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Nature

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Nature

Poésies de la collection nature

    Abdellatif Laâbi

    Abdellatif Laâbi

    @abdellatifLaabi

    Faculte Naturelle Entendons-nous bien : je ne chante pas la rareté je n'appelle pas à de nouveaux privilèges Pour moi l'amour est un levier du poème intégral Je le veux donc bien public je le veux faculté naturelle

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    A

    Achille Chavée

    @achilleChavee

    De vie et mort naturelles L'heure Exacte C'était la nuit l'incomparable c'était la haute solitude comme si j'avais été encore dans le ventre qui m'a créé m'etreignant dans la totalité de sa poitrine invulnérable Septembre 1961

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Dans le parc… Dans le parc aux lointains voilés de brume, sous Les grands arbres d’où tombe avec un bruit très doux L’adieu des feuilles d’or parmi la solitude, Sous le ciel pâlissant comme de lassitude, Nous irons, si tu veux, jusqu’au soir, à pas lents, Bercer l’été qui meurt dans nos coeurs indolents. Nous marcherons parmi les muettes allées ; Et cet amer parfum qu’ont les herbes foulées, Et ce silence, et ce grand charme langoureux Que verse en nous l’automne exquis et douloureux Et qui sort des jardins, des bois, des eaux, des arbres Et des parterres nus où grelottent les marbres, Baignera doucement notre âme tout un jour, Comme un mouchoir ancien qui sent encor l’amour.

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    En printemps En printemps, quand le blond vitrier Ariel Nettoie à neuf la vitre éclatante du ciel, Quand aux carrefours noirs qu'éclairent les toilettes En monceaux odorants croulent les violettes Et le lilas tremblant, frileux encor d'hier, Toujours revient en moi le songe absurde et cher Que mes seize ans ravis aux candeurs des keepsakes Vivaient dans les grands murs blancs des bibliothèques Rêveurs à la fenêtre où passaient des oiseaux... Dans des pays d'argent, de cygnes, de roseaux Dont les noms avaient des syllabes d'émeraude, Au bord des étangs verts où la sylphide rôde, Parmi les donjons noirs et les châteaux hantés, Déchiquetant des ciels d'eau-forte tourmentés, Traînaient limpidement les robes des légendes. Ossian ! Walter Scott ! Ineffables guirlandes De vierges en bandeaux s'inclinant de profil. Ô l'ovale si pur d'alors, et le pistil Du col où s'éploraient les anglaises bouclées ! Ô manches à gigot ! Longues mains fuselées Faites pour arpéger le cœur de Raphaël, Avec des yeux à l'ange et l'air « Exil du ciel », Ô les brunes de flamme et les blondes de miel ! Mil-huit-cent-vingt... parfum des lyres surannées ; Dans vos fauteuils d'Utrecht bonnes vieilles fanées, Bonnes vieilles voguant sur « le lac » étoilé, Ô âmes sœurs de Lamartine inconsolé. Tel aussi j'ai vécu les sanglots de vos harpes Et vos beaux chevaliers ceints de blanches écharpes Et vos pâles amants mourant d'un seul baiser. L'idéal était roi sur un grand cœur brisé. C'était le temps du patchouli, des janissaires, D'Elvire, et des turbans, et des hardis corsaires. Byron disparaissait, somptueux et fatal. Et le cor dans les bois sonnait sentimental. Ô mon beau cœur vibrant et pur comme un cristal.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A une fleur Que me veux-tu, chère fleurette, Aimable et charmant souvenir ? Demi-morte et demi-coquette, Jusqu’à moi qui te fait venir ? Sous ce cachet enveloppée, Tu viens de faire un long chemin. Qu’as-tu vu ? que t’a dit la main Qui sur le buisson t’a coupée ? N’es-tu qu’une herbe desséchée Qui vient achever de mourir ? Ou ton sein, prêt à refleurir, Renferme-t-il une pensée ? Ta fleur, hélas ! a la blancheur De la désolante innocence ; Mais de la craintive espérance Ta feuille porte la couleur. As-tu pour moi quelque message ? Tu peux parler, je suis discret. Ta verdure est-elle un secret ? Ton parfum est-il un langage ? S’il en est ainsi, parle bas, Mystérieuse messagère ; S’il n’en est rien, ne réponds pas ; Dors sur mon coeur, fraîche et légère. Je connais trop bien cette main, Pleine de grâce et de caprice, Qui d’un brin de fil souple et fin A noué ton pâle calice. Cette main-là, petite fleur, Ni Phidias ni Praxitèle N’en auraient pu trouver la soeur Qu’en prenant Vénus pour modèle. Elle est blanche, elle est douce et belle, Franche, dit-on, et plus encor ; A qui saurait s’emparer d’elle Elle peut ouvrir un trésor. Mais elle est sage, elle est sévère ; Quelque mal pourrait m’arriver. Fleurette, craignons sa colère. Ne dis rien, laisse-moi rêver.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Marie Ainsi, quand la fleur printanière Dans les bois va s’épanouir, Au premier souffle du zéphyr Elle sourit avec mystère ; Et sa tige fraîche et légère, Sentant son calice s’ouvrir, Jusque dans le sein de la terre Frémit de joie et de désir. Ainsi, quand ma douce Marie Entr’ouvre sa lèvre chérie, Et lève, en chantant, ses yeux bleus, Dans l’harmonie et la lumière Son âme semble tout entière Monter en tremblant vers les cieux.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    La maison du berger I Si ton cœur, gémissant du poids de notre vie, Se traîne et se débat comme un aigle blessé, Portant comme le mien, sur son aile asservie, Tout un monde fatal, écrasant et glacé ; S'il ne bat qu'en saignant par sa plaie immortelle, S'il ne voit plus l'amour, son étoile fidèle, Éclairer pour lui seul l'horizon effacé ;

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    Le cor I J’aime le son du Cor, le soir, au fond des bois, Soit qu’il chante les pleurs de la biche aux abois, Ou l’adieu du chasseur que l’écho faible accueille, Et que le vent du nord porte de feuille en feuille. Que de fois, seul, dans l’ombre à minuit demeuré, J’ai souri de l’entendre, et plus souvent pleuré ! Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques Qui précédaient la mort des Paladins antiques. Ô montagne d’azur ! ô pays adoré ! Rocs de la Frazona, cirque du Marboré, Cascades qui tombez des neiges entraînées, Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées ; Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons, Dont le front est de glace et le pied de gazons ! C’est là qu’il faut s’asseoir, c’est là qu’il faut entendre Les airs lointains d’un Cor mélancolique et tendre. Souvent un voyageur, lorsque l’air est sans bruit, De cette voix d’airain fait retentir la nuit ; À ses chants cadencés autour de lui se mêle L’harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle. Une biche attentive, au lieu de se cacher, Se suspend immobile au sommet du rocher, Et la cascade unit, dans une chute immense, Son éternelle plainte au chant de la romance. Âmes des Chevaliers, revenez-vous encor ? Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ? Roncevaux ! Roncevaux ! Dans ta sombre vallée L’ombre du grand Roland n’est donc pas consolée ! II Tous les preux étaient morts, mais aucun n’avait fui. Il reste seul debout, Olivier près de lui, L’Afrique sur les monts l’entoure et tremble encore. « Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More ; Tous tes Pairs sont couchés dans les eaux des torrents. » Il rugit comme un tigre, et dit : « Si je me rends, Africain, ce sera lorsque les Pyrénées Sur l’onde avec leurs corps rouleront entraînées. — Rends-toi donc, répond-il, ou meurs, car les voilà. » Et du plus haut des monts un grand rocher roula. Il bondit, il roula jusqu’au fond de l’abîme, Et de ses pins, dans l’onde, il vint briser la cime. « Merci, cria Roland ; tu m’as fait un chemin. » Et jusqu’au pied des monts le roulant d’une main, Sur le roc affermi comme un géant s’élance, Et, prête à fuir, l’armée à ce seul pas balance. III Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux Descendaient la montagne et se parlaient entre eux. À l’horizon déjà, par leurs eaux signalées, De Luz et d’Argelès se montraient les vallées. L’armée applaudissait. Le luth du troubadour S’accordait pour chanter les saules de l’Adour ; Le vin français coulait dans la coupe étrangère ; Le soldat, en riant, parlait à la bergère. Roland gardait les monts ; tous passaient sans effroi. Assis nonchalamment sur un noir palefroi Qui marchait revêtu de housses violettes, Turpin disait, tenant les saintes amulettes : « Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu ; Suspendez votre marche ; il ne faut tenter Dieu. Par monsieur saint Denis, certes ce sont des âmes Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes. Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor. » Ici l’on entendit le son lointain du Cor. — L’Empereur étonné, se jetant en arrière, Suspend du destrier la marche aventurière. « Entendez-vous ! dit-il. — Oui, ce sont des pasteurs Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs, Répondit l’archevêque, ou la voix étouffée Du nain vert Obéron qui parle avec sa Fée. » Et l’Empereur poursuit ; mais son front soucieux Est plus sombre et plus noir que l’orage des cieux. Il craint la trahison, et, tandis qu’il y songe, Le Cor éclate et meurt, renaît et se prolonge. « Malheur ! c’est mon neveu ! malheur ! car si Roland Appelle à son secours, ce doit être en mourant. Arrière, chevaliers, repassons la montagne ! Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l’Espagne ! » IV Sur le plus haut des monts s’arrêtent les chevaux ; L’écume les blanchit ; sous leurs pieds, Roncevaux Des feux mourants du jour à peine se colore. À l’horizon lointain fuit l’étendard du More. « Turpin, n’as-tu rien vu dans le fond du torrent ? — J’y vois deux chevaliers : l’un mort, l’autre expirant. Tous deux sont écrasés sous une roche noire ; Le plus fort, dans sa main, élève un Cor d’ivoire, Son âme en s’exhalant nous appela deux fois. » Dieu ! que le son du Cor est triste au fond des bois ! Écrit à Pau, en 1825

