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Abdellatif Laâbi

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Abdellatif Laâbi, né à Fès en 1942, est un poète, écrivain et traducteur marocain. Il a fondé en 1966 la revue Souffles qui jouera un rôle considérable dans le renouvellement culturel au Maghreb. Son combat lui vaut d'être emprisonné de 1972 à 1980. Il s'est exilé en France en 1985. Il reçoit le prix Goncourt de la poésie le 1er décembre 2009 et le Grand Prix de la Francophonie de l'Académie française en 2011.

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Poésies

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    Chronique de la citadelle d'exil Écrire, écrire, ne jamais cesser. Cette nuit et toutes les nuits à venir. Quand je suis enfin face à moi-même et que je dois déposer mes bilans. Plus d'uniforme. Je ne suis plus l'arpenteur égaré d'un espace calculé pour la promenade réglementaire. Je n'obéis plus à la misère des ordres. Mon numéro reste derrière la porte. J'ai fini de boire, manger, uriner, déféquer. J'ai fini de parler pour appeler les choses par leurs noms usés. Je fume d'interminables cigarettes dont la fumée ressort des poumons en éclats de chaînes, en volutes acres de rejets. La nuit carcérale a englouti les lumières artificielles du jour. Des étoiles échevelées peuplent la voûte des visions. Écrire. Quand je m'arrête, ma voix devient toute drôle. Comme si des notes inconnues s'accrochaient à ses cordes, poussées par des tempêtes étranges, venues de toutes les zones où la vie et la mort se regardent et s'épient, deux fauves aux couleurs inédites, chacun tapi, prêt à bondir, lacérer, anéantir le principe qui fonde l'autre. Écrire. Je ne peux plus vivre qu'en m'arrachant de moi-même, qu'en arrachant de moi-même mes points de rupture et de suture, là où je sens davantage la déchirure, la collision, là où je me fragmente pour revivre dans d'incalculables ailleurs : terre, racines, arbres d'intensité, effervescence grenue à la face du soleil. Écrire. Quand l'indifférence s'évanouit. Quand tout me parle. Quand ma mémoire devient houleuse et que ses flots viennent se fracasser contre les rivages de mes yeux. Je déchire l'amnésie, surgis armé et moissonneur implacable dans ce qui m'arrive, dans ce qui m'est arrivé. Doucement mon émoi. Doucement ma détresse de ce qui fuit. Doucement ma fureur d'être. Écrire. Quand il m'est impossible de seulement penser à toi. Et que ma main n'en peut plus de brûler à ton absence là, ton souffle régulier ou haletant, l'odeur de tes cheveux, l'infini de ton épaule, ce silence où je devine coulant tout doucement en moi chaque variation de ta sensibilité. Tu déplaces une main, tu croises ou décroises les jambes, tes paupières cillent, et je sais l'exact frisson qui te traverse, le moment où cette lumière t'incommode, l'instant où tes narines frémissent à la fragrance qui vient de naître, l'image, oui l'image filante qui a brouillé tes iris. Tant de bonheur, est-ce possible ? Tu as la chair de poule seulement au bras gauche et tu plonges de nouveau dans cette vague mutuelle qui nous berce. Mais doucement ma tendresse. Doucement ma fringale de certitude. Doucement mon rêve destructeur d'aphasie. Écrire, écrire, ne jamais cesser. Dix ans. C'est quoi dans l'équation d'une vie ? C'était une aube, au creux de ta chaleur. Quand t'étais-tu endormie ? Quand suis-je rentré ? Puis la sonnette s'est affolée. Ils défonçaient la porte à coups de poing. Nous avions su tout de suite. J'ai bondi hors du lit, me suis mis à la fenêtre, ai écarté précautionneusement le rideau. La voiture noire était en bas, dans la rue. Phares éteints. Une Fiat 125. Plus de doute. Puis nous avons entamé les préparatifs, comme pour un long voyage. La sonnette s'affolait, fis défonçaient la porte à coups de poing. Ecrire. Impossible de faire autrement. J'ai réfléchi à m'en trouer la cervelle sur ce besoin qui m'a investi. Depuis si longtemps. Et qui fait que la réalité qui se présente à moi est toujours fonction d'une autre, à venir. Qui fait que le présent est un projet permanent, le lieu où j'accumule la matière, les matériaux d'un édifice dont je ne connais encore rien, que je ne peux qu'appréhender comme la pulsation d'un nouvel organe qui s'est logé en moi, grossit à faire mal et petit à petit organise sa fonction. Comment dire cet espionnage vigilant et maniaque du réel ? Et son arène, c'est le vaste théâtre de nos luttes, de nos douleurs, du génocide et des résurrections, de toute vitalité qui ploie sous le joug du silence, de tous les cris clandestins, de toutes les mémoires décapitées. J'ai réfléchi à m'en trouer la cervelle sur ce besoin qui m'a investi. Mais doucement ma lucidité. Doucement ma hargne contre les ténèbres de l'indicible. Ecrire. Ce matin glacial de janvier. Premier jour d'exil. J'étais couché sur un banc, pieds et mains ligotés. Un chiffon me couvrait entièrement le visage. L'eau coulait, traversait le linge, se versait dans le nez. Impossible d'en boire. - Verse par petites quantités, disait quelqu'un à un autre. - Et toi, maintiens-lui la tête bien collée au banc, chuchotait la même voix. - Verse encore, encore un peu, s'acharnait la voix. - Ça suffit maintenant, concluait la voix. On aurait dit une démonstration autour d'une table de dissection. « Conscience professionnelle », souci du travail « propre » et bien fait. Je ne les voyais pas. J'entendais des voix à distances inégales, le bruit des souliers raclant le sol. Des mains visqueuses aplatissaient ma tête contre le banc. J'étouffais lentement. Je pensais au rythme de la résistance et de la mort pressentie. Mais quelle image, quel éclair d'idée de ce foisonnement pourraient rendre l'ampleur de ce moment où la ligne de vie se distendait, s'amincissait comme une corde à linge tirée violemment par les deux bouts et qui arrive au point où les fils commencent à craquer un à un ? Écrire, ne pas s'arrêter. À chaque page triompher de ce malaise, de ce sentiment d'inanité qui me paralyse par à-coups. Peut-on écrire, seulement écrire pour ébranler la férule de l'état de siège, lorsque chaque rue est devenue un traquenard, lorsque les réduits de la torture affichent complet, lorsqu'un peuple entier se vide quotidiennement de son sang, lorsqu'un pays est mis aux enchères, découpé en petits et gros lots de lupanars, de bases de meurtre, de chairs-graisse à machines, de mains esclaves. Et que dire que Fhomme-de-la-rue, que le moindre adolescent jeté sur le trottoir du chômage et de l'errance ne connaissent et reconnaissent comme la face livide du malheur familier : attente, matraque, mépris, balles, haine solidifiée. Mais doucement affres du doute. Doucement ma nausée. Doucement mon volcan irrédentiste. Écrire. Cette nuit devant moi, neuve de son silence, des mots qui germent, s'ordonnent et qui viendront entrelacer mon souffle, l'agencer en voix. Il fait bon fumer. Un train siffle dans le lointain. S'approche. Essaim de lucioles invisibles. Chaleur dans les compartiments. Le bar bondé de consommateurs. Voyageurs somnolents aux rêves cahotés, plus ou moins erotiques. Un autre train s'en détache, roule dans la plaine andalouse, me restitue Grenade. Nous deux à Grenade. Tout était émerveillement : s'accouder à un zinc pour prendre un petit verre de jerez, se donner la main, épeler le nom des rues, regarder travailler les artisans calligraphies, dépositaires de l'héritage de l'Alhambra, demander son chemin à des passants avec lesquels le dialogue même le plus élémentaire vous transmet un frisson de fraternité, dormir, se réveiller au même degré d'intensité. Grenade où il était déchirant de s'aimer. Un train siffle dans le lointain. S'approche. Me traverse de part en part. Se détache du tunnel de mon corps. Et de nouveau le silence que trouble si peu l'aboiement timide d'un chien probablement dérangé dans son assoupissement. Écrire. Au jour le jour l'étau. Prisonnier ! Qu'est-ce à dire ? Une cellule tout ce qu'il y a de plus cellule : 2,30 mètres x 1,30 mètre environ. Écrire. Est-ce l'épreuve seule qui a fait de nous ce que nous sommes devenus, dans notre rapport l'un à l'autre, dans nos rapports aux autres ? Il a fallu nous connaître, nous faire mal, errer de piétinements en balbutiements, nous taire et nous isoler faute de comprendre, triompher allègrement lorsqu'un rayon de lumière venait nous révéler une nouvelle acception de la tendresse, épauler notre désarroi, nous ouvrir la voie pour une étape inédite. Puis nous nous sommes mis à parler à mesure que le monde autour de nous devenait plus réel, à mesure que la poésie nous humanisait, à mesure que notre peuple par ses luttes et ses sacrifices nous octroyait une patrie vivable, à mesure de notre propre réveil au don. Tout ce périple, au bout duquel nous avons