En état de nature Dans la vallée de
Gogulcar les norias
Tournent à l'antique avec un bouvier et des bœufs.
Virgile tout attendri contemple ce tableau,
Sourit au temps qui dure et reprend son scooter...
Il vient de loin en loin voir un peu s'il y a
Du bonheur en campagne ou de l'aigreur chez ceux
Qui restent dans les champs à remuer de l'eau,
S'il y a des secrets à ranimer ou taire.
Est-ce un aveuglement que l'harmonie visible?
Les femmes en saris rouges qui ramassent des piments
Ont-elles de la beauté une approche paisible?
Les heures, le labeur, la fatigue, les lourdes charges
Répètent la même pièce où l'on ne sait qui ment
Dans la lumière poudrée d'un Âge d'Or en marge.
il y a 10 mois
Anna de Noailles
@annaDeNoailles
J'ai revu la nature... J'ai revu la
Nature en son commencement.
J'entends comme en naissant, comme en ouvrant l'oreille
Un bruit de branches, d'eau, de brises et d'abeilles
Passer avec un vague et frais étonnement.
On voit partout jaillir de la terre âpre et dure
La vapeur balancée et molle des verdures...
—
Nature, je connais votre piège éternel :
Forte par la beauté, humble par le silence,
Vous attendez qu'en nous sans cesse recommence
L'immense adhésion au but universel.
L'indiscernable
Amour tente un furtif appel...
Je suis là ; l'églantier enlace un banc de marbre
Qu'entoure la senteur fourmillante des buis.
Tout gonfle et se fendille avec un léger bruit
De résine au soleil ; le vent, au haut des arbres,
A les grands mouvements de l'inspiration.
Hélas ! cette salubre et chaste passion,
Ce grand nid des vivants qui croît et se prépare,
Sera-t-il donc toujours l'ennemi des humains ?
Parmi ce tourbillon de graines et d'essaims,
Nature, vous faut-il une âme qui s'égare,
Et qui mêle à votre acre et printanier levain
L'inutile désir d'un amour plus divin,
Que vous désabusez et que rien ne sépare ?...
il y a 10 mois
Anna de Noailles
@annaDeNoailles
L’offrande à la nature Nature au cœur profond sur qui les cieux reposent,
Nul n’aura comme moi si chaudement aimé
La lumière des jours et la douceur des choses,
L’eau luisante et la terre où la vie a germé.
La forêt, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains,
Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains.
J’ai porté vos soleils ainsi qu’une couronne
Sur mon front plein d’orgueil et de simplicité,
Mes jeux ont égalé les travaux de l’automne
Et j’ai pleuré d’amour aux bras de vos étés.
Je suis venue à vous sans peur et sans prudence
Vous donnant ma raison pour le bien et le mal,
Ayant pour toute joie et toute connaissance
Votre âme impétueuse aux ruses d’animal.
Comme une fleur ouverte où logent des abeilles
Ma vie a répandu des parfums et des chants,
Et mon cœur matineux est comme une corbeille
Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants.
Soumise ainsi que l’onde où l’arbre se reflète,
J’ai connu les désirs qui brûlent dans vos soirs
Et qui font naître au cœur des hommes et des bêtes
La belle impatience et le divin vouloir.
Je vous tiens toute vive entre mes bras, Nature.
Ah ! faut-il que mes yeux s’emplissent d’ombre un jour,
Et que j’aille au pays sans vent et sans verdure
Que ne visitent pas la lumière et l’amour…
il y a 10 mois
Anna de Noailles
@annaDeNoailles
Le verger Dans le jardin, sucré d’œillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu,
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates,
Chancellent, de rosée et de sève pourvus,
Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé ;
Mon cœur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.
L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;
La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos.
Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement ;
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement.
Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.
Et la maison, avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;
Mon cœur indifférent et doux aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.
Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,
Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.
Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma sœur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été ;
Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.
Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils,
Et que mon cœur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil…
il y a 10 mois
Anna de Noailles
@annaDeNoailles
Les parfums Mon coeur est un palais plein de parfums flottants
Qui s’endorment parfois aux plis de ma mémoire,
Et le brusque réveil de leurs bouquets latents
– Sachets glissés au coin de la profonde armoire –
Soulève le linceul de mes plaisirs défunts
Et délie en pleurant leurs tristes bandelettes…
Puissance exquise, dieux évocateurs, parfums,
Laissez fumer vers moi vos riches cassolettes !
Parfum des fleurs d’avril, senteur des fenaisons,
Odeur du premier feu dans les chambres humides,
Arômes épandus dans les vieilles maisons
Et pâmés au velours des tentures rigides ;
Apaisante saveur qui s’échappe du four,
Parfum qui s’alanguit aux sombres reliures,
Souvenir effacé de notre jeune amour
Qui s’éveille et soupire au goût des chevelures ;
Fumet du vin qui pousse au blasphème brutal,
Douceur du grain d’encens qui fait qu’on s’humilie,
Arome jubilant de l’azur matinal,
Parfums exaspérés de la terre amollie ;
Souffle des mers chargés de varech et de sel,
Tiède enveloppement de la grange bondée,
Torpeur claustrale éparse aux pages du missel,
Acre ferment du sol qui fume après l’ondée ;
Odeur des bois à l’aube et des chauds espaliers,
Enivrante fraîcheur qui coule des lessives,
Baumes vivifiants aux parfums familiers,
Vapeur du thé qui chante en montant aux solives !
– J’ai dans mon coeur un parc où s’égarent mes maux,
Des vases transparents où le lilas se fane,
Un scapulaire où dort le buis des saints rameaux,
Des flacons de poison et d’essence profane.
Des fruits trop tôt cueillis mûrissent lentement
En un coin retiré sur des nattes de paille,
Et l’arome subtil de leur avortement
Se dégage au travers d’une invisible entaille…
– Et mon fixe regard qui veille dans la nuit
Sait un caveau secret que la myrrhe parfume,
Où mon passé plaintif, pâlissant et réduit,
Est un amas de cendre encor chaude qui fume.
– Je vais buvant l’haleine et les fluidités
Des odorants frissons que le vent éparpille,
Et j’ai fait de mon coeur, aux pieds des voluptés,
Un vase d’Orient où brûle une pastille.
il y a 10 mois
Antoine-Vincent Arnault
@antoineVincentArnault
Au maître d'un jardin De ce chaume heureux possesseur,
De bon cœur, hélas ! que j'envie
Tes travaux, ta philosophie,
Ta solitude et ton bonheur !
Pour prix des soins que tu leur donnes,
Tes arbustes reconnaissants
Et des printemps et des automnes
Te prodiguent les doux présents.
Ô trop heureux qui peut connaître
La jouissance de cueillir
Le fruit que ses soins font mûrir,
La fleur que ses soins ont fait naître !
Toujours la terre envers nos bras
S'est acquittée avec usure.
Qui veut s'éloigner des ingrats
Se rapproche de la nature.
Ne craindre et ne désirer rien,
Etre aimé de l'objet qu'on aime,
C'est bien là le bonheur suprême ;
C'est le sort des dieux, c'est le tien.
Écrit en 1792.
il y a 10 mois
Antoine-Vincent Arnault
@antoineVincentArnault
La feuille De ta tige détachée,
Pauvre feuille desséchée,
Où vas-tu ? — Je n'en sais rien.
L'orage a frappé le chêne
Qui seul était mon soutien.
De son inconstante haleine,
Le zéphyr ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène.
Sans me plaindre ou m'effrayer,
Je vais où va toute chose,
Où va la feuille de rose
Et la feuille de laurier.
il y a 10 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Bannières de mai Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s’enchevêtrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange.
L’azur et l’onde communient.
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.