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    Le déluge La Terre était riante et dans sa fleur première ; Le jour avait encor cette même lumière Qui du Ciel embelli couronna les hauteurs Quand Dieu la fit tomber de ses doigts créateurs. Rien n’avait dans sa forme altéré la nature, Et des monts réguliers l’immense architecture S’élevait jusqu’aux Cieux par ses degrés égaux, Sans que rien de leur chaîne eût brisé les anneaux. La forêt, plus féconde, ombrageait, sous ses dômes, Des plaines et des fleurs les gracieux royaumes Et des fleuves aux mers le cours était réglé Dans un ordre parfait qui n’était pas troublé. Jamais un voyageur n’aurait, sous le feuillage, Rencontré, loin des flots, l’émail du coquillage, Et la perle habitait son palais de cristal : Chaque trésor restait dans l’élément natal, Sans enfreindre jamais la céleste défense ; Et la beauté du monde attestait son enfance ; Tout suivait sa loi douce et son premier penchant, Tout était pur encor. Mais l’homme était méchant. Les peuples déjà vieux, les races déjà mûres, Avaient vu jusqu’au fond des sciences obscures ; Les mortels savaient tout, et tout les affligeait ; Le prince était sans joie ainsi que le sujet ; Trente religions avaient eu leurs prophètes, Leurs martyrs, leurs combats, leurs gloires, leurs défaites, Leur temps d’indifférence et leur siècle d’oubli ; Chaque peuple, à son tour dans l’ombre enseveli, Chantait languissamment ses grandeurs effacées : La mort régnait déjà dans les âmes glacées. Même plus haut que l’homme atteignaient ses malheurs : D’autres êtres cherchaient ses plaisirs et ses pleurs. Souvent, fruit inconnu d’un orgueilleux mélange, Au sein d’une mortelle on vit le fils d’un Ange. Le crime universel s’élevait jusqu’aux cieux. Dieu s’attrista lui-même et détourna les yeux. Et cependant, un jour, au sommet solitaire Du mont sacré d’Arar, le plus haut de la Terre, Apparut une vierge et près d’elle un pasteur : Tous deux nés dans les champs, loin d’un peuple imposteur, Leur langage était doux, leurs mains étaient unies Comme au jour fortuné des unions bénies ; Ils semblaient, en passant sur ces monts inconnus, Retourner vers le Ciel dont ils étaient venus ; Et, sans l’air de douleur, signe que Dieu nous laisse, Rien n’eût de leur nature indiqué la faiblesse, Tant les traits primitifs et leur simple beauté Avaient sur leur visage empreint de majesté. Quand du mont orageux ils touchèrent la cime, La campagne à leurs pieds s’ouvrit comme un abîme. C’était l’heure où la nuit laisse le Ciel au jour : Les constellations palissaient tour à tour ; Et, jetant à la Terre un regard triste encore, Couraient vers l’Orient se perdre dans l’aurore, Comme si pour toujours elles quittaient les yeux Qui lisaient leur destin sur elles dans les Cieux. Le Soleil, dévoilant sa figure agrandie, S’éleva sur les bois comme un vaste incendie, Et la Terre aussitôt, s’agitant longuement, Salua son retour par un gémissement. Réunis sur les monts, d’immobiles nuages Semblaient y préparer l’arsenal des orages ; Et sur leurs fronts noircis qui partageaient les Cieux Luisait incessamment l’éclair silencieux. Tous les oiseaux, poussés par quelque instinct funeste, S’unissaient dans leur vol en un cercle céleste ; Comme des exilés qui se plaignent entre eux, Ils poussaient dans les airs de longs cris douloureux. La Terre cependant montrait ses lignes sombres Au jour pâle et sanglant qui faisait fuir les ombres ; Mais, si l’homme y passait, on ne pouvait le voir : Chaque cité semblait comme un point vague et noir, Tant le mont s’élevait à des hauteurs immenses ! Et des fleuves lointains les faibles apparences Ressemblaient au dessin par le vent effacé Que le doigt d’un enfant sur le sable a tracé. Ce fut là que deux voix, dans le désert perdues, Dans les hauteurs de l’air avec peine entendues, Osèrent un moment prononcer tour à tour Ce dernier entretien d’innocence et d’amour : — « Comme la Terre est belle en sa rondeur immense ! La vois-tu qui s’étend jusqu’où le ciel commence ? La vois-tu s’embellir de toutes ses couleurs ? Respire un jour encor le parfum de ses fleurs, Que le vent matinal apporte à nos montagnes. On dirait aujourd’hui que les vastes campagnes Elèvent leur encens, étalent leur beauté, Pour toucher, s’il se peut, le seigneur irrité. Mais les vapeurs du ciel, comme de noirs fantômes, Amènent tous ces bruits, ces lugubres symptômes Qui devaient, sans manquer au moment attendu, Annoncer l’agonie à l’univers perdu. Viens, tandis que l’horreur partout nous environne, Et qu’une vaste nuit lentement nous couronne, Viens, ô ma bien-aimée ! Et, fermant tes beaux yeux, Qu’épouvante l’aspect du désordre des cieux, Sur mon sein, sous mes bras repose encor ta tête, Comme l’oiseau qui dort au sein de la tempête ; Je te dirai l’instant où le ciel sourira, Et durant le péril ma voix te parlera. » La vierge sur son cœur pencha sa tête blonde ; Un bruit régnait au loin, pareil au bruit de l’onde : Mais tout était paisible et tout dormait dans l’air ; Rien ne semblait vivant, rien, excepté l’éclair. Le pasteur poursuivit d’une voix solennelle : « Adieu, monde sans borne, ô terre maternelle ! Formes de l’horizon, ombrages des forêts, Antres de la montagne, embaumés et secrets ; Gazons verts, belles fleurs de l’oasis chérie, Arbres, rochers connus, aspects de la patrie ! Adieu ! Tout va finir, tout doit être effacé, Le temps qu’a reçu l’homme est aujourd’hui passé, Demain rien ne sera. Ce n’est point par l’épée, Postérité d’Adam, que tu seras frappée, Ni par les maux du corps ou les chagrins du cœur ; Non, c’est un élément qui sera ton vainqueur. La terre va mourir sous des eaux éternelles, Et l’ange en la cherchant fatiguera ses ailes. Toujours succédera, dans l’univers sans bruits, Au silence des jours le silence des nuits. L’inutile soleil, si le matin l’amène, N’entendra plus la voix et la parole humaine ; Et quand sur un flot mort sa flamme aura relui, Le stérile rayon remontera vers lui. Oh ! pourquoi de mes yeux a-t-on levé les voiles ? Comment ai-je connu le secret des étoiles ? Science du désert, annales des pasteurs ! Cette nuit, parcourant vos divines hauteurs Dont l’Egypte et Dieu seul connaissent le mystère, Je cherchais dans le ciel l’avenir de la terre ; Ma houlette savante, orgueil de nos bergers, Traçait l’ordre éternel sur les sables légers, Comparant, pour fixer l’heure où l’étoile passe, Les cailloux de la plaine aux lueurs de l’espace. Mais un ange a paru dans la nuit sans sommeil ; Il avait de son front quitté l’éclat vermeil, Il pleurait, et disait dans sa douleur amère : « Que n’ai-je pu mourir lorsque mourut ta mère ! J’ai failli, je l’aimais, Dieu punit cet amour, Elle fut enlevée en te laissant au jour. Le nom d’Emmanuel que la terre te donne, C’est mon nom. J’ai prié pour que Dieu te pardonne ; Va seul au mont Arar, prends ses rocs pour autels, Prie, et seul, sans songer au destin des mortels, Tiens toujours tes regards plus hauts que sur la terre ; La mort de l’innocence est pour l’homme un mystère ; Ne t’en étonne pas, n’y porte pas tes yeux ; La pitié du mortel n’est point celle des cieux. Dieu ne fait point de pacte avec la race humaine ; Qui créa sans amour fera périr sans haine. Sois seul, si Dieu m’entend, je viens. » Il m’a quitté ; Avec combien de pleurs, hélas ! l’ai-je écouté ! J’ai monté sur l’Arar, mais avec une femme. » Sara lui dit : « Ton âme est semblable à mon âme, Car un mortel m’a dit : « Venez sur Gelboë, Je me nomme Japhet, et mon père est Noë. Devenez mon épouse, et vous serez sa fille ; Tout va périr demain, si ce n’est ma famille. » Et moi je l’ai quitté sans avoir répondu, De peur qu’Emmanuel n’eût longtemps attendu. » Puis tous deux embrassés, ils se dirent ensemble : « Ah ! louons l’éternel, il punit, mais rassemble ! » Le tonnerre grondait ; et tous deux à genoux S’écrièrent alors : « O Seigneur, jugez-nous ! » II Tous les vents mugissaient, les montagnes tremblèrent, Des fleuves arrêtés les vagues reculèrent, Et du sombre horizon dépassant la hauteur, Des vengeances de Dieu l’immense exécuteur, L’océan apparut. Bouillonnant et superbe, Entraînant les forêts comme le sable et l’herbe, De la plaine inondée envahissant le fond, Il se couche en vainqueur dans le désert profond, Apportant avec lui comme de grands trophées Les débris inconnus des villes étouffées, Et là bientôt plus calme en son accroissement, Semble, dans ses travaux, s’arrêter un moment, Et se plaire à mêler, à briser sur son onde Les membres arrachés au cadavre du Monde. Ce fut alors qu’on vit des hôtes inconnus Sur des bords étrangers tout à coup survenus ; Le cèdre jusqu’au nord vint écraser le saule ; Les ours noyés, flottants sur les glaçons du pôle, Heurtèrent l’éléphant près du Nil endormi, Et le monstre, que l’eau soulevait à demi, S’étonna d’écraser, dans sa lutte contre elle, Une vague où nageaient le tigre et la gazelle. En vain des larges flots