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Lucien Becker

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Lucien Becker (Béchy, 31 mars 1911 - Vandœuvre-lès-Nancy, 25 janvier 1984) est un poète français, ami de Léopold Sédar Senghor et de Jean Rousselot.

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Poésies

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    Lucien Becker

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    @lucienBecker

    Dans le quartier solitaire Dans le quartier solitaire qu'on traverse en hâte des volets qui se ferment sur des rires d'enfant sur des voix très douces très proches la tête d'une femme dans le bocal des vitres aucun mouvement ne fait signe de sa vie la dernière étoile tombe de la fenêtre comme une larme d'un œil clos un enfant lance du papier au ciel crie dans le silence qui se fend une fumée relie le ciel au toit le vent est si las qu'il se pose dans la main un baiser tombe de très haut décroche des feuilles dans les arbres une lampe s'éteint sans cri au tournant de la nuit

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    Lucien Becker

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    Dernier poème Tu es née sur un ordre de la lumière qui partage avec toi ses richesses i r comme le reu partage son or avec la nuit, pourtant pleine jusqu'aux montagnes. Ton corps s'éclaire de l'intérieur comme la moisson ou comme la rivière lorsque la clarté se suspend encore au couchant coupé soudain du jour. Il ne faut pas que tu aies peur dans l'immense bagne de l'horizon puisque ton cœur peut battre à l'aise derrière mes doigts tendus sur toi. L'amour nous donne alors la force de poursuivre l'aventure du soleil à la seule lueur de nos veines entre des murs qui nous serrent à la gorge. Tu entres dans ma vie avec la certitude que, menée à deux, elle n'aura pas plus de fin que l'éternel matin de la terre, que la nuit surgissant d'entre les siècles.

