splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi
J

Jean-Pierre Claris de Florian

Auteurplume

En savoir plus sur l'auteur

...plus

Compte non officiel

Poésies

33

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le voyage Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte, Sans songer seulement à demander sa route ; Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi, Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi ; Voir sur sa tête alors s'amasser les nuages, Dans un sable mouvant précipiter ses pas, Courir, en essuyant orages sur orages, Vers un but incertain où l'on n'arrive pas ; Détrempé vers le soir, chercher une retraite, Arriver haletant, se coucher, s'endormir : On appelle cela naître, vivre et mourir. La volonté de Dieu soit faite !

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le lièvre, ses amis et les deux chevreuils Un lièvre de bon caractère Voulait avoir beaucoup d'amis. Beaucoup ! Me direz-vous, c'est une grande affaire ; Un seul est rare en ce pays. J'en conviens ; mais mon lièvre avait cette marotte, Et ne savait pas qu'Aristote Disait aux jeunes grecs à son école admis : Mes amis, il n'est point d'amis. Sans cesse il s'occupait d'obliger et de plaire ; S'il passait un lapin, d'un air doux et civil Vite il courait à lui : mon cousin, disait-il, J'ai du beau serpolet tout près de ma tanière, De déjeuner chez moi faites-moi la faveur. S'il voyait un cheval paître dans la campagne, Il allait l'aborder : peut-être monseigneur A-t-il besoin de boire ; au pied de la montagne Je connais un lac transparent Qui n'est jamais ridé par le moindre zéphyr : Si monseigneur veut, dans l'instant J'aurai l'honneur de l'y conduire. Ainsi, pour tous les animaux, Cerfs, moutons, coursiers, daims, taureaux, Complaisant, empressé, toujours rempli de zèle, Il voulait de chacun faire un ami fidèle, Et s'en croyait aimé parce qu'il les aimait. Certain jour que tranquille en son gîte il dormait, Le bruit du cor l'éveille, il décampe au plus vite. Quatre chiens s'élancent après, Un maudit piqueur les excite ; Et voilà notre lièvre arpentant les guérets. Il va, tourne, revient, aux mêmes lieux repasse, Saute, franchit un long espace Pour dévoyer les chiens, et, prompt comme l'éclair, Gagne pays, et puis s'arrête. Assis, les deux pattes en l'air, L'œil et l'oreille au guet, il élève la tête, Cherchant s'il ne voit point quelqu'un de ses amis. Il aperçoit dans des taillis Un lapin que toujours il traita comme un frère ; Il y court : par pitié, sauve-moi, lui dit-il, Donne retraite à ma misère, Ouvre-moi ton terrier ; tu vois l'affreux péril... Ah ! Que j'en suis fâché ! Répond d'un air tranquille Le lapin : je ne puis t'offrir mon logement, Ma femme accouche en ce moment, Sa famille et la mienne ont rempli mon asile ; Je te plains bien sincèrement : Adieu, mon cher ami. Cela dit, il s'échappe ; Et voici la meute qui jappe. Le pauvre lièvre part. à quelques pas plus loin, Il rencontre un taureau que cent fois au besoin Il avait obligé ; tendrement il le prie D'arrêter un moment cette meute en furie Qui de ses cornes aura peur. Hélas ! Dit le taureau, ce serait de grand cœur : Mais des génisses la plus belle Est seule dans ce bois, je l'entends qui m'appelle ; Et tu ne voudrais pas retarder mon bonheur. Disant ces mots, il part. Notre lièvre hors d'haleine Implore vainement un daim, un cerf dix-cors, Ses amis les plus sûrs ; ils l'écoutent à peine, Tant ils ont peur du bruit des cors. Le pauvre infortuné, sans force et sans courage, Allait se rendre aux chiens, quand, du milieu du bois, Deux chevreuils reposant sous le même feuillage Des chasseurs entendent la voix. L'un d'eux se lève et part ; la meute sanguinaire Quitte le lièvre et court après. En vain le piqueur en colère Crie, et jure, et se fâche ; à travers les forêts Le chevreuil emmène la chasse, Va faire un long circuit, et revient au buisson Où l'attendait son compagnon, Qui dans l'instant part à sa place. Celui-ci fait de même, et, pendant tout le jour, Les deux chevreuils lancés et quittés tour à tour Fatiguent la meute obstinée. Enfin les chasseurs tout honteux Prennent le bon parti de retourner chez eux ; Déjà la retraite est sonnée, Et les chevreuils rejoints. Le lièvre palpitant S'approche, et leur raconte, en les félicitant, Que ses nombreux amis, dans ce péril extrême, L'avaient abandonné. Je n'en suis pas surpris, Répond un des chevreuils : à quoi bon tant d'amis ? Un seul suffit quand il nous aime.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    L'enfant et le miroir Un enfant élevé dans un pauvre village Revint chez ses parents, et fut surpris d'y voir Un miroir. D'abord il aima son image ; Et puis, par un travers bien digne d'un enfant, Et même d'un être plus grand, Il veut outrager ce qu'il aime, Lui fait une grimace, et le miroir la rend. Alors son dépit est extrême ; Il lui montre un poing menaçant, Il se voit menacé de même. Notre marmot fâché s'en vient, en frémissant, Battre cette image insolente ; Il se fait mal aux mains. Sa colère en augmente ; Et, furieux, au désespoir, Le voilà devant ce miroir, Criant, pleurant, frappant la glace. Sa mère, qui survient, le console, l'embrasse, Tarit ses pleurs, et doucement lui dit : N'as-tu pas commencé par faire la grimace A ce méchant enfant qui cause ton dépit ? - Oui. - Regarde à présent : tu souris, il sourit ; Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même ; Tu n'es plus en colère, il ne se fâche plus : De la société tu vois ici l'emblème ; Le bien, le mal, nous sont rendus.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    L'habit d'Arlequin Vous connaissez ce quai nommé de la Ferraille, Où l'on vend des oiseaux, des hommes et des fleurs. A mes fables souvent c'est là que je travaille ; J'y vois des animaux, et j'observe leurs moeurs. Un jour de mardi gras j'étais à la fenêtre D'un oiseleur de mes amis, Quand sur le quai je vis paraître Un petit arlequin leste, bien fait, bien mis, Qui, la batte à la main, d'une grâce légère, Courait après un masque en habit de bergère. Le peuple applaudissait par des ris, par des cris. Tout près de moi, dans une cage, Trois oiseaux étrangers, de différent plumage, Perruche, cardinal, serin, Regardaient aussi l'arlequin. La perruche disait : "J'aime peu son visage, Mais son charmant habit n'eut jamais son égal. Il est d'un si beau vert ! - Vert ! dit le cardinal ; Vous n'y voyez donc pas, ma chère ? L'habit est rouge assurément : Voilà ce qui le rend charmant. - Oh ! pour celui-là, mon compère, Répondit le serin, vous n'avez pas raison, Car l'habit est jaune-citron ; Et c'est ce jaune-là qui fait tout son mérite. - Il est vert. - Il est jaune. - Il est rouge morbleu!" Interrompt chacun avec feu ; Et déjà le trio s'irrite. "Amis, apaisez-vous, leur crie un bon pivert ; L'habit est jaune, rouge et vert. Cela vous surprend fort ; voici tout le mystère : Ainsi que bien des gens d'esprit et de savoir, Mais qui d'un seul côté regardent une affaire, Chacun de vous ne veut y voir Que la couleur qui sait lui plaire."

