Guillaume Apollinaire
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Le dromadaire Avec ses quatre dromadaires Don Pedro d’Alfaroubeira Courut le monde et l’admira. Il fit ce que je voudrais faire Si j’avais quatre dromadaires.Guillaume Apollinaire
Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire, est un poète et écrivain français, critique et théoricien d'art qui serait né sujet polonais de l'Empire russe, le 26 août 1880 à Rome. Il meurt à Paris le 9 novembre 1918 de la grippe espagnole, mais est déclaré mort pour la France en raison de son engagement durant la guerre. Considéré comme l'un des poètes français les plus importants du XXe siècle, il est l'auteur de poèmes tels Zone, La Chanson du mal-aimé, Le Pont Mirabeau, ayant fait l'objet de plusieurs adaptations en chanson au cours du siècle. La part érotique de son œuvre – dont principalement trois romans (dont un perdu), de nombreux poèmes et des introductions à des auteurs licencieux – est également passée à la postérité. Il expérimenta un temps la pratique du calligramme (terme de son invention, quoiqu'il ne soit pas l'inventeur du genre lui-même, désignant des poèmes écrits en forme de dessins et non de forme classique en vers et strophes). Il fut le chantre de nombreuses avant-gardes artistiques de son temps, notamment du cubisme et de l'orphisme, à la gestation desquelles il participa en tant que poète et théoricien de l'Esprit nouveau. Précurseur du surréalisme, il en forgea le nom dans son drame Les Mamelles de Tirésias (1917).
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Le dromadaire Avec ses quatre dromadaires Don Pedro d’Alfaroubeira Courut le monde et l’admira. Il fit ce que je voudrais faire Si j’avais quatre dromadaires.@guillaumeApollinaire
Le départ Et leurs visages étaient pâles Et leurs sanglots s’étaient brisés Comme la neige aux purs pétales Ou bien tes mains sur mes baisers Tombaient les feuilles automnales@guillaumeApollinaire
Le larron Choeur Maraudeur étranger malheureux malhabile Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits Mais puisque tu as faim que tu es en exil Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui LARRON Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler Et sachez que j’attends de moyennes tortures Injustes si je rends tout ce que j’ai volé VIEILLARD Issu de l’écume des mers comme Aphrodite Sois docile puisque tu es beau Naufragé Vois les sages te font des gestes socratiques Vous parlerez d’amour quand il aura mangé CHŒUR Maraudeur étranger malhabile et malade Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits LARRON Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes Ouïr ta voix figure en nénie ô maman Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère et l’adulte Du prétexte sinon que s’aimer nuitamment Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes Et des amandes de pomme de pin jonchaient Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames Et mon couteau punique au pied de ce pêcher Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades Et presque toutes les figues étaient fendues L’ACTEUR Il entra dans la salle aux fresques qui figurent L’inceste solaire et nocturne dans les nues Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures Au son des cinyres des Lydiennes nues Or les hommes ayant des masques de théâtre Et les femmes ayant des colliers où pendait La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Parlaient entre eux le langage de la Chaldée Les autans langoureux dehors feignaient l’automne Les convives c’étaient tant de couples d’amants Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne. Reçois d’abord le sel puis le pain de froment Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres Mais l’outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc Par ironie veux-tu qu’on serve un plat de fèves Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond Une femme lui dit Tu n’invoques personne Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes Veux-tu le talisman heureux de mon collier Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe Il en est tant venu par la route ou la mer Conquérants égarés qui s’éloignaient trop vite Colonnes de clins d’yeux qui fuyaient aux éclairs CHŒUR Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes Passa menant un peuple infime pour l’orgueil De manger chaque jour les cailles et la manne Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil Les puiseurs d’eau barbus coiffés de bandelettes Noires et blanches contre les maux et les sorts Revenaient de l’Euphrate et les yeux des chouettes Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors Cet insecte jaseur ô poète barbare Regagnait chastement à l’heure d’y mourir La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares Aux crapauds que l’azur et les sources mûrirent. Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel Avec de blêmes laurés debout dans les chars Les statues suant les scurriles les agnelles Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars Les veuves précédaient en égrenant des grappes Les évêques noirs révérant sans le savoir Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes Pallas et chantaient l’hymne à la belle mais noire Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs Nous aurons des baisers florentins sans le dire Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène ; Belphégor le soleil le silence ou le chien Cette furtive ardeur des serpents qui s’entr’aiment L’ACTEUR Et le larron des fruits cria Je suis chrétien CHŒUR Ah ! Ah ! les colliers tinteront cherront les masques Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombre prévaut Ah ! Ah ! le larron de gauche dans la bourrasque Rira de toi comme hennissent les chevaux FEMME Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau CHŒUR Ah ! Ah ! nous secouerons toute la nuit les sistres La voix ligure était-ce donc un talisman Et si tu n’es pas de droite tu es sinistre Comme une tache grise ou le pressentiment Puisque l’absolu choit la chute est une preuve Qui double devient triple avant d’avoir été Nous avouons que les grossesses nous émeuvent Les ventres pourront seuls nier l’aséité Vois les vases sont pleins d’humides fleurs morales Va-t’en mais dénudé puisque tout est à nous Ouïs du chœur des vents les cadences plagales Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères Et puis aucun de nous ne croirait tes récits Il brillait et attirait comme la pantaure Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée Et les femmes la nuit feignant d’être des taures L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’en effet Il était pâle il était beau comme un roi ladre Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre Au lieu du roseau triste et du funèbre faix Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Édesse Maigre et magique il eût scruté le firmament Pâle et magique il eût aimé des poétesses Juste et magique il eût épargné les démons Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre Soit ! la triade est mâle et tu es vierge et froid Le tact est relatif mais la vue est oblongue Tu n’as de signe que le signe de la croix@guillaumeApollinaire
Le lion Ô lion, malheureuse image Des rois chus lamentablement, Tu ne nais maintenant qu’en cage À Hambourg, chez les Allemands.@guillaumeApollinaire
Le lièvre Ne soit pas lascif et peureux Comme le lièvre et l’amoureux. Mais que toujours ton cerveau soit La hase pleine qui conçoit.@guillaumeApollinaire
Le musicien de Saint-Merry J’ai enfin le droit de saluer des êtres que je ne connais pas Ils passent devant moi et s’accumulent au loin Tandis que tout ce que j’en vois m’est inconnu Et leur espoir n’est pas moins fort que le mien Je ne chante pas ce monde ni les autres astres Je chante toutes les possibilités de moi-même hors de ce monde et des astres Je chante le joie d’errer et le plaisir d’en mourir Le 21 du mois de mai 1913 Passeur des morts et les mordonnantes mériennes Des millions de mouches éventaient une splendeur Quand un homme sans yeux sans nez et sans oreilles Quittant le Sébasto entra dans la rue Aubry-le-Boucher Jeune l’homme était brun et de couleur de fraise sur les joues Homme Ah! Ariane Il jouait de la flûte et la musique dirigeait ses pas Il s’arrêta au coin de la rue Saint-Martin Jouant l’air que je chante et que j’ai inventé Les femmes qui passaient s’arrêtaient près de lui Il en venait de toutes parts Lorsque tout à coup les cloches de Saint-Merry se mirent à sonner Le musicien cessa de jouer et but à la fontaine Qui se trouve au coin de la rue Simon-Le-Franc Puis saint-Merry se tut L’inconnu reprit son air de flûte Et revenant sur ses pas marcha jusqu’à la rue de la Verrerie Où il entra suivi par la troupe des femmes Qui sortaient des maisons Qui venaient par les rues traversières les yeux fous Les mains tendues vers le mélodieux ravisseur Il s’en allait indifférent jouant son air Il s’en allait terriblement Puis ailleurs À quelle heure un train partira-t-il pour Paris À ce moment Les pigeons des Moluques fientaient des noix muscades En même temps Mission catholique de Bôma qu’as-tu fait du sculpteur Ailleurs Elle traverse un pont qui relie Bonn à Beuel et disparait à travers Pützchen Au même instant Une jeune fille amoureuse