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André Chénier

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André Marie de Chénier, dit André Chénier, fils de Louis de Chénier et frère de Marie-Joseph Chénier, est un poète et journaliste français né le 30 octobre 1762 à Constantinople et mort guillotiné à Paris le 7 Thermidor de l'an II (25 juillet 1794) à 31 ans. Sa poésie comprend des réécritures de poèmes antiques, des élégies personnelles, des poèmes philosophiques et des poèmes politiques marqués par le contexte révolutionnaire. L'œuvre inachevée de ce jeune poète du XVIIIe siècle, publiée progressivement à partir de 1819, a fait de lui une figure majeure de l'hellénisme en France et un inspirateur du romantisme. Durant la période révolutionnaire, il entre dans les polémiques politiques. Héritier des Lumières, il est membre du parti constitutionnel, admire la Révolution de 1789 mais prend violemment position contre le jacobinisme mené par Robespierre, tout en méprisant les royalistes.

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Poésies

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    La jeune captive « L'épi naissant mûrit de la faux respecté ; Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été Boit les doux présents de l'aurore ; Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui, Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui, Je ne veux point mourir encore.

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    Ô jours de mon printemps, jours couronnés de rose Ô jours de mon printemps, jours couronnés de rose, A votre fuite en vain un long regret s'oppose. Beaux jours, quoique, souvent obscurcis de mes pleurs, Vous dont j'ai su jouir même au sein des douleurs, Sur ma tête bientôt vos fleurs seront fanées ; Hélas ! bientôt le flux des rapides années Vous aura loin de moi fait voler sans retour. Oh ! si du moins alors je pouvais à mon tour ; Champêtre possesseur, dans mon humble chaumière Offrir à mes amis une ombre hospitalière ; Voir mes lares charmés, pour les bien recevoir, A de joyeux banquets la nuit les faire asseoir ; Et là nous souvenir, au milieu de nos fêtes, Combien chez eux longtemps, dans leurs belles retraites, Soit sur ces bords heureux, opulents avec choix, Où Montigny s'enfonce en ses antiques bois, Soit où la Marne lente, en un long cercle d'îles, Ombrage de bosquets l'herbe et les prés fertiles, J'ai su, pauvre et content, savourer à longs traits Les muses, les plaisirs, et l'étude et la paix. Qui ne sait être pauvre est né pour l'esclavage. Qu'il serve donc les grands, les flatte, les ménage ; Qu'il plie, en approchant de ces superbes fronts, Sa tête à la prière, et son âme aux affronts, Pour qu'il puisse, enrichi de ces affronts utiles, Enrichir à son tour quelques têtes serviles. De ses honteux trésors je ne suis point jaloux. Une pauvreté libre est un trésor si doux ! Il est si doux, si beau, de s'être fait soi-même, De devoir tout à soi, tout aux beaux-arts qu'on aime ; Vraie abeille en ses dons, en ses soins, en ses mœurs, D'avoir su se bâtir, des dépouilles des fleurs, Sa cellule de cire, industrieux asile Où l'on coule une vie innocente et facile ; De ne point vendre aux grands ses hymnes avilis ; De n'offrir qu'aux talents de vertus ennoblis, Et qu'à l'amitié douce et qu'aux douces faiblesses, D'un encens libre et pur les honnêtes caresses ! Ainsi l'on dort tranquille, et, dans son saint loisir, Devant son propre cœur on n'a point à rougir. Si le sort ennemi m'assiège et me désole, On pleure : mais bientôt la tristesse s'envole ; Et les arts, dans un cœur de leur amour rempli, Versent de tous les maux l'indifférent oubli. Les délices des arts ont nourri mon enfance. Tantôt, quand d'un ruisseau, suivi dès sa naissance, La nymphe aux pieds d'argent a sous de longs berceaux Fait serpenter ensemble et mes pas et ses eaux, Ma main donne au papier, sans travail, sans étude, Des vers fils de l'amour et de la solitude ; Tantôt de mon pinceau les timides essais Avec d'autres couleurs cherchent d'autres succès Ma toile avec Sappho s'attendrit et soupire ; Elle rit et s'égaye aux danses du satyre ; Ou l'aveugle Ossian y vient pleurer ses yeux, Et pense voir et voit ses antiques aïeux Qui dans l'air, appelés à ses hymnes sauvages, Arrêtent près de lui leurs palais de nuages. Beaux-arts, ô de la vie aimables enchanteurs, Des plus sombres ennuis riants consolateurs, Amis sûrs dans la peine et constantes maîtresses, Dont l'or n'achète point l'amour ni les caresses, Beaux-arts, dieux bienfaisants, vous que vos favoris Par un indigne usage ont tant de fois flétris, Je n'ai point partagé leur honte trop commune ; Sur le front des époux de l'aveugle Fortune Je n'ai point fait ramper vos lauriers trop jaloux : J'ai respecté les dons que j'ai reçus de vous. Je ne vais point, à prix de mensonges serviles, Vous marchander au loin des récompenses viles, Et partout, de mes vers ambitieux lecteur, Faire trouver charmant mon luth adulateur. Abel, mon jeune Abel, et Trudaine et son frère, Ces vieilles amitiés de l'enfance première, Quand tous quatre, muets, sous un maître inhumain, Jadis au châtiment nous présentions la main ; Et mon frère, et Le Brun, les Muses elles-mêmes De Pange, fugitif de ces neuf Sœurs qu'il aime : Voilà le cercle entier qui, le soir quelquefois, A des vers non sans peine obtenus de ma voix, Prête une oreille amie et cependant sévère. Puissé-je ainsi toujours dans cette troupe chère Me revoir, chaque fois que mes avides yeux Auront porté longtemps mes pas de lieux en lieux, Amant des nouveautés compagnes de voyage ; Courant partout, partout cherchant à mon passage Quelque ange aux yeux divins qui veuille me charmer, Qui m'écoute ou qui m'aime, ou qui se laisse aimer !

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    Invocation à la Poésie Nymphe tendre et vermeille, ô jeune Poésie ! Quel bois est aujourd’hui ta retraite choisie ? Quelles fleurs, près d’une onde où s’égarent tes pas, Se courbent mollement sous tes pieds délicats ? Où te faut-il chercher ? Vois la saison nouvelle : Sur son visage blanc quelle pourpre étincelle ! L’hirondelle a chanté ; Zéphir est de retour : Il revient en dansant ; il ramène l’amour. L’ombre, les prés, les fleurs, c’est sa douce famille, Et Jupiter se plaît à contempler sa fille, Cette terre où partout, sous tes doigts gracieux, S’empressent de germer des vers mélodieux. Le fleuve qui s’étend dans les vallons humides Roule pour toi des vers doux, sonores, liquides. Des vers, s’ouvrant en foule aux regards du soleil, Sont ce peuple de fleurs au calice vermeil. Et les monts, en torrents qui blanchissent leurs cimes, Lancent des vers brillants dans le fond des abîmes.

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    A l’hirondelle Fille de Pandion, ô jeune Athénienne, La cigale est ta proie, hirondelle inhumaine, Et nourrit tes petits qui, débiles encor, Nus, tremblants, dans les airs n’osent prendre l’essor. Tu voles ; comme toi la cigale a des ailes. Tu chantes ; elle chante. A vos chansons fidèles Le moissonneur s’égaye, et l’automne orageux En des climats lointains vous chasse toutes deux. Oses-tu donc porter, dans ta cruelle joie, A ton nid sans pitié cette innocente proie ? Et faut-il voir périr un chanteur sans appui Sous la morsure, hélas ! d’un chanteur comme lui !

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    Ainsi le jeune amant Ainsi le jeune amant, seul, loin de ses délices, S’assied sous un mélèze au bord des précipices, Et là, revoit la lettre où, dans un doux ennui, Sa belle amante pleure et ne vit que pour lui. Il savoure à loisir ces lignes qu’il dévore ; Il les lit, les relit et les relit encore, Baise la feuille aimée et la porte à son cœur. Tout à coup de ses doigts l’aquilon ravisseur Vient, l’emporte et s’enfuit. Dieux ! il se lève, il crie, Il voit, par le vallon, par l’air, par la prairie, Fuir avec ce papier, cher soutien de ses jours, Son âme et tout lui-même et toutes ses amours. Il tremble de douleur, de crainte, de colère. Dans ses yeux égarés roule une larme amère. Il se jette en aveugle, à le suivre empressé, Court, saute, vole, et l’œil sur lui toujours fixé, Franchit torrents, buissons, rochers, pendantes cimes, Et l’atteint, hors d’haleine, à travers les abîmes.

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    Aux premiers fruits de mon verger Précurseurs de l’automne, Ô fruits nés d’une terre Ou l’art industrieux, sous ses maisons de verre, Des soleils du midi sait feindre les chaleurs, Allez trouver Fanny ; cette mère craintive. À sa fille aux doux yeux, fleur débile et tardive, Rendez la force et les couleurs. Non qu’un péril funeste assiége son enfance ; Mais du cœur maternel la tendre défiance N’attend pas le danger qu’elle sait trop prévoir. Et Fanny, qu’une fois les destins ont frappée, Soupçonneuse et long-temps de sa perte occupée, Redoute de loin leur pouvoir. L’été va dissiper de si promptes alarmes. Nous devons en naissant tous un tribut de larmes ; Les siennes ont déjà trop satisfait aux dieux. Sa beauté, ses vertus, ses grâces naturelles, N’ont point des dieux sans doute, ainsi que des mortelles, Armé le courroux envieux. Belle bientôt comme elle, au retour d’Érigone, L’enfant va ranimer, nourrisson de Pomone, Ce front que de Borée un souffle avait terni. Ô de la conserver, Cieux, faites votre étude ; Que jamais la douleur, même l’inquiétude, N’approchent du sein de Fanny. Que n’est-ce encor ce temps let d’amour et de gloire, Qui de Pollux, d’Alceste, a gardé la mémoire, Quand un pieux échange apaisait les enfers ! Quand les trois Sœurs pouvaient n’être point inflexibles, Et qu’au prix de ses jours, de leurs ciseaux terribles, On rachetait des jours plus chers ! Oui, je voudrais alors qu’en effet toute prête, La Parque, aimable enfant, vint menacer ta tête, Pour me mettre en ta place et te sauver le jour ; Voir ma trame rompue à la tienne enchaînée ; Et Fanny s’avouer par moi seul fortuné Et s’applaudir de mon amour. Ma tombe quelque jour troublerait sa pensée. Quelque jour, à sa fille entre ses bras pressée, L’œil humide peut-être, en passant prés de moi : « Celui-ci, dirait-elle, à qui je fus bien chère, » Fut content de mourir, en songeant que ta mère » N’aurait point à pleurer sur toi. »

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    Bacchus Viens, ô divin Bacchus, ô jeune Thyonée, Ô Dionyse, Évan, Iacchus et Lénée ; Viens, tel que tu parus aux déserts de Naxos, Quand ta voix rassurait la fille de Minos. Le superbe éléphant, en proie à ta victoire, Avait de ses débris formé ton char d’ivoire. De pampres, de raisins mollement enchaîné, Le tigre aux lares flancs de taches sillonné, Et le lynx étoilé, la panthère sauvage, Promenaient avec toi ta cour sur ce rivage. L’or reluisait partout aux axes de tes chars. Les Ménades couraient en longs cheveux épars Et chantaient Évius, Bacchus et Thyonée, Et Dionyse, Évan, Iacchus et Lénée, Et tout ce que pour toi la Grèce eut de beaux noms. Et la voix des rochers répétait leurs chansons ; Et le rauque tambour, les sonores cymbales, Les hautbois tortueux, et les doubles crotales Qu’agitaient en dansant sur ton bruyant chemin Le faune, le satyre et le jeune sylvain, Au hasard attroupés autour du vieux Silène, Qui, sa coupe à la main, de la rive indienne, Toujours ivre, toujours débile, chancelant, Pas à pas cheminait sur son âne indolent. (inachevé)

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    Bel astre de Vénus Bel astre de Vénus, de son front délicat Puisque Diane encor voile le doux éclat, Jusques à ce tilleul, au pied de la colline, Prête à mes pas secrets ta lumière divine. Je ne vais point tenter de nocturnes larcins, Ni tendre aux voyageurs des pièges assassins. J’aime : je vais trouver des ardeurs mutuelles, Une nymphe adorée, et belle entre les belles, Comme, parmi les feux que Diane conduit, Brillent tes feux si purs, ornement de la nuit.

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    Byzance, mon berceau Byzance, mon berceau, jamais tes janissaires Du Musulman paisible ont-ils forcé le seuil ? Vont-ils jusqu’en son lit, nocturnes émissaires, Porter l’épouvante et le deuil ? Son harem ne connaît, invisible retraite, Le choix, ni les projets, ni le nom des visirs. Là, sûr du lendemain, il repose sa tête, Sans craindre au sein de ses plaisirs, Que cent nouvelles lois qu’une nuit a fait naître, De juges assassins un tribunal pervers, Lancent sur son réveil, avec le nom de traître, La mort, la ruine, ou les fers. Tes mœurs et ton Coran sur ton sultan farouche Veillent, le glaive nu, s’il croyait tout pouvoir ; S’il osait tout braver ; et dérober sa bouche Au frein de l’antique devoir. Voilà donc une digue où la toute-puissance Voit briser le torrent de ses vastes progrès ! Liberté qui nous fuis, tu ne fuis point Byzance ; Tu planes sur ses minarets !

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    Chrysé Pourquoi, belle Chrysé, t’abandonnant aux voiles, T’éloigner de nos bords sur la foi des étoiles ? Dieux ! je t’ai vue en songe ; et, de terreur glacé, J’ai vu sur des écueils ton vaisseau fracassé, Ton corps flottant sur l’onde, et tes bras avec peine Cherchant à repousser la vague ionienne. Les filles de Nérée ont volé près de toi. Leur sein fut moins troublé de douleur et d’effroi, Quand, du bélier doré qui traversait leurs ondes, La jeune Hellé tomba dans leurs grottes profondes. Oh ! que j’ai craint de voir à cette mer, un jour, Tiphys donner ton nom et plaindre mon amour ! Que j’adressai de voeux aux dieux de l’onde amère ! Que de voeux à Neptune, à Castor, à son frère ! Glaucus ne te vit point ; car sans doute avec lui Déesse au sein des mers tu vivrais aujourd’hui. Déjà tu n’élevais que des mains défaillantes ; Tu me nommais déjà de tes lèvres mourantes, Quand, pour te secourir, j’ai vu fendre les flots Au dauphin qui sauva le chanteur de Lesbos.