repoussant les premiers, Sa trompe tournoyante arracha les palmiers ; Il fut roulé comme eux dans les plaines torrides, Regrettant ses roseaux et ses sables arides, Et de ses hauts bambous le lit flexible et vert, Et jusqu’au vent de flamme exilé du désert. Dans l’effroi général de toute créature, La plus féroce même oubliait sa nature ; Les animaux n’osaient ni ramper ni courir, Chacun d’eux résigné se coucha pour mourir. En vain fuyant aux cieux l’eau sur ses rocs venue, L’aigle tomba des airs, repoussé par la nue. Le péril confondit tous les êtres tremblants. L’homme seul se livrait à des projets sanglants. Quelques rares vaisseaux qui se faisaient la guerre, Se disputaient longtemps les restes de la terre : Mais, pendant leurs combats, les flots non ralentis Effaçaient à leurs yeux ces restes engloutis. Alors un ennemi plus terrible que l’onde Vint achever partout la défaite du monde ; La faim de tous les cœurs chassa les passions : Les malheureux, vivants après leurs nations, N’avaient qu’une pensée, effroyable torture, L’approche de la mort, la mort sans sépulture. On vit sur un esquif, de mers en mers jeté, L’oeil affamé du fort sur le faible arrêté ; Des femmes, à grands cris insultant la nature, Y réclamaient du sort leur humaine pâture ; L’athée, épouvanté de voir Dieu triomphant, Puisait un jour de vie aux veines d’un enfant ; Des derniers réprouvés telle fut l’agonie. L’amour survivait seul à la bonté bannie ; Ceux qu’unissaient entre eux des serments mutuels, Et que persécutait la haine des mortels, S’offraient ensemble à l’onde avec un front tranquille, Et contre leurs douleurs trouvaient un même asile. Mais sur le mont Arar, encor loin du trépas, Pour sauver ses enfants l’ange ne venait pas ; En vain le cherchaient-ils, les vents et les orages N’apportaient sur leurs fronts que de sombres nuages. Cependant sous les flots montés également Tout avait par degrés disparu lentement : Les cités n’étaient plus, rien ne vivait, et l’onde Ne donnait qu’un aspect à la face du monde. Seulement quelquefois sur l’élément profond Un palais englouti montrait l’or de son front ; Quelques dômes, pareils à de magiques îles, Restaient pour attester la splendeur de leurs villes. Là parurent encore un moment deux mortels : L’un la honte d’un trône, et l’autre des autels ; L’un se tenant au bras de sa propre statue, L’autre au temple élevé d’une idole abattue. Tous deux jusqu’à la mort s’accusèrent en vain De l’avoir attirée avec le flot divin. Plus loin, et contemplant la solitude humide, Mourait un autre roi, seul sur sa pyramide. Dans l’immense tombeau, s’était d’abord sauvé Tout son peuple ouvrier qui l’avait élevé : Mais la mer implacable, en fouillant dans les tombes, Avait tout arraché du fond des catacombes : Les mourants et leurs Dieux, les spectres immortels, Et la race embaumée, et le sphinx des autels, Et ce roi fut jeté sur les sombres momies Qui dans leurs lits flottants se heurtaient endormies. Expirant, il gémit de voir à son côté Passer ces demi-dieux sans immortalité, Dérobés à la mort, mais reconquis par elle Sous les palais profonds de leur tombe éternelle ; Il eut le temps encor de penser une fois Que nul ne saurait plus le nom de tant de rois, Qu’un seul jour désormais comprendrait leur histoire, Car la postérité mourait avec leur gloire. L’arche de Dieu passa comme un palais errant. Le voyant assiégé par les flots du courant, Le dernier des enfants de la famille élue Lui tendit en secret sa main irrésolue, Mais d’un dernier effort : « Va-t’en, lui cria-t-il, De ton lâche salut je refuse l’exil ; Va, sur quelques rochers qu’aura dédaignés l’onde, Construire tes cités sur le tombeau du monde ; Mon peuple mort est là, sous la mer je suis roi. Moins coupables que ceux qui descendront de toi, Pour étonner tes fils sous ces plaines humides, Mes géants glorieux laissent les pyramides ; Et sur le haut des monts leurs vastes ossements, De ces rivaux du ciel terribles monuments, Trouvés dans les débris de la terre inondée, Viendront humilier ta race dégradée. » Il disait, s’essayant par le geste et la voix A l’air impérieux des hommes qui sont rois, Quand, roulé sur la pierre et touché par la foudre, Sur sa tombe immobile, il fut réduit en poudre. Mais sur le mont Arar l’Ange ne venait pas ; L’eau faisait sur les rocs de gigantesques pas, Et ses flots rugissants vers le mont solitaire Apportaient avec eux tous les bruits du tonnerre. Enfin le fléau lent qui frappait les humains Couvrit le dernier point des œuvres de leurs mains ; Les montagnes, bientôt par l’onde escaladées, Cachèrent dans son sein leurs têtes inondées. Le volcan s’éteignit, et le feu périssant Voulut en vain y rendre un combat impuissant ; A l’élément vainqueur il céda le cratère, Et sortit en fumant des veines de la terre. III Rien ne se voyait plus, pas même des débris ; L’univers écrasé ne jetait plus ses cris. Quand la mer eut des monts chassé tous les nuages, On vit se disperser l’épaisseur des orages ; Et les rayons du jour, dévoilant leur trésor, Lançaient jusqu’à la mer des jets d’opale et d’or ; La vague était paisible, et molle et cadencée, En berceaux de cristal mollement balancée ; Les vents, sans résistance, étaient silencieux ; La foudre, sans échos, expirait dans les cieux ; Les cieux devenaient purs, et, réfléchis dans l’onde, Teignaient d’un azur clair l’immensité profonde. Tout s’était englouti sous les flots triomphants, Déplorable spectacle ! Excepté deux enfants. Sur le sommet d’Arar tous deux étaient encore, Mais par l’onde et les vents battus depuis l’aurore. Sous les lambeaux mouillés des tuniques de lin, La vierge était tombée aux bras de l’orphelin ; Et lui, gardant toujours sa tête évanouie, Mêlait ses pleurs sur elle aux gouttes de la pluie. Cependant, lorsqu’enfin le soleil renaissant Fit tomber un rayon sur son front innocent, Par la beauté du jour un moment abusée, Comme un lis abattu, secouant la rosée, Elle entr’ouvrit les yeux et dit : « Emmanuel ! Avons-nous obtenu la clémence du ciel ? J’aperçois dans l’azur la colombe qui passe, Elle porte un rameau ; Dieu nous a-t-il fait grâce ? — La colombe est passée et ne vient pas à nous. — Emmanuel, la mer a touché mes genoux. — Dieu nous attend ailleurs à l’abri des tempêtes. — Vois-tu l’eau sur nos pieds ? — Vois le ciel sur nos têtes. — Ton père ne vient pas ; nous serons donc punis ? — Sans doute après la mort nous serons réunis. — Venez, Ange du ciel, et prêtez-lui vos ailes ! — Recevez-la, mon père, aux voûtes éternelles ! » Ce fut le dernier cri du dernier des humains. Longtemps, sur l’eau croissante élevant ses deux mains, Il soutenait Sara par les flots poursuivie ; Mais, quand il eut perdu sa force avec la vie, Par le ciel et la mer le monde fut rempli, Et l’arc-en-ciel brilla, tout étant accompli. Écrit à Oloron, dans les Pyrénées, en 1823.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    Le trappiste C’était une des nuits qui des feux de l’Espagne Par des froids bienfaisants consolent la campagne : L’ombre était transparente, et le lac argenté Brillait à l’horizon sous un voile enchanté ; Une lune immobile éclairait les vallées, Où des citronniers verte serpentent les allées ; Des milliers de soleil, sans offenser les yeux, Tels qu’une poudre d’or, semaient l’azur des cieux, Et les monts inclinés, verdoyante ceinture Qu’en cercles inégaux enchaîna la nature, De leurs dômes en fleurs étalaient la beauté, Revêtus d’un manteau bleuâtre et velouté. Mais aucun n’égalait dans sa magnificence Le Mont Serrat, paré de toute sa puissance : Quand des nuages blancs sur son dos arrondi Roulaient leurs flots chassés par le vent du midi, Les brisant de son front, comme un nageur habile, Le géant semblait fuir sous ce rideau mobile ; Tantôt un piton noir, seul dans le firmament, Tel qu’un fantôme énorme, arrivait lentement ; Tantôt un bois riant, sur une roche agreste, S’éclairait, suspendu comme une île céleste. Puis enfin, des vapeurs délivrant ses contours, Comme une forteresse au milieu de ses tours, Sortait le pic immense : il semblait à ses plaines Des vents frais de la nuit partager les haleines ; Et l’orage indécis, murmurant à ses pieds, Pendait encor d’en haut sur les monts effrayés. En spectacles pompeux la nature est féconde ; Mais l’homme a des pensers bien plus grand, que le monde. Quelquefois tout un peuple endormi dans ses maux S’éveille, et, saisissant le glaive des hameaux, Maudissant la révolte impure et tortueuse, Elève tout à coup sa voix majestueuse : Il redemande à Dieu ses autels profanés, Il appelle à grands cris ses Rois emprisonnés ; Comme un tigre, il arrache, il emporte sa chaîne ; Il s’élève, il grandit, il s’étend comme un chêne, Et de ses mille bras il couvre en liberté Les sillons paternels du sol qui l’a porté. Ainsi, terre indocile, à ton Roi seul constante, Vendée, où la chaumière est encore une tente, Ainsi de ton Bocage aux détours meurtriers Sortirent