du maire Dans un autre quartier Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs En somme ô rieurs vous n’avez pas tiré grand-chose des hommes Et à peine avez-vous extrait un peu de graisse de leur misère Mais nous qui mourons de vivre loin l’un de l’autre Tendons nos bras et sur ces rails roule un long train de marchandises Tu pleurais assise près de moi au fond d’un fiacre Et maintenant Tu me ressembles tu me ressembles malheureusement Nous nous ressemblons comme dans l’architecture du siècle dernier Ces hautes cheminées pareilles à des tours Nous allons plus haut maintenant et ne touchons plus le sol Et tandis que le monde vivait et variait Le cortège des femmes long comme un jour sans pain Suivait dans la rue de la Verrerie l’heureux musicien Cortèges ô cortèges C’est quand jadis le roi s’en allait à Vincennes Quand les ambassadeurs arrivaient à Paris Quand le maigre Suger se hâtait vers la Seine Quand l’émeute mourait autour de Saint-Merry Cortèges ô cortèges Les femmes débordaient tant leur nombres était grand Dans toutes les rues avoisinantes Et se hâtaient raides comme balle Afin de suivre le musicien Ah! Ariane et toi Pâquette et toi Amine Et toi Mia et toi Simone et toi Mavise Et toi Colette et toi la belle Geneviève Elles ont passé tremblantes et vaines Et leurs pas légers et prestes se mouvaient selon la cadence De la musique pastorale qui guidait Leurs oreilles avides L’inconnu s’arrêta un moment devant une maison à vendre Maison abandonnée Aux vitres brisées C’est un logis du seizième siècle La cour sert de remise à des voitures de livraisons C’est là qu’entra le musicien Sa musique qui s’éloignait devint langoureuse Les femmes le suivirent dans la maison abandonnée Et toutes y entrèrent confondues en bande Toutes toutes y entrèrent sans regarder derrière elles Sans regretter ce qu’elles ont laissé Ce qu’elles ont abandonné Sans regretter le jour la vie et la mémoire Il ne resta bientôt plus personne dans la rue de la Verrerie Sinon moi-même et un prêtre de saint-Merry Nous entrâmes dans la vieille maison Mais nous n’y trouvâmes personne Voici le soir À Saint-Merry c’est l’Angélus qui sonne Cortèges ô cortèges C’est quand jadis le roi revenait de Vincennes Il vint une troupe de casquettiers Il vint des marchands de bananes Il vint des soldats de la garde républicaine O nuit Troupeau de regards langoureux des femmes O nuit Toi ma douleur et mon attente vaine J’entends mourir le son d’une flûte lointaine@guillaumeApollinaire
Le Pont Mirabeau Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l'onde si lasse@guillaumeApollinaire
Le poulpe Jetant son encre vers les cieux, Suçant le sang de ce qu’il aime Et le trouvant délicieux, Ce monstre inhumain, c’est moi-même.@guillaumeApollinaire
Le serpent Tu t’acharnes sur la beauté. Et quelles femmes ont été Victimes de ta cruauté ! Ève, Euridice, Cléopâtre ; J’en connais encor trois ou quatre. Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire, ou Cortège d’Orphée, 1911@guillaumeApollinaire
Beaucoup de ces Dieux ont péri Beaucoup de ces dieux ont péri C'est sur eux que pleurent les saules Le grand Pan l'amour Jésus-Christ Sont bien morts et les chats miaulent Dans la cour je pleure à Paris Moi qui sais des lais pour les reines Les complaintes de mes années Des hymnes d'esclave aux murènes La romance du mal aimé Et des chansons pour les sirènes L'amour est mort j'en suis tremblant J'adore de belles idoles Les souvenirs lui ressemblant Comme la femme de Mausole Je reste fidèle et dolent Je suis fidèle comme un dogue Au maître le lierre au tronc Et les Cosaques Zaporogues Ivrognes pieux et larrons Aux steppes et au décalogue Portez comme un joug le Croissant Qu'interrogent les astrologues Je suis le Sultan tout-puissant Ô mes Cosaques Zaporogues Votre Seigneur éblouissant Devenez mes sujets fidèles Leur avait écrit le Sultan Ils rirent à cette nouvelle Et répondirent à l'instant À la lueur d'une chandelle.@guillaumeApollinaire
Bientôt bientôt Bientôt bientôt finira l’oût Reverrai-je mon ptit Lou ? Mais nous voici vers la mi-août Ton chat dirait-il « miaou » En me voyant ou bien « coucou !!!» Et mon cœur pend-il à ton cou ? Dieu ! qu’il fut heureux ce Toutou Pouvoir fourrer son nez partout !! Mais, je n’en suis pas jaloux Les toutous n’font pas d’mal aux loups Secteur des Hurlus, le 4 août 1915@guillaumeApollinaire
Carte postale Je t’écris de dessous la tente Tandis que meurt ce jour d’été Où floraison éblouissante Dans le ciel à peine bleuté Une canonnade éclatante Se fane avant d’avoir été@guillaumeApollinaire