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    Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre Anime la fin d'un beau jour, Au pied de l'échafaud j'essaye encor ma lyre. Peut-être est-ce bientôt mon tour ; Peut-être avant que l'heure en cercle promenée Ait posé sur l'émail brillant, Dans les soixante pas où sa route est bornée, Son pied sonore et vigilant, Le sommeil du tombeau pressera ma paupière ! Avant que de ses deux moitiés Ce vers que je commence ait atteint la dernière, Peut-être en ces murs effrayés Le messager de mort, noir recruteur des ombres, Escorté d'infâmes soldats, Remplira de mon nom ces longs corridors sombres. Quand au mouton bêlant la sombre boucherie Ouvre ses cavernes de mort, Pâtre, chiens et moutons, toute la bergerie Ne s'informe plus de son sort. Les enfants qui suivaient ses ébats dans la plaine, Les vierges aux belles couleurs Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine Entrelaçaient rubans et fleurs, Sans plus penser à lui, le mangent s'il est tendre. Dans cet abîme enseveli, J'ai le même destin. Je m'y devais attendre. Accoutumons-nous à l'oubli. Oubliés comme moi dans cet affreux repaire, Mille autres moutons, comme moi Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire, Seront servis au peuple-roi. Que pouvaient mes amis ? Oui, de leur main chérie Un mot, à travers les barreaux, Eût versé quelque baume en mon âme flétrie ; De l'or peut-être à mes bourreaux... Mais tout est précipice. Ils ont eu droit de vivre. Vivez, amis ; vivez contents. En dépit de Bavus, soyez lents à me suivre ; Peut-être en de plus heureux temps J'ai moi-même, à l'aspect des pleurs de l'infortune, Détourné mes regards distraits ; A mon tour aujourd'hui mon malheur importune. Vivez, amis ; vivez en paix.

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    Des monts du Beaujolais Des monts du Beaujolais aspect délicieux Quabd l’Azergue limpide, enfant de ces beaux lieux, Descendant sur les prés et la côte vineuse, Vient grossir de ses eaux la Saune limoneuse. Peindre Nice… cette ville où les étrangers… les oranges… etc. Finir en imitant légèrement le sonnet de Pétrarque umoresi il vecchiarel… et dire : J’examine avec soin tous les visages pour voir si je trouverai sur quelqu’un d’eux quelqu’un de vos traits.

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    Euphosyne Ah ! ce n’est point à moi qu’on s’occupe de plaire. Ma soeur plus tôt que moi dut le jour à ma mère. Si quelques beaux bergers apportent une fleur, Je sais qu’en me l’offrant ils regardent ma soeur ; S’ils vantent les attraits dont brille mon visage, Ils disent à ma soeur :  » C’est ta vivante image.  » Ah ! pourquoi n’ai-je encore vu que douze moissons ? Nul amant ne me flatte en ses douces chansons ; Nul ne dit qu’il mourra si je suis infidèle. Mais j’attends. L’âge vient. Je sais que je suis belle. Je sais qu’on ne voit point d’attraits plus désirés Qu’un visage arrondi, de longs cheveux dorés, Dans une bouche étroite un double rang d’ivoire, Et sur de beaux yeux bleus une paupière noire.

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    Hercule Oeta, mont ennobli par cette nuit ardente, Quand l’infidèle époux d’une épouse imprudente Reçut de son amour un présent trop jaloux, Victime du centaure immolé par ses coups. Il brise tes forêts : ta cime épaisse et sombre En un bûcher immense amoncelle sans nombre Les sapins résineux que son bras a ployés. Il y porte la flamme ; il monte, sous ses pieds Étend du vieux lion la dépouille héroïque, Et l’oeil au ciel, la main sur la massue antique Attend sa récompense et l’heure d’être un dieu. Le vent souffle et mugit. Le bûcher tout en feu Brille autour du héros, et la flamme rapide Porte aux palais divins l’âme du grand Alcide !

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    La jeune tarentine Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez. Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine. Un vaisseau la portait aux bords de Camarine. Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement, Devaient la reconduire au seuil de son amant. Une clef vigilante a pour cette journée Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée Et l'or dont au festin ses bras seraient parés Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés. Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles, Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles L'enveloppe. Étonnée, et loin des matelots, Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots. Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine. Son beau corps a roulé sous la vague marine. Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher Aux monstres dévorants eut soin de le cacher. Par ses ordres bientôt les belles Néréides L'élèvent au-dessus des demeures humides, Le portent au rivage, et dans ce monument L'ont, au cap du Zéphir, déposé mollement. Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes, Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes, Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil, Répétèrent : « Hélas ! » autour de son cercueil. Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée. Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée. L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds. Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.

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    La Liberté Un chevrier, un berger Le chevrier Berger, quel es-tu donc? qui t’agite? et quels dieux De noirs cheveux épars enveloppent tes yeux? LE BERGER Blond pasteur de chevreaux, oui, tu veux me l’apprendre: Oui, ton front est plus beau, ton regard est plus tendre. LE CHEVRIER Quoi! tu sors de ces monts où tu n’as vu que toi, Et qu’on n’approche point sans peine et sans effroi? LE BERGER Tu te plais mieux sans doute au bois, à la prairie; Tu le peux. Assieds-toi parmi l’herbe fleurie: Moi, sous un antre aride, en cet affreux séjour, Je me plais sur le roc à voir passer le jour. LE CHEVRIER Mais Cérès a maudit cette terre âpre et dure; Un noir torrent pierreux y roule une onde impure; Tous ces rocs, calcinés sous un soleil rongeur, Brûlent et font hâter les pas du voyageur. Point de fleurs, point de fruits, nul ombrage fertile N’y donne au rossignol un balsamique asile. Quelque olivier au loin, maigre fécondité, Y rampe et fait mieux voir leur triste nudité. Comment as-tu donc su d’herbes accoutumées Nourrir dans ce désert tes brebis affamées? LE BERGER Que m’importe! est-ce à moi qu’appartient ce troupeau? Je suis esclave. LE CHEVRIER Au moins un rustique pipeau A-t-il chassé l’ennui de ton rocher sauvage? Tiens, veux-tu cette flûte? Elle fut mon ouvrage. Prends: sur ce buis, fertile en agréables sons, Tu pourras des oiseaux imiter les chansons. LE BERGER Non, garde tes présents. Les oiseaux de ténèbres, La chouette et l’orfraie, et leurs accents funèbres, Voilà les seuls chanteurs que je veuille écouter; Voilà quelles chansons je voudrais imiter. Ta flûte sous mes pieds serait bientôt brisée: Je hais tous vos plaisirs. Les fleurs et la rosée, Et de vos rossignols les soupirs caressants, Rien ne plaît à mon coeur, rien ne flatte mes sens. Je suis esclave. LE CHEVRIER Hélas! que je te trouve à plaindre! Oui, l’esclavage est dur; oui, tout mortel doit craindre De servir, de plier sous une injuste loi, De vivre pour autrui, de n’avoir rien à soi. Protège-moi toujours, ô liberté chérie! O mère des vertus, mère de la patrie! LE BERGER Va, patrie et vertu ne sont que de vains noms. Toutefois tes discours sont pour moi des affronts: Ton prétendu bonheur et m’afflige et me brave; Comme moi, je voudrais que tu fusses esclave. LE CHEVRIER Et moi, je te voudrais libre, heureux comme moi. Mais les dieux n’ont-ils point de remède pour toi? Il est des baumes doux, des lustrations pures Qui peuvent de notre âme assoupir les blessures, Et de magiques chants qui tarissent les pleurs. LE BERGER Il n’en est point; il n’est pour moi que des douleurs: Mon sort est de servir, il faut qu’il s’accomplisse. Moi, j’ai ce chien aussi qui tremble à mon service; C’est mon esclave aussi. Mon désespoir muet Ne peut rendre qu’à lui tous les maux qu’on me fait. LE CHEVRIER La terre, notre mère, et sa douce richesse, Ne peut-elle, du moins, égayer ta tristesse? Vois combien elle est belle! et vois l’été vermeil, Prodigue de trésors, brillants fils du soleil, Qui vient, fertile amant d’une heureuse culture, Varier du printemps l’uniforme verdure; Vois l’abricot naissant, sous les yeux d’un beau ciel, Arrondir son fruit doux et blond comme le miel; Vois la pourpre des fleurs dont le pêcher se pare Nous annoncer l’éclat des fruits qu’il nous prépare. Au bord de ces prés verts regarde ces guérets, De qui les blés touffus, jaunissantes forêts, Du joyeux moissonneur attendent la faucille. D’agrestes déités quelle noble famille! La Récolte et la Paix, aux yeux purs et sereins, Les épis sur le front, les épis dans les mains, Qui viennent, sur les pas de la belle Espérance, Verser la corne d’or où fleurit l’abondance. LE BERGER Sans doute qu’à tes yeux elles montrent leurs pas; Moi, j’ai des yeux d’esclave, et je ne les vois pas. Je n’y vois qu’un sol dur, laborieux, servile, Que j’ai, non pas pour moi, contraint d’être fertile; Où, sous un ciel brûlant, je moissonne le grain Qui va nourrir un autre, et me laisse ma faim. Voilà quelle est la terre. Elle n’est point ma mère, Elle est pour moi marâtre; et la nature entière Est plus nue à mes yeux, plus horrible à mon coeur Que ce vallon de mort qui te fait tant d’horreur. LE CHEVRIER Le soin de tes brebis, leur voix douce et paisible, N’ont-ils donc rien qui plaise à ton âme insensible? N’aimes-tu point à voir les jeux de tes agneaux? Moi, je me plais auprès de mes jeunes chevreaux; Je m’occupe à leurs jeux, j’aime leur voix bêlante; Et quand sur la rosée et sur l’herbe brillante Vers leur mère en criant je les vois accourir, Je bondis avec eux de joie et de plaisir. LE BERGER Ils sont à toi: mais moi, j’eus une autre fortune; Ceux-ci de mes tourments sont la cause importune Deux fois, avec ennui, promenés chaque jour, Un maître soupçonneux nous attend au retour Rien ne le satisfait: ils ont trop peu de laine; Ou bien ils sont mourants, ils se traînent à peine; En un mot, tout est mal. Si le loup quelquefois En saisit un, l’emporte et s’enfuit dans les bois, C’est ma faute; il fallait braver ses dents avides. Je dois rendre les loups innocents et timides! Et puis, menaces, cris, injure, emportements, Et lâches cruautés qu’il nomme châtiments. LE CHEVRIER Toujours à l’innocent les dieux sont favorables: Pourquoi fuir leur présence, appui des misérables? Autour de leurs autels, parés de nos festons, Que ne viens-tu danser, offrir de simples dons, Du chaume, quelques fleurs, et, par ces sacrifices, Te rendre Jupiter et les nymphes propices? LE BERGER Non; les danses, les jeux, les plaisirs des bergers Sont à mon triste coeur des plaisirs étrangers. Que parles-tu de dieux, de nymphes et d’offrandes? Moi, je n’ai pour les dieux ni chaume ni guirlandes; Je les crains, car j’ai vu leur foudre et leurs éclairs; Je ne les aime pas: ils m’ont donné des fers. LE CHEVRIER Eh bien, que n’aimes-tu? Quelle amertume extrême Résiste aux doux souris d’une vierge qu’on aime? L’autre jour, à la mienne, en ce bois fortuné, Je vins offrir le don d’un chevreau nouveau-né. Son oeil tomba sur moi, si doux, si beau, si tendre!… Sa voix prit un accent!… Je crois toujours l’entendre. LE BERGER Eh! quel oeil virginal voudrait tomber sur moi? Ai-je, moi, des chevreaux à donner comme toi? Chaque jour, par ce maître inflexible et barbare, Mes agneaux sont comptés avec un soin avare. Trop heureux quand il daigne à mes cris superflus N’en pas redemander plus que je n’en reçus! O juste Némésis! si jamais je puis être Le plus fort à mon tour, si je puis me voir maître, Je serai dur, méchant, intraitable, sans foi, Sanguinaire, cruel, comme on l’est avec moi! LE CHEVRIER Et moi, c’est vous qu’ici pour témoins j’en appelle, Dieux! de mes serviteurs la cohorte fidèle Me trouvera toujours humain, compatissant, A leurs justes désirs facile et complaisant, Afin qu’ils soient heureux et qu’ils aiment leur maître Et bénissent en paix l’instant qui les vit naître. LE BERGER Et moi, je le maudis, cet instant douloureux Qui me donna le jour pour être malheureux; Pour agir quand un autre exige, veut, ordonne; Pour n’avoir rien à moi, pour ne plaire à personne; Pour endurer la faim, quand ma peine et mon deuil Engraissent d’un tyran l’indolence et l’orgueil. LE CHEVRIER Berger infortuné! ta plaintive détresse De ton coeur dans le mien fait passer la tristesse. Vois cette chèvre mère et ces chevreaux, tous deux Aussi blancs que le lait qu’elle garde pour eux; Qu’ils aillent avec toi, je te les abandonne. Adieu, puisse du moins ce peu que je te donne De ta triste mémoire effacer tes malheurs, Et, soigné par tes mains, distraire tes douleurs! LE BERGER Oui, donne et sois maudit; car, si j’étais plus sage, Ces dons sont pour mon coeur d’un sinistre présage: De mon despote avare ils choqueront les yeux. Il ne croit pas qu’on donne; il est fourbe, envieux; Il dira que chez lui j’ai volé le salaire Dont j’aurai pu payer les chevreaux et la mère; Et, d’un si bon prétexte ardent à se servir, C’est à moi que lui-même il viendra les ravir. (Commencé le vendredi au soir 16, et fini le dimanche au soir, 18 mars 1787.)

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    André Chénier

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    La seine en sortant de Paris La Seine en sortant de Paris, Voit près du Champ de Mars les fils de nos guerriers Étudier l’art…………… Et près d’eux vivre sous un dôme Tous nos braves soldats sous les armes vieillis, De blessures et d’âge et d’honneurs affaiblis : Saints temples où repose une mâle vieillesse, Près des murs d’où s’élance une mâle jeunesse. Ô bois de Vincennes !… bois de Boulogne !… ne tressaillez-vous point d’allégresse, lorsque, sous vos ombrages fleuris, une belle, la tête couverte d’un chapeau de plumes galope sur un cheval ?