Qu’on patiente et qu’on s’ennuie
C’est trop simple. Fi de mes peines.
je veux que l’été dramatique
Me lie à son char de fortunes
Que par toi beaucoup, ô Nature,
– Ah moins seul et moins nul ! – je meure.
Au lieu que les Bergers, c’est drôle,
Meurent à peu près par le monde.
Je veux bien que les saisons m’usent.
A toi, Nature, je me rends ;
Et ma faim et toute ma soif.
Et, s’il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m’illusionne ;
C’est rire aux parents, qu’au soleil,
Mais moi je ne veux rire à rien ;
Et libre soit cette infortune.
il y a 10 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Entends comme brame Entends comme brame
près des acacias
en avril la rame
viride du pois !
Dans sa vapeur nette,
vers Phoebé ! tu vois
s’agiter la tête
de saints d’autrefois…
Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois…
Or ni fériale
ni astrale ! n’est
la brume qu’exhale
ce nocturne effet.
Néanmoins ils restent,
– Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blêmi, justement !
il y a 10 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
La rivière de Cassis La Rivière de Cassis roule ignorée
En des vaux étranges :
La voix de cent corbeaux l’accompagne, vraie
Et bonne voix d’anges :
Avec les grands mouvements des sapinaies
Quand plusieurs vents plongent.
Tout roule avec des mystères révoltants
De campagnes d’anciens temps ;
De donjons visités, de parcs importants :
C’est en ces bords qu’on entend
Les passions mortes des chevaliers errants :
Mais que salubre est le vent !
Que le piéton regarde à ces claires-voies :
Il ira plus courageux.
Soldats des forêts que le Seigneur envoie,
Chers corbeaux délicieux !
Faites fuir d’ici le paysan matois
Qui trinque d’un moignon vieux.
il y a 10 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Le dormeur du Val C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
il y a 10 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Le loup criait Le loup criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.
Les salades, les fruits
N’attendent que la cueillette ;
Mais l’araignée de la haie
Ne mange que des violettes.
Que je dorme ! que je bouille
Aux autels de Salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron.
il y a 10 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
L’eternité Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
Ame sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.
Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
il y a 10 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Ma bohème Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
il y a 10 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Patience Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent partout les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s’enchevêtrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange,
Azur et Onde communient.
Je sors ! Si un rayon me blesse,
Je succomberai sur la mousse.
Qu’on patiente et qu’on s’ennuie,
C’est si simple !… Fi de ces peines !
Je veux que l’été dramatique
Me lie à son char de fortune.
Que par toi beaucoup, ô Nature,
— Ah ! moins nul et moins seul ! je meure.
Au lieu que les bergers, c’est drôle,
Meurent à peu près par le monde.
Je veux bien que les saisons m’usent.
À toi, Nature ! je me rends,
Et ma faim et toute ma soif ;
Et, s’il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m’illusionne ;
C’est rire aux parents qu’au soleil ;
Mais moi je ne veux rire à rien,
Et libre soit cette infortune.
il y a 10 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Sensation Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Mars 1870
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
À l’île natale O terre des palmiers, pays d’Eléonore,
Qu’emplissent de leurs chants la mer et les oiseaux !
Île des bengalis, des brises, de l’aurore !
Lotus immaculé sortant du bleu des eaux !
Svelte et suave enfant de la forte nature,
Toi qui sur les contours de ta nudité pure,
Libre, laisses rouler au vent ta chevelure,
Vierge et belle aujourd’hui comme Eve à son réveil ;
Muse natale, muse au radieux sourire,
Toi qui dans tes beautés, jeune, m’appris à lire,
A toi mes chants ! à toi mes hymnes et ma lyre,
O terre où je naquis ! ô terre du soleil !
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
À un jeune poète créole S’il est une heure fortunée
Parmi nos heures d’ici-bas,
Une heure de paix couronnée,
Et de trêve à nos vains débats,
C’est l’heure, entre toutes bénie,
Où la strophe aux fraîches senteurs,
Pour nous, au vent de l’harmonie,
S’épanouit en vers chanteurs ;
C’est l’heure où quelque âme inconnue,
Sœur par l’accent et par le luth,
A notre muse inculte et nue
Adresse un fraternel salut ;
Où des mains que Dieu même inspire,
Nous consolant de tout affront,
Jettent des fleurs sur notre lyre,
Et des lauriers sur notre front.
O fleurs au poétique arôme,
Aumône d’accords et d’encens,
Dont l’haleine enivrante embaume
Les plus intimes de nos sens ;
Parfums sans prix, voix cadencée,
Lauriers aux rameaux toujours verts,
Strophe pieuse où la pensée
Parle encor plus haut que le vers ;
Offrande sainte du poète,
Dons vrais du cœur, chants ingénus,
Dans mon humble et pauvre retraite,
Soyez, soyez les bienvenus !
Et toi, toi qui me les envoies,
Ces dons cueillis sur les hauts lieux,
Toi qui fais sur mes sombres voies
Chanter ton vers mélodieux ;
Barde frère, dont le courage,
Réveillant mon luth endormi,
A traversé ma nuit d’orage
Pour m’apporter tes chants d’ami ;
Puisse le sort, pour moi sévère,
Clément et facile à tes vœux,
Dans ta course à travers la terre,
Vouloir les choses que tu veux !
As-tu dans ton cœur de jeune homme
Quelque beau rêve aux plis flottants,
Vierge que tout bas ta voix nomme,
Vierge qu’implorent tes vingt ans ?
Blonde et jeune de chevelure,
Vois-tu, dans l’ombre de tes nuits,
Une lumineuse figure
Sourire à tes chastes ennuis ?
Eh bien, qu’à l’heure où, lente et pâle,
La lune, oiseau mystérieux,
Ouvrant ses deux ailes d’opale,
Prend son vol à travers les cieux ;
L’onde au mélodieux ramage,
La brise aux murmures sacrés,
Bercent pour toi sa molle image
Sur un nuage aux flancs nacrés ;
Et que l’ange des doux mensonges
Fasse éclore, dans sa beauté,
Du blanc calice de tes songes,
Une blanche réalité !
Es-tu de ceux qu’un souffle enflamme,
Esprits épars dans l’univers,
Qui portent caché dans leur âme
Le mal de la muse et des vers ;
De ceux qu’une âpre soif altère,
Et qui, troublés jusqu’au tombeau,
S’en vont inquiets par la terre,
Malades de l’amour du beau ?
Eh bien, qu’une large harmonie,
Berçant le cours de tes pensers,
Pour en alléger ton génie,
Les roule à flots toujours pressés !
Qu’aux pieds ombreux des ravinales,
Dans quelque île aux flots caressants,
Ta vie aux brises virginales
S’exhale en lumineux accents !
Que de son onde au ciel puisée
L’aube, mouillant l’herbe des champs,
Roule ses perles de rosée
Sur la jeunesse de tes chants !
Que chaque jour, plus riche encore,
Éblouissante ascension,
Sur ton esprit, comme une aurore,
Se lève l’inspiration !
Qu’enfin sur ta route choisie,
Rencontrant un bonheur rêvé,
Tu trouves dans la poésie
Ce qu’hélas ! je n’ai point trouvé.
Bonheur ! éternelle chimère !
L’homme, jouet d’un sort railleur,
Ne quitte le sein de sa mère
Que pour apprendre la douleur.
Une expérience fatale,
L’abreuvant de déceptions,
Effeuille pétale à pétale
La fleur de ses illusions.
Combien d’amis de ma jeunesse
Ont déjà fui de mon chemin !
Leur main, que pressait ma tendresse,
Hélas ! ne presse plus ma main.