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    Lucien Becker

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    Derniers poèmes Il n'y a plus de poussière sur le chemin, ni aucun des pas qui l'emmenaient au village pour voir les arbres se reposant dans les cours ou la fontaine, armoire de jour sous la nuit. Le soleil court au sol, fouillant toutes les herbes et chacune d'elles se fait droite et blanche comme si tout un sous-bois s'éclairait le temps d'un regard venu de partout à la fois. Le miroir veille, mal à l'aise contre le plâtre. La fenêtre est une branche morte dressée dans le ciel à jamais charbonneux des carreaux. On entend respirer la forêt au fond d'un meuble. Mais je te retrouve très proche du couchant comme préservée de l'espoir le plus courant avec un cœur qui ne fait presque pas de bruit et quelques mots soumis aux règles de la vie. Le couchant n'est plus qu'une jetée sur le parquet où parfois un petit morceau de verre étincelle. La nuit est un ciment entre les arbres du verger qui vit déjà sur ses réserves de silence. Rien de ce qui fut le ciel ne dure dans les vitres qui s'habituent à la clarté sans âme des lampes. Placées à la rencontre du jour et du soir, elles font de la foule un vivier de regards. Le temps ne règne pas pour les chaises qui sont des branches mortes ayant appris à exister. L'ombre est toujours à l'étroit entre armoire et mur même quand le soleil s'est couché dans le vin. Mais rien ne pourra se passer dans cette pièce dont les angles taillent à vif un univers posé partout autour de moi comme un rocher pour lequel, même mort, je resterai à naître. La vitre a de la peine à contenir l'été, les chemins dorment enroulés dans leur poussière, chaque ombre est transparente d'un peu de soleil, il fait grand jour très loin derrière les paupières. Un insecte est posé, depuis midi, sur un mur qui porte à lui seul plus de la moitié du ciel. L'ortie veille sur une goutte de rosée qu'elle a pu sauver d'un matin qui brûle encore. Il faut aller au bout du couloir pour trouver un semblant de fraîcheur qui sente la verdure. Dans la porte entr'ouverte apparaît une femme que la clarté poursuivra jusque dans la nuit. Il y a quelque part un ver qui ronge une poutre. On l'entend mieux entre chaque battement de cœur. Il cherche sa route sur les sommets du silence comme un aveugle dans un quartier inconnu. Un peu d'eau se dessèche sur une table où le couteau est comme un ossement laissé par le jour quand l'ombre s'arc-boute aux murs sans autre lueur que celle qui tressaute au bord d'un ustensile. Dans l'âtre, il y a le feu et ses montagnes, le sang passe à la tempe et rentre dans son tunnel, la ville sans âge s'arrête près des lampes où la lumière se repose de l'été. Un vieux chêne veille en secret dans l'armoire d'où des centaines de matins se sont levés sans pouvoir trouver une route vers le ciel parce qu'un plafond s'est mis sur leur passage. Gardé par les pierres, l'homme a hâte de vivre à l'abri d'un simple front sans autre espoir que celui d'apercevoir le plus longtemps possible un monde indifférent, dressé vers la clarté. Tout est neuf après le passage de la pluie : de l'arbre qui brille comme une armure à l'herbe lourde de bouquets et de bagues, aux pierres belles comme une épaule de femme. Le verger pense au long mûrissement des fruits auxquels les feuilles font comme des nids. Il reste une faille par où le ciel descend pour donner, au sol, son visage à une fleur. Les chemins ne sont plus que boue parmi la paille et le soleil fait déborder toutes les flaques. Il n'y a plus de vent pour animer les sources dans l'après-midi figé comme du calcaire. Le ruisseau arrive à cerner la campagne et le jour n'a qu'à se laisser porter par lui jusqu'au point où il se rattrape à des branchages parce que la forêt vient sur lui comme un orage. -La nuit s'appuie sur la rampe de lumière qui s'élève dans chaque rue de la ville. On croise des gens n'existant que parce qu'ils marchent jusqu'aux murs d'une pièce où ils s'arrêtent, grandis. En quête d'une fenêtre tournée vers un peu de ciel, la main ne rencontre qu'un verre impersonnel. Elle ne sait que faire du corps qui la dirige dans un espace où rien n'a prise, sinon le sommeil. Rien ne distrait le masque de fille rieuse que se donne la lampe pour faire vivre ce qui l'entoure. Elle ignore qu'il y a, comme elle, d'autres lampes qui font des signes auxquels personne ne répond. Car la parole est engluée au fond des gorges, les yeux ont cessé de regarder au-delà des cils, le corps lui-même se retranche derrière la peau dans l'attente que la mort le dépasse, sans le voir. La source qui mesure la boisson de la terre se nourrit d'un peu de roche et de lèvres chaudes. Elle est très calme dans l'encadrement du jour mais le soir elle éteint des fournaises d'insectes. Son visage est de vent patiemment maîtrisé ou de lueurs qu'elle aiguise au fond de sa nuit. Elle sait se faire caillou tombé de l'herbe, ne pas bouger quand la tempête est dans l'arbre. Elle arrive à courber le monde d'un fleuve qu'elle lance à partir d'une goutte d'eau à travers les blés dociles, les prairies trop douces qui vont d'un pont à l'autre sans voir aucune ville. D'un seul tenant comme l'hiver ou le beau temps, elle n'a de regard que pour l'homme aux mains dures qui s'agenouille devant elle, seule déesse ayant survécu à tous les âges de l'humanité. Un lierre tout de miroirs traverse le bois sans craindre le vent presque nu de l'hiver. Les bourgeons se serviront de ses veilleuses pour retrouver le chemin du printemps. Le grand air est une montagne très instable, dressée par-dessus le vide que fait la nuit dans sa retraite au fond des granges ou des ruisseaux près d'un jour qui n'ira pas jusqu'au bout du monde. Il y a parmi les arbres soudés les uns aux autres quelques taches grises : maisons où rien ne bouge, sinon les nuages naviguant dans des vitres ou la fumée planant sans hâte sur le soir. Le soleil, venu d'un espace grand comme une chambre, éclaire à peine l'herbe sèche d'un pré, rase les toits pourtant très bas, s'y retient et tombe, en heurtant le seul oiseau encore en vie.