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    André Chénier

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    Le jeune malade Apollon, dieu sauveur, dieu des savants mystères, Dieu de la vie, et dieu des plantes salutaires, Dieu vainqueur de Python, dieu jeune et triomphant, Prends pitié de mon fils, de mon unique enfant ! Prends pitié de sa mère aux larmes condamnée, Qui ne vit que pour lui, qui meurt abandonnée, Qui n’a pas dû rester pour voir mourir son fils ; Dieu jeune, viens aider sa jeunesse. Assoupis, Assoupis dans son sein cette fièvre brûlante Qui dévore la fleur de sa vie innocente. Apollon, si jamais, échappé du tombeau, Il retourne au Ménale avoir soin du troupeau, Ces mains, ces vieilles mains orneront ta statue De ma coupe d’onyx à tes pieds suspendue ; Et, chaque été nouveau, d’un jeune taureau blanc La hache à ton autel fera couler le sang. Eh bien ! mon fils, es-tu toujours impitoyable ? Ton funeste silence est-il inexorable ? Enfant, tu veux mourir ? Tu veux, dans ses vieux ans, Laisser ta mère seule avec ses cheveux blancs ? Tu veux que ce soit moi qui ferme ta paupière? Que j’unisse ta cendre à celle de ton père ? C’est toi qui me devais ces soins religieux, Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux. Parle, parle, mon fils, quel chagrin te consume ? Us maux qu’on dissimule en ont plus d’amertume. Ne lèveras-tu point ces yeux appesantis ? – Ma mère, adieu ; je meurs, et tu n’as plus de fils. Non, tu n’as plus de fils, ma mère bien-aimée. Je te perds. Une plaie ardente, envenimée, Me ronge ; avec effort je respire, et je crois Chaque fois respirer pour la dernière fois. Je ne parlerai pas ; adieu… Ce lit me blesse, Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse ; Tout me pèse et me lasse. Aide-moi, je me Meurs. Tourne-moi sur le flanc. Ah ! j’expire ! ô douleurs ! – Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage ; Sa chaleur te rendra ta force et ton courage. La mauve, le dictame ont, avec les pavots, Mêlé leurs sucs puissants qui donnent le repos ; Sur le vase bouillant, attendrie à mes larmes, Une Thessalienne a composé des charmes. Ton corps débile a vu trois retours du soleil Sans connaître Cérès, ni tes yeux le sommeil. Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière ; C’est ta mère, ta vieille inconsolable mère Qui pleure ; qui jadis te guidait pas à pas, T’asseyait sur son sein, te portait dans ses bras ; Que tu disais aimer, qui t’apprit à le dire ; Qui chantait, et souvent te forçait à sourire Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs, De tes yeux enfantins faisaient couler des pleurs. Tiens, presse de ta lèvre, hélas ! pâle et glacée, Par qui cette mamelle était jadis pressée, Un suc qui te nourrisse et vienne à ton secours, Comme autrefois mon lait nourrit tes premiers jours. – Ô coteaux d’Erymanthe ! ô vallons ! ô bocage ! Ô vent sonore et frais qui troublais le feuillage, Et faisais frémir l’onde, et sur leur jeune sein Agitais les replis de leur robe de lin ! De légères beautés troupe agile et dansante ! Tu sais, tu sais, ma mère, aux bords de l’Erymanthe… Là, ni loups ravisseurs, ni serpents, ni poisons. Ô visage divin ! ô fêtes ! ô chansons ! Des pas entrelacés, des fleurs, une onde pure… Aucun lieu n’est si beau dans toute la nature. Dieux ! ces bras et ces fleurs, ces cheveux, ces pieds nus Si blancs, si délicats ! je ne les verrai plus ! Oh ! portez, portez-moi sur les bords d’Erymanthe, Que je la voie encor, cette nymphe dansante ! Oh ! que je voie au loin la fumée à longs flots S’élever de ce toit au bord de cet enclos ! Assise à tes côtés, ses discours, sa tendresse, Sa voix, trop heureux père ! enchante ta vieillesse. Dieux ! par-dessus la haie élevée en remparts, Je la vois, à pas lents, en longs cheveux épars, Seule, sur un tombeau, pensive, inanimée, S’arrêter et pleurer sa mère bien-aimée. Oh ! que tes yeux sont doux ! que ton visage est beau ! Viendras-tu point aussi pleurer sur mon tombeau ? Viendras-tu point aussi, la plus belle des belles, Dire sur mon tombeau : Les Parques sont cruelles ! – Ah ! mon fils, c’est l’amour ! c’est l’amour insensé Qui t’a jusqu’à ce point cruellement blessé ? Ah ! mon malheureux fils ! Oui, faibles que nous sommes, C’est toujours cet amour qui tourmente les hommes. S’ils pleurent en secret, qui lira dans leur coeur Verra que cet amour est toujours leur vainqueur. Mais, mon fils, mais dis-moi, quelle nymphe dansante, Quelle vierge as-tu vue an bord de l’Erymanthe ? N’es-tu pas riche et beau ? du moins quand la douleur N’avait point de ta joue éteint la jeune fleur ? Parle. Est-ce cette Aeglé, fille du roi des ondes, Ou cette jeune Irène aux longues tresses blondes ? Ou ne sera-ce point cette fière beauté Dont j’entends le beau nom chaque jour répété, Dont j’apprends que partout les belles sont jalouses ? Qu’aux temples, aux festins, les mères, les épouses, Ne sauraient voir, dit-on, sans peine et sans effroi ? Cette belle Daphné ?… – Dieux ! ma mère, tais-toi, Tais-toi. Dieux ! qu’as-tu dit ? elle est fière, inflexible ; Comme les immortels, elle est belle et terrible ! Mille amants l’ont aimée ; ils l’ont aimée en vain. Comme eux j’aurais trouvé quelque refus hautain. Non, garde que jamais elle soit informée… Mais, ô mort ! ô tourment ! ô mère bien-aimée ! Tu vois dans quels ennuis dépérissent mes jours. Ecoute ma prière et viens à mon secours : Je meurs ; va la trouver : que tes traits, que ton âge, De sa mère à ses yeux offrent la sainte image. Tiens, prends cette corbeille et nos fruits les plus beaux ; Prends notre Amour d’ivoire, honneur de ces hameaux ; Prends la coupe d’onyx à Corinthe ravie ; Prends mes jeunes chevreaux, prends mon coeur, prends ma vie ; Jette tout à ses pieds ; apprends-lui qui je suis ; Dis-lui que je me meurs, que tu n’as plus de fils ; Tombe aux pieds du vieillard, gémis, implore, presse ; Adjure cieux et mers, dieu, temple, autel, déesse… Pars ; et si tu reviens sans les avoir fléchis, Adieu, ma mère, adieu, tu n’auras plus de fils. – J’aurai toujours un fils ; va, la belle espérance Ne dit…  » Elle s’incline, et, dans un doux silence, Elle couvre ce front, terni par les douleurs, De baisers maternels entremêlés de pleurs. Puis elle sort en hâte, inquiète et tremblante. La démarche de crainte et d’âge chancelante, Elle arrive ; et bientôt revenant sur ses pas, Haletante, de loin :  » Mon cher fils, tu vivras, Tu vivras.  » Elle vient s’asseoir près de la couche : Le vieillard la suivait, le sourire à la bouche. La jeune belle aussi, rouge et le front baissé, Vient, jette sur le lit un coup d’oeil. L’insensé Tremble ; sous ses tissus il veut cacher sa tête.  » Ami, depuis trois jours tu n’es d’aucune fête, Dit-elle ; que fais-tu ? pourquoi veux-tu mourir ? Tu souffres. L’on me dit que je peux te guérir ; Vis, et formons ensemble une seule famille. Que mon père ait un fils, et ta mère une fille.  »