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La carpe et les carpillons Prenez garde, mes fils, côtoyez moins le bord, Suivez le fond de la rivière ; Craignez la ligne meurtrière, Ou l'épervier plus dangereux encor. C'est ainsi que parlait une carpe de Seine A de jeunes poissons qui l'écoutaient à peine. C'était au mois d'avril : les neiges, les glaçons, Fondus par les zéphyrs, descendaient des montagnes. Le fleuve, enflé par eux, s'élève à gros bouillons, Et déborde dans les campagnes. Ah ! ah ! criaient les carpillons, Qu'en dis-tu, carpe radoteuse ? Crains-tu pour nous les hameçons ? Nous voilà citoyens de la mer orageuse ; Regarde : on ne voit plus que les eaux et le ciel, Les arbres sont cachés sous l'onde, Nous sommes les maîtres du monde, C'est le déluge universel. Ne croyez pas cela, répond la vieille mère ; Pour que l'eau se retire il ne faut qu'un instant : Ne vous éloignez point, et, de peur d'accident, Suivez, suivez toujours le fond de la rivière. Bah ! disent les poissons, tu répètes toujours Mêmes discours. Adieu, nous allons voir notre nouveau domaine. Parlant ainsi, nos étourdis Sortent tous du lit de la Seine, Et s'en vont dans les eaux qui couvrent le pays. Qu'arriva-t-il ? Les eaux se retirèrent, Et les carpillons demeurèrent ; Bientôt ils furent pris, Et frits. Pourquoi quittaient-ils la rivière ? Pourquoi ? je le sais trop, hélas ! C'est qu'on se croit toujours plus sage que sa mère C'est qu'on veut sortir de sa sphère, C'est, que... c'est que... je ne finirai pas.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La fauvette et le rossignol Une fauvette dont la voix Enchantait les échos par sa douceur extrême Espéra surpasser le rossignol lui-même, Et lui fit un défi. L'on choisit dans le bois Un lieu propre au combat. Les juges se placèrent : C'étaient le linot, le serin, Le rouge-gorge et le tarin. Tous les autres oiseaux derrière eux se perchèrent. Deux vieux chardonnerets et deux jeunes pinsons Furent gardes du camp, le merle était trompette. Il donne le signal : aussitôt la fauvette Fait entendre les plus doux sons ; Avec adresse elle varie De ses accents filés la touchante harmonie, Et ravit tous les cœurs par ses tendres chansons. L'assemblée applaudit. Bientôt on fait silence : Alors le rossignol commence. Trois accords purs, égaux, brillants, Que termine une juste et parfaite cadence, Sont le prélude de ses chants ; Ensuite son gosier flexible, Parcourant sans effort tous les tons de sa voix, Tantôt vif et pressé, tantôt lent et sensible, Étonne et ravit à la fois. Les juges cependant demeuraient en balance. Le linot, le serin, de la fauvette amis, Ne voulaient point donner de prix : Les autres disputaient. L'assemblée en silence Écoutait leurs doctes avis, Lorsqu'un geai s'écria : victoire à la fauvette ! Ce mot décida sa défaite : Pour le rossignol aussitôt L'aréopage ailé tout d'une voix s'explique. Ainsi le suffrage d'un sot Fait plus de mal que sa critique.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La guenon, le singe et la noix Une jeune guenon cueillit Une noix dans sa coque verte ; Elle y porte la dent, fait la grimace… « Ah ! Certes, Dit-elle, ma mère mentit Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes. Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit ! » Elle jette la noix. Un singe la ramasse, Vite entre deux cailloux la casse, L'épluche, la mange, et lui dit : « Votre mère eut raison, ma mie : Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir. Souvenez-vous que, dans la vie, Sans un peu de travail on n'a point de plaisir ».