Chant de l’honneur Le poète Je me souviens ce soir de ce drame indien Le Chariot d’Enfant un voleur y survient Qui pense avant de faire un trou dans la muraille Quelle forme il convient de donner à l’entaille Afin que la beauté ne perde pas ses droits Même au moment d’un crime Et nous aurions je crois À l’instant de périr nous poètes nous hommes Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté N’est la plupart du temps que la simplicité Et combien j’en ai vu qui morts dans la tranchée Étaient restés debout et la tête penchée S’appuyant simplement contre le parapet J’en vis quatre une fois qu’un même obus frappait Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes Avec l’aspect penché de quatre tours pisanes Depuis dix jours au fond d’un couloir trop étroit Dans les éboulements et la boue et le froid Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture Anxieux nous gardons la route de Tahure J’ai plus que les trois cœurs des poulpes pour souffrir Vos cœurs sont tous en moi je sens chaque blessure O mes soldats souffrants ô blessés à mourir Cette nuit est si belle où la balle roucoule Tout un fleuve d’obus sur nos têtes s’écoule Parfois une fusée illumine la nuit C’est une fleur qui s’ouvre et puis s’évanouit La terre se lamente et comme une marée Monte le flot chantant dans mon abri de craie Séjour de l’insomnie incertaine maison De l’Alerte la Mort et la Démangeaison LA TRANCHEE O jeunes gens je m’offre à vous comme une épouse Mon amour est puissant j’aime jusqu’à la mort Tapie au fond du sol je vous guette jalouse Et mon corps n’est en tout qu’un long baiser qui mord LES BALLES De nos ruches d’acier sortons à tire-d’aile Abeilles le butin qui sanglant emmielle Les doux rayons d’un jour qui toujours renouvelle Provient de ce jardin exquis l’humanité Aux fleurs d’intelligence à parfum de beauté LE POETE Le Christ n’est donc venu qu’en vain parmi les hommes Si des fleuves de sang limitent les royaumes Et même de l’Amour on sait la cruauté C’est pourquoi faut au moins penser à la Beauté Seule chose ici-bas qui jamais n’est mauvaise Elle porte cent noms dans la langue française Grâce Vertu Courage Honneur et ce n’est là Que la même Beauté LA FRANCE Poète honore-la Souci de la Beauté non souci de la Gloire Mais la Perfection n’est-ce pas la Victoire LE POETE O poètes des temps à venir ô chanteurs Je chante la beauté de toutes nos douleurs J ’en ai saisi des traits mais vous saurez bien mieux Donner un sens sublime aux gestes glorieux Et fixer la grandeur de ces trépas pieux L’un qui détend son corps en jetant des grenades L’ autre ardent à tirer nourrit les fusillades L’autre les bras ballants porte des seaux de vin Et le prêtre-soldat dit le secret divin J’interprète pour tous la douceur des trois notes Que lance un loriot canon quand tu sanglotes Qui donc saura jamais que de fois j’ai pleuré Ma génération sur ton trépas sacré Prends mes vers ô ma France Avenir Multitude Chantez ce que je chante un chant pur le prélude Des chants sacrés que la beauté de notre temps Saura vous inspirer plus purs plus éclatants Que ceux que je m’efforce à moduler ce soir En l’honneur de l’Honneur la beauté du Devoir 17 décembre 1915@guillaumeApollinaire
La blanche neige Les anges les anges dans le ciel L’un est vêtu en officier L’un est vêtu en cuisinier Et les autres chantent Bel officier couleur du ciel Le doux printemps longtemps après Noël Te médaillera d’un beau soleil D’un beau soleil Le cuisinier plume les oies Ah! tombe neige Tombe et que n’ai-je Ma bien-aimée entre mes bras@guillaumeApollinaire
La carpe Dans vos viviers, dans vos étangs, Carpes, que vous vivez longtemps ! Est-ce que la mort vous oublie, Poissons de la mélancolie.@guillaumeApollinaire
1909 La dame avait une robe En ottoman violine Et sa tunique brodée d’or Était composée de deux panneaux S’attachant sur l’épaule Les yeux dansants comme des anges Elle riait elle riait Elle avait un visage aux couleurs de France Les yeux bleus les dents blanches et les lèvres très rouges Elle avait un visage aux couleurs de France Elle était décolletée en rond Et coiffée à la Récamier Avec de beaux bras nus N’entendra-t-on jamais sonner minuit La dame en robe d’ottoman violine Et en tunique brodée d’or Décolletée en rond Promenait ses boucles Son bandeau d’or Et traînait ses petits souliers à boucles Elle était si belle Que tu n’aurais pas osé l’aimer J’aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes Où naissaient chaque jour quelques êtres nouveaux Le fer était leur sang la flamme leur cerveau J’aimais j’aimais le peuple habile des machines Le luxe et la beauté ne sont que son écume Cette femme était si belle Qu’elle me faisait peur@guillaumeApollinaire