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Le mendiant C’était quand le printemps a reverdi les prés. La fille de Lycus, vierge aux cheveux dorés, Sous les monts Achéens, non loin de Crénée, ……………….. ……………….. Errait à l’ombre, aux bords du faible et pur Crathis ; Car les eaux du Crathis, sous des berceaux de frêne, Entouraient de Lycus le fertile domaine. …….. Soudain, à l’autre bord, Du fond d’un bois épais, un noir fantôme sort Tout pâle, demi-nu, la barbe hérissée Il remuait à peine une lèvre glacée ; Des hommes et, des dieux implorait le secours, Et dans la forêt sombre errait depuis deux jours. Il se traîne, il n’attend qu’une mort douloureuse ; Il succombe. L’enfant, interdite et peureuse À ce hideux aspect sorti du fond du bois, Veut fuir ; mais elle entend sa lamentable voix. Il tend les bras, il tombe à genoux ; il lui crie Qu’au nom de tous les dieux il la conjure, il prie, Et qu’il n’est point à craindre, et qu’une ardente faim L’aiguillonne et le tue, et qu’il expire enfin. « Si, comme je le crois, belle dès ton enfance, » C’est le dieu de ces eaux qui t’a donné naissance, » Nymphe, souvent les vœux des malheureux humains » Ouvrent des immortels les bienfaisantes mains. » Ou si c’est quelque front porteur d’une couronne » Qui te nomme sa fille et te destine au trône, » Souviens-toi, jeune enfant, que le ciel quelquefois » Venge les opprimés sur la tête des rois. » Belle vierge, sans doute enfant d’une déesse, » Crains de laisser périr l’étranger en détresse ; » L’étranger qui supplie est envoyé des dieux. » Elle reste. À le voir elle enhardit ses yeux ; ……..et d’une voix encore Tremblante : « Ami, le ciel écoute qui l’implore ; » Mais ce soir, quand la nuit descend sur l’horison, » Passe le pont mobile, entre dans la maison ; » J’aurai soin qu’on te laisse entrer sans méfiance. » Pour la dixième fois célébrant ma naissance, » Mon père doit donner une fête aujourd’hui. » Il m’aime ; il n’a que moi ; viens t’adresser à lui. » C’est le riche Lycus. Viens ce soir ; il est tendre, » Il est humain : il pleure aux pleurs qu’il voit répandre. » Elle dit, et s’arrête, et le cœur palpitant, S’enfuit ; car l’étranger, sur elle en l’écoutant, Fixait de ses yeux creux l’attention avide. Elle rentre, cherchant dans le palais splendide L’esclave près de qui toujours ses jeunes ans Trouvent un doux accueil et des soins complaisans. Cette sage affranchie avait nourri sa mère ; Maintenant sous des lois de vigilance austère, Elle et son vieil époux, au devoir rigoureux, Rangent des serviteurs le cortége nombreux. Elle la voit de loin dans le fond du portique, Court, et posant ses mains sur ce visage antique : « Indulgente nourrice, écoute ; il faut de toi » Que j’obienne un grand bien. Ma mère, écoute-moi : » Un pauvre, un étranger, dans la misère extrême, » Gémit sur l’autre bord, mourant, affamé, blême… » Ne me décèle point. De mon père aujourd’hui » J’ai promis qu’il pourrait solliciter l’appui. » Fais qu’il entre ; et surtout, ô mère de ma mère ! » Garde que nul mortel n’insulte à sa misère. » Oui, ma fille ; chacun fera ce que tu veux, » Dit l’esclave en baisant son front et ses cheveux ; » Oui ; qu’à ton protégé ta fête soit ouverte. » Ta mère, mon élève, (inestimable perte !) » Aimait à soulager les faibles abattus. » Tu lui ressembleras autant par tes vertus » Que par tes yeux si doux, et tes graces naïves. » Mais, cependant la nuit assemble les convives En habits somptueux, d’essences parfumés, Ils entrent. Aux lambris d’ivoire et d’or semés, Pend le lin d’Ionie en brillantes courtines ; Le toit s’égaie et rit de mille odeurs divines. La table au loin circule, et d’apprêts savoureux Se charge. L’encens vole en longs flots vaporeux ; Sur leurs bases d’argent, des formes animées Élèvent dans leurs mains des torches enflammées ; Les figures, l’onyx, le cristal, les métaux En vases hérissés d’hommes ou d’animaux, Partout sur les buffets, sur la table étincèlent ; Plus d’une lyre est prête ; et partout s’amoncèlent Et les rameaux de myrte et les bouquets de fleurs. On s’étend sur les lits teints de mille couleurs ; Près de Lycus, sa fille idole de la fête, Est admise. La rose a couronné sa tête. Mais pour que la décence impose un juste frein, Lui-même est par eux tous élu Roi du festin. ; Et déjà vins, chansons, joie, entretiens sans nombre. Lorsque la double porte ouverte, un spectre sombre Entre ; cherchant des yeux l’autel hospitalier. La jeune enfant rougit. Il court vers le foyer ; Il embrasse l’autel, s’assied parmi la cendre ; Et tous, l’œil étonné, se taisent pour l’entendre. « Lycus, fils d’Evénon, que les dieux et le temps » N’osent jamais troubler tes destins éclatans. » Ta pourpre, tes trésors, ton front noble et tranquille » Semblent d’un roi puissant l’idole de sa ville. » À ton riche banquet un peuple convié, » T’honore comme un dieu de l’Olympe envoyé. » Regarde un étranger qui meurt dans la poussière » Si tu ne tends vers lui ta main hospitalière. » Inconnu, j’ai franchi le seuil de ton palais : » Trop de pudeur peut nuire à qui vit de bienfaits. » Lycus, par Jupiter, par ta fille innocente » Qui m’a seule indiqué ta porte bienfaisante ! » Je fus riche, autrefois : mon banquet opulent » N’a jamais repoussé l’étranger suppliant. » Et pourtant aujourd’hui la faim est mon partage, » La faim qui flétrit l’aine autant que le visage, » Par qui l’homme souvent importun, odieux, » Est contraint de rougir et de baisser les yeux. » — Étranger, tu dis vrai, le hasard téméraire » Des bons ou des méchans fait le destin prospère. » Mais sois mon hôte. Ici l’on hait plus que l’enfer » Le public ennemi, le riche au cœur de fer, » Enfant de Némésis, dont le dédain barbare » Aux besoins des mortels ferme son cœur avare. » Je rends grâce à l’enfant qui t’a conduit ici. » Ma fille, c’est bien fait ; poursuis toujours ainsi. » Respecter l’indigence est un devoir suprême. » Souvent les immortels (et Jupiter lui-même) » Sous des haillons poudreux, de seuil en seuil traînés, » Viennent tenter le cœur des humains fortunés. » D’accueil et de faveur un murmure s’élève. Lycus descend, accourt, tend la main, le relève : « Salut, père étranger ; et que puissent tes vœux » Trouver le ciel propice à tout ce que tu veux. » Mon hôte, lève-toi. Tu parais noble et sage ; » Mais cesse avec ta main de cacher ton visage. » Souvent marchent ensemble indigence et vertu ; » Souvent d’un vil manteau le sage revêtu, » Seul, vit avec les dieux et brave un sort inique. » Couvert de chauds tissus, à l’ombre du portique, » Sur de molles toisons, en un calme sommeil, » Tu peux, ici dans l’ombre, attendre le soleil. » Je te ferai revoir tes foyers, ta patrie, » Tes parens, si les dieux ont épargné leur vie. » Car tout mortel errant nourrit un long amour » D’aller revoir le sol qui lui donna le jour. » Mon hôte, tu franchis le seuil de ma famille » À l’heure qui jadis a vu naître ma fille. » Salut ! Vois, l’on t’apporte et la table et le pain : » Sieds-toi. Tu vas d’abord rassasier ta faim. » Puis, si nulle, raison ne te force au mystère, » Tu nous diras ton nom, ta patrie et ton père. » Il retourne, à sa place après que l’indigent S’est assis. Sur ses mains dans l’aiguière d’argent, Par une jeune esclave une eau pure est versée. Une table de cèdre où l’éponge est passée, S’approche ; et vient offrir à son avide main Et les fumantes chairs sur les disques d’airain, Et l’amphore vineuse et la coupe aux deux anses. « Mange et bois, dit Lycus ; oublions les souffrances. » Ami, leur lendemain est, dit-on, un beau jour. » ……………….. Bientôt Lycus se lève et fait emplir sa coupe, Et veut que l’échanson verse à toute la troupe « Pour boire à Jupiter, qui nous daigne envoyer » L’étranger, devenu l’hôte de mon foyer. » Le vin de, main en main va roulant à la ronde ; Lycus lui-même emplit une coupe profonde, L’envoie à l’étranger : « Salut, mon hôte, bois. » De ta ville bientôt tu reverras les toits, » Fussent-ils par-delà les glaces du Caucase. » Des mains de l’échanson l’étranger prend le vase, Se lève ; sur eux tous il invoque les dieux. On boit ; il se rassied. Et jusques sur les yeux Ses noirs cheveux toujours ombrageant son visage, De sourire et de plainte il mêle son langage. « Mon hôte, maintenant que sous tes nobles toits, » De l’importun besoin j’ai calmé les abois, » Oserai-je à ma langue abandonner les rênes ? » Je n’ai plus ni pays, ni parens, ni domaines. » Mais écoute : le vin, par toi-même versé, M’ouvre la bouche. Ainsi, puisque j’ai commencé, » Entends ce que peut-être il eût mieux valu taire. » Excuse enfin ma langue, excuse ma prière ; » Car du vin, tu le sais, la téméraire ardeur » Souvent à l’excès même enhardit la pudeur. » Meurtri de durs cailloux ou de sables arides, » Déchiré de buissons, ou d’insectes avides, » D’un long jeûne flétri ; d’un long chemin lassé, » Et de plus d’un grand fleuve en nageant traversé, » Je parais énervé, sans vigueur, sans courage ; » Mais je suis né robuste et n’ai point passé l’âgé. » La force et le travail, que je n’ai point perdus, » Par un peu de repos me vont être rendus. » Emploie alors mes bras à quelques soins rustiques. » Je puis dresser au char tes coursiers olympiques, » Ou, sous les feux du jour, courbé vers le sillon, » Presser deux forts taureaux du piquant aiguillon. » Je puis même, tournant la meule nourricière, » Broyer le pur froment en farine légère. » Je puis, la serpe en main, planter et diriger » Et le cep et la treille, espoir de ton verger. » Je tiendrai la faucille ou la faux recourbée, » Et devant mes pas, l’herbe ou la moisson tombée » Viendra remplir ta grange en la belle saison ; » Afin que nul mortel ne dise en ta maison, » Me regardant d’un œil insultant et colère : » Ô vorace étranger ! qu’on nourrit à rien faire. » — Vénérable indigent, va, nul mortel chez moi » N’oserait élever sa langue contre toi. » Tu peux ici rester, même oisif et tranquille, » Sans craindre qu’un affront ne trouble ton asile. » — L’indigent se méfie. — Il n’est plus de danger. » — L’homme est né pour souffrir. — Il est né pour changer. » — Il change d’infortune ! — Ami, reprends courage : » Toujours un vent glacé ne souffle point l’orage. » Le ciel d’un jour à l’autre est humide ou serein, » Et tel pleure aujourd’hui qui sourira demain. » — Mon hôte, en tes discours préside la sagesse. » Mais quoi ! la confiante et paisible richesse » Parle ainsi. L’indigent espère en vain du sort ; » En espérant toujours il arrive à la mort. » Dévoré de besoin, de projets, d’insomnie, » Il vieillit dans l’opprobre et dans l’ignominie. » Rebuté des humains durs, envieux, ingrats, » Il a recours aux dieux qui ne l’entendent pas. » Toutefois ta richesse accueille mes misères ; » Et puisque ton cœur s’ouvre à la voix des prières, » Puisqu’il sait, ménageant le faible humilié, » D’indulgence et d’égards tempérer la pitié, » S’il est des dieux du pauvre, ô Lycus ! que ta vie » Soit un objet pour tous et d’amour et d’envie. » — Je te le dis encore, espérons, étranger. » Que mon exemple au moins serve à t’encourager. » Des changemens du sort j’ai fait l’expérience. » Toujours un même éclat n’a point à l’indigence » Fait du riche Lycus envier le destin » J’ai moi-même été pauvre et j’ai tendu la main. » Cléotas de Larisse, en ses jardins immenses, » Offrit à mon travail de justes récompenses. » Jeune ami, j’ai trouvé quelques vertus en toi ; » Va, sois heureux, dit-il, et te souviens de moi. » Oui, oui, je m’en souviens : Cléotas fut mon père ; » Tu vois le fruit des dons de sa bonté prospère. » À tous les malheureux je rendrai désormais » Ce que dans mon malheur je dus à ses bienfaits. » Dieux, l’homme bienfaisant est votre cher ouvrage, » Vous n’avez point ici d’autre visible image ; » Il porte votre empreinte, il sortit de vos mains » Pour vous représenter aux regards des humains. » Veillez sur Cléotas ! Qu’une fleur éternelle, » Fille d’une ame pure, en ses traits étincelle ; » Que nombre de bienfaits, ce sont là ses amours, » Fassent une couronne à chacun de ses jours ; » Et quand une mort douce et d’amis entourée, » Recevra sans douleur sa vieillesse sacrée, » Qu’il laisse avec ses biens ses vertus pour appui » À des fils s’il se peut encor meilleurs que lui. » — Hôte des malheureux, le sort inexorable » Ne prend point Ies avis de l’homme secourable. » Tous, par sa main de fer en aveugles poussés, » Nous vivons ; et tes vœux ne sont point exaucés. » Cléotas est perdu, son injuste patrie » L’a privé de ses biens ; elle a proscrit sa vie. » De ses concitoyens dès long-temps envié, » De ses nombreux amis en un jour oublié, » Au lieu de ces tapis qu’avait tissus l’Euphrate, » Au lien de ces festins brillans d’or et d’agathe, » Où ses hôtes, parmi les chants, harmonieux, » Savouraient jusqu’au jour les vins délicieux, » Seul maintenant, sa faim visitant les feuillages, » Dépouille les buissons de quelques fruits sauvages ; » Ou chez le riche altier apportant ses douleurs, » Il mange un pain amer tout trempé de ses pleurs. » Errant et fugitif, de ses beaux jours de gloire » Gardant, pour son malheur, la pénible mémoire, » Sous les feux du midi, sous le froid des hivers, » Seul, d’exil en exil, de déserts en déserts, » Pauvre et semblable à moi, languissant et débile, » Sans appui qu’un bâton, sans foyer, sans asile, » Revêtu de ramée ou de quelques lambeaux, » Et sans que nul mortel attendri sur ses maux, » D’un souhait de bonheur le flatte et l’encourage ; » Les torrens et la mer, l’aquilon et l’orage, » Des corbeaux et des loups les tristes hurlemens » Répondant seuls la nuit à ses gémissemens ; » N’ayant d’autres amis que les bois solitaires, » D’autres consolateurs que ses larmes amères, » Il se traîne ; et souvent sur la pierre il s’endort » À la porte d’un temple, en invoquant la mort. » — Que m’as-tu dit ? La foudre a tombé sur ma tête. » Dieux ! ah grands dieux ! partons Plus de jeux plus de fête, » Partons. Il faut vers lui trouver des chemins sûrs ; » Partons. Jamais sans lui je ne revois ces murs. » Ah dieux ! quand dans le vin, les festins, l’abondance, » Enivré des vapeurs d’une folle opulence, » Celui qui lui, doit tout chante et s’oublie et rit, » Lui peut-être il expire, affamé, nu, proscrit, » Maudissant, cornue ingrat, son vieil ami qui l’aime. » Parle : était-ce bien lui ? le connais-tu toi-même ? » En quels lieux était-il ? où portait-il ses pas ? » Il sait où vit Lycus, pourquoi ne vient-il pas ? » Parle : était-ce bien lui ? parle, parle, te dis-je ; » Où l’as-tu vu ? Mon hôte, à regret je t’afflige. » C’était lui, je l’ai vu ………… ……………….. ………. » Les douleurs de son ame » Avaient changé ses traits. Ses deux fils et sa femme, » À Delphes, confiés au ministre du dieu, » Vivaient de quelques dons offerts dans le saint lieu. » Par des sentiers secrets fuyant l’aspect des villes, » On les avait suivis jusques aux Thermopyles. » Il en gardait encore un douloureux effroi. » Je le connais ; je fus son ami comme toi. » D’un même sort jaloux une même injustice » Nous a tous deux plongés au même précipice. » Il me donna jadis (ce bien seul m’est resté) » Sa marque d’alliance et d’hospitalité. » Vois si tu la connais. » Ô surprise ! Immobile, Lycus a reconnu son propre sceau d’argile ; Ce sceau, don mutuel d’immortelle amitié, Jadis à Cléotas par lui-même envoyé. Il ouvre un œil avide, et long-temps envisage L’étranger. Puis enfin sa voix trouve un passage. « Est-ce toi, Cléotas ? toi, qu’ainsi je revoi ? » Tout ici t’appartient. Ô mon père ! est-ce toi ? » Je rougis que mes yeux aient pu te méconnaître. » Ô Cléotas ! mon père ! ô toi, qui fus mon maître » Viens ; je n’ai fait ici que garder ton trésor ; » Et ton ancien Lycus veut te servir encor. » J’ai honte à ma fortune en regardant la tienne. » Et dépouillant soudain la pourpre tyrienne Que tient sur son épaule une agrafe d’argent, Il l’attache lui-même à l’auguste indigent. Les convives levés l’entourent ; l’allégresse Rayonne en tous les yeux. La famille s’empresse ; On cherche des habits, on réchauffe le bain. La jeune enfant approche, il rit ; lui tend la main. « Car c’est toi, lui dit-il, c’est toi qui la première » Ma fille, m’as ouvert la porte hospitalière. »

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Les colombes Deux belles s’étaient baisées… Le poëte-berger, témoin jaloux de leurs caresses, chante ainsi : « Que les deux beaux oiseaux, les colombes fidèles, Se baisent. Pour s’aimer les dieux les firent belles. Sous leur tête mobile, un cou blanc, délicat, Se plie, et de la neige effacerait l’éclat. Leur voix est pure et tendre, et leur âme innocente. Leurs yeux doux et sereins, leur bouche caressante. L’une a dit à sa sœur : « Ma sœur, . . . . . . . . En un tel lieu croissent l’orge et le millet… L’autour et l’oiseleur, ennemis de nos jours, De ce réduit, peut-être, ignorent les détours ; Viens… Je te choisirai moi-même les graines que tu aimes, et mon bec s’entrelacera dans le tien. » ……………….. L’autre a dit à sa sœur : « Ma sœur, une fontaine Coule dans ce bosquet………. L’oie ni le canard n’en ont jamais souillé les eaux, ni leurs cris… Viens, nous y trouverons une boisson pure, et nous y baignerons notre tête et nos ailes, et mon bec ira polir ton plumage. » — Elles vont, elles se promènent en roucoulant au bord de l’eau ; elles boivent, se baignent, mangent ; puis, sur un rameau, leurs becs s’entrelacent ; elles se polissent leur plumage l’une à l’autre. Le voyageur, passant en ces fraîches campagnes, Dit : « Oh ! les beaux oiseaux ! oh ! les belles compagnes ! » Il s’arrêta longtemps à contempler leurs jeux ; Puis, reprenant sa route et les suivant des yeux, Dit : « Baisez-vous, baisez-vous, colombes innocentes ! Vos cœurs sont doux et purs, et vos voix caressantes ; Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat, Se plie, et de la neige effacerait l’éclat. »