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    Lucien Becker

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    @lucienBecker

    La solitude est partout I Un homme aux yeux bandés de paupières marche, immense et défait comme le mur d'une usine avec le cœur si plein de vase qu'à sa bouche vient mourir l'odeur fade des marais. Il n'entend pas au loin la rumeur qui rencontre le blé couvert de tant de têtes, de tant de flammes et regarde s'il fait jour au fond de ses mains qui dépassent des hautes herbes bleues du sang. Il a beau plaquer son visage contre le matin ouvert, partager sa peau avec les mendiants de la souffrance, attendre que le soleil s'éteigne dans les glaces, sa vie reste si claire qu'on voit la mort au travers. II Dans le soir, blessure immense, la terre en déroute compte ses morts et respire plus faiblement de tous ses ponts, de tous ses arbres. Un homme fait son trou dans la nuit et s'y enfonce comme dans un lit froid. Il se trouve ainsi dépaysé dans sa vie qu'une flaque d'eau l'est sur la route. Son pas résonne dans la ville comme dans la chambre où il est seul et il sent mieux se débattre la bête de sang que le cœur égorge sous la peau. III De mon enfance, je revois le couchant s'étendre sur le plancher usé et se replier lentement dans l'ombre comme un épi trop lourd de blé. Aux quatre coins du corps, le cœur tire sur ses liens. J'ai peur de vivre derrière ces vitres tant elles sont béantes et vides. Je ne respire pas plus qu'un objet. Où sont les chemins descendus du soleil vers l'après-midi si large de l'été? Au soir, on retrouvait les sources perdues. Derrière les murs, plus vivantes en leur nudité et renversées parmi leurs seins, les femmes sont les plus belles blessures du monde avec leur sexe, leur bouche et leurs yeux. IV Au-dessus de la terre, il y a une chambre où la solitude et le papier peint sont éternels. Quand je n'y suis pas, des femmes de clarté vont au-devant du jour ou de l'armoire et, dès que je rentre, rejoignent mes yeux. Gardiennes de secrets, elles revivent en moi comme un buisson éperdu de printemps. Le cœur s'enfonce dans le corps tiède de pleurs, de plantes et de sources. La voix n'a plus d'ombre, ni de retard et monte comme une lame ensanglantée de la terre entr'ouverte par le ciel. Une grande amertume envahit la fenêtre qui dénude le front avec un reste de jour en y laissant la cicatrice des veines et partout le rire jaillit des bouteilles. V Les chemins tournent dans les moissons reposées avec l'assurance des choses qui sont éternelles. Je foule des routes et des rues qui n'abordent qu'au seuil de la souffrance ou de la mort. Dans les boucles du vent et dans celles des enfants se pose trop de soleil qui n'est pour personne et partout il y a des bouches qui pèsent comme des fruits fraîchement coupés. Je veille sous la lampe du front, le regard aussi grand que celui des murs pour me refermer, le soir, avec des gestes qui sont ceux d'une enfance mal oubliée. Fleuve par fleuve, le jour se répand et n'atteint pas le visage douloureux qui monte, porté par des mains de sang, jusqu'au point où se fanent mes yeux. VI Je suis couvert de la mort comme d'un lichen sans autres racines que celles de mes mains, que celles de mes songes dans la nuit ou que celles de mes pas aussitôt effacés. Le sang levé pour le bonheur ne monte pas au-dessus des mains qui l'entourent, elles-mêmes prisonnières de la terre qui se ferme jusqu'en leurs doigts. Et pourtant le soleil tient la plaine contre lui. Il n'y a plus d'ombre au fond des arbres, il n'y a plus qu'une clarté sans paupières qui touche le monde à la place des sources. VII Je suis seul derrière mes paroles, derrière ma tête, ombre sur le mur. L'armoire triste brille un peu la nuit et de ce filet renaît le matin. Limité par la mort, par mon regard, je reste si longtemps à la même place que je vois se renverser une à une les lumières que le soir envoie au-devant de la nuit. La solitude est haute et noire entre les arbres qui se retirent dans le soir. Dois-je crier mon amour aux passantes entourées de leur beau regard tranquille ? VIII Les champs se taisent de toute leur rosée. Les fenêtres se dévisagent durement et il circule encore en elles de l'ombre amassée au fond des chambres endormies. Le sang colle sous la peau, chargé de la nuit des racines qui étreignent la terre