découvert que nos mains se ressemblaient terriblement, où nous avons découvert la fraternité. Écrire. De nouveau cette nuit incommensurable. Un avion surgit brusquement dans le silence. Son vrombissement éclate comme des orgues aériennes détraquées. Il doit s'apprêter à atterrir. Pourquoi est-ce si poignant ? Et mon corps comme une caisse de résonance qui fourmille de partout. Tu vois, un rien déclenche en moi ta présence, ce qui ne peut être simple souvenir mais vécu vibratoire qui me secoue sur mon grabat, me serre la gorge, me fait déposer le stylo, allumer machinalement une cigarette et m'éloigne dans cet espace croisé qui défie le temps et où nous marchons côte à côte, comblés. Écrire. Dois-je l'avouer. Je n'ai qu'une relative confiance en les mots, quand bien même je les tourne et les retourne dans tous les sens, les prononce à haute voix pour vérifier si le timbre n'en est pas fêlé, s'il ne s'est pas glissé dans le nombre quelques unités de mauvais aloi. Et quand je les enfile et ordonne, je dois me relire et me relire pour m'assurer encore que ce que j'ai écrit n'est ni ésotérique ni étranger à ce qui est recevable comme le fonds commun de nos peines et espérances. Écrire est une telle responsabilité. Et du moment que je l'assume (oh oui je l'assume), il n'est pas possible de biaiser, de se contenter de l'à-peu-près. Il faut pouvoir défendre chaque mot, chaque phrase, et si possible n'avoir rien à défendre, faire en sorte qu'ils s'adressent et s'imposent à la sensibilité de chacun comme ce crépitement familier de la pluie indispensable à la terre, comme ces fleurs innombrables et souvent étranges sans lesquelles le printemps avorte. Mais doucement mon intransigeance. Doucement démon rationnel de la poésie. Écrire, écrire, ne jamais cesser. Cette nuit et toutes les nuits à venir. Encore une nuit où je ne peux qu'écrire, me heurter à ce silence qui me nargue dans son idiome d'exil. Je me tends entièrement pour explorer cette voix de la nuit carcérale. J'écoute, et peu à peu j'en perçois l'harmonie, j'en parcours l'étendue, reçois comme en contrepoint ses échos sanglants. Je traque le silence, lui arrache la puissante rumeur contre laquelle ses digues cèdent de plus en plus, s'effondrent en un fracas qui m'éblouit et s'éparpillent dans la nuit. Le pays vient à moi, chant aérien surgi du fond de l'histoire, forge d'incandescence et de sueurs, de muscles huilés battant l'enclume de la matière rebelle, semailles, moissons, pain et olives noires partagés, écume de thé brûlant dont on se passe le verre de main en main, trompes, musettes et tambours soulevant les ruelles en processions bariolées, rires et trémoussements d'enfants ivres de musiques et de parfums, chevilles rouges de femmes juchées sur des tables rondes, battant la mesure avec les pieds, les seins vibrant en mûres grenades de fraîcheur, frénésie de crotales, musiciens déconnectés égorgeant ostensiblement des violons surchauffés, électrocutant les tambourins, éventrant des luths dodus flambant de toutes leurs incrustations. Long silence puis le pays revient à moi, la face ravagée, méconnaissable. Cris ici ou là, d'une rixe, d'un viol, d'un meurtre. Cris d'enfants aux yeux hagards fouettés pour apprendre et se taire. Cris de deuils et de pleureuses se lacérant les joues, s'arrachant les cheveux, battant le sol de leurs foulards, se tapant les cuisses et se cognant la tête contre les murs. Cris de nourrissons abandonnés dans les baraques des bidonvilles, dans la pénombre de tous les manques. Cris chauffés à blanc de malnutrition et de fièvres. Cris de femmes battues à mort par des mâles saouls et désespérés. Gémissements et râles de ces femmes terrorisées, embrassant les pieds de leur agresseur pour demander pitié, pour l'amour de Dieu, pour les enfants, pour les misères partagées. Cris de Mars portés par le vent de haine des insurgés, écoliers mitraillés en plein soleil des fausses indépendances, blindés dinosauriens contre de tout petits rêves pressentis dans la germination des jours, la marée du soleil, le sourire des hommes. Cris de mes camarades sous le perchoir, la pau de ara, la magnéto. Cris quand le cri devient espéranto de résistance, mélopée épique du drame humain et de l'espérance. Oh mes doux camarades, ma chair hallucinée, mon cœur gros d'amour à n'en plus pouvoir, vos yeux inoubliables de promesses, notre tendresse irrépressible.

