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Titre : La cascade Sainte-Suzanne

Auteur : Auguste Lacaussade Recueil : Poèmes et Paysages

C’était un lieu paisible où j’aimais à venir. La fraîche vision hante mon souvenir. Enclos de trois côtés par de hautes collines, Le val s’ouvre au couchant et descend vers la mer. Une cascade, au fond, de ses eaux cristallines Baigne les rochers noirs, éparpillant dans l’air Sa poussière d’écume en blanches mousselines. Au pied des rocs abrupts, dans sa chute sans fin, L’eau tombe et s’élargit en un vaste bassin, Où s’alimente et dort la rêveuse rivière Sainte-Suzanne, aux grands berceaux de cocotiers. Le soleil au zénith y darde sa lumière ; Mais, dans l’après-midi, les monts aux pics altiers Y versent les fraîcheurs d’une ombre hospitalière. Des hauts bambous du bord quittant l’épais rideau, Sur la nappe d’azur nagent les poules d’eau ; Et, les frôlant du vol, la véloce hirondelle Autour des bleus nageurs s’ébat aux jeux de l’aile. Sur les marges de l’onde errent en liberté Quelques bœufs indolents, et sur la rive herbeuse Promènent au hasard leur nonchalance heureuse. Plus loin un taureau blanc et de brun moucheté, Dans la brousse couché, humant la brise agreste, Les yeux à demi clos, rumine et fait la sieste. Là-haut, entre les rocs rudement étagés, Hérissés de cactus, de lianes chargés, D’un pied nerveux et sûr que nul gouffre n’arrête, Grimpe la chèvre alerte aux bonds capricieux. Tout à coup on la voit qui, debout sur la crête D’où tombe la cascade à flots vertigineux, Profile sur le ciel sa noire silhouette. Sur la rive opposée, à gauche du ravin, L’eau du tranquille étang court sur le sable fin Que borde un frais talus d’herbe tendre et de mousses. Ici, les flancs du mont ont des rampes plus douces, Et les arbres à fruit au soleil exposés Épandent leurs berceaux sur les versants boisés : Dans l’obscure épaisseur de ses fortes ramures Le tronc noir du manguier montre ses grappes mûres ; Le goyavier aux fleurs blanches, aux fruits dorés, La souple grenadille aux pétales pourprés, L’atte et le bibacier, pittoresque assemblage, Dans un même parfum confondent leur feuillage. L’oiseau bleu de la Vierge aux instincts familiers, L’inoffensif oiseau des monts hospitaliers Se plaît dans cette ombreuse et tiède solitude : Furtif, il guette et suit les pas du voyageur Qui vient sur ces plateaux, indolent et songeur, Respirer des hauts lieux la vaste quiétude. Des pentes du ravin, des monts, des bois épais, De toute part descend une ineffable paix, Le charme enveloppant d’un lumineux silence, De ce silence fait de bruits d’ailes et d’eaux Passant dans l’air, montant des joncs et des roseaux, Et des bambous lustrés qu’un vent léger balance. O calme des sommets, calme du firmament, Qui dans les cœurs troublés versez l’apaisement, Calme des bois profonds où de la tourterelle Le roucoulement vague au chant des eaux se mêle ; O ravine, ô cascade, ô murmure berceur, Des fleurs et du feuillage, ambiante douceur ; O repos émanant des choses, chaste ivresse Que connût autrefois ma pensive jeunesse Quand, promenant mon rêve en ces rochers déserts, J’écoutais dans mon cœur chanter l’esprit des vers ; Solitude sereine et digne de la Muse, Faite de brise et d’ombre et de lueur diffuse ; Flottantes visions de mon pays lointain, Beaux lieux, ô lieux si doux à mon heureux matin, Vallon, étang placide aimé de l’hirondelle, Qu’évoque avec amour le souvenir fidèle, Bercez dans mon esprit que la vie a blessé Les troubles du présent des calmes du passé !