros fusillé pour ses dix-huit ans. I Daddy des Ruines Hommes au chapeau trouvé Homme aux orbites creuses Homme au feu noir Homme au ciel vide Corbeau fait pour vivre vieux Tu avais rêvé d’être heureux Daddy des Ruines Ton fils est mort Assassiné Daddy la Haine Ô victime cruelle Mon camarade des deux guerres Notre vie est tailladée Saignante et laide Mais nous jurons De tenir bientôt le couteau Daddy l’Espoir L’espoir des autres Tu es partout. II J’avais dans mes serments bâti trois châteaux Un pour la vie un pour la mort un pour l’amour Je cachais comme un trésor Les pauvres petites peines De ma vie heureuse et bonne J’avais dans la douceur tissé trois manteaux Un pour nous deux et deux pour notre enfant Nous avions les mêmes mains Et nous pensions l’un pour l’autre Nous embellissions la terre J’avais dans la nuit compté trois lumières Le temps de dormir tout se confondait Fils d’espoir et fleur miroir oeil et lune Homme sans saveur mais clair de langage Femme sans éclat mais fluide aux doigts Brusquement c’est le désert Et je me perds dans le noir L’ennemi s’est révélé Je suis seule dans ma chair Je suis seule pour aimer. III Cet enfant aurait pu mentir Et se sauver La molle plaine infranchissable Cet enfant n’aimait pas mentir Il cria très fort ses forfaits Il opposa sa vérité La vérité Comme une épée à ses bourreaux Comme une épée sa loi suprême Et ses bourreaux se sont vengés Ils ont fait défiler la mort L’espoir la mort l’espoir la mort Ils l’ont gracié puis ils l’ont tué On l’avait durement traité Ses pieds ses mains étaient brisés Dit le gardien du cimetière. IV Une seule pensée une seule passion Et les armes de la douleur. V Des combattants saignant le feu Ceux qui feront la paix sur terre Des ouvriers des paysans Des guerriers mêlés à la foule Et quels prodiges de raison Pour mieux frapper Des guerriers comme des ruisseaux Partout sur les champs desséchés Ou battant d’ailes acharnées Le ciel boueux pour effacer La morale de fin du monde Des oppresseurs Et selon l’amour la haine Des guerriers selon l’espoir Selon le sens de la vie Et la commune parole Selon la passion de vaindre Et de réparer le mal Qu’on nous a fait Des guerriers selon mon coeur Celui-ci pense à la mort Celui-là n’y pense pas L’un dort l’autre ne dort pas Mais tous font le même rêve Se libérer Chacun est l’ombre de tous. VI Les uns sombres les autres nus Chantant leur bien mâchant leur mal Mâchant le poids de leur corps Ou chantant comme on s’envole Par mille rêves humains Par mille voies de nature Ils sortent de leur pays Et leur pays entre en eux De l’air passe dans leur sang Leur pays peut devenir Le vrai pays des merveilles Le pays de l’innocence. VII Des réfractaires selon l’homme Sous le ciel de tous les hommes Sur la terre unie et pleine Au-dedans de ce fruit mûr Le soleil comme un coeur pur Tous le soleil pour les hommes Tous les hommes pour les hommes La terre entière et le temps Le bonheur dans un seul corps. Je dis ce que je vois Ce que je sais Ce qui est vrai.