ou qui montent dans les songes La rue frappe mon pied désorienté par les mille années de sommeil d'une nuit et l'on entend dans le vent qui s'élève grincer les chaînes de la terre. IX Dans le village encerclé par les champs, les maisons penchées sur les bancs voient venir les chars aussi hauts qu'elles de moissons d'où tombe, apaisé, le soleil. La joie s'ouvre comme un fruit et roule jusqu'à la mer avec des arrêts dans les villes près des ponts d'où la terre s'enfuit. Un tas de feuilles respire doucement au bord du chemin que personne ne prend. Un coup d'aile de clarté dévaste la terre, la peur se retire de l'espace visible. Des fleurs sèchent sur la tapisserie, la fraîcheur est debout dans le couloir, le vent sort un peu de sa vallée et la fumée gagne sans peine l'éternité. X Ua main s'élève en un adieu que je n'ai pas vu retomber. Nos bouches n'ont pu finir leurs baisers qui restent entre nous comme un pont coupé Ton dernier regard est une jetée pour la vie dont je touche le fond de toute ma peau sans visage, de tout le poids de la terre Bientôt l'espace se mettra entre nous et nous ne serons plus que deux êtres en qui dure tout un passé de joie comme un peu de soleil éclaire encore les murs qu'il vient de quitter. Ton corps ne bougera pas plus qu'une fenêtre allumée dans la nuit chassée par le vent et la pluie. XI Le jour ne coupe plus les carreaux noirs d'où il est chassé sans le moindre éclair. Le ciel est plus cassant, moins abrité sur les terres amarrées par le gel. Les murs sont pensifs comme des visages. Les mains couvent des caresses démesurées et la campagne n'approche des routes que par quelques pas dans la neige. Elle reste des jours sans une voix d'homme. Parfois se casse le doigt sec d'une herbe et le bruit s'en propage jusqu'à la ferme. Le vent renifle la senteur du charbon sort à la même heure nocturne de sa chambre sans plafond et l'on voit mieux les bords de la solitude cerner la tache d'un front. XII Tout ce que je vis, ce dont je dois mourir n'a pas de place hors de mon attente. Dans les mains que je serre, que je retiens, que reste-t-il de moi ? Le sang coule sous les ponts qui vont de mon cœur aux êtres, aux regards dont je n'approche que par des signes de la main, des lèvres et auxquels je ne m'unis que par la solitude. Les chemins partent du fond de la nuit et vont attendre le jour sur les collines. Par la fenêtre où brûle une bougie ils voient les morts entourés de vivants qui ne croient pas aux prières qu'ils disent et les morts restent seuls sous leurs paupières sans reconnaître les chemins qui passent en blanchissant un peu la nuit. XIII La nuit tourne autour de la lampe comme un oiseau qui doit tomber. Les hommes meurent, la bouche serrée, et font à la terre des racines de sang. Le fourneau est sans doute seul heureux avec le rire facile de ses flammes. Au bout du monde, se lève une femme sur qui se ferme un cercle de regards. Comment sortir, sans le poids du plafond à la place où l'épaule étrangle le cou, sans celui des portes qu'on n'ose pas ouvrir parce qu'on craint de déranger la douleur? Pourquoi courir sans cesse les routes pour faire des pas de plus avec la mort ? De quelle façon croiser ce regard d'où elle guette déjà un autre regard ? XIV Si loin de ton regard et de ta vie je ne retrouve plus les pas qui me conduisaient vers toi. Je ne peux plus m'enfermer dans tes mains, ni dans ton sommeil. Quelques lettres toujours pareilles vont de l'un à l'autre comme autant de géants sans voix. Tu es pour mon cœur, pour ma bouche pour le pantin désarticulé de ma vie une brûlure toujours plus forte qui ne les réchauffe pas. Je cherche en vain, sans jamais me rendre, à te reconnaître, à te reprendre. Je ne sais même plus la place que tu tenais entre mes bras. XV Il y a mieux que ces faces amères, que ces crises trop voyantes de misère où le front se pose contre la vitre de toute sa pierre sans larmes, où le soleil reste sur les murs sans pouvoir se détacher du soir, où le vent sépare sans bruit des plantes qui se referment sur lui. J'oublie qu'il faut mourir parmi les herbes entourées d'une écorce de soleil, parmi ceux qui reviennent des champs d'un pas familier pour la terre et le soir parmi les chants qui se joignent au-dessus des chemins, au-dessus de la nuit, parmi les bois qui font du ciel tant de regards sans visage, ni chaleur.