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    Des rêves a la pelle Des rêves à la pelle comme si mes jours débordaient et que ma plume était verte Je dors avec mes ombres et me réveille sans ô nuit résiste Le dieu de l'aube dévore tes enfants

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    Faculte Naturelle Entendons-nous bien : je ne chante pas la rareté je n'appelle pas à de nouveaux privilèges Pour moi l'amour est un levier du poème intégral Je le veux donc bien public je le veux faculté naturelle

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    Gloire a ceux qui nous torturent De vous à moi la vérité jurez-moi de ne pas me croire nous attendons qu'une roue fissure des chairs non comestibles ou qu'un œil s'éteigne pour avoir été témoin nul carnassier ne viendra repriser les césariennes on torture apothéose artifice de pogroms feu de squelettes gloire gloire la face paisible du bourreau la main douce qui charcute et l'univers coule son petit train-train de morales encore encore le doux nectar du mal la vivifiante souffrance écumoire de diaphragmes bille de bulbes gloire ô le noble regard du coupeur de têtes le fond musical des pilules de cyanure ô l'effluve de ce vitriol nous attendons cadavres ou fossiles et la fête macabre monte une ordalie sans prévenir l'on torture et l'on tenaille ce qui bat et l'on pilonne ce qui puise et l'on sectionne ce qui ligature crimes sur table gloire gloire nous sommes le peuple élu érigé sur les pointes de fatalité pour nous les lendemains qui chantent les fleuves de miel et de lait le sacrifice frères le sacrifice exil dans le sacrifice ô l'apothéose des gorges prêtes au sacrifice l'héritage le sadisme d'Abraham l'héritage la foi terrassée par les miracles l'abondance spontanée du désert miracle nous ne souffrons pas ô l'arcade pure du tueur à gages le chatouillis des électrodes et le bistouri nettoyant les vertèbres encore encore respirer tous les gaz gloutonnement avaler des grenades gloire au peloton d'exécution embrasser l'envers et l'endroit du doigt mûr qui caresse la gâchette qui nous tue la fonte étincelle mort-né échappé au scalp de l'ordre je ne voulais pas être de ce théâtre non marionnette je ne voulais pas qu'on m'exécute comiquement sur les gradins mais rester valve algue corps battant de respiration élémentaire diastole rester pharynx sans une possibilité pour la plus forte vie être de cette nuit que ne démantèle pas le jour de ce levain non de cette pâte être enfin de ces tubercules vénéneux de racines refus net cette soi-disant complication d'organismes parlants je refuse cette procréation d'automates vous avez dépeuplé le langage et le monde vous avez dépeuplé la vie désappris le pardon de toute roche masse solidifiée de masse en masse confrontation l'air vicié des cases les jardins surélevés on meurt encore de faim je ne parle pas de la guerre de la recolonisation du tiers-monde des greffes qui ne prennent pas c'est moi seul que je congratule de ces tortures comme une outre qu'on bat dans ma chair le poème je réponds à la violence par la violence je ne contrôle pas les impulsions de mon poing patience toutes ces vies m'appartiennent je parlerai de tout avant qu'une main payée ne vienne me poignarder dans le dos patience je vais parler des morts qui m'ont devancé ceux que je fréquente et ceux à venir tout sera dit je vous en fais serment ces chiens ont sali notre mémoire qui voudra de cette histoire où des rats visqueux ont trotté abolir pour commencer ensuite la récidive les textes formels on ne nous la fera pas le napalm coince la mitraillette la sarbacane par-derrière la lune pour bientôt les îles les steppes et basculer le tas dans un désert de salines quelques martiens viendront achever les rescapés laideurs laideurs dans la rigueur des jours-termes je ne vois que des assassins cette fraternité assassine qui boucle l'arc la cible propulsée dedans le crime salut barbarie des grandes famines salut silex tribal salut jungle de crudité quelque chose en moi se réveille encore une fois le miracle du corps je commence par nier ma main se dresse se casse et se retourne prend le sexe froidement l'étalé