Comme de gais oiseaux qu’assemble
Un même nid dans les buissons,
Par les airs nous allions ensemble,
Unis d’amour et de chansons.
D’un même arbre branches jumelles,
Nous mêlions nos rameaux aimés ;
Mais la vie aux bises cruelles
De toutes parts nous a semés.
Les uns, troupe joyeuse et blonde,
Les plus rieurs de ma saison,
Sont partis pour un autre monde,
Avides d’un autre horizon.
Ceux-ci, vains oiseaux de passage,
Oubliant leurs jours de frimas,
Ont changé d’âme et de visage,
Hélas ! en changeant de climats.
Ceux-là, groupe stérile et louche,
Renégats au cœur sec et mort,
Unissent leur bouche à la bouche
Qui ment, qui calomnie et mord !
Et pourtant leur voix qui m’accuse
Devrait plutôt sur moi gémir !
Pourtant ce qu’a flétri la Muse,
Tout noble cœur doit le flétrir !
Nègres, mes frères ! peuple esclave !
J’ai vu votre joug détesté,
Et de mon sein, bouillante lave,
A jailli mon vers irrité !
Non ! votre mal n’est pas un thème
A moduler de vains concerts !
Ma lèvre a connu l’anathème,
Car ma main a pesé vos fers !
De ceux-la que votre souffrance
Avait émus en d’autres jours,
J’espérais… candide espérance !
A ma voix ils sont restés sourds !
Plongés dans un sommeil de pierre,
Lorsque vint l’heure des combats,
L’un a renié comme Pierre,
L’autre a trahi comme Judas.
Est-ce impuissance, orgueil, envie ?
Dieu le sait ! – mais mon cœur est las ;
Et sur les ronces de la vie
Je tombe, enfin ! je saigne, hélas !
Ainsi partout deuil et tristesse !
L’homme, d’espoir découronné,
Au mont désert de la vieillesse,
Marche des siens abandonné.
Étouffons donc notre délire,
Et laissons nos pleurs seuls parler !
Il est des douleurs que la lyre
Est impuissante à consoler !
Mais pourquoi d’un triste nuage
Assombrir l’azur de ton ciel ?
Pourquoi, dégoûté du breuvage,
Mêler mon absinthe à ton miel ?
Sauve du doute qui m’assiège
Ton avril au rêve enchanté ;
Lys, garde ta robe de neige !
Cygne, ton plumage argenté !
De ta foi n’éteins pas les flammes ;
Aime et chante au milieu des pleurs :
Le chant est le parfum des âmes !
L’amour est le parfum des cœurs !
Il est vrai, nos tiges sont nées
Dans les gazons d’un sol pareil ;
Mais, ami ! sur nos destinées
Ne luit pas un même soleil.
Un même rocher vert de mousse
De son onde allaita nos jours ;
Mais ton eau chante, heureuse et douce,
La mienne gémit dans son cours.
Sur des mers où l’aube étincelle,
Ta muse aux fraîches visions
Monte une odorante nacelle
Où rament les illusions ;
La mienne au choc des vents contraires
Soutient la lutte du devoir,
Car ma nef d’un peuple de frères
Porte la fortune et l’espoir.
Toi, tu vois sur de blanches grèves
Des bords aimés poindre et fleurir ;
Moi, je vois, par delà mes rêves,
Nos libertés à conquérir !
Donc sur leurs routes opposées
Laissons voguer nos deux esquifs :
A toi les ondes apaisées !
A moi la vague aux noirs récifs !
Mais si jamais, pour les tempêtes
Désertant de paisibles bords,
Tu voulais, rêvant nos conquêtes,
Dans mes eaux risquer tes sabords ;
Si, bravant les fureurs sauvages
Du présent contre l’avenir,
Pour tenter les mêmes rivages,
Tes mâts aux miens voulaient s’unir ;
Fendant la vague échevelée
Qui me roule dans ses brouillards,
Viens avec moi, dans la mêlée,
Affronter les mêmes hasards ;
Et dans nos barques fraternelles,
Sous l’œil de Dieu, couple indompté,
Nageons de la rame et des ailes
Vers les mers de la Liberté !
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Chanson de juin La rose fraîche et vermeille
Ouvre son cœur à l’abeille ;
La blonde fille du ciel
Buvant son âme odorante,
Sur la fleur s’endort mourante,
Ivre d’arôme et de miel.
Cette rose, c’est ta bouche.
Oh ! bienheureuse la mouche
Pour qui la fleur doit s’ouvrir !
Qui du miel dont tu me sèvres,
Un jour, pourra sur tes lèvres
Boire l’ivresse et mourir !
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Coucher de soleil sous l’équateur C’était sous l’équateur. Dans la vague apaisé
Le char des jours plongeait ses flamboyants essieux,
Et la nuit, s’avançant sur la voie embrasée,
D’ombre et de paix sereine enveloppait les cieux.
Les étoiles s’ouvraient sous un souffle invisible,
Et brillaient, fleurs de feu, dans un ciel étouffant.
L’Océan, dans son lit tiède, immense, paisible,
S’endormait fort et doux et beau comme un enfant.
Mais, tel qu’un fol esprit aux ailes vagabondes,
Rasant des flots émus le frissonnant azur,
Le vent des soirs courait sur les nappes profondes
Et, par instants, ridait leur sein tranquille et pur.
Et je suivais des yeux cette haleine indécise
Se jouant sur l’abîme où dort l’âpre ouragan ;
Et j’ai dit : « Dieu permet à la plus faible brise
De rider ton front calme, ô terrible Océan !
« Puissant et vaste, il faut la foudre et la tempête
Pour soulever ton sein, pour courroucer tes flots ;
Et le moindre vent peut, de son aile inquiète,
Importuner ton onde et troubler ton repos.
« Des passions, poète, il faut aussi l’orage
Pour soulever ta muse et ton verbe irrité ;
Un souffle peut aussi, dans la paix qui t’ombrage,
Troubler ta quiétude et ta sérénité.
« Toute vague a son pli, tout bonheur a sa ride.
Où trouver le repos, l’oubli, l’apaisement ?
Pour cette fleur sans prix notre cœur est aride !
L’inaltérable paix est en Dieu seulement.
« Pour moi, je n’irai point demander à la terre
Un bonheur qui nous trompe ou qui nous dit adieu ;
Mais toujours je mettrai, poète au rêve austère,
Mon amour dans la Muse et mon espoir en Dieu ! »
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
La cascade Sainte-Suzanne C’était un lieu paisible où j’aimais à venir.
La fraîche vision hante mon souvenir.
Enclos de trois côtés par de hautes collines,
Le val s’ouvre au couchant et descend vers la mer.
Une cascade, au fond, de ses eaux cristallines
Baigne les rochers noirs, éparpillant dans l’air
Sa poussière d’écume en blanches mousselines.
Au pied des rocs abrupts, dans sa chute sans fin,
L’eau tombe et s’élargit en un vaste bassin,
Où s’alimente et dort la rêveuse rivière
Sainte-Suzanne, aux grands berceaux de cocotiers.
Le soleil au zénith y darde sa lumière ;
Mais, dans l’après-midi, les monts aux pics altiers
Y versent les fraîcheurs d’une ombre hospitalière.
Des hauts bambous du bord quittant l’épais rideau,
Sur la nappe d’azur nagent les poules d’eau ;
Et, les frôlant du vol, la véloce hirondelle
Autour des bleus nageurs s’ébat aux jeux de l’aile.
Sur les marges de l’onde errent en liberté
Quelques bœufs indolents, et sur la rive herbeuse
Promènent au hasard leur nonchalance heureuse.
Plus loin un taureau blanc et de brun moucheté,
Dans la brousse couché, humant la brise agreste,
Les yeux à demi clos, rumine et fait la sieste.