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    Lucien Becker

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    @lucienBecker

    Le désir n'a pas de légende Passé le genou où la main se creuse comme une semence qui germe en soulevant un peu la terre, je vais vers ton ventre comme vers une ruche endormie. Plus haut ta peau est si claire que les jambes en sont nues pour tout le corps et mon regard s'y use comme au plus tranchant d'un éclat de soleil. Au-delà, il y a ta lingerie qui sert à t'offrir et à colorer mon désir. Tes cuisses, lisibles de toute leur soie, se desserrent et je vois la ligne de partage de ta chair. Géants de la sensation, mes doigts vont se fermer sur le seul point du monde où se carbonisent des hauteurs entières de jour. Et c'est enfin la pleine rivière que e remonte sans effort, parce que tes seins s y élèvent comme deux cailloux à fleur d'eau. Dès que tu entres dans ma chambre tu la fais se tourner vers le soleil. Le front sur toi de la plus faible lueur et c'est tout le ciel qui t'enjambe. Pour que mes mains puissent te toucher il faut qu'elles se fraient un passage à travers les blés dans lesquels tu te tiens, avec toute une journée de pollen sur la bouche. Nue, tu te jettes dans ma nudité comme par une fenêtre au-delà de laquelle le monde n'est plus qu'une affiche qui se débat dans le vent. Tu ne peux pas aller plus loin que mon corps qui est contre toi comme un mur. Tu fermes les yeux pour mieux suivre les chemins que ma caresse trace sous ta peau. LE couple que nous formons ne naît bien que dans l'ombre et, nus, nous allons à la conquête des eaux dormantes d'où le désir surgit comme un continent toujours nouveau, à celle des orages qui tombent en nous, lourds et chauds, à celle de tous les végétaux dont il nous faut, lèvres à lèvres, briser l'écorce tendue, à celle des fenêtres dans lesquelles ta chair dérive comme une jetée qui a rompu son point d'attache. Parce qu'ils sont les yeux de la terre, les carreaux se tournent vers ta gorge qui brille comme un peu de foudre en regagnant les fonds marins de la ville. Flanc contre flanc, nous descendons tous deux dans les souterrains où l'on perd corps et où les baisers que tu me donnes, que je te donne sont autant de pas que nous faisons l'un dans l'autre. Il me faut inventer d'incroyables pièges de chair pour prendre le monde dans un baiser, il me faut abattre les murailles dont tu t'entoures pour que le plaisir puisse te couper en deux. C'est alors que l'air est dans ma bouche la racine même de l'espace et des fruits que, pour me laisser passer de ma vie à ta vie, tu te fais arche des épaules aux pieds. Partout sur les murs, sur les visages la lumière se dévêt de sa lingerie et montre son beau ventre de femme d'où l'ombre tombe comme une fourmilière écrasée. Car il y a vraiment de quoi vivre sur la terre, mais il faut avoir la force des arbres pour pouvoir repousser le ciel bas que la mort fait peser sur les paupières. L'espace est pris entre nos regards et nous n'avons que quelques gestes à ébaucher pour qu'il tombe à nos pieds sans faire plus de bruit que la dernière goutte d'eau d'un orage sur la forêt. Tu es plus nue sous mes mains que la pluie sur les tuiles, qu'un feuillage dans le matin, que les dents ensoleillant la bouche. Des insectes s'écrasent en plein vol sous notre peau, mes doigts ne cherchent pas à se protéger de la lumière qui s'élève du fond de tes yeux pour faire se lever dans les miens un jour