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    L’Amérique Fragments Magellan, fils du Tage, et Drake et Bougainville Et l’Anglais dont Neptune aux plus lointains climats Reconnaissait la voile et respectait les pas. Le Cancer sous les feux de son brûlant tropique L’attire entre l’Asie et la vaste Amérique, En des ports où jadis il entra le premier. Là l’insulaire ardent, jadis hospitalier, L’environne : il périt. Sa grande âme indignée, Sur les flots, son domaine, à jamais promenée, D’ouragans ténébreux bat le sinistre bord Où son nom, ses vertus, n’ont point fléchi la mort. J’accuserai les vents et cette mer jalouse Qui retient, qui peut-être a ravi La Peyrouse. Il partit. L’amitié, les sciences, l’amour Et la gloire française imploraient son retour. Six ans sont écoulés sans que la renommée De son trépas au moins soit encore informée. Malheureux ! un rocher inconnu sous les eaux A-t-il, brisant les flancs de tes hardis vaisseaux, Dispersé ta dépouille au sein du gouffre immense ? Ou, le nombre et la fraude opprimant ta vaillance, Nu, captif, désarmé, du sauvage inhumain As-tu vu s’apprêter l’exécrable festin ? Ou plutôt dans une île, assis sur le rivage, Attends-tu ton ami voguant de plage en plage ; Ton ami qui partout, jusqu’aux bornes des mers Où d’éternelles nuits et d’éternels hivers Fout plier notre globe entre deux monts de glace, Aux flots de l’Océan court demander ta trace ? Malheureux ! tes amis, souvent dans leurs banquets, Disent en soupirant :  » Reviendra-t-il jamais ? «  Ta femme à son espoir, à ses voeux enchaînée, Doutant de son veuvage ou de son hyménée, N’entend, ne voit que toi dans ses chastes douleurs, Se reproche un sourire, et, tout entière aux pleurs, Cherche en son lit désert, peuplé de ton image, Un pénible sommeil que trouble ton naufrage.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    L’aveugle « Dieu, dont l’arc est d’argent, dieu de Claros, écoute, » Ô Sminthée-Apollon, je périrai sans doute, » Si tu ne sers de guide à cet aveugle errant. » C’est ainsi qu’achevait l’aveugle en soupirant, Et près des bois marchait, faible, et sur une pierre S’asseyait. Trois pasteurs, enfans de cette terre, Le suivaient, accourus aux abois turbulens Des Molosses, gardiens de leurs troupeaux bêlans. Ils avaient, retenant leur fureur indiscrète, Protégé du vieillard la faiblesse inquiète ; Ils l’écoutaient de loin ; et s’approchant de lui : « Quel est ce vieillard blanc, aveugle et sans appui ? » Serait-ce un habitant de l’empire céleste ? » Ses traits sont grands et fiers ; de sa ceinture agreste » Pend une lyre informe, et les sons de sa voix » Émeuvent l’air et l’onde et le ciel et les bois. » Mais il entend leurs pas, prête l’oreille, espère, Se trouble, et tend déjà les mains à la prière. « Ne crains point, disent-ils, malheureux étranger ; » (Si plutôt sous un corps terrestre et passager » Tu n’es point quelque dieu protecteur de la Grèce, » Tant une grâce auguste ennoblit ta vieillesse !) » Si tu n’es qu’un mortel, vieillard infortuné, » Les humains près de qui les flots t’ont amené, » Aux mortels malheureux n’apportent point d’injures. » Les destins n’ont jamais de faveurs qui soient pures. » Ta voix noble et touchante est un bienfait des dieux ; » Mais aux clartés du jour ils ont fermé tes yeux. » — Enfans, car votre voix est enfantine et tendre, » vos discours sont prudens, plus qu’on n’eût dû l’attendre ; » Mais toujours soupçonneux, l’indigent étranger » Croit qu’on rit de ses maux et qu’on veut l’outrager. » Ne me comparez point à la troupe immortelle : » Ces rides, ces cheveux, cette nuit éternelle, » Voyez ; est-ce le front d’un habitant des cieux ? » Je ne suis qu’un mortel, un des plus malheureux » Si vous en savez un pauvre, errant, misérable, » C’est à celui-là seul que je suis comparable ; » Et pourtant je n’ai point, comme fit Thomyris, » Des chansons à Phœbus voulu ravir le prix ; » Ni, livré comme OEdipe à la noire Euménide, » Je n’ai puni sur moi l’inceste parricide ; » Mais les dieux tout-puissans gardaient à mon déclin » Les ténèbres, l’exil, l’indigence et la faim. » Prends ; et puisse bientôt changer ta destinée, » Disent-ils. » Et tirant ce que, pour leur journée, Tient la peau d’une chèvre aux crins noirs et luisans, Ils versent à l’envi, sur ses genoux pesans, Le pain de pur froment, les olives huileuses, Le fromage et l’amande, et les figues mielleuses, Et du pain à son chien entre ses pieds gissant, Tout hors d’haleine encore, humide et languissant ; Qui malgré les rameurs, se lançant à la nage, L’avait loin du vaisseau rejoint sur le rivage.. « Le sort, dit le vieillard, n’est pas toujours de fer. » Je vous salue, enfans venus de Jupiter. » Heureux sont les parens qui tels vous firent naître ! » Mais venez, que mes mains cherchent à vous connaît ; » Je crois avoir des yeux. Vous êtes beaux tous trois. » Vos visages sont doux, car douce est votre, voix. » Qu’aimable est la vertu que la grâce environne ! » Croissez, comme j’ai vu ce palmier de Latone, » Alors qu’ayant des yeux je traversai les flots ; » Car jadis, abordant à la sainte Délos, » Je vis près d’Apollon, à son autel de pierre, » Un palmier, don du ciel, merveille de la terre. » Vous croîtrez, comme lui, grands, féconds, révérés. »’Puisque les malheureux sont par vous honorés. » Le plus âgé de vous aura vu treize années : » À peine, mes enfans, vos mères étaient nées, » Que j’étais presque vieux. Assieds-toi près de moi, » Toi, le plus grand de tous ; je me confie à toi. » Prends soin du vieil aveugle.-O sage magnanime ! » Comment, et d’où viens-tu ? car l’oncle maritime » Mugit de toutes parts sur nos bords orageux. » — Des marchands de Cymé m’avaient pris avec eux. » J’allais voir, m’éloignant des rives de Carie, » Si la Grèce pour moi n’aurait point de patrie, » Et des dieux moins jaloux, et de moins tristes jours ; » Car jusques à la mort nous espérons toujours. » Mais pauvre, et n’ayant rien pour payer mon passage, » Ils m’ont, je ne sais où, jeté sur le rivage. » — Harmonieux vieillard, tu n’as donc point chanté ? » Quelques sons de ta voix auraient tout acheté. » — Enfans, du rossignol la voix pure et légère » N’a jamais apaisé le vautour sanguinaire, » Et les riches grossiers, avares, insolens, » N’ont pas une ame ouverte à sentir les talens. » Guidé par ce bâton, sur l’arène glissante, » Seul, en silence, au bord de l’onde mugissante, » J’allais ; et j’écoutais le bêlement lointain » Da troupeaux agitant leurs Sonnettes d’airain. » Puis j’ai pris cette lyre, et les cordes mobiles » Ont encor résonné sous mes vieux doigts débiles. » Je voulais deS grands dieux implorer la bonté, » Et surtout Jupiter, dieu d’hospitalité : » Lorsque d’énormes chiens, à la voix formidable, » Sont venus m’assaillir ; et j’étais misérable, » Si vous (car c’était vous) avant qu’ils m’eussent pris » N’eussiez armé pour moi les pierres et les cris. » — Mon père, il est donc vrai : tout est devenu pire ? » Car jadis, aux accens d’une éloquente lyre, » Les tigres et les loups, vaincus, humiliés, » D’un chanteur comme toi vinrent baiser les pieds. » — Les barbares ! J’étais assis près de la poupe. » Aveugle vagabond, dit l’insolente troupe, » Chante ; si ton esprit n’est point comme tes yeux, » Amuse notre ennui ; tu rendras grâce aux dieux. » J’ai fait taire mon cœur qui voulait les confondre ; » Ma bouche ne s’est point ouverte à leur répondre. » Ils n’ont pas entendu ma voix, et sous ma main » J’ai retenu le dieu courroucé dans mon sein. » Cymé, puisque tes fils dédaignent Mnémosyne, » Puisqu’ils ont fait outrage à la muse divine, » Que leur vie et leur mort s’éteigne dans l’oubli ; » Que ton nom dans la nuit demeure enseveli. » — Viens, suis-nous à la ville ; elle est toute voisine, » Et chérit les amis de la muse divine. » Un siége aux cloux d’argent te place à nos festins ; » Et là les mets choisis, le miel et les bons vins, » Sous la colonne où pend une lyre d’ivoire, » Te feront de tes maux oublier la mémoire. » Et si, dans le chemin, rhapsode ingénieux, » Tu veux nous accorder tes chants dignes des cieux, » Nous dirons qu’Apollon, pour charmer les oreilles, » T’a lui-même dicté de si douces merveilles. » — Oui, je le veux ; marchons. Mais où m’entraînez-vous ? » Enfans du vieil aveugle, en quel lieu sommes-nous » — Sicos est l’île heureuse où nous vivons, mon père. » — Salut, belle Sicos, deux fois hospitalière ! » Car sur ses bords heureux je suis déjà venu, » Amis, je la connais. Vos pères m’ont connu : » Ils croissaient comme vous ; mes yeux s’ouvraient encore » Au Soleil, au printemps, aux roses de l’aurore ; » J’étais jeune et vaillant. Aux danses des guerriers, » À la course, aux combats, j’ai paru des premiers. » J’ai vu Corinthe, Argos, et Crète et les cent villes, » Et du fleuve Égyptus les rivages fertiles ; » ; Mais la terre et la mer, et l’âge et les malheurs, » Ont épuisé ce corps fatigué de douleurs. » La voix me reste. Ainsi la cigale innocente, » Sur un arbuste assise, et se console et chante. » Commençons par les dieux : Souverain Jupiter ; » Soleil, qui vois, entends, connais tout ; et toi, mer, » Fleuves, terre, et noirs dieux des vengeances trop lentes, » Salut ! Venez à moi de l’Olympe habitantes, » Muses ; vous savez tout, vous déesses ; et nous, » Mortels, ne savons rien qui ne vienne de vous. » Il poursuit ; et déjà les antiques ombrages Mollement en cadence inclinaient leurs feuillages ; Et pâtres oubliant leur troupeau délaissé, Et voyageurs quittant leur chemin commencé, Couraient ; il les entend, près de son jeune guide, L’un sur l’autre pressés tendre une oreille avide ; Et nymphes et sylvains sortaient pour l’admirer, Et l’écoutaient en foule, et n’osaient respirer ; Car, en de longs détours de chansons vagabondes, Il enchaînait de tout les semences fécondes ; Les principes du feu, les eaux, la terre et l’air, Les fleuves descendus du sein de Jupiter, Les oracles, les arts, les cités fraternelles, Et depuis le chaos les amours immortelles. D’abord le Roi divin, et l’Olympe et les Cieux Et le Monde, ébranlés d’un signe de ses yeux ; Et les dieux partagés en une immense guerre, Et le sang plus qu’humain venant rougir la terré, Et les rois assemblés, et Sous les pieds guerriers, Une nuit de poussière, : et les chars meurtriers ; Et les héros armés, brillans dans les campagnes, Comme un vaste incendie aux cimes des montagnes. Les coursiers hérissant leur crinière à longs flots, Et d’une voix humaine excitant les héros. De là, portant ses pas dans les paisibles villes, Les lois, les orateurs, les récoltes fertiles. Mais bientôt de soldats les remparts entourés, Les victimes tombant dans les parvis sacrés, Et les assauts, mortels aux épouses plaintives, Et les mères en deuil, et les filles captives ; Puis aussi les moissons joyeuses, les troupeaux Bêlans ou mugissans, les rustiques pipeaux, Les chansons, les festins, les vendanges bruyantes, Et la flûte et la lyre, et les notes dansantes ; Puis, déchaînant les vents à soulever les mers, Il perdait les nochers sur les gouffres amers. De là, dans le sein frais d’une roche azurée, En foule il appelait les filles de Nérée, Qui bientôt, à des cris, s’élevant sur les eaux, Aux rivages troyens parcouraient des vaisseaux ; Puis il ouvrait du Styx la rive criminelle, Et puis les demi-dieux et les champs d’Asphodèle, Et la foule des morts ; vieillards seuls et souffrans, Jeunes gens emportés aux yeux de leurs parens, Enfans dont au berceau la vie est terminée, Vierges dont le trépas suspendit l’hyménée. Mais ô bois, ô ruisseaux, ô monts, ô durs cailloux, Quels doux frémissemens vous agitèrent tous Quand bientôt à Lemnos, sur l’enclume divine, Il forgeait cette trame irrésistible et fine, Autant que d’Arachné les piéges inconnus, Et dans ce fer mobile emprisonnait Vénus ! Et quand il revêtit d’une pierre soudaine La fière Niobé, cette mère thébaine, Et quand il répétait en accens de douleurs’ De la triste Aédon l’imprudence et les pleurs, Qui, d’un fils méconnu marâtre involontaire, Vola, doux rossignol, sous le bois solitaire ; Ensuite, avec le vin, il versait aux héros Le puissant Népenthès, oubli de tous les maux ; Il cueillait le Moly, fleur qui rend l’homme sage ; Du paisible Lotos il mêlait le breuvage. Les mortels oubliaient, à ce philtre charmés, Et la douce patrie et les parens aimés ; Enfin, l’Ossa, l’Olympe et les bois du Pénée Voyaient ensanglanter les banquets d’hyménée, Quand Thésée, au milieu de la joie et du vin, La nuit où son ami reçut à son festin Le peuple monstrueux des enfans de la nue, Fut contraint d’arracher l’épouse demi-nue Au bras ivre et nerveux du sauvage Eurytus. Soudain, le glaive en main, l’ardent Pirithoüs « Attends ; il faut ici que mon affront s’expie, » Traître ! » Mais, avant lui, sur le centaure impie, Dryas a fait tomber, avec tous ses rameaux, Un long arbre de fer hérissé de flambeaux. L’insolent quadrupède en vain s’écrie, il tombe ; Et son pied bat le sol qui doit être sa tombe. Sous l’effort de Nessus, la table du repas Roule, écrase Cymèle, Évagre, Périphas. Pirithoüs égorge Antimaque, et Pétrée, Et Cyllare aux pieds blancS, et le noir Macarée, Qui de trois fiers lions, dépouillés par sa main, Couvrait ses quatre flancs, armait son double sein. Courbé, levant un roc choisi pour leur vengeance, Tout-à-coup, sous l’airain d’un vase antique, immense, L’imprudent Bianor, par Hercule surpris, Sent de sa tête énorme éclater les débris. Hercule et la massue entassent en trophée Clanis, Démoléon, Lycotas, et Riphée Qui portait sur ses crins, de taches, colorés, L’héréditaire éclat des nuages dorés. Mais d’un double combat Eurynome est avide ; Car ses pieds, agités en un cercle rapide, Battent à coups pressés l’armure de Nestor ; Le quadrupède Hélops fuit l’agile Crantor ; Le bras levé l’atteint ; Eurynome l’arrête. D’un érable noueux il va fendre sa tête : Lorsque le fils d’Égée, invincible, sanglant, L’aperçoit ; à l’autel prend un chêne brûlant ; Sur sa croupe indomptée, avec un cri terrible, S’élance ; va saisir sa chevelure horrible, L’entraîne, et quand sa bouche ouverte avec effort, Crie ; il y plonge ensemble et la flamme et la mort. L’autel est dépouillé. Tous vont s’armer de flamme, Et le bois porte au loin les hurlernens de femme, L’ongle frappant la terre, et les guerriers meurtris, Et les vases brisés, et l’injure, et les cris. Ainsi le grand vieillard, en images hardies, Déployait, le tissu des saintes mélodies. Les trois enfans, émus à son auguste aspect, Admiraient, d’un regard de joie et de respect, De sa bouche abonder les paroles divines, Comme en hiver la neige aux sommets des collines. E partout accourus, dansant sur son chemin, Hommes, femmes, enfans, les rameaux à la main, Et vierges et guerriers, jeunes fleurs de la ville, Chantaient : « Viens dans nos murs, viens habiter notre île ; » Viens, prophète éloquent, aveugle harmonieux, » Convive du nectar, disciple aimé des dieux ; » Des jeux, tous les cinq ans, rendront saint et prospère » Le jour où nous avons reçu le grand Homère. »