Là-haut, entre les rocs rudement étagés,
Hérissés de cactus, de lianes chargés,
D’un pied nerveux et sûr que nul gouffre n’arrête,
Grimpe la chèvre alerte aux bonds capricieux.
Tout à coup on la voit qui, debout sur la crête
D’où tombe la cascade à flots vertigineux,
Profile sur le ciel sa noire silhouette.
Sur la rive opposée, à gauche du ravin,
L’eau du tranquille étang court sur le sable fin
Que borde un frais talus d’herbe tendre et de mousses.
Ici, les flancs du mont ont des rampes plus douces,
Et les arbres à fruit au soleil exposés
Épandent leurs berceaux sur les versants boisés :
Dans l’obscure épaisseur de ses fortes ramures
Le tronc noir du manguier montre ses grappes mûres ;
Le goyavier aux fleurs blanches, aux fruits dorés,
La souple grenadille aux pétales pourprés,
L’atte et le bibacier, pittoresque assemblage,
Dans un même parfum confondent leur feuillage.
L’oiseau bleu de la Vierge aux instincts familiers,
L’inoffensif oiseau des monts hospitaliers
Se plaît dans cette ombreuse et tiède solitude :
Furtif, il guette et suit les pas du voyageur
Qui vient sur ces plateaux, indolent et songeur,
Respirer des hauts lieux la vaste quiétude.
Des pentes du ravin, des monts, des bois épais,
De toute part descend une ineffable paix,
Le charme enveloppant d’un lumineux silence,
De ce silence fait de bruits d’ailes et d’eaux
Passant dans l’air, montant des joncs et des roseaux,
Et des bambous lustrés qu’un vent léger balance.
O calme des sommets, calme du firmament,
Qui dans les cœurs troublés versez l’apaisement,
Calme des bois profonds où de la tourterelle
Le roucoulement vague au chant des eaux se mêle ;
O ravine, ô cascade, ô murmure berceur,
Des fleurs et du feuillage, ambiante douceur ;
O repos émanant des choses, chaste ivresse
Que connût autrefois ma pensive jeunesse
Quand, promenant mon rêve en ces rochers déserts,
J’écoutais dans mon cœur chanter l’esprit des vers ;
Solitude sereine et digne de la Muse,
Faite de brise et d’ombre et de lueur diffuse ;
Flottantes visions de mon pays lointain,
Beaux lieux, ô lieux si doux à mon heureux matin,
Vallon, étang placide aimé de l’hirondelle,
Qu’évoque avec amour le souvenir fidèle,
Bercez dans mon esprit que la vie a blessé
Les troubles du présent des calmes du passé !
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Le bengali et le rossignol Il était né dans la rizière
Qui borde l’étang de Saint-Paul.
Heureux, il vivait de lumière,
De chant libre et de libre vol.
Poète ailé de la savane,
Du jour épiant les lueurs,
Il disait l’aube diaphane,
Bercé sur la fataque en fleurs.
Il hantait les gérofleries
Aux belles grappes de corail
Et, parmi les touffes fleuries,
Lustrait au soleil son poitrail.
Il allait plongeant son bec rose,
Au gré de son caprice errant,
Dans le fruit blond de la jam-rose,
Dans l’onde fraîche du torrent.
A midi, sous l’asile agreste
Du ravin au vent tiède et doux,
Ivre d’aise, il faisait la sieste
Au bruit de l’eau sous les bambous.
Puis dans quelque source discrète,
Bleu bassin sous l’ombrage épars,
Baignant sa gorge violette,
Il courait sur les nénuphars.
Quand l’astre au bord de mers s’incline,
Empourprant l’horizon vermeil,
Il descendait de la colline
Pour voir se coucher le soleil ;
Et sur le palmier de la grève,
Et devant l’orbe radieux,
Au vent du large qui se lève,
Du jour il chantait les adieux ;
Et la nuit magnifique et douce
D’étoiles remplissant l’éther,
Il regagnait son lit de mousse
Sous les touffes du vétiver.
C’est là que l’oiseleur cupide,
Le guettant dans l’obscurité,
Ferma sur lui sa main rapide
Et lui ravit la liberté.
Dès lors il subit l’esclavage.
Un marin, chez nous étranger,
L’emmena de son doux rivage
Sur mer avec lui voyager.
C’est ainsi qu’il connut la France.
Quand il y vint, le jeune Été,
Vêtu d’azur et d’espérance,
Resplendissait dans sa beauté.
Partout, sur les monts, dans la plaine,
Brillait un ciel oriental :
L’exilé de l’île africaine
Se crut sous un climat natal.
Mais vint l’automne aux froides brumes,
La neige au loin blanchissant l’air ;
Il sentit courir sous ses plumes
Les âpres frissons de l’hiver.
Rêvant à l’île maternelle
Aux nuits tièdes comme les jours,
Il mit sa tête sous son aile,
Et s’endormit, et pour toujours !
C’était un enfant des rizières,
Des champs de canne et de maïs :
En proie aux bises meurtrières,
Il mourut plein de son pays.
LE ROSSIGNOL
Il est né, lui, sous un chêne,
Dans un buisson de frais lilas :
Le bruit de la source prochaine,
Le souffle embaumé de la plaine
Ont bercé ses premiers ébats.
La nature à son brun corsage
Refusa les riches couleurs ;
Modeste et fauve est son plumage ;
Mais il est roi par son ramage,
Roi du peuple ailé des chanteurs.
Du printemps c’est lui le poète.
L’hiver a-t-il fini son cours,
Heureux de vivre et l’âme en fête,
A la forêt longtemps muette
Il dit le réveil des beaux jours.
Ce n’est pas l’ardente lumière
Qu’il veut sous des cieux azurés,
Mais cette clarté printanière
Que verse en mai sur la clairière
L’aube rose ou les soirs dorés.
Ce n’est pas le torrent sauvage
Qui parle à son instinct chanteur,
Mais le ruisseau qui sous l’ombrage
Mêle au murmure du feuillage
Son onde au rythme inspirateur.
Quand le muguet de ses clochettes
Blanchit l’herbe sous les grands bois,
Caché dans les branches discrètes,
Il remplit leurs vertes retraites
Des éclats vibrants de sa voix.
Quand de l’azur crépusculaire
Le soir, à pas silencieux,
Descend et couvre au loin la terre,
Il chante l’ombre et son mystère,
Il chante la beauté des cieux !
Quand d’astres d’or l’air s’illumine,
Beaux lys au ciel épanouis,
Allant du chêne à l’aubépine,
Il charme de sa voix divine
Le silence étoilé des nuits.
Telle il vivait sa vie heureuse,
Oublieux des jours inconstants ;
Et son âme mélodieuse
Versait l’ivresse radieuse
Qui déborde en elle au printemps.
Printemps et bonheur, rien ne dure.
O loi fatale ! après l’été,
L’hiver à la bise âpre et dure ;
Une cage au lieu de verdure !
Des fers au lieu de liberté !
Un fils de mon île bénie,
Poète errant, esprit pensif,
Voyant la muette agonie
De ce grand maître en harmonie,
Eut pitié du chanteur captif.
Il l’emmena sur nos rivages,
Dans l’île aux monts bleus, au beau ciel,
Rêvant pour lui, sur d’autres plages,
De libres chants sous des feuillages
Que baigne un soleil éternel.
Peut-être voulait-il encore
Doter nos monts, doter nos bois,
Nos soirs de lune et notre aurore,
De ce barde au gosier sonore
Et des merveilles de sa voix.
Quand cet enfant du Nord prit terre
Chez nous, par la vague apporté,
Sur notre rive hospitalière,
Avec sa voix et la lumière
Il retrouva la liberté.