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La guêpe et l'abeille Dans le calice d’une fleur La guêpe un jour voyant l’abeille S'approche en l'appelant sa sœur. Ce nom sonne mal à l’oreille De l'insecte plein de fierté, Qui lui répond : Nous sœurs ! Ma mie, Depuis quand cette parenté ? Mais c’est depuis toute la vie, Lui dit la guêpe avec courroux : Considérez-moi, je vous prie ; J'ai des ailes tout comme vous, Même taille, même corsage ; Et, s’il vous en faut davantage, Nos dards sont aussi ressemblants. Il est vrai, répliqua l'abeille, Nous avons une arme pareille, Mais pour des emplois différents. La vôtre sert votre insolence, La mienne repousse l’offense Vous provoquez, je me défends.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La mort La mort, reine du monde, assembla certain jour, Dans les enfers, toute sa cour. Elle voulait choisir un bon premier ministre Qui rendît ses états encore plus florissants. Pour remplir cet emploi sinistre, Du fond du noir Tartare avancent à pas lents La fièvre, la goutte et la guerre. C'étaient trois sujets excellents ; Tout l'enfer et toute la terre Rendaient justice à leurs talents. La mort leur fit accueil. La peste vint ensuite. On ne pouvait nier qu'elle n'eût du mérite, Nul n'osait lui rien disputer ; Lorsque d'un médecin arriva la visite, Et l'on ne sut alors qui devait l'emporter. La mort même était en balance : Mais, les vices étant venus, Dès ce moment la mort n'hésita plus, Elle choisit l'intempérance.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La mère, l'enfant et les sarigues À Madame De La Briche. Vous, de qui les attraits, la modeste douceur, Savent tout obtenir et n'osent rien prétendre, Vous que l'on ne peut voir sans devenir plus tendre, Et qu'on ne peut aimer sans devenir meilleur, Je vous respecte trop pour parler de vos charmes, De vos talents, de votre esprit... Vous aviez déjà peur ; bannissez vos alarmes, C'est de vos vertus qu' il s'agit. Je veux peindre en mes vers des mères le modèle, Le sarigue, animal peu connu parmi nous, Mais dont les soins touchants et doux, Dont la tendresse maternelle, Seront de quelque prix pour vous. Le fond du conte est véritable : Buffon m'en est garant ; qui pourrait en douter ? D'ailleurs tout dans ce genre a droit d'être croyable, Lorsque c'est devant vous qu'on peut le raconter. Maman, disait un jour à la plus tendre mère Un enfant péruvien sur ses genoux assis, Quel est cet animal qui, dans cette bruyère, Se promène avec ses petits ? Il ressemble au renard. Mon fils, répondit-elle, Du sarigue c'est la femelle ; Nulle mère pour ses enfants N'eut jamais plus d'amour, plus de soins vigilants. La nature a voulu seconder sa tendresse, Et lui fit près de l'estomac Une poche profonde, une espèce de sac, Où ses petits, quand un danger les presse, Vont mettre à couvert leur faiblesse. Fais du bruit, tu verras ce qu' ils vont devenir. L'enfant frappe des mains ; la sarigue attentive Se dresse, et, d'une voix plaintive, Jette un cri ; les petits aussitôt d'accourir, Et de s'élancer vers la mère, En cherchant dans son sein leur retraite ordinaire. La poche s'ouvre, les petits En un moment y sont blottis, Ils disparaissent tous ; la mère avec vitesse S'enfuit emportant sa richesse. La péruvienne alors dit à l'enfant surpris : Si jamais le sort t'est contraire, Souviens-toi du sarigue, imite-le, mon fils : L'asile le plus sûr est le sein d'une mère.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La pie et la colombe Une colombe avait son nid Tout auprès du nid d'une pie. Cela s'appelle voir mauvaise compagnie, D'accord ; mais de ce point pour l'heure il ne s'agit. Au logis de la tourterelle Ce n'était qu'amour et bonheur ; Dans l'autre nid toujours querelle, Oeufs cassés, tapage et rumeur. Lorsque par son époux la pie était battue, Chez sa voisine elle venait, Là jasait, criait, se plaignait, Et faisait la longue revue Des défauts de son cher époux : Il est fier, exigeant, dur, emporté, jaloux ; De plus, je sais fort bien qu'il va voir des corneilles ; Et cent autres choses pareilles Qu'elle disait dans son courroux. Mais vous, répond la tourterelle, Êtes-vous sans défauts ? Non, j'en ai, lui dit-elle ; Je vous le confie entre nous : En conduite, en propos, je suis assez légère, Coquette comme on l'est, par fois un peu colère, Et me plaisant souvent à le faire enrager : Mais qu'est-ce que cela ? - C'est beaucoup trop, ma chère : Commencez par vous corriger ; Votre humeur peut l'aigrir... qu'appelez-vous, ma mie ? Interrompt aussitôt la pie : Moi de l'humeur ! Comment ! Je vous conte mes maux, Et vous m'injuriez ! Je vous trouve plaisante : Adieu, petite impertinente ; Mêlez-vous de vos tourtereaux. Nous convenons de nos défauts ; Mais c'est pour que l'on nous démente.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La taupe et les lapins Chacun de nous souvent connaît bien ses défauts; En convenir, c'est autre chose: On aime mieux souffrir de véritables maux Que d'avouer qu'ils en sont cause. Je me souviens, à ce sujet, D'avoir été témoin d'un fait Fort étonnant et difficile à croire; Mais je l'ai vu: voici l'histoire. Près d'un bois, le soir, à l'écart, Dans une superbe prairie, Des lapins s'amusaient, sur l'herbette fleurie, A jouer au colin-maillard. Des lapins ! direz-vous, la chose est impossible. Rien n'est plus vrai pourtant: une feuille flexible Sur les yeux de l'un d'eux en bandeau s'appliquait, Et puis sous le cou se nouait: Un instant en faisait l'affaire. Celui que ce ruban privait de la lumière Se plaçait au milieu; les autres alentour Sautaient, dansaient, faisaient merveilles, S'éloignaient, venaient tour à tour Tirer sa queue ou ses oreilles. Le pauvre aveugle alors, se retournant soudain, Sans craindre pot au noir, jette au hasard la patte, Mais la troupe échappe à la hâte, Il ne prend que du vent, il se tourmente en vain, Il y sera jusqu'à demain. Une taupe assez étourdie, Qui sous terre entendit ce bruit, Sort aussitôt de son réduit Et se mêle dans la partie. Vous jugez que, n'y voyant pas, Elle fut prise au premier pas. Messieurs, dit un lapin, ce serait conscience, Et la justice veut qu'à notre pauvre sœur Nous fassions un peu de faveur: Elle est sans yeux et sans défense. Ainsi je suis d'avis...–Non, répond avec feu La taupe, je suis prise, et prise de bon jeu; Mettez moi le bandeau.–Très volontiers, ma chère; Le voici; mais je crois qu'il n'est pas nécessaire Que nous serrions le noeud bien fort. –Pardonnez-moi, Monsieur, reprit-elle en colère, Serrez bien, car j'y vois... Serrez, j'y vois encor.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le chat et le miroir Philosophes hardis, qui passez votre vie À vouloir expliquer ce qu'on n'explique pas, Daignez écouter, je vous prie, Ce trait du plus sage des chats. Sur une table de toilette Ce chat aperçut un miroir ; Il y saute, regarde, et d'abord pense voir Un de ses frères qui le guette. Notre chat veut le joindre, il se trouve arrêté. Surpris, il juge alors la glace transparente, Et passe de l'autre côté, Ne trouve rien, revient, et le chat se présente. Il réfléchit un peu : de peur que l'animal, Tandis qu'il fait le tour, ne sorte, Sur le haut du miroir il se met à cheval, Deux pattes par ici, deux par là ; de la sorte Partout il pourra le saisir. Alors, croyant bien le tenir, Doucement vers la glace il incline la tête, Aperçoit une oreille, et puis deux... à l'instant, À droite, à gauche il va jetant Sa griffe qu'il tient toute prête : Mais il perd l'équilibre, il tombe et n'a rien pris. Alors, sans davantage attendre, Sans chercher plus longtemps ce qu'il ne peut comprendre, Il laisse le miroir et retourne aux souris : Que m'importe, dit-il, de percer ce mystère ? Une chose que notre esprit, Après un long travail, n'entend ni ne saisit, Ne nous est jamais nécessaire.