insoutenable. Le reste de notre vie se fige autour de nous en hautes statues qui ne peuvent entrer dans le cercle de silence et de joie qui nous serre aux reins. Enlacés par l'herbe que l'air fait monter jusqu'à nos lèvres, nous oublions dans notre chambre les paysages qui venaient vers nous au pas de la terre, les beaux paysages qui nous prenaient pour des statues. Vagues s'en allant à la rencontre l'une de l'autre, nos corps n'ont que la flaque des draps pour apprendre que l'amour est une montagne qui s'élève à chaque coup de reins. Nous n'avons que nos bras et nos jambes pour serrer un instant les forêts qu'un éclat de soleil enfonce dans notre chair et fait flamber jusqu'au dernier arbre. Nos dernières paroles se sont arrêtées loin de nous, enfin coupées de leur tronc de sang. Nous entrons seuls dans un monde ouvert sur nos visages comme sur son propre noyau. J e cherche dans ta bouche la source du fleuve souterrain qui te parcourt en rejetant en haut des cuisses son écume de plante fraîchement coupée. Quand tu écrases ton ventre contre moi, quand mes doigts aiguisent ta gorge, tu as des mots doux comme la salive, des mots qui auraient poussé après un orage. De ton corps je fais un pont qui me conduit dans un monde où nos dents se cognent contre le même verre d'air, où nos regards à force d'être proches font la nuit entre eux. Je ne vis plus au jour le jour puisque tes baisers font partie de mon avenir et nous allons jusqu'au bout de la lueur que la foudre trace en remontant nos veines. Il me suffit de quelques gestes pour retrouver, enfouie sous ta peau, la plante nue que tu es et, vacillant de tout le soleil conquis par les ruisseaux, tu entres dans la nuit avec le jour devant toi. Je n'ai qu'à toucher la pointe de tes seins pour que soient soudain rompues les mille écluses qui retiennent entre nous un poids d'eau égal à celui de la mer, pour que toutes les lumières s'allument en nous. Et quand dans la clarté du drap, tu n'es plus qu'un éventail de chair, j'ai hâte de le faire se refermer sur mon corps par une caresse que je jette en toi comme une pierre. En te renversant sur le Ut, tu donnes à la clarté la forme même de tes seins et le jour use toute sa lumière à vouloir ouvrir tes genoux. Tu prends ta source dans le miroir qui coule du mur, tu as du soleil jusqu'au fond de la gorge, tu es neuve comme une goutte de rosée que personne n'a vue, que personne n'a bue. Tu as le cou fragile de ces oiseaux qu'on voit rarement se poser sur la terre et quand tu es dans la rue le regard des hommes monte autour de toi comme une marée. Derrière tes dents, ta chair commence avec ses aubépines de fièvre et de sang. Tu sais qu'elle est une prison dont mon désir te délivre. La caresse fait son bruit de poumon en cherchant dans tes cuisses le papillon qui s'y est posé, presque fermé en toi de ses ailes. Avec l'aveuglement d'une taupe, tu creuses l'air de tes seins. Autour d'eux mes mains s'élèvent comme une montagne coupée en deux. Tu m'accueilles dans un pays au centre duquel ton corps se dresse comme un feu de joie, simplement posé sur la fraîcheur de tes lèvres au point où l'espace se jette en toi. Tu es l'impasse vers laquelle j'accours avec la force des marées, avec la liberté des moissons qu'un coup de faux sépare du soleil. Nous ne parlons pas de l'amour qui nous lie parce qu'il est entre nous comme une bouteille sur une table et qu'il court de mes doigts à tes doigts avec la vitesse de l'éclair. Si je veux t'aimer sans