Ouvrant son aile délivrée
Et fendant l’air, le prisonnier,
L’œil ébloui, l’âme enivrée,
Vint cacher sa fuite égarée
Dans les branches d’un citronnier ;
Du citronnier de la ravine,
Où la Source aux rochers boisés
Étend sa nappe cristalline :
Frais Éden fait de paix divine,
D’ombre et de rayons tamisés.
Autour de lui tout est silence,
Onde et fraîcheur, brise et clarté :
Ravi, soudain au ciel il lance,
Avec son chant de délivrance,
Son hymne à l’hospitalité.
Il dit la molle quiétude
Des bois, l’air suave et léger,
Et l’astre dans sa plénitude,
Et cette ombreuse solitude,
Si douce aux yeux de l’étranger.
Il chante les eaux diaphanes
Où le ciel aime à se mirer ;
Il chante… et l’oiseau des savanes
Se tait, blotti dans les lianes,
Pour mieux l’entendre et l’admirer.
Hélas ! sous ce climat de flamme,
Éperdu, d’accord en accord
De sa fièvre épuisant la gamme,
Dans sa voix exhalant son âme,
Parmi les fleurs il tomba mort !
Il était né sous le grand chêne,
Dans un buisson de frais lilas.
Le flot des jours au loin l’entraîne.
La mort, dans une île africaine,
Noir vautour, l’attendait, hélas !
Près de la Source aux blocs de lave
Repose en paix, roi des chanteurs !
Dans ce lieu sauvage et suave,
Toi qui ne sus pas être esclave,
Repose libre au sein des fleurs !
Instinct natal ! ô loi première !
Que cher à tout être à l’endroit
Où s’ouvrit au jour sa paupière !
Le rossignol meurt de lumière,
Le bengali mouru
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Le cap bernard A …
Jetons des fleurs sur nos amitiés mortes.
Si nos barques jamais, par la vague entraînées,
Devaient sur d’autres mers ensemble dériver ;
Dans cette île lointaine où nos âmes sont nées,
Si nous devions jamais, ami, nous retrouver ;
Emportons, emportons nos dieux et notre culte !
Ne changeons point d’amour en changeant d’horizon.
N’imitons point ceux-là dont la vieillesse insulte
Le rêve qu’adora leur première saison.
N’oublions point nos dieux sur les plages natales,
Sur les autels de l’Art veillons jusqu’au tombeau !
Comme ce feu sacré que gardaient les Vestales,
Gardons vivant en nous l’amour sacré du beau.
Amants de l’Idéal, à l’Idéal fidèles,
L’un sur l’autre appuyés, montons notre chemin !
Vers le mont trois fois saint des Muses immortelles
Gravissons côte à côte et la main dans la main.
N’écoutons point ce monde aux intérêts sordides :
En nous sont des ardeurs qui ne sont point en lui.
L’Art seul est vrai ! l’Art seul et ses songes splendides
Peuvent de notre cœur tromper l’ardent ennui !
Puisque le sort qui tient nos ailes enchaînées
Nous refusa ces biens qui font la liberté,
Au travail demandant le pain de nos journées,
Luttons, résignés fiers, contre l’adversité.
Luttons ! mais, quand viendra la nuit aux molles trêves,
La nuit libératrice et douce aux bras lassés,
Affranchis d’un long jour, vers le ciel de nos rêves,
Heureux amis, tournons le vol de nos pensers.
Quittons l’homme et la ville aux passions mauvaises,
Allons baigner nos fronts dans l’air calmant du soir ;
Comme l’oiseau pêcheur, hôte ailé des falaises,
Montons sur quelque cap ensemble nous asseoir.
O cap Bernard ! géant dressant sur le rivage
Tes mornes flancs voilés de mornes filaos,
Solitaire falaise, où la vague sauvage
Vient battre et prolonger ses éternels sanglots !
Cime à mes pas connue, austère solitude,
D’où l’œil monte ébloui dans l’infini des airs,
O cap ! sur tes flancs noirs, loin de la multitude,
Nous viendrons chaque nuit rêver au bruit des mers.
Le soleil est couché : les placides montagnes
Plongent leur front sublime au fond des vastes cieux ;
La paix vague des soirs plane sur les campagnes ;
Les astres dans l’azur ouvrent leurs chastes yeux.
Des mornes et des bois lointains et des ravines,
Et de la gorge ombreuse où dorment les oiseaux,
S’élèvent jusqu’à nous des haleines divines
Que la brise des nuits porte au loin sur les eaux.
Là-haut, dans leur splendeur, les étoiles sereines
Versent sur l’Océan leurs paisibles clartés ;
Là-bas, les lourds vaisseaux aux puissantes carènes
Se meuvent lentement sur les flots argentés.
Et nous, sur le grand cap miné par les tempêtes,
Aspirant enivrés le charme des hauts lieux,
Muets, nous contemplons sous nos pieds, sur nos têtes,
L’immensité des mers, l’immensité des cieux !
O blancheurs de nos nuits ! o tiédeurs de nos grèves !
Des monts, des bois, des eaux souffles inspirateurs !
Éblouis, nous sentons les vagues de nos rêves
Se lever, à leur tour, et chanter dans nos cœurs.
Et nous mêlons nos voix aux voix calmes et graves
Qui montent de la terre et descendent du ciel ;
Et moi, j’évoque, ami, sur vos lèvres suaves
La strophe au flot limpide et doux comme le miel.
Oh ! vous tenez du ciel un ample et beau génie.
Pour en doter vos vers vous avez emprunté
A l’Océan sa mâle et puissante harmonie,
Aux monts leur grande ligne et leur placidité.
Si la Muse, pour vous, poète au rythme antique,
Fut prodigue, au berceau, de ses dons maternels,
Moi, le ciel m’a doué d’une âme sympathique
Qui pour votre âme aura des échos fraternels.
Épanchez donc en moi vos espoirs et vos songes,
Cet idéal cherché dont mon cœur est épris.
Ensemble abreuvons-nous de célestes mensonges ;
Dans l’absolu divin confondons nos esprits !
Parlons des hauts objets de notre haute ivresse,
Des vieux maîtres de l’art, — Dante, Homère, Milton ! –
Parlons-en, comme, un soir, deux enfants de la Grèce
En auraient su parler sous le ciel de Platon.
Soulevons ces grands noms, ces gloires pacifiques,
Guides chanteurs portant la lyre pour flambeau,
Harmonieux songeurs aux lèvres séraphiques,
Qui menaient l’homme à Dieu par les chemins du beau.
Parlons de tous ces rois de la pensée humaine,
Premiers-nés de la Muse, augustes éprouvés,
Qui de l’Art ont pour l’homme agrandi le domaine,
Et que l’homme a partout de larmes abreuvés.
Et devant ces grands cœurs, ces souffrances sublimes,
Devant ces flots, ces monts, ces déserts étoilés,
De la vie oubliant les misères infimes,
Nous bénirons nos jours que l’Art a consolés.
Nous bénirons Celui qui nous a fait une âme
Pour t’aimer, ô nature ! et sentir ta beauté ;
Qui dans nos yeux a mis la poétique flamme,
Et sur nos fronts le sceau de l’idéalité.
Nous bénirons Celui qui fit ces globes chastes,
Mondes flottants qu’un jour nous irons habiter ;
Qui fit les vastes cieux et les horizons vastes
Pour le traduire à nous, — et nous, pour le chanter.
Et nous le chanterons, lui, le Maître paisible,
Qui nous sourit là-haut dans ces radieux corps ;
Et nos voix, exhalant l’hymne de l’Invisible,
A l’orgue de la mer uniront leurs accords.