A l'Italie A Ardengo Soffici L'amour a remué ma vie comme on remue la terre dans la zone des armées J'atteignais l'âge mûr quand la guerre arriva Et dans ce jour d'août 1915 le plus chaud de l'année Bien abrité dans l'hypogée que j'ai creusé moi-même C'est à toi que je songe Italie mère de mes pensées Et déjà quand von Kluck marchait sur Paris avant la Marne J'évoquais le sac de Rome par les Allemands Le sac de Rome qu'ont décrit Un Bonaparte le vicaire espagnol Delicado et l'Arétin Je me disais Est-il possible que la nation Qui est la mère de la civilisation Regarde sans la défendre les efforts qu'on fait pour la détruire Puis les temps sont venus les tombes se sont ouvertes Les fantômes des Esclaves toujours frémissants Se sont dressés en criant SUS AUX TUDESQUES Nous l'armée invisible aux cris éblouissants Plus doux que n'est le miel et plus simples qu'un peu de terre Nous te tournons bénignement le dos Italie Mais ne t'en fais pas nous t'aimons bien Italie mère qui es aussi notre fille Nous sommes là tranquillement et sans tristesse Et si malgré les masques les sacs de sable les rondins nous tombions Nous savons qu'un autre prendrait notre place Et que les Armées ne périront jamais Les mois ne sont pas longs ni les jours ni les nuits C'est la guerre qui est longue Italie Toi notre mère et notre fille quelque chose comme une sœur J'ai comme toi pour me réconforter Le quart de pinard Qui met tant de différence entre nous et les Boches J'ai aussi comme toi l'envol des compagnies de perdreaux des 75 Comme toi je n'ai pas cet orgueil sans joie des Boches et je sais rigoler Je ne suis pas sentimental à l'excès comme le sont ces gens sans mesure que leurs actions dépassent sans qu'ils sachent s'amuser Notre civilisation a plus de finesse que les choses qu'ils emploient Elle est au-delà de la vie confortable Et de ce qui est l'extérieur dans l'art et l'industrie Les fleurs sont nos enfants et non les leurs Même la fleur de lys qui meurt au Vatican La plaine est infinie et les tranchées sont blanche$ Les avions bourdonnent ainsi que des abeilles Sur les roses momentanées des éclatements Et les nuits sont parées de guirlandes d'éblouissements De bulles de globules aux couleurs insoupçonnées Nous jouissons de tout même de nos souffrances Notre humeur est charmante l'ardeur vient quand il faut Nous sommes narquois car nous savons faire la part des choses Et il n'y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades que chez celui qui plume les patates Tu aimes un peu plus que nous les gestes et les mots sonores Tu as à ta disposition les sortilèges étrusques le sens de la majesté héroïque et le courageux honneur individuel Nous avons le sourire nous devinons ce qu'on ne nous dit pas nous sommes démerdards et même ceux qui se dégonflent sauraient à l'occasion faire preuve de l'esprit de sacrifice qu'on appelle la bravoure Et nous fumons du gros avec volupté C'est la nuit je suis dans mon blockhaus éclairé par l'électricité en bâton Je pense à toi pays des 2 volcans Je salue le souvenir des sirènes et des scylles mortes au moment de Messine Je salue le Colleoni équestre de Venise Je salue la chemise rouge Je t'envoie mes amitiés Italie et m'apprête à applaudir aux hauts faits de ta bleusaille Non parce que j'imagine qu'il y aura jamais plus de bonheur ou de malheur en ce monde Mais parce que comme toi j'aime à penser seul et que les Boches m'en empêcheraient Mais parce que le goût naturel de la perfection que nous avons l'un et l'autre si on les laissait faire serait vite remplacé par je ne sais quelles commodités dont je n'ai que faire Et surtout parce que comme toi je sais je veux choisir et qu'eux voudraient nous forcer à ne plus choisir Une même destinée nous lie en cette occase Ce n'est pas pour l'ensemble que je le dis Mais pour chacun de toi Italie Ne te borne point à prendre les terres irrédentes Mets ton destin dans la balance où est la nôtre Les réflecteurs dardent leurs lueurs comme des yeux d'escargots Et les obus en tombant sont des chiens qui jettent de la terre avec leurs pattes après avoir fait leurs besoins Notre armée invisible est une belle nuit constellée Et chacun de nos hommes est un astre merveilleux O nuit ô nuit éblouissante Les morts sont avec nos soldats Les morts sont debout dans les tranchées Ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimécs O Lille Saint-Quentin Laon Maubeuge Vouziers Nous jetons nos villes comme des grenades Nos fleuves sont brandis comme des sabres Nos montagnes chargent comme cavalerie Nous reprendrons les villes les fleuves et les collines De la frontière helvétique aux frontières bataves Entre toi et nous Italie Il