en priant les paysans guerriers : Ainsi, se relevant, l’infatigable Espagne Fait sortir des héros du creux de la montagne. Sur des rochers, non loin de ces antres sacrés, Où Pélage appela les Goths désespérés, D’où sort toujours la gloire, et qui gardent encore, Hélas ! les os français mêlés à ceux du More, Au-dessus de la nue, au-dessus des torrents, Viennent de s’assembler les montagnards errants. La pourpre du réseau dont leur front s’environne Forme autour des cheveux une mâle couronne, Et la corde légère, avec des nœuds puissants, S’est tressée en sandale à leurs pieds bondissants. Le silence est profond dans la foule attentive ; Car la hache pesante, avec la flamme active, D’un chêne que cent ans n’ont pas su protéger Ont fait pour leur prière un autel passager. Là ce chef dont le nom sème au loin l’épouvante Dépose devant Dieu son oraison fervente ; Triomphateur sans pompe, il va d’une humble voix Chanter le TE DEUM sous le dôme des bois. Est-ce un guerrier farouche ? est-ce un pieux apôtre ? Sous la robe de l’un il a les traits de l’autre : Il est prêtre, et pourtant promptement irrité ; Il est soldat aussi, mais plein d’austérité ; Son front est triste et pâle, et son oeil intrépide : Son bras frappe et bénit, son langage est rapide, Il passe dans la foule et ne s’y mêle pas ; Un pain noir et grossier compose ses repas ; Il parle, on obéit ; on tremble s’il commande, Et nul sur son destin ne tente une demande. Le Trappiste est son nom : ce terrible inconnu, Sorti jadis du monde, au monde est revenu ; Car, soulevant l’oubli dont ces couvents funèbres A leurs moines muets imposent les ténèbres, Il reparut au jour, dans une main la Croix, Dans l’autre, secouant, au nom des anciens Rois, Ce fouet dont Jésus-Christ, de son bras pacifique, Du haut des longs degrés du Temple magnifique, Renversa les vendeurs qui souillaient le saint mur, Dans les débris épars de leur trafic impur. Soit que la main de Dieu le couvre ou se retire, Le condamne à la gloire ou l’élève au martyre, S’il vit, il reviendra sans plainte et sans orgueil, D’un bras sanglant encore achever son cercueil, Et reprendre, courbé, l’agriculture austère Dont il s’est trop longtemps reposé dans la guerre. Tel un mort, évoqué par de magiques voix, Envoyé du sépulcre, apparaît pour les Rois, Marche, prédit, menace, et retourne à sa tombe, Dont la pierre éternelle en gémissant retombe. Parmi les montagnards, ces robustes bergers, Aventuriers hardis, chasseurs aux pieds légers, Qui rangent sous sa loi leur troupe volontaire, Nul n’a voulu savoir ce qu’il a voulu taire. Dieu l’inspire et l’envoie, il le dit : c’est assez, Pourvu que leurs combats leur soient toujours laissés. Joyeux, ils voyaient donc, sanctifiant leur gloire, Ce prêtre offrir à Dieu leur première victoire. Pour lui, couvert de l’aube et de l’étole orné, Devant l’autel agreste il s’était retourné. Déjà, soldat du Christ, près d’entrer dans la lice, Il remplissait son cœur des baumes du calice : Mais des soupirs, des bruits s’élèvent ; un grand cri L’interrompt ; il s’étonne, et, lui-même attendri, Voit un jeune inconnu, dont la tête est sanglante, Traînant jusqu’à l’autel sa marche faible et lente, Montrant un fer brisé qui soutenait sa main, Qui défendit sa fuite et fraya son chemin. C’est un de ces guerriers dont la constante veille Fait qu’en ses palais d’or la Royauté sommeille. Il tombe; mais il parle, et sa tremblante voix S’efforce à ce discours entrecoupé trois fois : « Pour qui donc cet autel au milieu des ténèbres ? N’y chantez pas, ou bien dites des chants funèbres. Quel Espagnol ne sait les hymnes du trépas ? Les nouveaux noms des morts ne vous manqueront pas : J’apporte sur vos monts de sanglantes nouvelles. — Quoi ! le Roi n’est-il plus ? disaient les voix fidèles. — Pleurez ! — Il est donc mort ? — Pleurez, il est vivant ! » Et le jeune martyr, sur un bras se levant, Tel qu’un gladiateur dont la paupière errante Cherche le sol qui tourne et fuit sa main mourante : « Nos combats sont finis, dit-il, en un seul jour ; Nos taureaux ont quitté le cirque, et sans retour, Puisque le spectateur à qui s’offrait la lutte N’a pas daigné lui-même applaudir à leur chute. Pour vous, si vous savez les secrets du devoir, Partez, je vais mourir avant de les savoir. Mais si vous rencontrez, non loin de ces montagnes, Des soldats qui vont vite à travers les campagnes, Qui portent sous leurs bras des fusils renversés, Et passent en silence et leurs fronts abaissés, Ne es engagez pas à cesser leur retraite ; Ils vous refuseraient en secouant la tête : Car ils ont tous besoin, mon père, ainsi que moi, De retremper leur âme aux sources de la foi. Nul ne sait s’il succombe ou fidèle ou parjure, Et si le dévouement ne fut pas une injure. Vous, habitant sacré du mont silencieux, Instruit des saintes morts que préfèrent les Cieux, Jugez-nous et parlez… Vous savez quelle proie Le peuple osa vouloir dans sa féroce joie ? Vous le savez, un Roi ne porte pas des fers Sans que leur bruit s’entende au bout de l’univers. Nous qui pensions encore, avant l’heure où nous sommes, Qu’un serment prononcé devait lier les hommes, Partant avec le jour, qui se levait sur nous Brillant, mais dont le soir n’est pas venu pour tous, Au palais, dont le peuple envahissait les portes, En silence, à grands pas, marchaient nos trois cohortes : Quand le Balcon royal à nos yeux vint s’offrir, Nous l’avons salué, car nous venions mourir. Mais comme à notre voix il n’y paraît personne, Aux cris des révoltés, à leur tocsin qui sonne, A leur joie insultante, à leur nombre croissant, Nous croyons le Roi mort, parce qu’il est absent ; Et, gémissant alors sur de fausses alarmes, Accusant nos retards, nous répandions des larmes. Mais un bruit les arrête, et, passé dans nos rangs, Fait presque de leur mort repentir nos mourants. Nous n’osons plus frapper, de peur qu’un plomb fidèle N’aille blesser le Roi dans la foule rebelle. Déjà, le fer levé, s’avancent ses amis, Par nos bourreaux sanglants à nous tuer admis. Nous recevons leurs coups longtemps avant d’y croire, Et notre étonnement nous ôte la victoire. En retirant vers vous nos rangs irrésolus, Nous combattions toujours, mais nous ne pleurions plus. » Il se tut. Il régna, de montagne en montagne, Un bruit sourd qui semblait un soupir de l’Espagne. Le Trappiste incliné mit sa main sur ses yeux. On ne sait s’il pleura ; car, tranquille et pieux, Levant son front creusé par les rides antiques, Sa voix grave apaisa les bataillons rustiques : Comme au vent du midi la neige au loin se fond, La rumeur s’éteignit dans un calme profond. La lune alors plus belle écartait un nuage, Et du moine héroïque éclairait le visage ; Troublé sur ses sommets et dans sa profondeur, Le mont de tous ses bruits déployait la grandeur ; Aux mots entrecoupés du vainqueur catholique, Se mêlaient d’un torrent la voix mélancolique, Le froissement léger des mélèzes touffus, D’un combat éloigné les coups longs et confus, Et des loups affamés les hurlements funèbres, Et le cri des vautours volant dans les ténèbres : « Frères, il faut mourir : qu’importe le moment ? Et si de notre mort le fatal instrument Est cette main des Rois qui, jadis salutaire, Touchait pour les guérir les peuples de la terre ; Quand même, nous brisant sous notre propre effort, L’arche que nous portons nous donnerait la mort ; Quand même par nous seuls la couronne sauvée Ecraserait un jour ceux qui l’ont relevée, Seriez-vous étonnés, et vos fidèles bras Seraient-ils moins ardents à servir les ingrats ? Vous seriez-vous flattés qu’on trouvât sur la terre La palme réservée au martyr volontaire ? Hommes toujours déçus, j’en appelle à vous tous : Interrogez vos cœurs, voyez autour de vous ; Rappelez vos liens, vos premières années, Et d’un juste coup d’oeil sondez nos destinées. Amis, frères, amants, qui vous a donc appris Qu’un dévouement jamais dût recevoir son prix ? Beaucoup semaient le bien d’une main vigilante, Qui n’ont pu récolter qu’une moisson sanglante. Si la couche est trompeuse et le foyer pervers, Qu’avez-vous attendu des Rois de l’univers ? O faiblesse mortelle, ô misère des hommes ! Plaignons notre nature et le siècle où nous sommes ; Gémissons en secret sur les fronts couronnés ; Mais servons-les pour Dieu qui nous les a donnés. Notre cause est sacrée, et dans les cœurs subsiste. En vain les Rois s’en vont : la Royauté résiste, Son principe est en haut, en haut est son appui ; Car tout vient du Seigneur, et tout retourne à lui. Dieu seul est juste, enfants ; sans lui tout est mensonge, Sans lui le mourant dit : « La vertu n’est qu’un songe. » Nous allons le prier, et pour le Prince absent, Et pour tous les martyrs dont coule encor le sang, Je donne cette nuit à vos dernières larmes : Demain nous chercherons, à la pointe des armes, Pour le Roi la couronne, et des tombeaux pour nous. » AMEN ! dit l’assemblée en tombant à genoux. En 1822, à Courbevoie.