1851
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Les bois détruits À la mémoire de mon ami Louis Féry d’Esclands de l’île Bourbon
I
J’ai vu des nobles fils de nos forêts superbes
Les grands troncs abattus dispersés dans les herbes,
Et de l’homme en ces lieux j’ai reconnu les pas.
Renversant de ses mains l’œuvre des mains divines,
Partout sur son passage il sème et les ruines
Et l’incendie et le trépas.
Que de jours ont passé sur ces monts, que d’années
Pour voiler de fraîcheur leurs cimes couronnées
D’arbres aux troncs d’airain, aux feuillages mouvants !
S’il faut, hélas ! au temps des siècles pour produire,
A l’homme un jour suffit pour abattre et détruire
L’œuvre séculaire des ans.
Sur ces sommets boisés qu’un souffle tiède embaume,
Ma muse, blonde enfant qui naquit sous le chaume,
Vers des cieux bleus et clairs essaya son essor ;
Et butinant leur miel aux fleurs de Salazie,
Elle errait et cueillait sa fraîche poésie,
Légère abeille aux ailes d’or.
Peut-être avant le jour où ma tête blanchie
Penchera vers le sol, pesante et réfléchie,
Revenant à ces lieux demander leurs abris,
Je reverrai des monts sans verdure et sans ombres,
Et, pleurant en secret nos solitudes sombres,
Je gémirai sur leurs débris.
Je veux fermer mon cœur aux douloureux présages…
O gigantesques monts où dorment les nuages,
De vos arbres sur nous balancez les arceaux !
Défendant vos beaux flancs des haches meurtrières,
Que notre main conserve à vos têtes altières
Leurs chevelures de rameaux !
Et vous, doux habitants de ces lieux solitaires,
Hommes simples et purs, aux mœurs hospitalières,
Respectez-les, ces bois qu’ont respectés les ans !
Laissez sous leur verdure et leurs ombres profondes
Errer les couples blancs, jouer les têtes blondes
Des colombes et des enfants.
Joignez à l’arbre fier de sa haute stature
L’humble arbuste où l’oiseau trouve sa nourriture ;
Aux marges du torrent qui bouillonne argenté,
Laissez rougir la fraise et la framboise éclore ;
Que la pêche y suspende au soleil et colore
Son fruit au duvet velouté.
Que la brise, agitant vos touffes de jam-roses,
Épanche autour de vous la douce odeur des roses ;
Que leur dôme embaumé s’incline sur les eaux ;
Sous leur voûte cachez vos maisonnettes blanches,
Comme on voit, suspendus dans l’épaisseur des branches,
Les nids ombragés des oiseaux.
Restez sourds aux conseils d’une avide opulence ;
De sagesse et d’amour vivez dans le silence.
Le trésor le plus pur vient de la paix des cœurs.
Mais chassez l’étranger de vos bois centenaires,
Car il profanerait de ses mains mercenaires
Vos forêts vierges et vos mœurs !
II
Qu’ont-ils fait de nos bois, qu’ont-ils fait de nos terres,
Ces défricheurs venus des plages étrangères,
Par un vent de malheur sur nos grèves jetés ?
Ne voulant voir en eux que des déshérités,
Notre île hospitalière accueillit leur détresse
En mère, et sur leurs deuils mesura sa tendresse.
Abritant leurs fronts las, de son ciel tiède et pur
Elle étendit sur eux la coupole d’azur ;
Sous leurs pieds écartant les épines jalouses,
Elle ouvrit le velours de ses molles pelouses,
Fit chanter, pour bercer leurs souvenirs amers,
Les oiseaux de ses bois et les flots de ses mers,
Et leur prouva par l’acte et non par la parole
La chaude loyauté de l’amitié créole.
Mais tes fils adoptifs ont trahi tes bontés.
Ils ont porté la mort dans tes champs dévastés.
Le froid amour de l’or éteignant dans leurs âmes
Le foyer virginal et noble aux belles flammes,
Ils ont privé ton ciel de ses peuples d’oiseaux,
Tes plaines de leurs fleurs, tes nymphes de leurs eaux ;
Et, sapant tes forêts, ô ma mère ! leur glaive
Fit tomber de ton front ta chevelure d’ Ève.
Et nous avons permis que leurs bras éhontés
Missent à nu les flancs qui nous ont enfantés !
Et sous nos yeux ils ont, de leurs mains libertines,
Profané les secrets de tes formes divines !
Et nous l’avons souffert ! et nos justes fureurs
N’ont pas honni, chassé ces durs dévastateurs
Que la vague en courroux, rebuts d’un autre monde,
Déposa sur nos bords comme une vase immonde !
O misère ! ô douleur ! Ce n’est pas tout encor,
Car ils nous ont légué leur appétit pour l’or :
A leur souffle glacé notre âme s’est flétrie ;
Nous n’avons plus au cœur l’amour de la patrie !
De la terre natale où dorment nos aïeux
Nous éloignons nos pas, nous détournons les yeux ;
Nous n’aspirons qu’à l’heure où gorgés de richesses,
Fuyant ces lieux, berceaux de nos pures jeunesses,
Nous pourrons dans le sein des lointaines cités
Étaler au grand jour nos sottes vanités !
Et pour voler au but où notre espoir s’attache,
Nous portons en tous lieux et la flamme et la hache ;
Et l’on ne voit partout que des champs dépouillés,
Que d’arides plateaux aux rocs noirs et pelés,
Qu’une herbe rare et jaune et des arbustes fauves
Sur les flancs décharnés de nos montagnes chauves ;
Et, courbés vers le sol, chaque jour dans son sein
Nous fouillons de la pioche et du pic assassin.
De nos champs épuisés, sans remords et sans trêve,
Notre lèvre acharnée a bu toute la sève ;
Et, desséchant ce sein qui nous a tous nourris,
Quand il n’est plus de lait dans ses vaisseaux taris,
Tout gonflés et repus du sang de notre mère,
Nous faisons voile, hélas ! vers la rive étrangère,
Et nous allons aux yeux des superbes cités
Étaler au grand jour nos sottes vanités !
III
O mère malheureuse ! ô mère délaissée !
Oui, garde sur tes yeux ta paupière baissée.
Je comprends ta tristesse et comprends tes douleurs,
Et mêle à tes regrets mes regrets et mes pleurs.
Plus de verte savane et d’ombreuses collines,
Où s’ouvrait la grenade aux perles purpurines ;
Plus de hauts cocotiers et de beaux orangers
S’affaissant sous le poids de leurs rameaux chargés ;
Et tu ne verses plus sur la mer langoureuse
Qui vient baiser tes pieds de sa vague amoureuse,
Les souffles parfumés et les fraîches senteurs
De tes arbres si beaux que les oiseaux pêcheurs,
Fuyant des flots émus les rumeurs éternelles,
Venaient s’y reposer pour embaumer leurs ailes !
Mais tout n’est pas perdu, mère, console-toi !
Il te reste des fils qui t’ont gardé leur foi,
Qui, n’empruntant jamais leur vol aux hirondelles,
Quand tout te trahirait te resteraient fidèles,
Et qui, pour te servir jusqu’à leur dernier jour,
A défaut du génie auront du moins l’amour !
Et près d’eux j’en sais un qui, sevré de tendresses,
Du sort n’a point connu les prodigues caresses ;
Mais qui, fils de tes flancs, fidèle humilié,
Se consolant en toi-de lutter oublié,
Se souviendra toujours que ses lèvres jumelles
Ont sucé l’existence à tes brunes mamelles.
Il ira, cet enfant dont le front révolté
Porte un natal reflet de ta mâle âpreté,
Il ira sur tes monts où siègent les nuages,
Bleus-palais éthérés de l’esprit des orages ;
Et là, seul avec toi, si dans l’ombre des nuits
Il exhale en secret l’hymne de ses ennuis,
Mère, à sa voix pardonne un accent de colère :
Cette voix dut flétrir ta honte séculaire.