y a des patelins pleins de femmes Et près de toi m'attend celle que j'adore O Frères d'Italie Ondes nuages délétères Métalliques débris qui vous rouillez partout O frères d'Italie vos plumes sur la tête Italie Entends crier Louvain vois Reims tordre ses bras Et ce soldat blessé toujours debout Arras Et maintenant chantons ceux qui sont morts Ceux qui vivent Les officiers les soldats Les flingots Rosalie le canon la fusée l'hélice la pelle les chevaux Chantons les bagues pâles les casques Chantons ceux qui sont morts Chantons la terre qui bâille d'ennui Chantons et rigolons Durant des années Italie Entends braire l'âne boche Faisons la guerre à coups de fouets Faits avec les rayons du soleil Italie Chantons et rigolons Durant des années@guillaumeApollinaire
A la Santé I Avant d’entrer dans ma cellule Il a fallu me mettre nu Et quelle voix sinistre ulule Guillaume qu’es-tu devenu Le Lazare entrant dans la tombe Au lieu d’en sortir comme il fit Adieu Adieu chantante ronde Ô mes années ô jeunes filles II Non je ne me sens plus là Moi-même Je suis le quinze de la Onzième Le soleil filtre à travers Les vitres Ses rayons font sur mes vers Les pitres Et dansent sur le papier J’écoute Quelqu’un qui frappe du pied La voûte III Dans une fosse comme un ours Chaque matin je me promène Tournons tournons tournons toujours Le ciel est bleu comme une chaîne Dans une fosse comme un ours Chaque matin je me promène Dans la cellule d’à côté On y fait couler la fontaine Avec le clefs qu’il fait tinter Que le geôlier aille et revienne Dans la cellule d’à coté On y fait couler la fontaine IV Que je m’ennuie entre ces murs tout nus Et peint de couleurs pâles Une mouche sur le papier à pas menus Parcourt mes lignes inégales Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur Toi qui me l’as donnée Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur Le bruit de ma chaise enchainée Et tour ces pauvres coeurs battant dans la prison L’Amour qui m’accompagne Prends en pitié surtout ma débile raison Et ce désespoir qui la gagne V Que lentement passent les heures Comme passe un enterrement Tu pleureras l’heure ou tu pleures Qui passera trop vitement Comme passent toutes les heures VI J’écoute les bruits de la ville Et prisonnier sans horizon Je ne vois rien qu’un ciel hostile Et les murs nus de ma prison Le jour s’en va voici que brûle Une lampe dans la prison Nous sommes seuls dans ma cellule Belle clarté Chère raison@guillaumeApollinaire
Adieu L’amour est libre il n’est jamais soumis au sort O Lou le mien est plus fort encor que la mort Un cœur le mien te suit dans ton voyage au Nord Lettres Envoie aussi des lettres ma chérie On aime en recevoir dans notre artillerie Une par jour au moins une au moins je t’en prie Lentement la nuit noire est tombée à présent On va rentrer après avoir acquis du zan Une deux trois A toi ma vie A toi mon sang La nuit mon cœur la nuit est très douce et très blonde O Lou le ciel est pur aujourd’hui comme une onde Un cœur le mien te suit jusques au bout du monde L’heure est venue Adieu l’heure de ton départ On va rentrer Il est neuf heures moins le quart Une deux trois Adieu de Nîmes dans le Gard Nîmes, le 5 février 1915@guillaumeApollinaire
Agent de liaison Le 12 avril 1915 tormoha L’ombre d’un homme et d’un cheval au galop se profile sur le mur Ô sons Harmonie Hymne de la petite église bombardée tous les jours Un harmonium y joue et l’on n’y chante pas Mon cœur est comme l’horizon où tonne et se prolonge La canonnade ardente de cent mille passions Ah! miaulez. Ah! miaulez les chats d’enfer Le 12 avril 1915 Ô ciel ô mon beau ciel gemmé de canonnades Le ciel faisait le roue comme un phénix qui flambe Paon lunaire rouant Ainsi-soit-il On disait du soleil Mahomet Mahomet Je suis un cri d’humanité Je suis un silence militaire Dans un bois de bouleaux de hêtres de noisetiers Ensoleillé comme si un trusteur y avait jeté ses banques Je me suis égaré Canonnier n’entendez-vous pas ronfler deux avions boches Mettez votre cheval dans le bois Inutile de le faire repérer Adieu mon bidet noir Un pont d’osier et de roseaux un autre un autre Une grenouille saute Y a-t-il encore des petites filles qui sautent à la corde Ah! petites filles Y a-t-il encore des petites filles Le soleil caressait les mousses délicates Un lièvre courageux levait le derrière Ah! petites et grandes filles Il vaut mieux être cocu qu’aveugle Au moins on voit ses confrères Enfermons-nous ensemble en mon âme Ô mon amour chéri qui portes un masque aveugle Une petite fille nue t’en souviens-tu T’en souviens-tu Étouffait une colombe blanche sur sa poitrine Et me regardait d’un air innocent Tandis