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    A

    Alix Lerman Enriquez

    @alixLermanEnriquez

    Fragile L’engoulevent se balance sur une feuille rouge. L’automne tremble encore sous la rigueur du ciel bleu froissé par la brise de novembre. L’oiseau entend les pleurs pétrifiés des fruits morts : Châtaignes mordues de soleil, physalis embrasés de couchant, marrons cabossés de silence, dans le chuchotis des insectes, le chuintement des toiles d’araignée qui se déchirent. L’oiseau s’élance au-dessus de la plaine, il plane d’un bonheur fugace et funeste, fonce sur sa proie : une rose sauvage dépareillée qui s’effrite alors comme poudre de soie, comme poussière d’étoile évaporée.

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    A

    Aliénor Samuel-Hervé

    @alienorSamuelHerve

    Germination Grain de sable ou de poussière, Au gré des vents, folles secousses, Mais jamais ne se courrouce, Grain de folie aventurière. Des raisins au mauvais temps, De la cafetière à la rizière, Sur le papier, dans la jardinière, Comme une graine, il devient grand. Et jusque dans le champ, Pas besoin de le planter, Le petit grain qui a poussé, S'est ressemé en s'envolant.

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    Alphonse Daudet

    Alphonse Daudet

    @alphonseDaudet

    Les prunes I Si vous voulez savoir comment Nous nous aimâmes pour des prunes, Je vous le dirai doucement, Si vous voulez savoir comment. L’amour vient toujours en dormant, Chez les bruns comme chez les brunes ; En quelques mots voici comment Nous nous aimâmes pour des prunes. II Mon oncle avait un grand verger Et moi j’avais une cousine ; Nous nous aimions sans y songer, Mon oncle avait un grand verger. Les oiseaux venaient y manger, Le printemps faisait leur cuisine ; Mon oncle avait un grand verger Et moi j’avais une cousine. III Un matin nous nous promenions Dans le verger, avec Mariette : Tout gentils, tout frais, tout mignons, Un matin nous nous promenions. Les cigales et les grillons Nous fredonnaient une ariette : Un matin nous nous promenions Dans le verger avec Mariette. IV De tous côtés, d’ici, de là, Les oiseaux chantaient dans les branches, En si bémol, en ut, en la, De tous côtés, d’ici, de là. Les prés en habit de gala Étaient pleins de fleurettes blanches. De tous côtés, d’ici, de là, Les oiseaux chantaient dans les branches. V Fraîche sous son petit bonnet, Belle à ravir, et point coquette, Ma cousine se démenait, Fraîche sous son petit bonnet. Elle sautait, allait, venait, Comme un volant sur la raquette : Fraîche sous son petit bonnet, Belle à ravir et point coquette. VI Arrivée au fond du verger, Ma cousine lorgne les prunes ; Et la gourmande en veut manger, Arrivée au fond du verger. L’arbre est bas ; sans se déranger Elle en fait tomber quelques-unes : Arrivée au fond du verger, Ma cousine lorgne les prunes. VII Elle en prend une, elle la mord, Et, me l’offrant : « Tiens !… » me dit-elle. Mon pauvre cœur battait bien fort ! Elle en prend une, elle la mord. Ses petites dents sur le bord Avaient fait des points de dentelle… Elle en prend une, elle la mord, Et, me l’offrant : « Tiens !… » me dit-elle. VIII Ce fut tout, mais ce fut assez ; Ce seul fruit disait bien des choses (Si j’avais su ce que je sais !…) Ce fut tout, mais ce fut assez. Je mordis, comme vous pensez, Sur la trace des lèvres roses : Ce fut tout, mais ce fut assez ; Ce seul fruit disait bien des choses. IX À MES LECTRICES. Oui, mesdames, voilà comment Nous nous aimâmes pour des prunes : N’allez pas l’entendre autrement ; Oui, mesdames, voilà comment. Si parmi vous, pourtant, d’aucunes Le comprenaient différemment, Ma foi, tant pis ! voilà comment Nous nous aimâmes pour des prunes.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    A la grande chartreuse Jéhova de la terre a consacré les cimes ; Elles sont de ses pas le divin marchepied, C’est là qu’environné de ses foudres sublimes Il vole, il descend, il s’assied. Sina, l’Olympe même, en conservent la trace ; L’Oreb, en tressaillant, s’inclina sous ses pas ; Thor entendit sa voix, Gelboé vit sa face; Golgotha pleura son trépas. Dieu que l’Hébron connait, Dieu que Cédar adore, Ta gloire à ces rochers jadis se dévoila; Sur le sommet des monts nous te cherchons encore; Seigneur, réponds-nous ! es-tu là ? Paisibles habitants de ces saintes retraites, Comme l’ont entendu les guides d’Israël, Dans le calme des nuits, des hauteurs où vous êtes N’entendez-vous donc rien du ciel ? Ne voyez-vous jamais les divines phalanges Sur vos dômes sacrés descendre et se pencher ? N’entendez-vous jamais des doux concerts des anges Retentir l’écho du rocher ? Quoi ! l’âme en vain regarde, aspire, implore, écoute ; Entre le ciel et nous, est-il un mur d’airain ? Vos yeux, toujours levés vers la céleste voûte, Vos yeux sont-ils levés en vain ? Pour s’élancer, Seigneur, où ta voix les appelle, Les astres de la nuit ont des chars de saphirs, Pour s’élever à toi, l’aigle au moins a son aile; Nous n’avons rien que nos soupirs ! Que la voix de tes saints s’élève et te désarme, La prière du juste est l’encens des mortels ; Et nous, pêcheurs, passons: nous n’avons qu’une larme A répandre sur tes autels.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    À une fleur séchée dans un album Il m’en souvient, c’était aux plages Où m’attire un ciel du midi, Ciel sans souillure et sans orages, Où j’aspirais sous les feuillages Les parfums d’un air attiédi. Une mer qu’aucun bord n’arrête S’étendait bleue à l’horizon ; L’oranger, cet arbre de fête, Neigeait par moments sur ma tête ; Des odeurs montaient du gazon. Tu croissais près d’une colonne D’un temple écrasé par le temps ; Tu lui faisais une couronne, Tu parais son tronc monotone Avec tes chapiteaux flottants ; Fleur qui décores la ruine Sans un regard pour t’admirer ! Je cueillis ta blanche étamine, Et j’emportai sur ma poitrine Tes parfums pour les respirer. Aujourd’hui, ciel, temple et rivage, Tout a disparu sans retour : Ton parfum est dans le nuage, Et je trouve, en tournant la page, La trace morte d’un beau jour ! 1827, Vingt-hutième méditation

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    Alphonse de Lamartine

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    @alphonseDeLamartine

    Cantique sur un rayon de soleil Je suis seul dans la prairie Assis au bord du ruisseau ; Déjà la feuille flétrie, Qu’un flot paresseux charrie, Jaunit l’écume de l’eau. La respiration douce Des bois au milieu du jour Donne une lente secousse A la vague, au brin de mousse, Au feuillage d’alentour. Seul et la cime bercée, Un jeune et haut peuplier Dresse sa flèche élancée, Comme une haute pensée Qui s’isole pour prier. Par instants, le vent qui semble Couler à flots modulés Donne à la feuille qui tremble Un doux frisson qui ressemble A des mots articulés. L’azur où sa cime nage A balayé son miroir, Sans que l’ombre d’un nuage Jette au ciel une autre image Que l’infini qu’il fait voir. Ruisselant de feuille en feuille, Un rayon répercuté, Parmi les lis que j’effeuille, Filtre, glisse, et se recueille Dans une île de clarté. Le rayon de feu scintille Sous cette arche de jasmin, Comme une lampe qui brille Aux doigts d’une jeune fille Et qui tremble dans sa main. Elle éclaire cette voûte, Rejaillit sur chaque fleur ; La branche sur l’eau l’égoutte ; L’aile d’insecte et la goutte En font flotter la lueur. A ce rayon d’or qui perce Le vert grillage du bord, La lumière se disperse En étincelle, et traverse Le cristal du flot qui dort. Sous la nuit qui les ombrage, On voit, en brillants réseaux, Jouer un flottant nuage De mouches au bleu corsage Qui patinent sur les eaux. Sur le bord qui se découpe, De rossignols frais éclos Un nid tapissé d’étoupe Se penche comme une coupe Qui voudrait puiser ses flots. La mère habile entre-croise Au fil qui les réunit Les ronces et la framboise, Et tend, comme un toit d’ardoise. Ses deux ailes sur son nid. Au bruit que fait mon haleine, L’onde ou le rameau pliant, Je vois son œil qui promène Sa noire prunelle pleine De son amour suppliant. Puis refermant, calme et douce, Ses yeux sous mes yeux amis, On voit à chaque secousse De ses petits sur leur mousse Battre les cœurs endormis. Ce coin de soleil condense L’infini de volupté. O charmante Providence ! Quelle douce confidence D’amour, de paix, de beauté ! Dans un moment de tendresse, Seigneur, on dirait qu’on sent Ta main douce qui caresse Ce vert gazon, qui redresse Son poil souple et frémissant ! Tout sur terre fait silence Quand tu viens la visiter ; L’ombre ne fuit ni n’avance : Mon cœur même qui s’élance Ne s’entend plus palpiter ! Ma pauvre âme, ensevelie Dans cette mortalité, Ouvre sa mélancolie, Et comme un lin la déplie Au soleil de ta bonté. S’enveloppant tout entière Dans les plis de ta splendeur, Comme l’ombre à la lumière Elle ruisselle en prière, Elle rayonne en ardeur ! Oh ! qui douterait encore D’une bonté dans les cieux, Devant un brin de l’aurore Qui s’égare et fait éclore Ces ravissements des yeux ? Est-il possible, ô nature ! Source dont Dieu tient la clé, Où boit toute créature, Lorsque la goutte est si pure, Que l’abîme soit troublé ? Toi qui dans la perle d’onde, Dans deux brins d’herbe plies, Peux renfermer tout un monde D’un bonheur qui surabonde Et déborde sur tes pieds, Avare de ces délices Qu’entrevoit ici le cœur ! Peux-tu des divins calices Nous prodiguer les prémices Et répandre la liqueur ? Dans cet infini d’espace. Dans cet infini de temps, A la splendeur de ta face, O mon Dieu ! n’est-il pas place Pour tous les cœurs palpitants ? Source d’éternelle vie, Foyer d’éternel amour, A l’âme à peine assouvie Faut-il que le ciel envie Son étincelle et son jour ? Non, ces courts moments d’extase Dont parfois nous débordons Sont un peu de miel du vase, Écume qui s’extravase De l’océan de tes dons ! Elles y nagent, j’espère, Dans les secrets de tes cieux, Ces chères âmes, ô Père, Dont nous gardons sur la terre Le regret délicieux ! Vous, pour qui mon œil se voile Des larmes de notre adieu, Sans doute dans quelque étoile Le même instant vous dévoile Quelque autre perle de Dieu ! Vous contemplez, assouvies, Des champs de sérénité, Ou vous écoutez, ravies, Murmurer la mer des vies Au lit de l’éternité ! Le même Dieu qui déploie Pour nous un coin du rideau Nous enveloppe et nous noie, Vous dans une mer de joie, Moi dans une goutte d’eau ! Pourtant mon âme est si pleine, O Dieu ! d’adoration, Que mon cœur la tient à peine, Et qu’il sent manquer l’haleine A sa respiration ! Par ce seul rayon de flamme, Tu m’attires tant vers toi, Que si la mort de mon âme Venait délier la trame, Rien ne changerait en moi ; Sinon qu’un cri de louange Plus haut et plus solennel, En voix du concert de l’ange Changerait ma voix de fange, Et deviendrait éternel ! Oh ! gloire à toi qui ruisselle De tes soleils à la fleur ! Si grand dans une parcelle ! Si brûlant dans l’étincelle ! Si plein dans un pauvre cœur !