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le chat et le moineau La prudence est bonne de soi, Mais la pousser trop loin est une duperie : L'exemple suivant en fait foi. Des moineaux habitaient dans une métairie : Un beau champ de millet, voisin de la maison, Leur donnait du grain à foison. Ces moineaux dans le champ passaient toute leur vie, Occupés de gruger les épis de millet Le vieux chat du logis les guettait d'ordinaire, Tournait et retournait ; mais il avait beau faire, Sitôt qu'il paraissait la bande s'envolait. Comment les attraper ? Notre vieux chat y songe, Médite, fouille en son cerveau, Et trouve un tour tout neuf. II va tremper dans l'eau Sa patte dont il fait éponge. Dans du millet en grain aussitôt il la plonge ; Le grain s'attache tout autour. Alors à cloche-pied, sans bruit, par un détour, II va gagner le champ, s'y couche La patte en l'air et sur le dos, Ne bougeant non plus qu'une souche : Sa patte ressemblait à l'épi le plus gros. L'oiseau s'y méprenait, il approchait sans crainte, Venait pour becqueter ; de l'autre patte, crac, Voilà mon oiseau dans le sac. Il en prit vingt par cette feinte. Un moineau s'aperçoit du piège scélérat, Et prudemment fuit la machine ; Mais dès ce jour il s'imagine Que chaque épi de grain était patte de chat. Au fond de son trou solitaire II se retire, et plus n'en sort, Supporte la faim, la misère, Et meurt pour éviter la mort.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le dervis, la corneille et le faucon Un de ces pieux solitaires Qui, détachant leur cœur des choses d'ici bas, Font vœu de renoncer à des biens qu'ils n'ont pas. Pour vivre du bien de leurs frères, Un dervis en un mot, s'en allait mendiant Et priant, Lorsque les cris plaintifs d'une jeune corneille Par des parents cruels laissée en son berceau, Presque sans plume encor, vinrent à son oreille. Notre dervis regarde, et voit le pauvre oiseau Allongeant sur son nid sa tête demi-nue : Dans l'instant, du haut de la nue, Un faucon descend vers ce nid, Et, le bec rempli de pâture, Il apporte sa nourriture À l'orpheline qui gémit. Ô du puissant Allah providence adorable ! S'écria le dervis : plutôt qu'un innocent Périsse sans secours, tu rends compatissant Des oiseaux le moins pitoyable ! Et moi, fils du très-haut, je chercherais mon pain ! Non, par le prophète j'en jure : Tranquille désormais, je remets mon destin À celui qui prend soin de toute la nature. Cela dit, le dervis, couché tout de son long, Se met à bayer aux corneilles, De la création admire les merveilles, De l'univers l'ordre profond. Le soir vint, notre solitaire Eut un peu d'appétit en faisant sa prière : Ce n'est rien, disait-il ; mon souper va venir. Le souper ne vient point. Allons, il faut dormir ; Ce sera pour demain. Le lendemain l'aurore Paraît, et point de déjeuner. Ceci commence à l'étonner ; Cependant il persiste encore, Et croit à chaque instant voir venir son dîner. Personne n'arrivait ; la journée est finie, Et le dervis à jeun voyait d'un œil d'envie Ce faucon qui venait toujours Nourrir sa pupille chérie. Tout-à-coup il l'entend lui tenir ce discours : Tant que vous n'avez pu, ma mie, Pourvoir vous-même à vos besoins, De vous j'ai pris de tendres soins ; À présent que vous voilà grande, Je ne reviendrai plus. Allah nous recommande Les faibles et les malheureux : Mais être faible, ou paresseux, C'est une grande différence. Nous ne recevons l'existence Qu'afin de travailler pour nous ou pour autrui. De ce devoir sacré quiconque se dispense Est puni de la providence Par le besoin ou par l'ennui. Le faucon dit et part. Touché de ce langage, Le dervis converti reconnaît son erreur, Et, gagnant le premier village, Se fait valet de laboureur.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le grillon Un pauvre petit grillon Caché dans l'herbe fleurie Regardait un papillon Voltigeant dans la prairie. L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ; L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ; Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs, Prenant et quittant les plus belles. Ah! disait le grillon, que son sort et le mien Sont différents ! Dame nature Pour lui fit tout, et pour moi rien. je n'ai point de talent, encor moins de figure. Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas : Autant vaudrait n'exister pas. Comme il parlait, dans la prairie Arrive une troupe d'enfants : Aussitôt les voilà courants Après ce papillon dont ils ont tous envie. Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper ; L'insecte vainement cherche à leur échapper, Il devient bientôt leur conquête. L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps ; Un troisième survient, et le prend par la tête : Il ne fallait pas tant d'efforts Pour déchirer la pauvre bête. Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché ; Il en coûte trop cher pour briller dans le monde. Combien je vais aimer ma retraite profonde ! Pour vivre heureux, vivons caché.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le hibou et le pigeon Que mon sort est affreux ! S'écriait un hibou : Vieux, infirme, souffrant, accablé de misère, Je suis isolé sur la terre, Et jamais un oiseau n'est venu dans mon trou Consoler un moment ma douleur solitaire. Un pigeon entendit ces mots, Et courut auprès du malade : Hélas ! Mon pauvre camarade, Lui dit-il, je plains bien vos maux. Mais je ne comprends pas qu'un hibou de votre âge Soit sans épouse, sans parents, Sans enfants ou petits-enfants. N'avez-vous point serré les nœuds du mariage Pendant le cours de vos beaux ans ? Le hibou répondit : non vraiment, mon cher frère : Me marier ! Et pourquoi faire ? J'en connaissais trop le danger. Vouliez-vous que je prisse une jeune chouette, Bien étourdie et bien coquette, Qui me trahît sans cesse ou me fît enrager, Qui me donnât des fils d'un méchant caractère, Ingrats, menteurs, mauvais sujets, Désirant en secret le trépas de leur père ? Car c'est ainsi qu'ils sont tous faits. Pour des parents, je n'en ai guère, Et ne les vis jamais : ils sont durs, exigeants, Pour le moindre sujet s'irritent, N'aiment que ceux dont ils héritent ; Encor ne faut-il pas qu'ils attendent longtemps. Tout frère ou tout cousin nous déteste et nous pille. Je ne suis pas de votre avis, Répondit le pigeon : mais parlons des amis ; Des orphelins c'est la famille : Vous avez dû près d'eux trouver quelques douceurs. - Les amis ! Ils sont tous trompeurs. J'ai connu deux hiboux qui tendrement s'aimèrent Pendant quinze ans, et, certain jour, Pour une souris s'égorgèrent. Je crois à l'amitié moins encor qu'à l'amour. - Mais ainsi, Dieu me le pardonne ! Vous n'avez donc aimé personne ? - Ma foi, non, soit dit entre nous. - En ce cas-là, mon cher, de quoi vous plaignez-vous ?