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    L’invention Ô fils du Mincius, je te salue, ô toi Par qui le dieu des arts fut roi du peuple roi ! Et vous, à qui jadis, pour créer l’harmonie, L’Attique, et l’onde Égée, et la belle Ionie, Donnèrent un ciel pur, les plaisirs, la beauté, Des mœurs simples, des lois, la paix, la liberté, Un langage sonore, aux douceurs souveraines, Le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines. Nul âge ne verra pâlir vos saints lauriers, Car vos pas inventeurs ouvrirent les sentiers Et du tempe des arts que la gloire environne Vos mains ont élevé la première colonne. À nous tous aujourd’hui, vos faibles nourrissons, Votre exemple a dicté d’importantes leçons. Il nous dit que nos mains, pour vous être fidèles, Y doivent élever des colonnes nouvelles. L’esclave imitateur naît et s’évanouit ; La nuit vient, le corps reste, et son ombre s’enfuit. Ce n’est qu’aux inventeurs que la vie est promise : Nous voyons les enfans de la fière Tamise, De toute servitude ennemis indomptés, Mieux qu’eux, par votre exemple, à vous vaincre excités. Osons ; de votre gloire éclatante et durable Essayons d’épuiser la source inépuisable. Mais inventer n’est pas, en un brusque abandon, Blesser la vérité, le bon sens, la raison ; Ce n’est pas entasser, sans dessein et sans forme, Des membres ennemis en un colosse énorme ; Ce n’est pas, élevant des poissons dans les airs, À l’aile des vautours ouvrir le sein des mers ; Ce n’est pas, sur le front d’une nymphe brillante, Hérisser d’un lion la crinière sanglante : Délires insensés ! fantômes monstrueux ! Et d’un cerveau malsain rêves tumultueux ! Ces transports déréglés, vagabonde manie, Sont l’accès de la fièvre et non pas du génie : D’Ormus et d’Ariman ce sont les noirs combats, Où partout confondus, la vie et le trépas, Les ténèbres, le jour, la forme et la matière, Luttent sans être unis ; mais l’esprit de lumière Fait naître en ce chaos la concorde et le jour ; D’élémens divisés il reconnaît l’amour, Les rappelle ; et partout, en d’heureux intervales, Sépare et met en paix les semences rivales. Ainsi donc, dans les arts l’inventeur est celui Qui peint ce que chacun pût sentir comme lui, Qui, fouillant des objets les plus sombres retraites, Étale et fait briller leurs richesses secrètes ; Qui, par des nœuds certains, imprévus et nouveaux, Unissant des objets qui paraissaient rivaux, Montre et fait adopter à la nature mère Ce qu’elle n’a point fait, mais ce qu’elle a pu faire ; C’est le fécond pinceau qui, sûr dans ses regards, Retrouve un seul visage en vingt belles épars ; Les fait renaître ensemble, et par un art suprême Des traits de vingt beautés forme la beauté même. La nature dicta vingt genres opposés D’un fil léger entre eux chez les Grecs divisés. Nul genre, s’échappant de ses bornes prescrites, N’aurait osé d’un autre envahir les limites ; Et Pindare à sa lyre, en un couplet bouffon, N’aurait point de Marot associé le ton. De ces fleuves nombreux dont l’antique Permesse Arrosa si long-temps les cités de la Grèce, De nos jours même, hélas ! nos aveugles vaisseaux Ont encore oublié mille vastes rameaux. Quand Louis et Colbert, sous les murs de Versailles, Réparaient des beaux arts les longues funérailles ; De Sophocle et d’Eschyle, ardens admirateurs, De leur auguste exemple élèves inventeurs, Des hommes immortels firent sur notre scène Revivre aux yeux français les théàtres d’Athène. Comme eux, instruit par eux, Voltaire offre à nos pleurs Des grands infortunés les illustres douleurs ; D’autres esprits divins, fouillant d’autres ruines, Sous l’amas des débris, des ronces, dos épines, Ont su, pleins des écrits des Grecs et des Romains, Retrouver, parcourir leurs antiques chemins. Mais, ô la belle palme et quel trésor de gloire Pour celui qui, cherchant la plus noble victoire, D’un si grand labyrinthe affrontant les hasards, Saura guider sa muse aux immenses regards De mille longs détours à la fois occupée, Dans les sentiers confus d’une vaste épopée ! Lui dire d’être libre, et qu’elle n’aille pas De Virgile et d’Homère épier tous les pas, Par leur secours à peine à leurs pieds élevée ; Mais, qu’auprès de leurs chars, dans un char enlevée, Sur leurs sentiers marqués de vestiges si beaux, Sa roue ose imprimer des vestiges nouveaux. Quoi ! faut-il, ne s’armant que de timides voiles, N’avoir que ces grands noms pour nord et pour étoiles, Les côtoyer sans cesse, et n’oser un instant, Seul et loin de tout bord intrépide et flottant, Aller sonder les flancs du plus lointain Nérée, Et du premier sillon fendre une onde ignorée ! Les coutumes d’alors, les sciences, les mœurs Respirent dans les vers des antiques auteurs. Leur siècle est en dépôt dans leurs nobles volumes. Tout a changé pour nous, mœurs, sciences, coutumes. Pourquoi donc nous faut-il, par un pénible soin, Sans rien voir près de nous, voyant toujours bien loin, Vivant dans le passé, laissant ceux qui commencent, Sans penser écrivant d’après d’autres qui pensent, Retraçant un tableau que nos yeux n’ont point vu, Dire et dire cent fois ce que nous avons lu ? De la Grèce héroïque et naissante et sauvage Dans Homère à nos yeux vit la parfaite image. Démocrite, Platon, Epicure, Thalès, Ont dc loin à Virgile indiqué les secrets D’une nature encore à leurs yeux trop. voilée. Toricelli, Newton, Kepler et Galilée, Plus doctes, plus heureux, dans leurs puissans efforts, À tout nouveau Virgile ont ouvert des trésors. Tons les arts sont unis : les sciences humaines N’ont pu de leur empire étendre les domaines, Sans agrandir aussi la carrière (les vers. Quel long travail pour eux a conquis l’univers ! Aux regards de Buffon, sans voile, sans obstacles, La terre ouvrant son sein, ses ressorts, ses miracles, Ses germes, ses coteaux, dépouille de Thétis : Les nuages épais, sur elle appesantis, De ses noires vapeurs nourrissant leur tonnerre, Et l’hiver ennemi pour envahir la terre Roi des antres dut Nord : et, de glaces armés, Ses pas usurpateurs sur nos monts imprimés ; Et l’œil perçant du verre en la vaste étendue, Allant chercher ces feux qui fuyaient notre vue. Aux changemens prédits, immuables, fixés, Que d’une plume d’or Bailly nous a tracés ; Aux lois de Cassini les comètes fidèles ; L’aimant, de nos vaisseaux seul dirigeant les ailes, Une Cibèle neuve et cent mondes divers, Aux yeux de nos Jasons sortis du, sein des mers. Quel amas de tableaux, de sublimes images, Nait de ces grands objets réservés à nos âges ! Sous ces bois étrangers qui couronnent ces monts, Aux vallons de Cusco, dans ces antres profonds, Si chers à la fortune et plus chers au génie, Germent des mines d’or, de gloire et d’harmonie. Pensez-vous, si Virgile, ou l’Aveugle divin, Renaissaient aujourd’hui, que leur savante main Négligeât de saisir ces fécondes richesses, De notre Pinde auguste éclatantes largesses ? Nous en verrions briller leurs sublimes écrits : Et ces mêmes objets que vos doctes mépris Accueillent aujourd’hui d’un front dur et sévère, Alors à vos regards auraient seuls droit de plaire ; Alors, dans l’avenir, votre inflexible humeur Aurait soin de défendre à tout jeune rimeur D’oser sortir jamais de ce cercle d’images Que vos yeux auraient vu tracé dans leurs ouvrages. Mais qui jamais a su, dans des vers séduisans, Sous des dehors plus vrais peindre l’esprit aux sens ! Mais quelle voix jamais, d’une plus pure flamme, Et chatouilla l’oreille et pénétra dans l’aine ! Mais leurs mœurs et leurs lois, et mille autres hasards, Rendaient leur siècle heureux plus propice aux beaux-arts. Eh bien ! l’ame est partout ; la pensée a des ailes. Volons, volons chez eux retrouver leurs modèles, Voyageons dans leur âge, où libre, sans détour, Chaque homme ose être un homme et penser au grand jour. Au tribunal de Mars, sur la pourpre romaine, Là du grand Cicéron la vertueuse haine Écrase Céthégus, Catilina, Verrès ; Là tonne Démosthène ; ici, de Périclès La voix, l’ardente voix, de tous les cœurs maîtresse, Frappe, foudroie, agite, épouvante la Grèce : Allons voir la grandeur et l’éclat de leurs jeux. Ciel ! la mer appelée en un bassin pompeux ! Deux flottes parcourant cette enceinte profonde,. Combattant sous les yeux des conquérons du monde. Ô terre de Pélops ! avec le monde entier Allons voir d’Épidaure un agile coursier, Couronné dans les champs de Némée et d’Elide ; Allons voir au théâtre, aux accens d’Euripide, D’une sainte folie un peuple furieux Chanter : Amour, tyran des hommes et des dieux. Puis, ivres des transports qui nous viennent surprendre, Parmi nous, dans nos vers, revenons les répandre ; Changeons en notre miel leurs plus antiques fleurs ; Pour peindre notre idée, empruntons leurs couleurs ; Allumons nos flambeaux à leurs feux poétiques ; Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques. Direz-vous qu’un objet, né sur leur Hélicon, À seul de nous charmer pu recevoir le don ? Que leurs fables, leurs dieux, ces mensonges futiles, Des Muses noble ouvrage, aux Muses sont utiles ? Que nos travaux savons, nos calculs studieux, Qui subjuguent l’esprit et répugnent aux yeux, Que l’on croit malgré soi, sont pénibles, austères, Et moins grands, moins pompeux que leurs belles chimères ? Voilà ce que Traités, Préfaces, longs discours, Prose, rime, partout nous disent tous les jours. Mais enfin, dites-moi, si d’une œuvre immortelle La nature est en nous la source et le modèle ; Pouvez-vous le penser que tout cet univers, Et cet ordre éternel, ces mouvemens divers, L’immense vérité, la nature elle-même, Soit moins grande en effet que ce brillant systême Qu’ils nommaient la nature, et dont d’heureux efforts Disposaient avec art les fragiles ressorts ? Mais quoi ! ces vérités sont au loin reculées, Dans un langage obscur saintement recelées : Le peuple les ignore. Ô Muses, Ô Phébus ! C’est là, c’est là sans doute un aiguillon de plus. L’auguste poésie, éclatante interprète, Se couvrira de gloire en forçant leur retraite. Cette reine des cœurs, à la touchante voix, À le droit, en tous lieux, de nous dicter son choix. Sûre de voir partout, introduite par elle, Applaudir à grands cris une beauté nouvelle, Et les objets nouveaux que sa voix a tentés Partout de bouche en bouche après elle chantés. Elle porte, à travers leurs nuages plus sombres, Des rayons lumineux qui dissipent leurs ombres ; Et rit quand, dans son vide, un auteur oppressé Se plaint qu’on a tout dit et que tout est pensé. Seule, et la lyre en main, et de fleurs couronnée, De doux ravissemens partout accompagnée, Aux lieux les plus déserts, ses pas, ses jeunes pas, Trouvent mille trésors qu’on ne soupçonnait pas. Sur l’aride buisson que son regard se pose,. Le buisson à ses yeux rit et jette une rose. Elle sait ne point voir, dans son juste dédain, Les fleurs qui trop souvent, courant de main en main, Ont perdu tout l’éclat de leurs fraîcheurs vermeilles ; Elle sait même encore, ô charmantes merveilles ! Sous ses doigts délicats réparer et cueillir Celles qu’une autre main n’avait su que flétrir ; Elle seule connaît ces extases choisies, D’un esprit tout de feu mobiles fantaisies, Ces rêves d’un moment, belles illusions, D’un monde imaginaire aimables visions, Qui ne frappent jamais, trop subtile lumière, Des terrestres esprits l’œil épais et vulgaire. Seule, de mots heureux, faciles, transparens, Elle sait revêtir ces fantômes errans : Ainsi des hauts sapins de la Finlande humide, De l’ambre, enfant du ciel, distille l’or fluide ; Et sa chute souvent rencontre dans les airs Quelque insecte volant qu’il porte au fond des mers ; De la Baltique enfin les vagues orageuses Roulent et vont jeter ces larmes précieuses, Où la fière Vistule, en de nobles coteaux, Et le froid Niémen expirent dans ses eaux. Là lès arts vont cueillir cette merveille utile, Tombe odorante où vit l’insecte volatile, Dans cet or diaphane il est lui-même encor, On dirait qu’il respire et va prendre l’essor. Qui que tu sois enfin ; ô toi, jeune poète, Travaille ; ose achever cette illustre conquête. De preuves, de raisons, qu’est-il encor besoin ? Travaille. Un grand exemple est un puissant témoin. Montre ce qu’on peut faire, en le faisant toi-même ; Si pour toi la retraite est un bonheur suprême, Si chaque jour les vers de ces maîtres fameux Font bouillonner ton sang et dressent tes cheveux ; Si tu sens chaque jour, animé de leur ame, Ce besoin de créer, ces transports, cette flamme, Travaille. À nos censeurs, c’est à toi de montrer Tous ces trésors nouveaux qu’ils veulent ignorer. Il faudra bien les voir, il faudra bien se taire, Quand ils verront enfin cette gloire étrangère De rayons inconnus ceindre ton front brillant. Aux antres de Paros le bloc étincelant N’est aux vulgaires yeux qu’une pierre insensible. Mais le docte ciseau, dans son sein invisible, Voit, suit, trouve la vie, et l’ame, et tous ses traits. Tout l’Olympe respire en ses détours secrets. Là vivent de Vénus les beautés souveraines ; Là des muscles nerveux, là de sanglantes veines Serpentent ; là des flancs invaincus aux travaux Pour soulager Atlas des célestes fardeaux. Aux volontés du fer leur enveloppe énorme Cède, s’amollit, tombe ; et de ce bloc informe Jaillissent, éclatans, des dieux pour nos autels C’est Apollon lui-même, honneur des immortels ; C’est Alcide vainqueur des monstres de Némée ; C’est du vieillard troyen la mort envenimée ; C’est des Hébreux errans le chef, le défenseur : Dieu tout entier habite en ce marbre penseur. Ciel ! n’entendez-vous pas de sa bouche profonde Éclater cette voix créatrice du monde. Ô qu’ainsi parmi nous des esprits inventeurs De Virgile et d’Homère atteignent les hauteurs ! Sachent dans la mémoire avoir comme eux un temple, Et sans suivre leurs pas imiter leur exemple ; Faire, en s’éloignant d’eux, avec un soin jaloux, Ce qu’eux-même ils feraient s’ils vivaient parmi nous ! Que la nature seule, en ses vastes miracles, Soit leur fable et leurs dieux, et ses lois leurs oracles ; Que leurs vers, de Thétis respectant le sommeil, N’aillent plus dans ses flots rallumer le soleil ; De la cour d’Apollon que l’erreur soit bannie, Et qu’enfin Calliope, élève d’Uranie, Montant sa lyre d’or sur un plus noble ton, En langage des dieux fasse parler Newton ! Oh ! si je puis, un jour !… Mais, quel est ce murmure, Quelle nouvelle attaque et plus forte et plus dure ? Ô langue des Français ! est-il vrai que ton sort Est de ramper toujours et que toi seule as tort ? Ou si d’un faible esprit l’indolente paresse Veut rejeter sur toi sa honte et sa faiblesse ? Il n’est sot traducteur de sa richesse enflé, Sot auteur d’un poème, ou d’un discours sifflé, Ou d’un recueil ombré de chansons à la glace, Qui ne vous avertisse, en sa fière préface’, Que si son style épais vous fatigue d’abord, Si sa prose vous pèse et bientôt vous endort ; Si son vers est gêné, sans feu, sans harmonie, Il n’en est point coupable ; il n’est pas sans génie, Il a tous les talens qui font les grands succès : Mais enfin, malgré lui, ce langage français, Si faible en ses couleurs, si froid et si timide, L’a contraint d’être lourd, gauche, plat, insipide. Mais serait-ce Le Brun, Racine, Despréaux, Qui l’accusent ainsi d’abuser leurs travaux ? Est-ce à Rousseau, Buffon, qu’il résiste infidelle ? Est-ce pour Montesquieu, qu’impuissant et rebelle,. Il fuit ? Ne sait-il pas, se reposant sur eux, Doux, rapide, abondant, magnifique, nerveux, Creusant dans les détours de ces aines profondes, S’y teindre, s’y tremper de leurs couleurs fécondes ? Un rimeur voit partout un nuage ; et jamais, D’un coup d’œil ferme et grand, n’a saisi les objets ; La langue se refuse à ses demi-pensées, De sang-froid, pas à pas, avec peine amassées : Il se dépite alors, et restant en chemin, Il se plaint qu’elle échappe et glisse de sa main. Celui qu’un vrai démon presse, enflamme, domine, Ignore un tel supplice : il pense, il imagine ; Un langage imprévu dans son ame produit, Naît avec sa pensée, et l’embrasse et la suit ; Les images, les mots que le génie inspire, Où l’univers entier vit, se meut et respire, Source vaste et sublime et qu’on ne peut tarir, En foule en son cerveau se hâtent de courir. D’eux-même ils vont chercher un nœud qui les rassemble : Tout s’allie et se forme, et tout va naître ensemble. Sous l’insecte vengeur envoyé par Junon, Telle Io tourmentée, en l’ardente saison, Traverse en vain les bois et la longue campagne, Et le fleuve bruyant qui presse la montagne ; Tel le bouillant poète, en ses transports brûlans, Le front échevelé, les yeux étincelans, S’agite, se débat ; cherche en d’épais bocages S’il pourra de sa tête apaiser les orages, Et secouer le dieu qui fatigue son sein. De sa bouche à grands flots ce dieu dont il est plein, Bientôt en vers nombreux s’exhale et se déchaîne : Leur sublime torrent roule, saisit, entraîne. Les tours impétueux, inattendus, nouveaux, L’expression de flamme aux magiques tableaux, Qu’a trempés la nature en ses couleurs fertiles ; Les nombres tour à tour turbulens ou faciles : Tout porte au fond du cœur le tumulte et la paix, Dans la mémoire au loin tout s’imprime à jamais. C’est ainsi que Minerve, en un instant formée, Du front de Jupiter s’élance toute armée, Secouant et le glaive et le casque guerrier, Et l’horrible Gorgone à l’aspect meurtrier. Des Toscans, je le sais, la langue est séduisante ; Cire molle à tout feindre habile et complaisante, Qui prend d’heureux contours sous les plus faibles mains. Quand le Nord, s’épuisant de barbares essaims, Vint, par une conquête en malheurs plus féconde, Venger sur les Romains l’esclavage du monde, De leurs affreux accens la farouche âpreté Du latin en tous lieux souilla la pureté : On vit de ce mélange étranger et sauvage Naitre des langues sœurs, que le temps et l’usage, Par des sentiers divers guidant diversement, D’une lime insensible ont poli lentement, Sans pouvoir en entier, malgré tous leurs prodiges, De la rouille barbare effacer les vestiges. De là du Castillan la pompe et la fierté, Teint encor des couleurs du langage indompté, Qu’au Tage transplantaient les fureurs musulmanes. La grâce et la douceur sur les lèvres toscanes Fixèrent leur empire ; et la Seine à la fois De grâce et de fierté sut composer sa voix. Mais ce langage, armé d’obstacles indociles, Lutte et ne veut plier que sous des mains habiles. Est-ce un mal ? Eh ! plutôt, rendon, rendons grâces aux dieux ; Un faux éclat long-temps ne peut tromper nos yeux, Et notre langue même à tout esprit vulgaire De nos vers dédaigneux fermant le sanctuaire, L’avertit dès l’abord que, s’il y veut monter, Il faut savoir tout craindre et savoir tout tenter ; Et, recueillant affronts ou gloire sans mélange, S’élever jusqu’au faîte ou ramper dans la fange.