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Eternité de la nature, brièveté de l’homme Roulez dans vos sentiers de flamme, Astres, rois de l’immensité ! Insultez, écrasez mon âme Par votre presque éternité ! Et vous, comètes vagabondes, Du divin océan des mondes Débordement prodigieux, Sortez des limites tracées, Et révélez d’autres pensées De celui qui pensa les cieux ! Triomphe, immortelle nature ! A qui la main pleine de jours Prête des forces sans mesure, Des temps qui renaissent toujours ! La mort retrempe ta puissance, Donne, ravis, rends l’existence A tout ce qui la puise en toi ; Insecte éclos de ton sourire, Je nais, je regarde et j’expire, Marche et ne pense plus à moi ! Vieil océan, dans tes rivages Flotte comme un ciel écumant, Plus orageux que les nuages, Plus lumineux qu’un firmament ! Pendant que les empires naissent, Grandissent, tombent, disparaissent Avec leurs générations, Dresse tes bouillonnantes crêtes, Bats ta rive! et dis aux tempêtes : Où sont les nids des nations ? Toi qui n’es pas lasse d’éclore Depuis la naissance des jours. Lève-toi, rayonnante aurore, Couche-toi, lève-toi toujours! Réfléchissez ses feux sublimes, Neiges éclatantes des cimes, Où le jour descend comme un roi ! Brillez, brillez pour me confondre, Vous qu’un rayon du jour peut fondre, Vous subsisterez plus que moi ! Et toi qui t’abaisse et t’élève Comme la poudre des chemins, Comme les vagues sûr la grève, Race innombrable des humains, Survis au temps qui me consume, Engloutis-moi dans ton écume, Je sens moi-même mon néant, Dans ton sein qu’est-ce qu’une vie ? Ce qu’est une goutte de pluie Dans les bassins de l’océan ! Vous mourez pour renaître encore, Vous fourmillez dans vos sillons ! Un souffle du soir à l’aurore Renouvelle vos tourbillons! Une existence évanouie Ne fait pas baisser d’une vie Le flot de l’être toujours plein; Il ne vous manque quand j’expire Pas plus qu’à l’homme qui respire Ne manque un souffle de son sein ! Vous allez balayer ma cendre ; L’homme ou l’insecte en renaîtra ! Mon nom brûlant de se répandre Dans le nom commun se perdra ; Il fut! voilà tout! bientôt même L’oubli couvre ce mot suprême, Un siècle ou deux l’auront vaincu ! Mais vous ne pouvez, à nature ! Effacer une créature ; Je meurs! qu’importe ? j’ai vécu ! Dieu m’a vu ! le regard de vie S’est abaissé sur mon néant, Votre existence rajeunie A des siècles, j’eus mon instant ! Mais dans la minute qui passe L’infini de temps et d’espace Dans mon regard s’est répété ! Et j’ai vu dans ce point de l’être La même image m’apparaître Que vous dans votre immensité ! Distances incommensurables, Abîmes des monts et des cieux, Vos mystères inépuisables Se sont révélés à mes yeux ! J’ai roulé dans mes voeux sublimes Plus de vagues que tes abîmes N’en roulent, à mer en courroux ! Et vous, soleils aux yeux de flamme, Le regard brûlant de mon âme S’est élevé plus haut que vous ! De l’être universel, unique, La splendeur dans mon ombre a lui, Et j’ai bourdonné mon cantique De joie et d’amour devant lui ! Et sa rayonnante pensée Dans la mienne s’est retracée, Et sa parole m’a connu ! Et j’ai monté devant sa face, Et la nature m’a dit : Passe : Ton sort est sublime, il t’a vu! Vivez donc vos jours sans mesure ! Terre et ciel! céleste flambeau ! Montagnes, mers, et toi, nature, Souris longtemps sur mon tombeau ! Effacé du livre de vie, Que le néant même m’oublie! J’admire et ne suis point jaloux ! Ma pensée a vécu d’avance Et meurt avec une espérance Plus impérissable que vous !

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    Alphonse de Lamartine

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    @alphonseDeLamartine

    Hymne au soleil Vous avez pris pitié de sa longue douleur ! Vous me rendez le jour, Dieu que l’amour implore ! Déjà mon front couvert d’une molle pâleur, Des teintes de la vie à ses yeux se colore ; Déjà dans tout mon être une douce chaleur Circule avec mon sang, remonte dans mon cœur Je renais pour aimer encore ! Mais la nature aussi se réveille en ce jour ! Au doux soleil de mai nous la voyons renaître ; Les oiseaux de Vénus autour de ma fenêtre Du plus chéri des mois proclament le retour ! Guidez mes premiers pas dans nos vertes campagnes ! Conduis-moi, chère Elvire, et soutiens ton amant : Je veux voir le soleil s’élever lentement, Précipiter son char du haut de nos montagnes, Jusqu’à l’heure où dans l’onde il ira s’engloutir, Et cédera les airs au nocturne zéphyr ! Viens ! Que crains-tu pour moi ? Le ciel est sans nuage ! Ce plus beau de nos jours passera sans orage ; Et c’est l’heure où déjà sur les gazons en fleurs Dorment près des troupeaux les paisibles pasteurs ! Dieu ! que les airs sont doux ! Que la lumière est pure ! Tu règnes en vainqueur sur toute la nature, Ô soleil ! et des cieux, où ton char est porté, Tu lui verses la vie et la fécondité ! Le jour où, séparant la nuit de la lumière, L’éternel te lança dans ta vaste carrière, L’univers tout entier te reconnut pour roi ! Et l’homme, en t’adorant, s’inclina devant toi ! De ce jour, poursuivant ta carrière enflammée, Tu décris sans repos ta route accoutumée ; L’éclat de tes rayons ne s’est point affaibli, Et sous la main des temps ton front n’a point pâli ! Quand la voix du matin vient réveiller l’aurore, L’Indien, prosterné, te bénit et t’adore ! Et moi, quand le midi de ses feux bienfaisants Ranime par degrés mes membres languissants, Il me semble qu’un Dieu, dans tes rayons de flamme, En échauffant mon sein, pénètre dans mon âme ! Et je sens de ses fers mon esprit détaché, Comme si du Très-Haut le bras m’avait touché ! Mais ton sublime auteur défend-il de le croire ? N’es-tu point, ô soleil ! un rayon de sa gloire ? Quand tu vas mesurant l’immensité des cieux, Ô soleil ! n’es-tu point un regard de ses yeux ? Ah ! si j’ai quelquefois, aux jours de l’infortune, Blasphémé du soleil la lumière importune ; Si j’ai maudit les dons que j’ai reçus de toi, Dieu, qui lis dans les cœurs, ô Dieu ! pardonne-moi ! Je n’avais pas goûté la volupté suprême De revoir la nature auprès de ce que j’aime, De sentir dans mon cœur, aux rayons d’un beau jour, Redescendre à la fois et la vie et l’amour ! Insensé ! j’ignorais tout le prix de la vie ! Mais ce jour me l’apprend, et je te glorifie !

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    Alphonse de Lamartine

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    L'automne Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure ! Feuillages jaunissants sur les gazons épars ! Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature Convient à la douleur et plaît à mes regards !

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    Le lac Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu'elle devait revoir, Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux.

