Karl Mannheim (1893-1947), analysant dans ce joyau de sociologie politique les conditions d'apparition de " la pensée conservatrice ", applique aux langages politiques de son temps la méthode introduite par Max Weber à partir de l'histoire du protestantisme : les images du monde et les idéologies résultent d'une " rationalisation " des diverses perceptions du monde propres à telle couche sociale ou à telle époque. Comme le culte adverse, celui du Progrès, le conservatisme présente donc des caractères spécifiques qui ne sont pas seulement de nature politique. Il touche aussi aux domaines de l'esthétique, de la théologie, des styles de vie, voire de la littérature.

La pensée conservatrice

Comment les hommes pensent-ils effectivement, tel est le problème dont traite ce livre. Il veut examiner, non comment la pensée se présente dans les manuels de logique, mais comment elle fonctionne effectivement, dans les affaires publiques et la politique, comme outil d'action collective ". Avec ces mots, Karl Mannheim ouvre Idéologie et utopie, le livre qui a fait sa réputation et lui a valu la chaire de sociologie de l'université de Francfort. Dès sa publication en 1929, l'ouvrage suscite un vif débat scientifique, au sein duquel interviennent notamment Max Horkheimer, Theodor Adorno, Hannah Arendt et Ernst Robert Curtius. Traduit en 1936 en anglais, la controverse s'étend alors aux États-Unis où Mannheim s'impose rapidement parmi les auteurs de référence d'une discipline en pleine expansion. Plus de soixante-quinze ans après sa parution, ce texte fondateur de la sociologie de la connaissance reste encore méconnu du public français. Présenté ici pour la première fois dans sa traduction intégrale, le lecteur pénètre au coeur des débats sociaux et intellectuels des années 1930, juste avant l'effondrement des démocraties européennes. Témoignage et analyse lucide des transformations politiques et intellectuelles d'une époque, il reste d'une grande actualité. Il montre, en effet, comment idéologies et utopies naissent de l'interaction sociale et comment celle-ci, à son tour, oriente les dispositions d'esprit, Mannheim révèle très précisément la situation existentielle de l'homme moderne.

Idéologie et utopie

Tant que l'on n'appelle pas sa propre position en question mais le considère comme absolu, tout en interprétant les idées de ses adversaires comme une simple fonction des positions sociales qu'ils occupent, le pas en avant décisif n'a pas encore été pris.

[Lorsque l'enquêteur empirique se glorifie de son refus d'aller au-delà de l'observation spécialisée dictée par les traditions de sa discipline, fussent-elles inclusives, il fait de la vertu d'un mécanisme de défense qui l'assure contre la remise en question de ses présupposés.

Toutes les connaissances sont orientées vers un objet et sont influencées dans son approche par la nature de l'objet avec lequel il est préoccupé. Mais le mode d'approche de l'objet à connaître dépend de la nature du connaisseur.

Derrière chaque force rationnelle et irrationnelle dans la société humaine, il y a un mécanisme social qui détermine où elle doit apparaître et quelles formes elle doit prendre.

Une théorie moderne de la connaissance qui prend en compte le caractère relationnel et non simplement relatif de toute connaissance historique doit partir de l'hypothèse qu'il existe des sphères de pensée dans lesquelles il est impossible de concevoir une vérité absolue existant indépendamment des valeurs et de la position du sujet et sans lien avec le contexte social.

Pour les personnes progressistes, le présent est le début de l'avenir. Pour les conservateurs, le présent est la fin du passé.

La méfiance et la suspicion que les hommes partout partout en témoignent leurs adversaires, dans tous les états de développement historique, peuvent être considérés comme le précurseur immédiat de la notion d'idéologie.

À ce stade de l'histoire, lorsque toutes choses qui concernent l'homme et la structure et les éléments de l'histoire elle-même nous sont soudainement révélés sous un nouveau jour, il nous appartient dans notre pensée scientifique pour devenir des maîtres de la situation, car il n'est pas inconcevable que plus tôt Ce que nous soupçonnons, comme cela a souvent été le cas auparavant dans l'histoire, cette vision peut disparaître, l'opportunité peut être perdue et le monde présentera à nouveau un visage statique, uniforme et inflexible.

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