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le hibou, le chat, l'oison et le rat De jeunes écoliers avaient pris dans un trou Un hibou, Et l'avaient élevé dans la cour du collège. Un vieux chat, un jeune oison, Nourris par le portier, étaient en liaison Avec l'oiseau ; tous trois avaient le privilège D'aller et de venir par toute la maison. À force d'être dans la classe, Ils avaient orné leur esprit, Savaient par cœur Denys d'Halicarnasse Et tout ce qu'Hérodote et Tite-Live ont dit. Un soir, en disputant (des docteurs c'est l'usage), Ils comparaient entre eux les peuples anciens. Ma foi, disait le chat, c'est aux égyptiens Que je donne le prix : c'était un peuple sage, Un peuple ami des lois, instruit, discret, pieux, Rempli de respect pour ses dieux ; Cela seul, à mon gré, lui donne l'avantage. J'aime mieux les athéniens, Répondait le hibou : que d'esprit ! Que de grâce ! Et dans les combats quelle audace ! Que d'aimables héros parmi leurs citoyens ! A-t-on jamais plus fait avec moins de moyens ? Des nations c'est la première. Parbleu ! Dit l'oison en colère, Messieurs, je vous trouve plaisants : Et les romains, que vous en semble ? Est-il un peuple qui rassemble Plus de grandeur, de gloire, et de faits éclatants ? Dans les arts, comme dans la guerre, Ils ont surpassé vos amis. Pour moi, ce sont mes favoris ; Tout doit céder le pas aux vainqueurs de la terre. Chacun des trois pédants s'obstine en son avis, Quand un rat, qui de loin entendait la dispute, Rat savant, qui mangeait des thèmes dans sa hutte, Leur cria : je vois bien d'où viennent vos débats : L'Égypte vénérait les chats, Athènes les hiboux, et Rome, au capitole, Aux dépens de l'état nourrissait des oisons : Ainsi notre intérêt est toujours la boussole Que suivent nos opinions.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le jeune homme et le vieillard « De grâce, apprenez-moi comment l'on fait fortune, Demandait à son père un jeune ambitieux. - Il est, dit le vieillard, un chemin glorieux : C'est de se rendre utile à la cause commune, De prodiguer ses jours, ses veilles, ses talents, Au service de la patrie. - Oh ! trop pénible est cette vie ; Je veux des moyens moins brillants. - Il en est de plus sûrs, l'intrigue... - Elle est trop vile ; Sans vice et sans travail je voudrais m'enrichir. - Eh bien ! sois un simple imbécile, J'en ai vu beaucoup réussir. »