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    Alphonse de Lamartine

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    Le vallon Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance, N’ira plus de ses vœux importuner le sort ; Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance, Un asile d’un jour pour attendre la mort. Voici l’étroit sentier de l’obscure vallée : Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais, Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée, Me couvrent tout entier de silence et de paix. Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure Tracent en serpentant les contours du vallon ; Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure, Et non loin de leur source ils se perdent sans nom. La source de mes jours comme eux s’est écoulée ; Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour : Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée N’aura pas réfléchi les clartés d’un beau jour. La fraîcheur de leurs lits, l’ombre qui les couronne, M’enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux ; Comme un enfant bercé par un chant monotone, Mon âme s’assoupit au murmure des eaux. Ah ! c’est là qu’entouré d’un rempart de verdure, D’un horizon borné qui suffit à mes yeux, J’aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature, À n’entendre que l’onde, à ne voir que les cieux. J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ; Je viens chercher vivant le calme du Léthé. Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l’on oublie : L’oubli seul désormais est ma félicité. Mon cœur est en repos, mon âme est en silence ; Le bruit lointain du monde expire en arrivant, Comme un son éloigné qu’affaiblit la distance, À l’oreille incertaine apporté par le vent. D’ici je vois la vie, à travers un nuage, S’évanouir pour moi dans l’ombre du passé ; L’amour seul est resté, comme une grande image Survit seule au réveil dans un songe effacé. Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile, Ainsi qu’un voyageur qui, le cœur plein d’espoir, S’assied, avant d’entrer, aux portes de la ville, Et respire un moment l’air embaumé du soir. Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ; L’homme par ce chemin ne repasse jamais ; Comme lui, respirons au bout de la carrière Ce calme avant-coureur de l’éternelle paix. Tes jours, sombres et courts comme les jours d’automne, Déclinent comme l’ombre au penchant des coteaux ; L’amitié te trahit, la pitié t’abandonne, Et, seule, tu descends le sentier des tombeaux. Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ; Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours : Quand tout change pour toi, la nature est la même, Et le même soleil se lève sur tes jours. De lumière et d’ombrage elle t’entoure encore : Détache ton amour des faux biens que tu perds ; Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore, Prête avec lui l’oreille aux célestes concerts. Suis le jour dans le ciel, suis l’ombre sur la terre ; Dans les plaines de l’air vole avec l’aquilon ; Avec les doux rayons de l’astre du mystère Glisse à travers les bois dans l’ombre du vallon. Dieu, pour le concevoir, a fait l’intelligence : Sous la nature enfin découvre son auteur ! Une voix à l’esprit parle dans son silence : Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ?

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    L’automne Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure ! Feuillages jaunissants sur les gazons épars ! Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature Convient à la douleur et plaît à mes regards ! Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire, J’aime à revoir encor, pour la dernière fois, Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois ! Oui, dans ces jours d’automne où la nature expire, A ses regards voilés, je trouve plus d’attraits, C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier sourire Des lèvres que la mort va fermer pour jamais ! Ainsi, prêt à quitter l’horizon de la vie, Pleurant de mes longs jours l’espoir évanoui, Je me retourne encore, et d’un regard d’envie Je contemple ses biens dont je n’ai pas joui ! Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ; L’air est si parfumé ! la lumière est si pure ! Aux regards d’un mourant le soleil est si beau ! Je voudrais maintenant vider jusqu’à la lie Ce calice mêlé de nectar et de fiel ! Au fond de cette coupe où je buvais la vie, Peut-être restait-il une goutte de miel ? Peut-être l’avenir me gardait-il encore Un retour de bonheur dont l’espoir est perdu ? Peut-être dans la foule, une âme que j’ignore Aurait compris mon âme, et m’aurait répondu ? … La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ; A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ; Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu’elle expire, S’exhale comme un son triste et mélodieux.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    L’isolement Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne, Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ; Je promène au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds. Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ; Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ; Là le lac immobile étend ses eaux dormantes Où l'étoile du soir se lève dans l'azur. Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres, Le crépuscule encor jette un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon. Cependant, s'élançant de la flèche gothique, Un son religieux se répand dans les airs : Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts. Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente N'éprouve devant eux ni charme ni transports ; Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante : Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    L’occident Et la mer s’apaisait, comme une urne écumante Qui s’abaisse au moment où le foyer pâlit, Et, retirant du bord sa vague encor fumante, Comme pour s’endormir rentrait dans son grand lit ; Et l’astre qui tombait de nuage en nuage Suspendait sur les flots son orbe sans rayon, Puis plongeait la moitié de sa sanglante image, Comme un navire en feu qui sombre à l’horizon ; Et la moitié du ciel pâlissait, et la brise Défaillait dans la voile, immobile et sans voix, Et les ombres couraient, et sous leur teinte grise Tout sur le ciel et l’eau s’effaçait à la fois ; Et dans mon âme aussi pâlissant à mesure, Tous les bruits d’ici-bas tombaient avec le jour, Et quelque chose en moi, comme dans la nature, Pleurait, priait, souffrait, bénissait tour à tour ! Et, vers l’occident seul, une porte éclatante Laissait voir la lumière à flots d’or ondoyer, Et la nue empourprée imitait une tente Qui voile sans l’éteindre un immense foyer ; Et les ombres, les vents, et les flots de l’abîme, Vers cette arche de feu tout paraissait courir, Comme si la nature et tout ce qui l’anime En perdant la lumière avait craint de mourir ! La poussière du soir y volait de la terre. L’écume à blancs flocons sur la vague y flottait ; Et mon regard long, triste, errant, involontaire, Les suivait, et de pleurs sans chagrin s’humectait. Et tout disparaissait ; et mon âme oppressée Restait vide et pareille à l’horizon couvert ; Et puis il s’élevait une seule pensée, Comme une pyramide au milieu du désert. 0 lumière ! où vas-tu ? Globe épuisé de flamme, Nuages, aquilons, vagues, où courez-vous ? Poussière, écume, nuit ; vous, mes yeux; toi, mon âme, Dites, si vous savez, où donc allons-nous tous ? A toi, grand Tout, dont l’astre est la pâle étincelle , En qui la nuit, le jour, l’esprit vont aboutir ! Flux et reflux divin de vie universelle, Vaste océan de l’Être où tout va s’engloutir !

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Éternite de la nature brièvete de l'homme Roulez dans vos sentiers de flamme, Astres, rois de l'immensité ! Insultez, écrasez mon âme Par votre presque éternité ! Et vous, comètes vagabondes, Du divin océan des mondes Débordement prodigieux, Sortez des limites tracées, Et révélez d'autres pensées De celui qui pensa les deux ! Triomphe, immortelle nature ! À qui la main pleine de jours Prête des forces sans mesure, Des temps qui renaissent toujours ! La mort retrempe ta puissance, Donne, ravis, rends l'existence À tout ce qui la puise en toi ; Insecte éclos de ton sourire, Je nais, je regarde et j'expire, Marche et ne pense plus à moi ! Vieil océan, dans tes rivages Flotte comme un ciel écumant, Plus orageux que les nuages, Plus lumineux qu'un firmament ! Pendant que les empires naissent, Grandissent, tombent, disparaissent Avec leurs générations, Dresse tes bouillonnantes crêtes, Bats ta rive ! et dis aux tempêtes : Où sont les nids des nations ? Toi qui n'es pas lasse d'éclore Depuis la naissance des jours, Lève-toi, rayonnante aurore, Couche-toi, lève-toi toujours ! Réfléchissez ses feux sublimes, Neiges éclatantes des cimes, Où le jour descend comme un roi ! Brillez, brillez pour me confondre, Vous qu'un rayon du jour peut fondre, Vous subsisterez plus que moi ! Et toi qui t'abaisse et t'élève Comme la poudre des chemins, Comme les vagues sur la grève, Race innombrable des humains, Survis au temps qui me consume, Engloutis-moi dans ton écume, Je sens moi-même mon néant ; Dans ton sein qu'est-ce qu'une vie ? Ce qu'est une goutte de pluie Dans les bassins de l'océan ! Vous mourez pour renaître encore, Vous fourmillez dans vos sillons ! Un souffle du soir à l'aurore Renouvelle vos tourbillons ! Une existence évanouie Ne fait pas baisser d'une vie Le flot de l'être toujours plein ; Il ne vous manque quand j'expire Pas plus qu'à l'homme qui respire Ne manque un souffle de son sein ! Vous allez balayer ma cendre ; L'homme ou l'insecte en renaîtra ! Mon nom brûlant de se répandre Dans le nom commun se perdra ; Il fut ! voilà tout ! bientôt même L'oubli couvre ce mot suprême, Un siècle ou deux l'auront vaincu ! Mais vous ne pouvez, ô nature ! Effacer une créature ; Je meurs ! qu'importe ? j'ai vécu ! Dieu m'a vu ! le regard de vie S'est abaissé sur mon néant, Votre existence rajeunie A des siècles, j'eus mon instant ! Mais dans la minute qui passe L'infini de temps et d'espace Dans mon regard s'est répété ! Et j'ai vu dans ce point de l'être La même image m'apparaître Que vous dans votre immensité ! Distances incommensurables, Abîmes des monts et des deux, Vos mystères inépuisables Se sont révélés à mes yeux ! J'ai roulé dans mes vœux sublimes Plus de vagues que tes abîmes N'en roulent, ô mer en courroux ! Et vous, soleils aux yeux de flamme, Le regard brûlant de mon âme S'est élevé plus haut que vous ! De l'être universel, unique, La splendeur dans mon ombre a lui, Et j'ai bourdonné mon cantique De joie et d'amour devant lui ! Et sa rayonnante pensée Dans la mienne s'est retracée, Et sa parole m'a connu ! Et j'ai monté devant sa face, Et la nature m'a dit : Passe : Ton sort est sublime, il t'a vu ! Vivez donc vos jours sans mesure ! Terre et ciel ! céleste flambeau ! Montagnes, mers, et toi, nature, Souris longtemps sur mon tombeau ! Effacé du livre de vie, Que le néant même m'oublie ! J'admire et ne suis point jaloux ! Ma pensée a vécu d'avance Et meurt avec une espérance Plus impérissable que vous !