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    Grève de la faim Parlons d'ailleurs de cette grève de la faim C'est une forme de lutte que les hommes de ma condition ont expérimentée au cours de la longue histoire des mutilations Certes c'est un acte passif mais lorsqu'on n'a que sa poitrine nue à opposer à l'arsenal de l'arbitraire la seule arme qui nous reste c'est ce souffle irrépressible en nous l'épuiser jusqu'à la limite extrême risquer son extinction pour que sauve soit notre dignité Le soleil est fade quand on a faim et les nuits d'insomnie sont glaciales On pense à tellement de choses sérieuses ou cocasses J'avoue que quand j'étais le moins grave c'était l'idée des nourritures terrestres qui me tourmentait J'imaginais un tas de bonnes choses à manger toute ma culture gastronomique y passait mais va, je n'ai pas honte de ces pensées-là car ce qui domine dans cette attente cette croisière vers l'inconnu c'est le sentiment de l'immense force au sein de la faiblesse la supériorité de celui qui résiste face à celui qui l'opprime Oui la vie est une arme redoutable qui effrayera toujours les cadavres armés Ce qui domine c'est encore une fois la fraternité des douleurs La torture des affamés c'est donc ce goût putride et blessant dans la bouche ces yeux exorbités et froids dans le brouillard du jour ces tripes qui se tordent et plient sous le désespoir du vide Ce qui domine c'est encore une fois la fraternité des douleurs Les idées foncent à travers la nuit deviennent matérielles elles ne sont pas les miennes ou celles de l'autre ou de l'autre mais celles de tous les exclus du soleil Ce qui domine c'est encore une fois la fraternité des douleurs car notre faim n'est pas mirage de pactoles n'est pas concupiscence des mégalopoles à genoux devant le veau d'or et de stupre notre faim est d'une nouvelle terre habitée par des hommes nouveaux d'un soleil partagé sans mesure mercantile d'une paix irrémédiable au grand dam des bâtisseurs de différences Aussi en ces jours d'abstinence c'était une fierté pour moi que d'avoir faim et de troubler ainsi la misérable quiétude des affameurs de notre peuple

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    Histoire des sept crucifies de l'espoir Gongs d'annonce tambours témoins la forêt s'est tue pour écouter le bruissement de sept rigoles de sang Le fleuve coule et chuinte dans le brouillard Que s'est-il passé et quel vent de meurtre criblé de haine et de vengeance a soufflé sur la ville Pourquoi la nuit était-elle irrespirable le sommeil lacéré de cauchemars Pourquoi le pain crissait-il sous la dent l'eau avait-elle cet arrière-goût de charogne D'où venait ce râle de sirène détraquée qui affola toutes les bêtes et ne s'éteignit qu'avec les premiers rayons du soleil ? Gongs d'annonce tambours témoins ce n'est que maintenant que nous déchiffrons vos lamentations que nous recollons les bribes de cette histoire que vous battiez sauvagement désespérément dans le crépuscule des commencements et lorsque nous comprîmes enfin gongs d'annonce tambours témoins le fleuve avait déjà avalé sept rigoles de sang et repu coulait impassiblement vers la mer Ô nuit des dupes aube de traîtrise vous êtes entrées dans notre histoire comme une écharde infrangible enracinée au centre de mémoire Notre peuple n'oubliera pas jamais n'oubliera Battez résonnez battez tam-tams hilares mains de potences et de hachoirs caillots d'étoiles à vau-l'eau giclant de la nuque et se perdant dans les gouttières du temps Battez résonnez battez gongs et cymbales tambours cannibales de Sodome et Gomorrhe narguant la justice au zénith de leurs sévices Gongs de satrape espiègle résonnez Que sa volonté soit faite dans cette nuit à carapace venimeuse où nous vomissons nos tripes Et vous gongs d'annonce tambours témoins battez résonnez battez plus fort pour raconter l'histoire des sept crucifiés de l'espoir

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    @abdellatifLaabi

    Inseparables Pauvre corps étriqué et mal foutu Je te remercie de ton hospitalité Tu pousses la tolérance jusqu'au vice J'en profite sans vergogne Je t'use et tu m'uses Inséparables nous sommes mais pas dupes