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le léopard et l'écureuil Un écureuil sautant, gambadant sur un chêne, Manqua sa branche, et vint, par un triste hasard, Tomber sur un vieux léopard Qui faisait sa méridienne. Vous jugez s'il eut peur ! En sursaut s'éveillant, L'animal irrité se dresse ; Et l'écureuil s'agenouillant Tremble et se fait petit aux pieds de son altesse. Après l'avoir considéré, Le léopard lui dit : je te donne la vie, Mais à condition que de toi je saurai Pourquoi cette gaîté, ce bonheur que j'envie, Embellissent tes jours, ne te quittent jamais, Tandis que moi, roi des forêts, Je suis si triste et je m'ennuie. Sire, lui répond l'écureuil, Je dois à votre bon accueil La vérité : mais, pour la dire, Sur cet arbre un peu haut je voudrais être assis. - Soit, j'y consens, monte. - J'y suis. À présent je peux vous instruire. Mon grand secret pour être heureux, C'est de vivre dans l'innocence ; L'ignorance du mal fait toute ma science ; Mon cœur est toujours pur, cela rend bien joyeux. Vous ne connaissez pas la volupté suprême De dormir sans remords : vous mangez les chevreuils, Tandis que je partage à tous les écureuils Mes feuilles et mes fruits ; vous haïssez, et j'aime : Tout est dans ces deux mots. Soyez bien convaincu De cette vérité que je tiens de mon père : Lorsque notre bonheur nous vient de la vertu, La gaîté vient bientôt de notre caractère.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le paon, les deux oisons et le plongeon Un paon faisait la roue, et les autres oiseaux Admiraient son brillant plumage. Deux oisons nasillards du fond d'un marécage Ne remarquaient que ses défauts. Regarde, disait l'un, comme sa jambe est faite, Comme ses pieds sont plats, hideux. Et son cri, disait l'autre, est si mélodieux, Qu'il fait fuir jusqu'à la chouette. Chacun riait alors du mot qu'il avait dit. Tout-à-coup un plongeon sortit : Messieurs, leur cria-t-il, vous voyez d'une lieue Ce qui manque à ce paon : c'est bien voir, j'en conviens ; Mais votre chant, vos pieds, sont plus laids que les siens, Et vous n'aurez jamais sa queue.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le perroquet Un gros perroquet gris, échappé de sa cage, Vint s'établir dans un bocage : Et là, prenant le ton de nos faux connaisseurs, Jugeant tout, blâmant tout, d'un air de suffisance, Au chant du rossignol il trouvait des longueurs, Critiquait surtout sa cadence. Le linot, selon lui, ne savait pas chanter ; La fauvette aurait fait quelque chose peut-être, Si de bonne heure il eût été son maître Et qu'elle eût voulu profiter. Enfin aucun oiseau n'avait l'art de lui plaire ; Et dès qu'ils commençaient leurs joyeuses chansons, Par des coups de sifflet répondant à leurs sons, Le perroquet les faisait taire. Lassés de tant d'affronts, tous les oiseaux du bois Viennent lui dire un jour : mais parlez donc, beau sire, Vous qui sifflez toujours, faites qu'on vous admire ; Sans doute vous avez une brillante voix, Daignez chanter pour nous instruire. Le perroquet, dans l'embarras, Se gratte un peu la tête, et finit par leur dire : Messieurs, je siffle bien, mais je ne chante pas.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le petit chien La vanité nous rend aussi dupes que sots. Je me souviens, à ce propos, Qu'au temps jadis, après une sanglante guerre Où, malgré les plus beaux exploits, Maint lion fut couché par terre, L'éléphant régna dans les bois. Le vainqueur, politique habile, Voulant prévenir désormais Jusqu'au moindre sujet de discorde civile, De ses vastes états exila pour jamais La race des lions, son ancienne ennemie. L'édit fut proclamé. Les lions affaiblis, Se soumettant au sort qui les avait trahis, Abandonnent tous leur patrie. Ils ne se plaignent pas, ils gardent dans leur cœur Et leur courage et leur douleur. Un bon vieux petit chien, de la charmante espèce De ceux qui vont portant jusqu'au milieu du dos Une toison tombant à flots, Exhalait ainsi sa tristesse : Il faut donc vous quitter, ô pénates chéris ! Un barbare, à l'âge où je suis, M'oblige à renoncer aux lieux qui m'ont vu naître. Sans appui, sans secours, dans un pays nouveau Je vais, les yeux en pleurs, demander un tombeau, Qu'on me refusera peut-être. Ô tyran, tu le veux ! Allons ! Il faut partir. Un barbet l'entendit : touché de sa misère, Quel motif, lui dit-il, peut t'obliger à fuir ? - Ce qui m'y force, ô ciel ! Et cet édit sévère Qui nous chasse à jamais de cet heureux canton... ? - Nous ? - Non pas vous, mais moi. - Comment ! Toi, Mon cher frère ? Qu'as-tu donc de commun... ? - Plaisante question ! Eh ! Ne suis-je pas un lion ?

