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Titre : Eternité de la nature, brièveté de l’homme

Auteur : Alphonse de Lamartine Recueil : Harmonies poétiques et religieuses

Roulez dans vos sentiers de flamme, Astres, rois de l’immensité ! Insultez, écrasez mon âme Par votre presque éternité ! Et vous, comètes vagabondes, Du divin océan des mondes Débordement prodigieux, Sortez des limites tracées, Et révélez d’autres pensées De celui qui pensa les cieux ! Triomphe, immortelle nature ! A qui la main pleine de jours Prête des forces sans mesure, Des temps qui renaissent toujours ! La mort retrempe ta puissance, Donne, ravis, rends l’existence A tout ce qui la puise en toi ; Insecte éclos de ton sourire, Je nais, je regarde et j’expire, Marche et ne pense plus à moi ! Vieil océan, dans tes rivages Flotte comme un ciel écumant, Plus orageux que les nuages, Plus lumineux qu’un firmament ! Pendant que les empires naissent, Grandissent, tombent, disparaissent Avec leurs générations, Dresse tes bouillonnantes crêtes, Bats ta rive! et dis aux tempêtes : Où sont les nids des nations ? Toi qui n’es pas lasse d’éclore Depuis la naissance des jours. Lève-toi, rayonnante aurore, Couche-toi, lève-toi toujours! Réfléchissez ses feux sublimes, Neiges éclatantes des cimes, Où le jour descend comme un roi ! Brillez, brillez pour me confondre, Vous qu’un rayon du jour peut fondre, Vous subsisterez plus que moi ! Et toi qui t’abaisse et t’élève Comme la poudre des chemins, Comme les vagues sûr la grève, Race innombrable des humains, Survis au temps qui me consume, Engloutis-moi dans ton écume, Je sens moi-même mon néant, Dans ton sein qu’est-ce qu’une vie ? Ce qu’est une goutte de pluie Dans les bassins de l’océan ! Vous mourez pour renaître encore, Vous fourmillez dans vos sillons ! Un souffle du soir à l’aurore Renouvelle vos tourbillons! Une existence évanouie Ne fait pas baisser d’une vie Le flot de l’être toujours plein; Il ne vous manque quand j’expire Pas plus qu’à l’homme qui respire Ne manque un souffle de son sein ! Vous allez balayer ma cendre ; L’homme ou l’insecte en renaîtra ! Mon nom brûlant de se répandre Dans le nom commun se perdra ; Il fut! voilà tout! bientôt même L’oubli couvre ce mot suprême, Un siècle ou deux l’auront vaincu ! Mais vous ne pouvez, à nature ! Effacer une créature ; Je meurs! qu’importe ? j’ai vécu ! Dieu m’a vu ! le regard de vie S’est abaissé sur mon néant, Votre existence rajeunie A des siècles, j’eus mon instant ! Mais dans la minute qui passe L’infini de temps et d’espace Dans mon regard s’est répété ! Et j’ai vu dans ce point de l’être La même image m’apparaître Que vous dans votre immensité ! Distances incommensurables, Abîmes des monts et des cieux, Vos mystères inépuisables Se sont révélés à mes yeux ! J’ai roulé dans mes voeux sublimes Plus de vagues que tes abîmes N’en roulent, à mer en courroux ! Et vous, soleils aux yeux de flamme, Le regard brûlant de mon âme S’est élevé plus haut que vous ! De l’être universel, unique, La splendeur dans mon ombre a lui, Et j’ai bourdonné mon cantique De joie et d’amour devant lui ! Et sa rayonnante pensée Dans la mienne s’est retracée, Et sa parole m’a connu ! Et j’ai monté devant sa face, Et la nature m’a dit : Passe : Ton sort est sublime, il t’a vu! Vivez donc vos jours sans mesure ! Terre et ciel! céleste flambeau ! Montagnes, mers, et toi, nature, Souris longtemps sur mon tombeau ! Effacé du livre de vie, Que le néant même m’oublie! J’admire et ne suis point jaloux ! Ma pensée a vécu d’avance Et meurt avec une espérance Plus impérissable que vous !