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Titre : À un jeune poète créole

Auteur : Auguste Lacaussade

S’il est une heure fortunée Parmi nos heures d’ici-bas, Une heure de paix couronnée, Et de trêve à nos vains débats, C’est l’heure, entre toutes bénie, Où la strophe aux fraîches senteurs, Pour nous, au vent de l’harmonie, S’épanouit en vers chanteurs ; C’est l’heure où quelque âme inconnue, Sœur par l’accent et par le luth, A notre muse inculte et nue Adresse un fraternel salut ; Où des mains que Dieu même inspire, Nous consolant de tout affront, Jettent des fleurs sur notre lyre, Et des lauriers sur notre front. O fleurs au poétique arôme, Aumône d’accords et d’encens, Dont l’haleine enivrante embaume Les plus intimes de nos sens ; Parfums sans prix, voix cadencée, Lauriers aux rameaux toujours verts, Strophe pieuse où la pensée Parle encor plus haut que le vers ; Offrande sainte du poète, Dons vrais du cœur, chants ingénus, Dans mon humble et pauvre retraite, Soyez, soyez les bienvenus ! Et toi, toi qui me les envoies, Ces dons cueillis sur les hauts lieux, Toi qui fais sur mes sombres voies Chanter ton vers mélodieux ; Barde frère, dont le courage, Réveillant mon luth endormi, A traversé ma nuit d’orage Pour m’apporter tes chants d’ami ; Puisse le sort, pour moi sévère, Clément et facile à tes vœux, Dans ta course à travers la terre, Vouloir les choses que tu veux ! As-tu dans ton cœur de jeune homme Quelque beau rêve aux plis flottants, Vierge que tout bas ta voix nomme, Vierge qu’implorent tes vingt ans ? Blonde et jeune de chevelure, Vois-tu, dans l’ombre de tes nuits, Une lumineuse figure Sourire à tes chastes ennuis ? Eh bien, qu’à l’heure où, lente et pâle, La lune, oiseau mystérieux, Ouvrant ses deux ailes d’opale, Prend son vol à travers les cieux ; L’onde au mélodieux ramage, La brise aux murmures sacrés, Bercent pour toi sa molle image Sur un nuage aux flancs nacrés ; Et que l’ange des doux mensonges Fasse éclore, dans sa beauté, Du blanc calice de tes songes, Une blanche réalité ! Es-tu de ceux qu’un souffle enflamme, Esprits épars dans l’univers, Qui portent caché dans leur âme Le mal de la muse et des vers ; De ceux qu’une âpre soif altère, Et qui, troublés jusqu’au tombeau, S’en vont inquiets par la terre, Malades de l’amour du beau ? Eh bien, qu’une large harmonie, Berçant le cours de tes pensers, Pour en alléger ton génie, Les roule à flots toujours pressés ! Qu’aux pieds ombreux des ravinales, Dans quelque île aux flots caressants, Ta vie aux brises virginales S’exhale en lumineux accents ! Que de son onde au ciel puisée L’aube, mouillant l’herbe des champs, Roule ses perles de rosée Sur la jeunesse de tes chants ! Que chaque jour, plus riche encore, Éblouissante ascension, Sur ton esprit, comme une aurore, Se lève l’inspiration ! Qu’enfin sur ta route choisie, Rencontrant un bonheur rêvé, Tu trouves dans la poésie Ce qu’hélas ! je n’ai point trouvé. Bonheur ! éternelle chimère ! L’homme, jouet d’un sort railleur, Ne quitte le sein de sa mère Que pour apprendre la douleur. Une expérience fatale, L’abreuvant de déceptions, Effeuille pétale à pétale La fleur de ses illusions. Combien d’amis de ma jeunesse Ont déjà fui de mon chemin ! Leur main, que pressait ma tendresse, Hélas ! ne presse plus ma main. Comme de gais oiseaux qu’assemble