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    Anatole France

    Anatole France

    @anatoleFrance

    Le chêne abandonné Dans la tiède forêt que baigne un jour vermeil, Le grand chêne noueux, le père de la race, Penche sur le coteau sa rugueuse cuirasse Et, solitaire aïeul, se réchauffe au soleil. Du fumier de ses fils étouffés sous son ombre, Robuste, il a nourri ses siècles florissants, Fait bouillonner la sève en ses membres puissants, Et respiré le ciel avec sa tête sombre. Mais ses plus fiers rameaux sont morts, squelettes noirs Sinistrement dressés sur sa couronne verte ; Et dans la profondeur de sa poitrine ouverte Les larves ont creusé de vastes entonnoirs. La sève du printemps vient irriter l'ulcère Que suinte la torpeur de ses âcres tissus. Tout un monde pullule en ses membres moussus, Et le fauve lichen de sa rouille l'enserre. Sans cesse un bois inerte et qui vécut en lui Se brise sur son corps et tombe. Un vent d'orage Peut finir de sa mort le séculaire ouvrage, Et peut-être qu'il doit s'écrouler aujourd'hui. Car déjà la chenille aux anneaux d'émeraude Déserte lentement son feuillage peu sûr ; D'insectes soulevant leurs élytres d'azur Tout un peuple inquiet sur son écorce rôde ;

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Épilogue Ma Muse pastorale aux regards des Français Osait ne point rougir d’habiter les forêts. Elle eût voulu montrer aux belles de nos villes La champêtre innocence et les plaisirs tranquilles ; Et, ramenant Palès des climats étrangers, Faire entendre à la Seine enfin de vrais bergers. Elle a vu, me suivant dans mes courses rustiques, Tous les lieux illustrés par des chants bucoliques. Ses pas de l’Arcadie ont visité les bois, Et ceux du Mincius, que Virgile autrefois Vit à ses doux accents incliner leur feuillage ; Et d’Hermus aux flots d’or l’harmonieux rivage, Où Bion, de Vénus répétant les douleurs, Du beau sang d’Adonis a fait naître des fleurs ; Vous, Aréthuse aussi, que de toute fontaine Théocrite et Moschus firent la souveraine ; Et les bords montueux de ce lac enchanté, Des vallons de Zurich pure divinité, Qui du sage Gessner à ses nymphes avides Murmure les chansons sous leurs antres humides. Elle s’est abreuvée à ces savantes eaux, Et partout sur leurs bords a coupé des roseaux. Puisse-t-elle en avoir pris sur les mêmes tiges Que ces chanteurs divins, dont les doctes prestiges Ont aux fleuves charmés fait oublier leurs cours, Aux troupeaux l’herbe tendre, au pasteur ses amours ! De ces roseaux liés par des noeuds de fougère Elle osait composer sa flûte bocagère, Et voulait, sous ses doigts exhalant de doux sons, Chanter Pomone et Pan, les ruisseaux, les moissons, Les vierges aux doux yeux, et les grottes muettes, Et de l’âge d’amour les ardeurs inquiètes.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Ô jours de mon printemps, jours couronnés de rose Ô jours de mon printemps, jours couronnés de rose, A votre fuite en vain un long regret s'oppose. Beaux jours, quoique, souvent obscurcis de mes pleurs, Vous dont j'ai su jouir même au sein des douleurs, Sur ma tête bientôt vos fleurs seront fanées ; Hélas ! bientôt le flux des rapides années Vous aura loin de moi fait voler sans retour. Oh ! si du moins alors je pouvais à mon tour ; Champêtre possesseur, dans mon humble chaumière Offrir à mes amis une ombre hospitalière ; Voir mes lares charmés, pour les bien recevoir, A de joyeux banquets la nuit les faire asseoir ; Et là nous souvenir, au milieu de nos fêtes, Combien chez eux longtemps, dans leurs belles retraites, Soit sur ces bords heureux, opulents avec choix, Où Montigny s'enfonce en ses antiques bois, Soit où la Marne lente, en un long cercle d'îles, Ombrage de bosquets l'herbe et les prés fertiles, J'ai su, pauvre et content, savourer à longs traits Les muses, les plaisirs, et l'étude et la paix. Qui ne sait être pauvre est né pour l'esclavage. Qu'il serve donc les grands, les flatte, les ménage ; Qu'il plie, en approchant de ces superbes fronts, Sa tête à la prière, et son âme aux affronts, Pour qu'il puisse, enrichi de ces affronts utiles, Enrichir à son tour quelques têtes serviles. De ses honteux trésors je ne suis point jaloux. Une pauvreté libre est un trésor si doux ! Il est si doux, si beau, de s'être fait soi-même, De devoir tout à soi, tout aux beaux-arts qu'on aime ; Vraie abeille en ses dons, en ses soins, en ses mœurs, D'avoir su se bâtir, des dépouilles des fleurs, Sa cellule de cire, industrieux asile Où l'on coule une vie innocente et facile ; De ne point vendre aux grands ses hymnes avilis ; De n'offrir qu'aux talents de vertus ennoblis, Et qu'à l'amitié douce et qu'aux douces faiblesses, D'un encens libre et pur les honnêtes caresses ! Ainsi l'on dort tranquille, et, dans son saint loisir, Devant son propre cœur on n'a point à rougir. Si le sort ennemi m'assiège et me désole, On pleure : mais bientôt la tristesse s'envole ; Et les arts, dans un cœur de leur amour rempli, Versent de tous les maux l'indifférent oubli. Les délices des arts ont nourri mon enfance. Tantôt, quand d'un ruisseau, suivi dès sa naissance, La nymphe aux pieds d'argent a sous de longs berceaux Fait serpenter ensemble et mes pas et ses eaux, Ma main donne au papier, sans travail, sans étude, Des vers fils de l'amour et de la solitude ; Tantôt de mon pinceau les timides essais Avec d'autres couleurs cherchent d'autres succès Ma toile avec Sappho s'attendrit et soupire ; Elle rit et s'égaye aux danses du satyre ; Ou l'aveugle Ossian y vient pleurer ses yeux, Et pense voir et voit ses antiques aïeux Qui dans l'air, appelés à ses hymnes sauvages, Arrêtent près de lui leurs palais de nuages. Beaux-arts, ô de la vie aimables enchanteurs, Des plus sombres ennuis riants consolateurs, Amis sûrs dans la peine et constantes maîtresses, Dont l'or n'achète point l'amour ni les caresses, Beaux-arts, dieux bienfaisants, vous que vos favoris Par un indigne usage ont tant de fois flétris, Je n'ai point partagé leur honte trop commune ; Sur le front des époux de l'aveugle Fortune Je n'ai point fait ramper vos lauriers trop jaloux : J'ai respecté les dons que j'ai reçus de vous. Je ne vais point, à prix de mensonges serviles, Vous marchander au loin des récompenses viles, Et partout, de mes vers ambitieux lecteur, Faire trouver charmant mon luth adulateur. Abel, mon jeune Abel, et Trudaine et son frère, Ces vieilles amitiés de l'enfance première, Quand tous quatre, muets, sous un maître inhumain, Jadis au châtiment nous présentions la main ; Et mon frère, et Le Brun, les Muses elles-mêmes De Pange, fugitif de ces neuf Sœurs qu'il aime : Voilà le cercle entier qui, le soir quelquefois, A des vers non sans peine obtenus de ma voix, Prête une oreille amie et cependant sévère. Puissé-je ainsi toujours dans cette troupe chère Me revoir, chaque fois que mes avides yeux Auront porté longtemps mes pas de lieux en lieux, Amant des nouveautés compagnes de voyage ; Courant partout, partout cherchant à mon passage Quelque ange aux yeux divins qui veuille me charmer, Qui m'écoute ou qui m'aime, ou qui se laisse aimer !

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    A

    André Lemoyne

    @andreLemoyne

    Fleurs d'Avril Le bouvreuil a sifflé dans l'aubépine blanche ; Les ramiers, deux à deux, ont au loin roucoulé, Et les petits muguets, qui sous bois ont perlé, Embaument les ravins où bleuit la pervenche. Sous les vieux hêtres verts, dans un frais demi-jour, Les heureux de vingt ans, les mains entrelacées, Echangent, tout rêveurs, des trésors de pensées Dans un mystérieux et long baiser d'amour. Les beaux enfants naïfs, trop ingénus encore Pour comprendre la vie et ses enchantements, Sont émus en plein cœur de chauds pressentiments, Comme aux rayons d'avril les fleurs avant d'éclore. Et l'homme ancien qui songe aux printemps d'autrefois, Oubliant pour un jour le nombre des années, Ecoute la voix d'or des heures fortunées Et va silencieux en pleurant sous les bois.

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    A

    André Lemoyne

    @andreLemoyne

    Marine À L. G. de Bellée. Au fond d'un lointain souvenir, Je revois, comme dans un rêve, Entre deux rocs, sur une grève, Une langue de mer bleuir. Ce pauvre coin de paysage Vu de très loin apparaît mieux, Et je n'ai qu'à fermer les yeux Pour éclairer la chère image. Dans mon cœur les rochers sont peints Tout verdis de criste marine, Et je m'imprègne de résine Sous le vent musical des pins. L'œillet sauvage, fleur du sable, Exhale son parfum poivré, Et je me sens comme enivré D'une ivresse indéfinissable. De longs groupes de saules verts, À l'éveil des brises salées, Mêlent aux dunes éboulées Leurs feuillages, blancs à l'envers. Je revois comme dans un rêve, Au fond d'un lointain souvenir, Une langue de mer bleuir Entre deux rocs, sur une grève.

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