S’il naquit pour chanter les bois, les eaux, les fleurs,
Le sort ne lui fut pas avare de douleurs ;
Enfant né pour le jour, persécuté par l’ombre,
Il sait ce que la vie a de dégoûts sans nombre ;
Aussi, triste, mais calme et bravant tout écueil,
Il va seul à son but dans son tranquille orgueil.
Sur les sommets altiers, sur la montagne austère,
Il marche loin des pas des heureux de la terre ;
Leurs injustes dédains à son âme ont appris
A payer leurs dédains d’un trop juste mépris ;
Mais de ce cœur blessé l’indulgence hautaine
N’est jamais descendue au niveau de la haine ;
Vers des dieux plus cléments il aspira toujours,
Et toujours la nature eut ses hautes amours.
Les torrents écumeux, la foudre et ses ravages
Ont façonné son âme à leurs concerts sauvages ;
Mais son verbe attendri, pour célébrer tes bords,
O mon île ! oubliera les farouches accords.
Pour chanter sur les monts ta verte Salazie
Sa lèvre épanchera le miel de poésie ;
Et le jour où, donnant dans un dernier adieu
Sa dépouille à la tombe et son esprit à Dieu,
Il se reposera d’une existence amère,
Tu verseras peut-être une larme, ô ma mère !
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Les jours de Juin Eugène, puisque Juin, le plus feuillu des mois,
Est de retour, veux-tu tous deux aller au bois ?
Ensemble et seuls, veux-tu, sous l’épaisse ramure,
Prendre un long bain de calme, et d’ombre, et de verdure ?
Viens-t-en sous la forêt de Meudon ou d’Auteuil
Ouïr gaîment siffler le merle et le bouvreuil.
Vois, ami, le beau ciel ! la belle matinée !
Tout nous promet sur l’herbe une bonne journée.
Qui te retient ? Partons, amis au cœur joyeux,
Allons vivre ! fermons nos livres ennuyeux !
Oublions nos travaux, nos soucis, notre prose !
Sur sa tige allons voir s’épanouir la rose !
Dans la mousse odorante où croît le serpolet,
Quel bonheur d’égrener des fraises dans du lait,
Et, d’un tabac ambré fumant des cigarettes,
Assis sur le gazon jonché de pâquerettes,
De discourir de tout, de demain, d’aujourd’hui,
Et du passé d’hier, bel âge évanoui,
Jours si vite envolés de collège et d’études,
Et de nos froids pédants aux doctes habitudes,
Et des maîtres aimés, nos bons vieux professeurs,
Les Ménard, les Duguet, aux sévères douceurs !
Nous nous rappellerons nos longues promenades
Au Pont du Sens, nos bains l’été, nos camarades,
Chers enfants dispersés à tous les vents du sort,
Ceux-là pris par le monde, et ceux-ci par la mort,
Hélas ! Et le silence aux molles rêveries
Alors remplacera nos vives causeries ;
Et des dômes ombreux qu’attiédit le soleil,
Descendra sur nos fronts un transparent sommeil,
Sommeil fait de lumière et de vague pensée ;
Et, comme une onde errante et d’un doux vent bercée,
Abandonnant notre âme à ses songes flottants,
Les yeux à demi clos nous rêverons longtemps…
Puis, renouant le fil des longues confidences,
Nous dirons nos travaux, nos vœux, nos espérances ;
Et, tels que dans l’églogue aux couplets alternés,
Deux pasteurs devisant sur leurs vers nouveau-nés,
Nous nous réciterons, toi ta chère Vendée,
Beau livre où ton esprit couve une grande idée ;
Moi, mes chants sur mon île aux palmiers toujours verts,
Éclose au sein des eaux comme une fleur des mers.
Et tu verras passer dans ces vers sans culture
Un monde jeune et fort, une vierge nature,
Des savanes, des monts pleins de mâles beautés,
Et, creusés dans leurs flancs, ces vallons veloutés
Où, près des froids torrents bordés de mousse fraîche,
Mûrissent pour l’oiseau le jam-rose et la pêche ;
Un soleil merveilleux, un ciel profond et clair,
Des bengalis, des fleurs, joie et parfums de l’air,
Tout un Éden baigné de splendeur et d’arôme
Où tout est poétique et grand, excepté l’homme !
Puis les oiseaux viendront, gazouillant leurs amours,
A mes lointains pensers donner un autre cours.
Ils diront leurs amours, et moi, sous la ramée,
Comme eux, je te dirai ma pâle bien-aimée,
Aux longs cheveux plus noirs que l’aile du corbeau,
Aux yeux d’ébène, au front intelligent et beau,
Sa bouche jeune et mûre, et sur ses dents nacrées
Le rire éblouissant de ses lèvres pourprées,
Et sa belle indolence et sa belle fierté,
Et sa grâce plus douce encor que sa beauté !
Alors, adieu mon île et les vertes savanes,
Et les ravins abrupts tapissés de lianes,
Les mimosas en fleur, le chant des bengalis !
Adieu travaux et vers, la Muse et mon pays !
J’aurai tout oublié, radieux et fidèle,
Pour ne me souvenir et ne parler que d’elle !
Je te raconterai – souvenir embaumé ! –
Comment, un soir d’avril, je la vis et l’aimai ;
Comment de simples fleurs, de douces violettes,
Furent de notre amour les chastes interprètes ;
Comment, un autre soir, à son front j’ai posé
Des lèvres où mon cœur palpitait embrasé ;
Comment dans un éclair de volupté suprême,
Pressant contre mon sein le sein brisé qui m’aime,
Foudroyé de bonheur et me sentant mourir,
J’ai crié : « Maintenant, ô mort ! tu peux venir ! »
Mais, vois ! le ciel serein ! la belle matinée !
Tout nous promet sur l’herbe une bonne journée.
Viens-t’en ! fuyons la ville ! Amis au cœur joyeux,
Allons vivre ! fermons nos livres ennuyeux !
Ensemble et seuls, allons sous l’épaisse ramure
Prendre un long bain d’oubli, de calme et de verdure.
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Les soleils de Juillet Les voici revenus, les jours que vous aimez,
Les longs jours bleus et clairs sous des cieux sans nuage.
La vallée est en fleur, et les bois embaumés
Ouvrent sur les gazons leur balsamique ombrage.
Tandis que le soleil, roi du splendide été,
Verse tranquillement sa puissante clarté,
Au pied de ce grand chêne aux ramures superbes,
Amie, asseyons-nous dans la fraîcheur des herbes ;
Et là, nos longs regards perdus au bord des cieux,
Allant des prés fleuris dans l’éther spacieux,
Ensemble contemplons ces beaux coteaux, ces plaines
Où les vents de midi, sous leurs lentes haleines,
Font des blés mûrissants ondoyer les moissons.
Avec moi contemplez ces calmes horizons,
Ce transparent azur que la noire hirondelle
Emplit de cris joyeux et franchit d’un coup d’aile ;
Et là-bas ces grands bœufs ruminants et couchés,
Et plus loin ces hameaux d’où montent les clochers,
Et ce château désert, ces croulantes tourelles,
Qu’animent de leur vol les blanches tourterelles,
Et ce fleuve paisible au nonchalant détour,
Et ces ravins ombreux, frais abris du pâtour,
Et tout ce paysage, heureux et pacifique,
Où s’épanche à flots d’or un soleil magnifique ! …
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Les soleils de Novembre Un beau ciel de novembre aux clartés automnales
Baignait de ses tiédeurs les vallons vaporeux ;
Les feux du jour buvaient les gouttes matinales
Qui scintillaient dans l’herbe au bord des champs pierreux.