que palpitait sa victime. Soldat Te souviens-tu du soir Tu était au théâtre Dans la loge d’un ambassadeur Et cette jeune femme pâle et glorieuse Te branla pendant le spectacle Dis-moi soldat dis-moi t’en souviens-tu Te souviens-tu du jour où l’on te demanda la schlague Devant la mer furieuse Dis-moi Guillaume dis-moi t’en souviens-tu Après les ponts le sentier Attention à la branche Brisée Ah! brise-toi mon cœur comme une trahison Et voilà la Branche brisée Un carré de papier blanc sur un buisson à droite Où est le carré de papier blanc Et me voici devant une cabane Que procède un luxe florissant De tulipes et de narcisses À droite canonnier et suivez le sentier Enfin je ne suis plus égaré Plus égaré Plus égaré Tu peux faire mon Lou tout ce que tu voudras Tu ne me mettras plus mon Lou dans l’embarras Une baïonnette dont ne sait si elle est boche française ou anglaise sert de tisonnier Entends chanter les flammes dans la petite cabane Vous avez un laissez-passer Agent de liaison Le mot C’était c’était La Ville où Lou je t’ai connu Ô Lou mon vice LE 12 AVRIL 1915 Un agent de liaison traversait au galop un terrain découvert Puis le soir venu il grava sur la bague Gui aime Lou Le 12 avril 1915 Tormoha Manitangène Lamahona Lamahonette Un homme de ma batterie pêchait dans le canal Y a partout des sentinelles Baïonnette au canon devant le commandant d’armes Je m’en fous amenez-moi votre lieutenant Enfin je me tirai de cette infanterie Je ne sais pas comment Te souviens-tu du jour où cette fille sage S’arracha quatre dents Afin de te donner un précieux témoignage De son amour ardent L’ombre d’un cavalier et d’un cheval s’allonge sur le sol La villa du Cafard est dans le bois X Les chatons des noisetiers nuances les mousses Et les lichens sont pâles Comme les joues de Lou quand elle jouit Quel prince du Bengale donne un feu d’artifice cette nuit Et puis Et puis Et puis je t’aime Courmelois, le 13 avril 1915@guillaumeApollinaire
Allons plus vite Et le soir vient et les lys meurent Regarde ma douleur beau ciel qui me l’envoies Une nuit de mélancolie Enfant souris ô sœur écoute Pauvres marchez sur la grand-route Ô menteuse forêt qui surgis à ma voix Les flammes qui brûlent les âmes Sur le boulevard de Grenelle Les ouvriers et les patrons Arbres de mai cette dentelle Ne fais donc pas le fanfaron Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite Tous les poteaux télégraphiques Viennent là-bas le long du quai Sur son sein notre République A mis ce bouquet de muguet Qui poussait dru le long du quai Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite La bouche en cœur Pauline honteuse Les ouvriers et les patrons Oui-dà oui-dà belle endormeuse Ton frère Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite@guillaumeApollinaire
Amour-roi Amour-roi Dites-moi La si belle Colombelle Infidèle Qu’on appelle Petit Lou Dites où Donc est-elle Et chez qui — Mais chez Gui Courmelois, le 23 avril 1915@guillaumeApollinaire
Annie Sur la côte du Texas Entre Mobile et Galveston il y a Un grand jardin tout plein de roses Il contient aussi une villa Qui est une grande rose Une femme se promène souvent Dans le jardin toute seule Et quand je passe sur la route bordée de tilleuls Nous nous regardons Comme cette femme est mennonite Ses rosiers et ses vêtements n’ont pas de boutons Il en manque deux à mon veston La dame et moi suivons presque le même rite@guillaumeApollinaire
Aquarelliste À Mademoiselle Yvonne M… Yvonne sérieuse au visage pâlot A pris du papier blanc et des couleurs à l’eau Puis rempli ses godets d’eau claire à la cuisine. Yvonnette aujourd’hui veut peindre. Elle imagine De quoi serait capable un peintre de sept ans. Ferait-elle un portrait ? Il faudrait trop de temps Et puis la ressemblance est un point difficile À saisir, il vaut mieux peindre de l’immobile Et parmi l’immobile inclus dans sa raison Yvonnette a fait choix d’une belle maison Et la peint toute une heure en enfant douce et sage. Derrière la maison s’étend un paysage Paisible comme un front pensif d’enfant heureux, Un paysage vert avec des monts ocreux. Or plus haut que le toit d’un rouge de blessure Monte un ciel de cinabre où nul jour ne s’azure. Quand j’étais tout petit aux cheveux longs rêvant, Quand je stellais le ciel de mes ballons d’enfant, Je peignais comme toi, ma mignonne Yvonnette, Des paysages verts avec la maisonnette, Mais au lieu d’un ciel triste et jamais azuré J’ai peint toujours le ciel très bleu comme le vrai.@guillaumeApollinaire