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    @abdellatifLaabi

    J'aime notre expérience humaine J'aime notre expérience humaine Quand je pense à ce que fut notre histoire depuis l'apparition de la vie de ses formes les plus élémentaires jusqu'à cet être controversé qu'est l'homme le déploiement foudroyant de l'intelligence oui cette expérience valait la peine et je le dis sans ambages je suis un fanatique de notre espèce

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    @abdellatifLaabi

    L'adieu au Père Le cheval hennit au fond de la vieille ruelle Son cri monte par les escaliers pousse la porte de la terrasse et fuse dans le ciel moutonneux Les voix décalées des muezzins lui répondent Les premiers beignets chauds embaument et l'aube retient son souffle Je suis là, ô mon alezan malgré la distance et le poids des ans Je n'ai pas oublié de puiser l'eau pour toi et de remplir ta mangeoire Je t'écoute Mon père referme la porte de la maison Ses pas résonnent dans la vieille ruelle et peu à peu s'éloignent

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    @abdellatifLaabi

    L'usage de la liberté Cela fait déjà quelque temps il m'arrive d'être tiré brutalement de mes rêveries et de regarder autour de moi en me demandant Qu'est-ce que je fais là est-il bien vrai que je sois en prison ? Étrange sensation qui fait qu'à l'instant où par une impulsion irrésistible vous éprouvez le besoin de faire usage de votre liberté à l'instant même votre condition réelle vous éblouit vous strangule de son évidence et votre geste tombe la main qui en portait l'offrande votre liberté émigré vers d'autres rêves qui se mettent à prendre un goût sauvage des formes irrédentistes Ils se multiplient tournoient follement autour de votre acte-rêve manqué devenu noyau du tourbillon qui tourne tourne jusqu'à le digérer pour en nourrir tous les possibles tout ce qui ne peut se détruire qu'une fois ayant réveillé et nourri l'exigence des hommes qu'une fois ayant brisé l'étau Maison centrale de Kénitra, 1975-1976

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    @abdellatifLaabi

    Le soleil n'a pas de patrie Parfois oh si rarement tu n'en pouvais plus du tourbillon du quotidien de l'érosion du travail visible et invisible de ce vide qui s'élargit autour de toi fait de la lâcheté des uns du désert intérieur des autres et tes larmes coulaient indépendamment de ta volonté mais bien vite le sourire revenait soulevait ton poing fermé avant les adieux À ces moments j'étais désemparé et l'exemple permanent d'espoir qui me venait à l'esprit était celui de ces femmes des rizières portant bien haut aujourd'hui la voûte du ciel de Hô Chi Minh Qui dit qu'elles n'ont jamais pleuré lorsqu'elles transportaient la terre piquaient le riz moissonnaient sous les bombes ? Mais toujours elles peinaient guettant le ciel les oiseaux d'acier et de carnage et plus encore le soleil rouge de la victoire certaine Nous aussi nous avons comme une guerre à soutenir Elle est moins dévastatrice mais peut-être plus subtile Nous aussi nous guettons notre ciel ses promesses Alors tu finissais par convenir avec moi que nous serons toujours les plus forts car le soleil n'a pas de patrie

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    Abdellatif Laâbi

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    @abdellatifLaabi

    Les tueurs sont à l’affût Mère, ma superbe mon imprudente Toi qui t’apprêtes à me mettre au monde De grâce, ne me donne pas de nom Car les tueurs sont à l’affût Mère, fais que ma peau soit d’une couleur neutre Les tueurs sont à l’affût Mère, ne parle pas devant moi Je risque d’apprendre ta langue et les tueurs sont à l’affût Mère, cache-toi quand tu pries laisse-moi à l’écart de ta foi Les tueurs sont à l’affût

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    Abdellatif Laâbi

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    @abdellatifLaabi

    Liberté Ton nom peu importe Dame-des-Douleurs dans l'absence torride se dénudant à l'aube incorruptible fulgurante comme le sein impétueux de l'aimée Peu importe ton nom terre où vivre après le déluge du sang insomniaque phénix migrateur éparpillant les cendres de la mort lente sur les champs magnétiques du souvenir Ton nom peu importe si tu es dégel d'aurores boréales dans le rêve prémonitoire du prisonnier rebelle si tu es cascade de fraîcheur dans le désert des nuits claquemurées Dame-des-Douleurs Terre Phénix migrateur pour toi relever la tête face à la courbe de l'horizon restitué pour saluer ta résurrection secrète

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