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Les soleils de Septembre Sous ces rayons cléments des soleils de septembre
Le ciel est doux, mais pâle, et la terre jaunit.
Dans les forêts la feuille a la couleur de l’ambre ;
L’oiseau ne chante plus sur le bord de son nid.
Du toit des laboureurs ont fui les hirondelles ;
La faucille a passé sur l’épi d’or des blés ;
On n’entend plus dans l’air des frémissements d’ailes :
Le merle siffle seul au fond des bois troublés.
La mousse est sans parfum, les herbes sans mollesse ;
Le jonc sur les étangs se penche soucieux ;
Le soleil, qui pâlit, d’une tiède tristesse
Emplit au loin la plaine et les monts et les cieux.
Les jours s’abrègent ; l’eau qui court dans la vallée
N’a plus ces joyeux bruits qui réjouissaient l’air :
Il semble que la terre, et frileuse et voilée,
Dans ses premiers frissons sente arriver l’hiver.
Ô changeantes saisons ! ô lois inexorables !
De quel deuil la nature, hélas ! va se couvrir !
Soleils des mois heureux, printemps irréparables,
Adieu ! ruisseaux et fleurs vont se taire et mourir.
Mais console-toi, terre ! ô Nature ! ô Cybèle !
L’hiver est un sommeil et n’est point le trépas :
Les printemps reviendront te faire verte et belle ;
L’homme vieillit et meurt, toi, tu ne vieillis pas !
Tu rendras aux ruisseaux, muets par la froidure,
Sous les arceaux feuillus leurs murmures chanteurs ;
Aux oiseaux tu rendras leurs nids dans la verdure ;
Aux lilas du vallon tu rendras ses senteurs.
Ah ! des germes captifs quand tu fondras les chaînes,
Quand, de la sève à flots épanchant la liqueur,
Tu feras refleurir les roses et les chênes,
Ô Nature ! avec eux fais refleurir mon cœur !
Rends à mon sein tari les poétiques sèves,
Verse en moi les chaleurs dont l’âme se nourrit,
Fais éclore à mon front les gerbes de mes rêves,
Couvre mes rameaux nus des fleurs de mon esprit.
Sans l’ivresse des chants, ma haute et chère ivresse,
Sans le bonheur d’aimer, que m’importent les jours !
Ô soleils! ô printemps ! je ne veux la jeunesse
Que pour toujours chanter, que pour aimer toujours !
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Les Soleils d’Octobre Aux jours où les feuilles jaunissent,
Aux jours où les soleils finissent,
Hélas ! nous voici revenus ;
Le temps n’est plus, ma-bien-aimée,
Où sur la pelouse embaumée
Tu posais tes pieds blancs et nus.
L’herbe que la pluie a mouillée
Se traîne frileuse et souillée ;
On n’entend plus de joyeux bruits
Sortir des gazons et des mousses ;
Les châtaigniers aux branches rousses
Laissent au vent tomber leurs fruits.
Sur les coteaux aux pentes chauves,
De longs groupes d’arbustes fauves
Dressent leurs rameaux amaigris ;
Dans la forêt qui se dépouille,
Les bois ont des teintes de rouille ;
L’astre est voilé, le ciel est gris.
Cependant, sous les vitres closes,
Triste de la chute des roses,
Il n’est pas temps de s’enfermer ;
Toute fleur n’est pas morte encore ;
Un beau jour, une belle aurore
Au ciel, demain, peut s’allumer.
La terre, ô ma frileuse amie !
Ne s’est point encore endormie
Du morne sommeil de l’hiver…
Vois ! la lumière est revenue :
Le soleil, entr’ouvrant la nue,
Attiédit les moiteurs de l’air.
Sous la lumière molle et sobre
De ces soleils calmes d’octobre,
Par les bois je voudrais errer !
L’automne a de tièdes délices :
Allons sur les derniers calices,
Ensemble, allons les respirer !
Je sais dans la forêt prochaine,
Je sais un site au pied du chêne
Où le vent est plus doux qu’ailleurs ;
Où l’eau, qui fuit sous les ramures,
Échange de charmants murmures
Avec l’abeille, avec les fleurs.
Dans ce lieu plein d’un charme agreste,
Où pour rêver souvent je reste,
Veux-tu t’asseoir, veux-tu venir ?
Veux-tu, sur les mousses jaunies,
Goûter les pâles harmonies
De la saison qui va finir ?
Partons ! et, ma main dans la tienne,
Qu’à mon bras ton bras se soutienne !
Des bois si l’humide vapeur
Te fait frissonner sous ta mante,
Pour réchauffer ta main charmante
Je la poserai sur mon cœur.
Et devant l’astre qui décline,
Debout sur la froide colline,
Et ton beau front penché sur moi,
Tu sentiras mille pensées,
Des herbes, des feuilles froissées
Et des bois morts, monter vers toi.
Et devant la terne verdure,
Songeant qu’ici-bas rien ne dure,
Que tout passe, fleurs et beaux jours,
A cette nature sans flamme
Tu pourras comparer, jeune âme,
Mon cœur, pour toi brûlant toujours !
Mon cœur, foyer toujours le même,
Foyer vivant, foyer qui t’aime,
Que ton regard fait resplendir !
Que les saisons, que les années,
Que l’âpre vent des destinées
Ne pourront jamais refroidir !
Et quand, noyés de brume et d’ombre,
Nous descendrons le coteau sombre,
Rayon d’amour, rayon d’espoir,
Un sourire, ô ma bien-aimée !
Jouera sur ta lèvre embaumée
Avec les derniers feux du soir.
il y a 10 mois
A
Auguste Lacaussade
@augusteLacaussade
Paysage Midi. L’astre au zénith flamboyait dans les cieux.
L’azur immaculé, profond et radieux,
Posait sur l’horizon sa coupole sereine.
Le fleuve au loin passait, lent, sur la brune arène.
Des vallons aux coteaux, des coteaux aux vallons,
Les champs jaunis ou verts prolongeaient leurs sillons.
Sur les versants ombreux des collines prochaines
La forêt étageait ses hêtres et ses chênes.
Ce n’est plus, ô printemps ! tes riantes couleurs ;
C’est l’été mûrissant aux fécondes chaleurs.
Sous les soleils d’août, d’une teinte plus dure,
L’arbre à l’épais feuillage assombrit sa verdure ;
La fraîcheur a fait place à la force ; l’été
Resplendit dans sa flamme et sa virilité.
Aux fleurs ont succédé les fruits, — saintes richesses
De l’homme ; — la nature a rempli ses promesses.
Il est midi. Planant dans l’immobilité,
L’astre épanche sa flamme avec tranquillité.
Le vent s’est assoupi, la forêt est paisible.
Parfois, sous les rameaux, l’oiseau chante, invisible,
Puis se tait, fatigué de lumière, et s’endort ;
Les abeilles, les taons des bois, les mouches d’or,
Enivrés des rayons qui tombent des ramures,
Sur l’herbe tiède et molle éteignent leurs murmures :
La lumière au silence, hymen mystérieux,
S’accouple dans la paix des bois et dans les cieux.
Paix sainte des grands bois ! paix des cieux pleins de flamme !
Heureux, heureux qui peut, dans ses yeux, dans son âme,
Sans pleurs, sans deuils poignants, sans regrets acérés,
Paix saintes, recevoir vos effluves sacrés !
Heureux l’esprit sans trouble, heureuse la paupière
Que le silence enivre et qu’endort la lumière,
Qui jouit d’un beau jour sans le voir se ternir
Des ombres qu’après soi traîne le souvenir !