Arbre A Frédéric Boutet. Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes galopent Où sont les aveugles où sont-ils allés La seule feuille que j’aie cueillie s’est changé en plusieurs mirage Ne m’abandonnez pas parmi cette foule de femmes au marché Ispahan s’est fait un ciel de carreaux émaillés de bleu Et je remonte avec vous une route aux environs de Lyon Je n’ai pas oublié le son de la clochette d’un marchand de coco d’autrefois J’entends déjà le son aigre de cette voix à venir Du camarade qui se promène avec toi en Europe Tout en restant en Amérique Un enfant Un veau dépouillé pendu à l’étal Un enfant Et cette banlieue de sable autour d’une pauvre ville au fond de l’est Un douanier se tenait là comme un ange À la porte d’un misérable paradis Et ce voyageur épileptique écumait dans la salle d’attente des premières Engoulevent Blaireau Et la Taupe-Ariane Nous avions loué deux coupés dans le transsibérien Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et moi Mais celui qui veillait ne cachait point un revolver armé Tu t’es promené à Leipzig avec une femme mince déguisé en homme Intelligence car voilà ce que c’est qu’une femme intelligente Et il ne faudrait pas oublier les légendes Dame-Abonde dans un tramway la nuit au fond d’un quartier désert Je voyais une chasse tandis que je montais Et l’ascenseur s’arrêtait à chaque étage Entre les pierres Entre les vêtements multicolores de la vitrine Entre les charbons ardents du marchand de marrons Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen Il y a ton image Elle pousse entre les bouleaux de la Finlande Ce beau nègre en acier La plus grande tristesse C’est quand tu reçus une carte postale de La Corogne Le vent vient du couchant Le métal des caroubiers Tout est plus triste qu’autrefois Tous les dieux terrestres vieillissent L’univers se plaint par ta voix Et des êtres nouveaux surgissent Trois par trois@guillaumeApollinaire
Au lac de tes yeux Au lac de tes yeux très profond Mon pauvre coeur se noie et fond Là le défont Dans l’eau d’amour et de folie Souvenir et Mélancolie Nîmes, le 18 décembre 1914@guillaumeApollinaire
Au prolétaire Ô captif innocent qui ne sais pas chanter Écoute en travaillant tandis que tu te tais Mêlés aux chocs d’outils les bruits élémentaires Marquent dans la nature un bon travail austère L’aquilon juste et pur ou la brise de mai De la mauvaise usine soufflent la fumée La terre par amour te nourrit les récoltes Et l’arbre de science où mûrit la révolte La mer et ses nénies dorlotent tes noyés Et le feu le vrai feu l’étoile émerveillée Brille pour toi la nuit comme un espoir tacite Enchantant jusqu’au jour les bleuités du site Où pour le pain quotidien peinent les gars D’ahans n’ayant qu’un son le grave l’oméga Ne coûte pas plus cher la clarté des étoiles Que ton sang et ta vie prolétaire et tes moelles Tu enfantes toujours de tes reins vigoureux Des fils qui sont des dieux calmes et malheureux Des douleurs de demain tes filles sont enceintes Et laides de travail tes femmes sont des saintes Honteuses de leurs mains vaines de leur chair nue Tes pucelles voudraient un doux luxe ingénu Qui vînt de mains gantées plus blanches que les leurs Et s’en vont tout en joie un soir à la male heure Or tu sais que c’est toi toi qui fis la beauté Qui nourris les humains des injustes cités Et tu songes parfois aux alcôves divines Quand tu es triste et las le jour au fond des mines@guillaumeApollinaire
Au soleil Au soleil J’ai sommeil Lou je t’aime Mon poème Te redit Ce lundi Que je t’aime Lou Loulou Me regarde Ce ptit loup Se hasarde A venir Voir courir Sur ma lettre Le crayon Voudrais être Un rayon Qui visite Mon ptit Lou Vite vite Je te quitte Et vais vite Sur Loulou Courmelois, le 19 avril 1915@guillaumeApollinaire
Automne Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux Et son boeuf lentement dans le brouillard d’automne Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux Et s’en allant là-bas le paysan chantonne Une chanson d’amour et d’infidélité Qui parle d’une bague et d’un coeur que l’on brise Oh! l’automne l’automne a fait mourir l’été Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises@guillaumeApollinaire
Automne Malade Automne malade et adoré Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies Quand il aura neigé Dans les vergers Pauvre automne Meurs en blancheur et en richesse De neige et de fruits mûrs Au fond du ciel Des éperviers planent Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines Qui n’ont jamais aimé Aux lisières lointaines Les cerfs ont bramé Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs Les fruits tombant sans qu’on les cueille Le vent et la forêt qui pleurent Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille Les feuilles Qu’on foule Un train Qui roule La vie S’écoule