Un même nid dans les buissons, Par les airs nous allions ensemble, Unis d’amour et de chansons. D’un même arbre branches jumelles, Nous mêlions nos rameaux aimés ; Mais la vie aux bises cruelles De toutes parts nous a semés. Les uns, troupe joyeuse et blonde, Les plus rieurs de ma saison, Sont partis pour un autre monde, Avides d’un autre horizon. Ceux-ci, vains oiseaux de passage, Oubliant leurs jours de frimas, Ont changé d’âme et de visage, Hélas ! en changeant de climats. Ceux-là, groupe stérile et louche, Renégats au cœur sec et mort, Unissent leur bouche à la bouche Qui ment, qui calomnie et mord ! Et pourtant leur voix qui m’accuse Devrait plutôt sur moi gémir ! Pourtant ce qu’a flétri la Muse, Tout noble cœur doit le flétrir ! Nègres, mes frères ! peuple esclave ! J’ai vu votre joug détesté, Et de mon sein, bouillante lave, A jailli mon vers irrité ! Non ! votre mal n’est pas un thème A moduler de vains concerts ! Ma lèvre a connu l’anathème, Car ma main a pesé vos fers ! De ceux-la que votre souffrance Avait émus en d’autres jours, J’espérais… candide espérance ! A ma voix ils sont restés sourds ! Plongés dans un sommeil de pierre, Lorsque vint l’heure des combats, L’un a renié comme Pierre, L’autre a trahi comme Judas. Est-ce impuissance, orgueil, envie ? Dieu le sait ! – mais mon cœur est las ; Et sur les ronces de la vie Je tombe, enfin ! je saigne, hélas ! Ainsi partout deuil et tristesse ! L’homme, d’espoir découronné, Au mont désert de la vieillesse, Marche des siens abandonné. Étouffons donc notre délire, Et laissons nos pleurs seuls parler ! Il est des douleurs que la lyre Est impuissante à consoler ! Mais pourquoi d’un triste nuage Assombrir l’azur de ton ciel ? Pourquoi, dégoûté du breuvage, Mêler mon absinthe à ton miel ? Sauve du doute qui m’assiège Ton avril au rêve enchanté ; Lys, garde ta robe de neige ! Cygne, ton plumage argenté ! De ta foi n’éteins pas les flammes ; Aime et chante au milieu des pleurs : Le chant est le parfum des âmes ! L’amour est le parfum des cœurs ! Il est vrai, nos tiges sont nées Dans les gazons d’un sol pareil ; Mais, ami ! sur nos destinées Ne luit pas un même soleil. Un même rocher vert de mousse De son onde allaita nos jours ; Mais ton eau chante, heureuse et douce, La mienne gémit dans son cours. Sur des mers où l’aube étincelle, Ta muse aux fraîches visions Monte une odorante nacelle Où rament les illusions ; La mienne au choc des vents contraires Soutient la lutte du devoir, Car ma nef d’un peuple de frères Porte la fortune et l’espoir. Toi, tu vois sur de blanches grèves Des bords aimés poindre et fleurir ; Moi, je vois, par delà mes rêves, Nos libertés à conquérir ! Donc sur leurs routes opposées Laissons voguer nos deux esquifs : A toi les ondes apaisées ! A moi la vague aux noirs récifs ! Mais si jamais, pour les tempêtes Désertant de paisibles bords, Tu voulais, rêvant nos conquêtes, Dans mes eaux risquer tes sabords ; Si, bravant les fureurs sauvages Du présent contre l’avenir, Pour tenter les mêmes rivages, Tes mâts aux miens voulaient s’unir ; Fendant la vague échevelée Qui me roule dans ses brouillards, Viens avec moi, dans la mêlée, Affronter les mêmes hasards ; Et dans nos barques fraternelles, Sous l’œil de Dieu, couple indompté, Nageons de la rame et des ailes Vers les mers de la Liberté !