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    André Chénier

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    L’oaristys Imitée de la XXVIIe idylle de Théocrite DAPHNIS. Hélène daigna suivre un berger ravisseur Berger comme Pâris, j’embrasse mon Hélène. NAÏS. C’est trop t’énorgueillir d’une faveur si vaine. DAPHNIS. Ah ! ces baisers si vains ne sont pas sans douceur. NAÏS. Tiens ; ma bouche essuyée en a perdu la trace. DAPHNIS. Eh bien ! d’autres baisers en vont prendre la place, NAÏS. Adresse ailleurs ces vœux dont l’ardeur me poursuit : Va, respecte une vierge. DAPHNIS. Imprudente bergère, Ta jeunesse te flatte ; ah ! n’en sois point si fière : Comme un songe insensible elle s’évanouit. NAÏS. Chaque âge a ses honneurs, et la saison dernière Aux fleurs de l’oranger fait succéder son fruit. DAPHNIS. Viens sous ces oliviers ; j’ai beaucoup à te dire. NAÏS. Non ; déjà tes discours ont voulu me tenter. DAPHNIS. Suis-moi sous ces ormeaux ; viens de grâce écouter Les sons harmonieux que ma flûte respire : J’ai fait pour toi des airs, je te les veux chanter ; Déjà tout le vallon aime à les répéter. NAÏS. Va, tes airs langoureux ne sauraient me séduire. DAPHNIS. Eh quoi ! seule à Vénus penses-tu résister ? NAÏS. Je suis chère à Diane ; elle me favorise. DAPHNIS. Vénus a des liens qu’aucun pouvoir ne brise. NAÏS. Diane saura bien me les faire éviter. Berger, retiens ta main…; berger, crains ma colère. DAPHNIS. Quoi ! tu veux fuir l’amour ! l’amour à qui jamais Le cœur d’une beauté ne pourra se soustraire ? NAÏS. Oui, je veux le braver… Ah !… si je te suis chère… Berger…, retiens ta main…, laisse mon voile en paix. DAPHNIS. Toi-même, hélas ! bientôt livreras ces attraits À quelque autre berger bien moins digne de plaire. NAÏS. Beaucoup m’ont demandée, et leurs désirs confus N’obtinrent, avant toi, qu’un refus pour salaire. DAPHNIS. Et je ne dois comme eux attendre qu’un refus. NAÏS. Hélas ! l’hymen aussi n’est qu’une loi de peine ; il n’apporte, dit-on, qu’ennuis et que douleurs. DAPHNIS. On ne te l’a dépeint que de fausses couleurs : Les danses et les jeux, voilà ce qu’il amène. NAÏS. Une femme est esclave. DAPHNIS. Ah ! plutôt elle est reine. NAÏS. Tremble près d’un époux et n’ose lui parler. DAPHNIS. Eh ! devant qui ton sexe est-il fait pour trembler ? NAÏS. À des travaux affreux Lucine nous condamne. DAPHNIS. Il est bien doux alors d’être chère à Diane. NAÏS. Quelle beauté survit à ces rudes combats ? DAPHNIS. Une mère y recueille une beauté nouvelle : Des enfans adorés feront tous tes appas ; Tu brilleras en eux d’une splendeur plus belle. NAÏS. Mais, tes vœux écoutés, quel en serait le prix ? DAPHNIS. Tout : mes troupeaux, mes bois et ma belle prairie ; Un jardin grand et riche, une maison jolie, Un bercail spacieux pour tes chères brebis ; Enfin, tu me diras ce qui pourra te plaire ; Je jure de quitter tout pour te satisfaire : Tout pour toi sera fait aussitôt qu’entrepris. NAÏS. Mon père… DAPHNIS. Oh ! s’il n’est plus que lui qui te retienne, Il approuvera tout dès qu’il saura mon nom. NAÏS. Quelquefois il suffit que le nom seul prévienne : Quel est ton nom ? DAPHNIS. Daphnis ; mon père est Palémon. NAÏS. Il est vrai : ta famille est égale à la mienne. DAPHNIS. Rien n’éloigne donc plus cette douce union. NAÏS. Montre-les moi ces bois qui seront mon partage. DAPHNIS. Viens ; c’est à ces cyprès de leurs fleurs couronnés. NAÏS. Restez chères brebis ; restez sous cet ombrage. DAPHNIS. Taureaux, paissez en paix ; à celle qui m’engage Je vais montrer les biens qui lui sont destinés. NAÏS. Satvre, que fais-tu ? Quoi ! ta main ose encore… DAPHNIS. Eh ! laisse-moi toucher ces fruits délicieux… Et ce jeune duvet… NAÏS. Berger…, au nom des dieux… Ah :… je tremble… DAPHNIS. Et pourquoi ? que crains-tu ? Je t’adore. Viens. NAÏS. Non ; arrête… Vois, cet humide gazon Va souiller ma tunique, et je serais perdue ; Mon père le verrait. DAPHNIS. Sur la terre étendue Saura te garantir cette épaisse toison. NAÏS. Dieux ! quel est ton dessein ? Tu m’ôtes ma ceinture. DAPHNIS. C’est un don pour Vénus ; vois, son astre nous luit. NAÏS. Attends… ; si quelqu’un vient… Ah dieux ! j’entends du bruit. DAPHNIS. C’est ce bois qui de joie et s’agite et murmure. NAÏS. Tu déchires mon voile !… Où me cacher ! Hélas ! Me voilà nue ! où fuir ! DAPHNIS. À ton amant unie, De plus riches habits couvriront tes appas. NAÏS. Tu promets maintenant… Tu préviens mon envie ; Bientôt à mes regrets tu m’abandonneras. DAPHNIS. Oh non ! jamais… Pourquoi, grands dieux ! ne puis-je pas Te donner et mon sang, et mon ame, et ma vie. NAÏS. Ah… Daphnis ! je me meurs… Apaise ton courroux, Diane. DAPHNIS. Que crains-tu ? L’amour sera pour nous. NAÏS. Ah ! méchant, qu’as-tu fait ? DAPHNIS. J’ai signé ma promesse. NAÏS. J’entrai fille en ce bois, et chère à ma déesse. DAPHNIS. Tu vas en sortir femme, et chère à ton époux. FRAGMENT. Accours, jeune Chromis, je t’aime, et je suis belle ; Blanche comme Diane et légère comme elle, Comme elle grande et fière ; et les bergers, le soir, Lorsque, les yeux baissés, je passe sans les voir, Doutent si je ne suis qu’une simple mortelle, Et me suivant des yeux, disent ; « Comme elle est belle ! » Néere, ne vas point te confier aux flots » De peur d’être déesse ; et que les matelots » N’invoquent, au milieu de la tourmente amère, » La blanche Galathée et la blanche Néere. »

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    André Chénier

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    Marseille Ô beautés de Marseille… vous avez une tournure vive et attrayante… vos cheveux… vos yeux noirs et… ont des regards bien doux. Heureux qui peut vivre près de vous… Marseille est une ville… dans son port tout hérissé d’une forêt de mâts, on trouve le Musulman, l’Indien, etc… Marseille est tout l’univers… elle a toujours été florissante… unissant le commerce aux sciences et à la guerre… Pythéas… depuis l’Ibérie jusqu’à la Ligurie, plusieurs opulentes cités la reconnaissent pour mère… fille des Phocéens, amie de Rome, rivale de Carthage, elle a été l’Athènes gauloise… Tel est le destin que lui promit le vieux Protée lorsque… les Phocéens sortant de leur pays… ils mettent à la voile… leur serment… Protée s’élève sur la mer et leur prédit… (c’est ici qu’il faut mettre ce que dessus), ils arrivent pendant que le roi de cette côte préparait le festin nuptial pour sa fille… Cette belle les avait vus arriver ;… elle avait dit à sa nourrice : Ô que cet étranger est beau !… Il n’a point l’air sauvage de nos Gaulois… La douceur et la fierté sont sur son visage… Le héros grec est invité au festin… Elle entre, la belle barbare. Suivant l’usage on lui donne la coupe… Celui à qui elle la présentera sera son époux… Elle tourne… et rougissant et baissant les yeux, elle présente au héros grec la coupe nuptiale… Et malgré les fureurs de la horde rivale, Le héros… boit la coupe nuptiale. Salut, ô ville grecque, honneur du nom français Toi par qui, dans l’horreur de nos vieilles forêts, Du cruel Teutates le prêtre sanguinaire Entendit les doux sons de la langue d’Homère ; Qui, disciple à la fois de Minerve et de Mars, Fis couler sur nos bords l’opulence et les arts. Et, de nos durs aïeux polissant la rudesse, Sur des rochers gaulois sus transplanter la Grèce.

