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Titre : La taupe et les lapins

Auteur : Jean-Pierre Claris de Florian

Chacun de nous souvent connaît bien ses défauts; En convenir, c'est autre chose: On aime mieux souffrir de véritables maux Que d'avouer qu'ils en sont cause. Je me souviens, à ce sujet, D'avoir été témoin d'un fait Fort étonnant et difficile à croire; Mais je l'ai vu: voici l'histoire. Près d'un bois, le soir, à l'écart, Dans une superbe prairie, Des lapins s'amusaient, sur l'herbette fleurie, A jouer au colin-maillard. Des lapins ! direz-vous, la chose est impossible. Rien n'est plus vrai pourtant: une feuille flexible Sur les yeux de l'un d'eux en bandeau s'appliquait, Et puis sous le cou se nouait: Un instant en faisait l'affaire. Celui que ce ruban privait de la lumière Se plaçait au milieu; les autres alentour Sautaient, dansaient, faisaient merveilles, S'éloignaient, venaient tour à tour Tirer sa queue ou ses oreilles. Le pauvre aveugle alors, se retournant soudain, Sans craindre pot au noir, jette au hasard la patte, Mais la troupe échappe à la hâte, Il ne prend que du vent, il se tourmente en vain, Il y sera jusqu'à demain. Une taupe assez étourdie, Qui sous terre entendit ce bruit, Sort aussitôt de son réduit Et se mêle dans la partie. Vous jugez que, n'y voyant pas, Elle fut prise au premier pas. Messieurs, dit un lapin, ce serait conscience, Et la justice veut qu'à notre pauvre sœur Nous fassions un peu de faveur: Elle est sans yeux et sans défense. Ainsi je suis d'avis...–Non, répond avec feu La taupe, je suis prise, et prise de bon jeu; Mettez moi le bandeau.–Très volontiers, ma chère; Le voici; mais je crois qu'il n'est pas nécessaire Que nous serrions le noeud bien fort. –Pardonnez-moi, Monsieur, reprit-elle en colère, Serrez bien, car j'y vois... Serrez, j'y vois encor.