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le renard Déguisé Un renard plein d’esprit, d’adresse, de prudence, À la cour d’un lion servait depuis longtemps; Les succès les plus éclatants Avaient prouvé son zèle et son intelligence. Pour peu qu’on l’employât, toute affaire allait bien. On le louait beaucoup, mais sans lui donner rien; Et l’habile renard était dans l’indigence. Lassé de servir des ingrats, De réussir toujours sans en être plus gras, Il s’enfuit de la cour; dans un bois solitaire Il s’en va trouver son grand-père, Vieux renard retiré, qui jadis fut vizir. Là, contant ses exploits, et puis les injustices, Les dégoûts qu’il eut à souffrir, Il demande pourquoi de si nombreux services N’ont jamais pu rien obtenir. Le bon homme renard, avec sa voix cassée, Lui dit : Mon cher enfant, la semaine passée, Un blaireau, mon cousin, est mort dans ce terrier : C’est moi qui suis son héritier, J’ai conservé sa peau; mets-la dessus la tienne, El retourne à la cour. Le renard avec peine Se soumit au conseil. Affublé de la peau De feu son cousin le blaireau, Il va se regarder dans l’eau d’une fontaine, Se trouve l’air d’un sot, tel qu’était le cousin. Tout honteux, de la cour il reprend le chemin. Mais, quelques mois après, dans un riche équipage, Entouré de valets, d’esclaves, de flatteurs, Comblé de dons et de faveurs, Il vient de sa fortune au vieillard faire hommage : Il était grand vizir. Je te l’avais bien dit, S’écrie alors le vieux grand-père ; Mon ami, chez les grands quiconque voudra plaire, Doit d’abord cacher son esprit.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le rossignol et le prince Un jeune prince, avec son gouverneur, Se promenait dans un bocage, Et s'ennuyait suivant l'usage ; C'est le profit de la grandeur. Un rossignol chantait sous le feuillage : Le prince l'aperçoit, et le trouve charmant ; Et, comme il était prince, il veut dans le moment L'attraper et le mettre en cage. Mais pour le prendre il fait du bruit, Et l'oiseau fuit. Pourquoi donc, dit alors son altesse en colère, Le plus aimable des oiseaux Se tient-il dans les bois, farouche et solitaire, Tandis que mon palais est rempli de moineaux ? C'est, lui dit le mentor, afin de vous instruire De ce qu'un jour vous devez éprouver : Les sots savent tous se produire ; Le mérite se cache, il faut l'aller trouver.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le sanglier et les rossignols Un homme riche, sot et vain, Qualités qui par fois marchent de compagnie, Croyait pour tous les arts avoir un goût divin, Et pensait que son or lui donnait du génie. Chaque jour à sa table on voyait réunis Peintres, sculpteurs, savants, artistes, beaux esprits, Qui lui prodiguaient les hommages, Lui montraient des dessins, lui lisaient des ouvrages, Écoutaient les conseils qu'il daignait leur donner, Et l'appelaient Mécène en mangeant son dîner. Se promenant un soir dans son parc solitaire, Suivi d'un jardinier, homme instruit et de sens, Il vit un sanglier qui labourait la terre, Comme ils font quelquefois pour aiguiser leurs dents. Autour du sanglier, les merles, les fauvettes, Surtout les rossignols, voltigeant, s'arrêtant, Répétaient à l'envi leurs douces chansonnettes, Et le suivaient toujours chantant. L'animal écoutait l'harmonieux ramage Avec la gravité d'un docte connaisseur, Baissait par fois la hure en signe de faveur, Ou bien, la secouant, refusait son suffrage. Qu'est-ce ci ? Dit le financier : Comment ! Les chantres du bocage Pour leur juge ont choisi cet animal sauvage ! Nenni, répond le jardinier ; De la terre par lui fraîchement labourée Sont sortis plusieurs vers, excellente curée Qui seule attire ces oiseaux : Ils ne se tiennent à sa suite Que pour manger ces vermisseaux ; Et l'imbécile croit que c'est pour son mérite.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le vacher et le garde-chasse Colin gardait un jour les vaches de son père ; Colin n'avait pas de bergère, Et s'ennuyait tout seul. Le garde sort du bois : Depuis l'aube, dit-il, je cours dans cette plaine Après un vieux chevreuil que j'ai manqué deux fois Et qui m'a mis tout hors d'haleine. Il vient de passer par là-bas, Lui répondit Colin : mais, si vous êtes las, Reposez-vous, gardez mes vaches à ma place, Et j'irai faire votre chasse ; Je réponds du chevreuil. - Ma foi, je le veux bien. Tiens, voilà mon fusil, prends avec toi mon chien, Va le tuer. Colin s'apprête, S'arme, appelle Sultan. Sultan, quoiqu'à regret, Court avec lui vers la forêt. Le chien bat les buissons ; il va, vient, sent, arrête, Et voilà le chevreuil... Colin impatient Tire aussitôt, manque la bête, Et blesse le pauvre Sultan. A la suite du chien qui crie, Colin revient à la prairie. Il trouve le garde ronflant ; De vaches, point ; elles étaient volées. Le malheureux Colin, s'arrachant les cheveux, Parcourt en gémissant les monts et les vallées ; Il ne voit rien. Le soir, sans vaches, tout honteux, Colin retourne chez son père, Et lui conte en tremblant l'affaire. Celui-ci, saisissant un bâton de cormier, Corrige son cher fils de ses folles idées, Puis lui dit : chacun son métier, Les vaches seront bien gardées.