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    André Chénier

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    Pasiphaé Tu gémis sur l’Ida, mourante, échevelée, Ô reine ! ô de Minos épouse désolée ! Heureuse si jamais, dans ses riches travaux, Cérès n’eût pour le joug élevé des troupeaux ! Tu voles épier sous quelle yeuse obscure, Tranquille, il ruminait son antique pâture ; Quel lit de fleurs reçut ses membres nonchalants Quelle onde a ranimé l’albâtre de ses flancs. Ô nymphes, entourez, fermez, nymphes de Crète, De ces vallons fermez, entourez la retraite. Oh ! craignez que vers lui des vestiges épars Ne viennent à guider ses pas et ses regards. Insensée, à travers ronces, forêts, montagnes, Elle court. Ô fureur ! dans les vertes campagnes, Une belle génisse à son superbe amant Adressait devant elle un doux mugissement. La perfide mourra ; Jupiter la demande. Elle-même à son front attache la guirlande, L’entraine, et sur l’autel prenant le fer vengeur :  » Sois belle maintenant, et plais à mon vainqueur. «  Elle frappe. Et sa haine, à la flamme lustrale, Rit de voir palpiter le coeur de sa rivale.

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    André Chénier

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    Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre, Consacrée au repos. Ô silence de l’ombre, Qui n’entends que la voix de mes vers, et les cris De la rive aréneuse où se brise Téthys. Muse, muse nocturne, apporte-moi ma lyre. Comme un fier météore, en ton brûlant délire, Lance-toi dans l’espace ; et, pour franchir les airs, Prends les ailes des vents, les ailes des éclairs, Les bonds de la comète aux longs cheveux de flamme. Mes vers impatients, élancés de mon âme, Veulent parler aux dieux, et volent où reluit L’enthousiasme errant, fils de la belle nuit. Accours, grande nature, ô mère du génie ; Accours, reine du monde, éternelle Uranie. Soit que tes pas divins sur l’astre du Lion Ou sur les triples feux du superbe Orion Marchent, ou soit qu’au loin, fugitive, emportée, Tu suives les détours de la voie argentée, Soleils amoncelés dans le céleste azur. Où le peuple a cru voir les traces d’un lait pur, Descends ; non, porte-moi sur ta route brûlante, Que je m’élève au ciel comme une flamme ardente. Déjà ce corps pesant se détache de moi. Adieu, tombeau de chair, je ne suis plus à toi. Terre, fuis sous mes pas. L’éther où le ciel nage M’aspire. Je parcours l’océan sans rivage. Plus de nuit. Je n’ai plus d’un globe opaque et dur Entre le jour et moi l’impénétrable mur. Plus de nuit, et mon œil et se perd et se mêle Dans les torrents profonds de lumière éternelle. Me voici sur les feux que le langage humain Nomme Cassiopée et l’Ourse et le Dauphin. Maintenant la Couronne autour de moi s’embrase. Ici l’Aigle et le Cygne et la Lyre et Pégase. Et voici que plus loin le Serpent tortueux Noue autour de mes pas ses anneaux lumineux. Féconde immensité, les esprits magnanimes Aiment à se plonger dans tes vivants abîmes, Abîmes de clartés, où, libre de ses fers. L’homme siège au conseil qui créa l’univers ; Où l’âme, remontant à sa grande origine, Sent qu’elle est une part de l’essence divine…

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    André Chénier

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    Terre, Terre chérie Terre, terre chérie Que la liberté sainte appelle sa patrie ; Père du grand sénat, ô sénat de Romans, Qui de la liberté jetas les fondements ; Romans, berceau des lois, vous, Grenoble et Valence, Vienne ; toutes enfin ! monts sacrés d’où la France Vit naître le soleil avec la liberté ! Un jour le voyageur par le Rhône emporté, Arrêtant l’aviron dans la main de son guide. En silence, debout sur sa barque rapide, Fixant vers l’Orient un œil religieux. Contemplera longtemps ces sommets glorieux ; Car son vieux père, ému de transports magnanimes. Lui dira : « Vois, mon fils, vois ces augustes cimes. » Du bord du Rhône, le 7 juillet 1790.

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    André Chénier

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    Triste vieillard… Triste vieillard, depuis que pour tes cheveux blancs Il n’est plus de soutien de tes jours chancelants, Que ton fils orphelin n’est plus à son vieux père, Renfermé sous ton toit et fuyant la lumière, Un sombre ennui t’opprime et dévore ton sein. Sur ton siège de hêtre, ouvrage de ma main, Sourd à tes serviteurs, à tes amis eux-même, Le front baissé, l’oeil sec et le visage blême, Tout le jour en silence à ton foyer assis, Tu restes pour attendre ou la mort ou ton fils. Et toi, toi, que fais-tu, seule et désespérée, De ton faon dans les fers lionne séparée ? J’entends ton abandon lugubre et gémissant ; Sous tes mains en fureur ton sein retentissant, Toit deuil pâle, éploré, promené par la ville, Tes cris, tes longs sanglots remplissent toute l’île. Les citoyens de loin reconnaissent tes pleurs.  » La voici, disent-ils, la femme de douleurs ! «  L’étranger, te voyant mourante, échevelée, Demande :  » Qu’as-tu donc, ô femme désolée ! «  – Ce qu’elle a ? Tous les dieux contre elle sont unis La femme désolée, elle a perdu son fils !

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    André Chénier

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    À la France France ! ô belle contrée, ô terre généreuse Que les dieux complaisants formaient pour être heureuse, Tu ne sens point du Nord les glaçantes horreurs ; Le Midi de ses feux t’épargne les fureurs ; Tes arbres innocents n’ont point d’ombres mortelles ; Ni des poisons épars dans tes herbes nouvelles Ne trompent une main crédule ; ni tes bois Des tigres frémissants ne redoutent la voix ; Ni les vastes serpents ne traînent sur tes plantes En longs cercles hideux leurs écailles sonnantes. Les chênes, les sapins et les ormes épais En utiles rameaux ombragent tes sommets ; Et de Beaune et d’Aï les rives fortunées, Et la riche Aquitaine, et les hauts Pyrénées, Sous leurs bruyants pressoirs font couler en ruisseaux Des vins délicieux mûris sur leurs coteaux. La Provence odorante, et de Zéphyre aimée, Respire sur les mers une haleine embaumée, Au bord des flots couvrant, délicieux trésor, L’orange et le citron de leur tunique d’or ; Et plus loin, au penchant des collines pierreuses, Forme la grasse olive aux liqueurs savoureuses, Et ces réseaux légers, diaphanes habits, Où la fraîche grenade enferme ses rubis. Sur tes rochers touffus la chèvre se hérisse, Tes prés enflent de lait la féconde génisse, Et tu vois tes brebis, sur le jeune gazon, Épaissir le tissu de leur blanche toison. Dans les fertiles champs voisins de la Touraine, Dans ceux où l’Océan boit l’urne de la Seine, S’élèvent pour le frein des coursiers belliqueux. Ajoutez cet amas de fleuves tortueux : L’indomptable Garonne aux vagues insensées, Le Rhône impétueux, fils des Alpes glacées, La Seine au flot royal, la Loire dans son sein Incertaine, et la Saône, et mille autres enfin Qui nourrissent partout, sur tes nobles rivages, Fleurs, moissons et vergers, et bois et pâturages, Rampent aux pieds des murs d’opulentes cités, Sous les arches de pierre à grand bruit emportés. Dirai-je ces travaux, source de l’abondance, Ces ports, où des deux mers l’active bienfaisance Amène les tributs du rivage lointain Que visite Phoebus le soir ou le matin ? Dirai-je ces canaux, ces montagnes percées, De bassins en bassins ces ondes amassées Pour joindre au pied des monts l’une et l’autre Téthys ? Et ces vastes chemins en tous lieux départis, Où l’étranger, à l’aise achevant son voyage, Pense au nom des Trudaine et bénit leur ouvrage ? Ton peuple industrieux est né pour les combats. Le glaive, le mousquet n’accablent point ses bras. Il s’élance aux assauts, et son fer intrépide Chassa l’impie Anglais, usurpateur avide. Le ciel les fit humains, hospitaliers et bons, Amis des doux plaisirs, des festins, des chansons ; Mais, faibles opprimés, la tristesse inquiète Glace ces chants joyeux sur leur bouche muette, Pour les jeux, pour la danse appesantit leurs pas, Renverse devant eux les tables des repas, Flétrit de longs soucis, empreinte douloureuse, Et leur front et leur âme. Ô France ! trop heureuse, Si tu voyais tes biens, si tu profitais mieux Des dons que tu reçus de la bonté des cieux ! Vois le superbe Anglais, l’Anglais dont le courage Ne s’est soumis qu’aux lois d’un sénat libre et sage, Qui t’épie, et, dans l’Inde éclipsant ta splendeur, Sur tes fautes sans nombre élève sa grandeur. Il triomphe, il t’insulte. Oh ! combien tes collines Tressailliraient de voir réparer tes ruines, Et pour la liberté donneraient sans regrets, Et leur vin, et leur huile, et leurs belles forêts ! J’ai vu dans tes hameaux la plaintive misère, La mendicité blême et la douleur amère. Je t’ai vu dans tes biens, indigent laboureur, D’un fisc avare et dur maudissant la rigueur, Versant aux pieds des grands des larmes inutiles, Tout trempé de sueurs pour toi-même infertiles, Découragé de vivre, et plein d’un juste effroi De mettre au jour des fils malheureux comme toi. Tu vois sous les soldats les villes gémissantes ; Corvée, impôts rongeurs, tributs, taxes pesantes, Le sel, fils de la terre, ou même l’eau des mers, Sources d’oppression et de fléaux divers ; Vingt brigands, revêtus du nom sacré de prince, S’unir à déchirer une triste province, Et courir à l’envi, de son sang altérés, Se partager entre eux ses membres déchirés. Ô sainte Égalité ! dissipe nos ténèbres, Renverse les verrous, les bastilles funèbres. Le riche indifférent, dans un char promené, De ces gouffres secrets partout environné, Rit avec les bourreaux, s’il n’est bourreau lui-même ; Près de ces noirs réduits de la misère extrême, D’une maîtresse impure achète les transports, Chante sur des tombeaux, et boit parmi des morts. Malesherbes, Turgot, ô vous en qui la France Vit luire, hélas ! en vain sa dernière espérance, Ministres dont le coeur a connu la pitié, Ministres dont le nom ne s’est point oublié ; Ah ! si de telles mains, justement souveraines, Toujours de cet empire avaient tenu les rênes, L’équité clairvoyante aurait régné sur nous ; Le faible aurait osé respirer près de vous ; L’oppresseur, évitant d’armer d’injustes plaintes, Sinon quelque pudeur aurait eu quelques craintes ; Le délateur impie, opprimé par la faim, Serait mort dans l’opprobre, et tant d’hommes enfin, A l’insu de nos lois, à l’insu du vulgaire, Foudroyés sous les coups d’un pouvoir arbitraire, De cris non entendus, de funèbres sanglots, Ne feraient point gémir les voûtes des cachots. Non, je ne veux plus vivre en ce séjour servile ; J’irai, j’irai bien loin me chercher un asile, Un asile à ma vie en son paisible cours, Une tombe à ma cendre à la fin de mes jours, Où d’un grand au coeur dur l’opulence homicide Du sang d’un peuple entier ne sera point avide, Et ne me dira point, avec un rire affreux, Qu’ils se plaignent sans cesse et qu’ils sont trop heureux ; Où, loin des ravisseurs, la main cultivatrice Recueillera les dons d’une terre propice ; Où mon coeur, respirant sous un ciel étranger, Ne verra plus des maux qu’il ne peut soulager ; Où mes yeux, éloignés des publiques misères, Ne verront plus partout les larmes de mes frères, Et la pâle indigence à la mourante voix, Et les crimes puissants qui font trembler les lois. Toi donc, Équité sainte, ô toi, vierge adorée, De nos tristes climats pour longtemps ignorée, Daigne du haut des cieux goûter le libre encens D’une lyre au coeur chaste, aux transports innocents, Qui ne saura jamais, par des voeux mercenaires, Flatter à prix d’argent des faveurs arbitraires, Mais qui rendra toujours, par amour et par choix, Un noble et pur hommage aux appuis de tes lois. De voeux pour les humains tous ses chants retentissent ; La vérité l’enflamme, et ses cordes frémissent Quand l’air qui l’environne auprès d’elle a porté Le doux nom des vertus et de la liberté.

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