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le vieux arbre et le jardinier Un jardinier, dans son jardin, Avait un vieux arbre stérile ; C'était un grand poirier qui jadis fut fertile : Mais il avait vieilli, tel est notre destin. Le jardinier ingrat veut l'abattre un matin ; Le voilà qui prend sa cognée. Au premier coup l'arbre lui dit : Respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit Que je t'ai donné chaque année. La mort va me saisir, je n'ai plus qu'un instant, N'assassine pas un mourant Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine, Répond le jardinier ; mais j'ai besoin de bois. Alors, gazouillant à la fois, De rossignols une centaine S'écrie : épargne-le, nous n'avons plus que lui : Lorsque ta femme vient s'asseoir sous son ombrage, Nous la réjouissons par notre doux ramage ; Elle est seule souvent, nous charmons son ennui. Le jardinier les chasse et rit de leur requête ; Il frappe un second coup. D'abeilles un essaim Sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête, Ecoute-nous, homme inhumain : Si tu nous laisses cet asile, Chaque jour nous te donnerons Un miel délicieux dont tu peux à la ville Porter et vendre les rayons : Cela te touche-t-il ? J'en pleure de tendresse, Répond l'avare jardinier : Eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier Qui m'a nourri dans sa jeunesse ? Ma femme quelquefois vient ouïr ces oiseaux ; C'en est assez pour moi : qu'ils chantent en repos. Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance, Je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton. Cela dit, il s'en va, sûr de sa récompense, Et laisse vivre le vieux tronc. Comptez sur la reconnaissance Quand l'intérêt vous en répond.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Les deux persans Cette pauvre raison dont l'homme est si jaloux N'est qu'un pâle flambeau qui jette autour de nous Une triste et faible lumière ; Par delà c'est la nuit : le mortel téméraire Qui veut y pénétrer marche sans savoir où. Mais ne point profiter de ce bienfait suprême, Éteindre son esprit, et s'aveugler soi-même, C'est un autre excès non moins fou. En Perse il fut jadis deux frères, Adorant le soleil, suivant l'antique loi. L'un d'eux, chancelant dans sa foi, N'estimant rien que ses chimères, Prétendait méditer, connaître, approfondir De son dieu la sublime essence ; Et du matin au soir, afin d'y parvenir, L'œil toujours attaché sur l'astre qu'il encense ; Il voulait expliquer le secret de ses feux. Le pauvre philosophe y perdit les deux yeux ; Et dès lors du soleil il nia l'existence. L'autre était crédule et bigot ; Effrayé du sort de son frère, Il y vit de l'esprit l'abus trop ordinaire, Et mit tous ses efforts à devenir un sot. On vient à bout de tout ; le pauvre solitaire Avait peu de chemin à faire, Il fut content de lui bientôt. Mais, de peur d'offenser l'astre qui nous éclaire En portant jusqu'à lui des regards indiscrets, Il se fit un trou sous la terre, Et condamna ses yeux à ne le voir jamais. Humains, pauvres humains, jouissez des bienfaits D'un dieu que vainement la raison veut comprendre, Mais que l'on voit partout, mais qui parle à nos cœurs. Sans vouloir deviner ce qu'on ne peut apprendre, Sans rejeter les dons que sa main sait répandre, Employons notre esprit à devenir meilleurs. Nos vertus au très-haut sont le plus digne hommage, Et l'homme juste est le seul sage.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Les enfants et les perdreaux Deux enfants d'un fermier, gentils, espiègles, beaux, Mais un peu gâtés par leur père, Cherchant des nids dans leur enclos, Trouvèrent de petits perdreaux Qui voletaient après leur mère. Vous jugez de la joie, et comment mes bambins À la troupe qui s'éparpille Vont partout couper les chemins, Et n'ont pas assez de leurs mains Pour prendre la pauvre famille ! La perdrix, traînant l'aile, appelant ses petits, Tourne en vain, voltige, s'approche ; Déjà mes jeunes étourdis Ont toute sa couvée en poche. Ils veulent partager comme de bons amis ; Chacun en garde six, il en reste un treizième : L'aîné le veut, l'autre le veut aussi. - Tirons au doigt mouillé. - Parbleu non. - Parbleu si. - Cède, ou bien tu verras. - Mais tu verras toi-même. De propos en propos, l'aîné, peu patient, Jette à la tête de son frère Le perdreau disputé. Le cadet en colère D'un des siens riposte à l'instant. L'aîné recommence d'autant ; Et ce jeu qui leur plaît couvre autour d'eux la terre De pauvres perdreaux palpitants. Le fermier, qui passait en revenant des champs, Voit ce spectacle sanguinaire, Accourt, et dit à ses enfants : Comment donc ! Petits rois, vos discordes cruelles Font que tant d'innocents expirent par vos coups ! De quel droit, s'il vous plaît, dans vos tristes querelles, Faut-il que l'on meure pour vous ?

    en cours de vérification