rien perdre de ta clarté, je suis contraint de m'enfermer avec toi dans les pierres. Le jour écarte de temps en temps les rideaux, tache ton épaule et retombe dans la rue. Le silence même est fait de minéral et prend la forme des chambres qui le contiennent. Pour qu'il n'y entre point, c'est mille armoires qu'il aurait fallu pousser contre les portes. Notre nuit est imperméable et nos corps, se suffisant de l'air contenu dans un baiser, descendent jusqu'aux racines de l'arbre qui a nos têtes pour sommet. En plein front, en plein flanc, j'entends les pas que mon sang fait pour s'avancer de sommet en sommet jusqu'à celui dont il me faut dominer ton corps. Je lui en veux de me tenir enfermé dans un visage avec lequel je reste si seul lorsque mes épaules n'ont plus le tien à porter et que je te cherche en vain dans les miroirs. C'est pourtant par lui que je t'ai reconnue dans la rue dans un moment qui reste comme une source en pleine mémoire. C'est lui qui me permet à chaque instant de reconnaître ma vérité dans tes yeux. Tu ouvres la nuit la plus pleine de la pointe de tes seins. Tu viens vers moi dans le tournoiement d'une ville qui ne s'éclaire plus qu'à la clarté du désir. Je ne saurai jamais la distance à parcourir entre la lampe sourde de ton ventre et mon corps. Je sais que je te rejoins dans un baiser qui ne laisse point passer le jour. Sous ma main ensablée dans les caresses, il reste les hauteurs de ta gorge, vers lesquelles j'avance, la bouche pleine de soleil. A force d'avoir mon visage contre ton visage, j'oublie que le monde commence au-delà de ton regard. A jeter l'un dans l'autre nos plus sûrs filets, nous ramenons tous les poissons de la joie. .Le soleil se couche dans les flaques pour rester plus longtemps sur la terre. Tu ne peux plus t'en aller de ma chambre parce que je suis debout sur tes derniers pas. J'essaie de conquérir l'insecte que tu respires. Mais il s'échappe de mes lèvres pour aller se poser sur mon sang. Tu ne peux plus sortir du filet que mes mains tendent sur toi, tu es au centre de l'étoile de mes pas, tu es l'unique réponse de ma vie. A nos regards pris dans la même pierre de présence, le monde arrive par une fenêtre où nous nous penchons parfois de nos corps, hauts comme des promontoires. La ville est au pied de la chambre où tu te tiens avec pour horizon celui de tes épaules et nous touchons jusqu'en son fond le vivier de feu qui donne sa mesure à l'été. Tu te refermes sans cesse sur moi comme deux vagues sur un rocher et nous n'avons qu'à nous laisser porter par la qui s'étend très loin autour de nos visages. Perdus dans un pays de chair et de caresses, nous vivons les quelques miniers d'années dont notre amour a besoin pour que naisse une étreinte de chaque goutte de notre sang. Je suis prisonnier de ton visage à la façon dont un mur l'est du miroir. Pesé par ton regard, le monde perd son poids de pierres. Le chant de ton sang sous la peau est aussi doux à entendre que celui des graminées poursuivies par le vent. Je sais que la mort ne peut rien me faire tant que tu restes entre elle et moi, tant que s'allume dans ta chair le ver luisant du plaisir. Le couchant tournoie sur chacun de tes ongles avant d'aller grossir la terre d'une dernière montagne de clarté .... et je peux voir a ton poignet les pas que ta vie fait pour venir jusqu'à moi. Au -delà de mes mains refermées sur toi, au-delà de ce baiser qui nous dénude, au-delà du dernier mot que tu viens de dire, il y a le désir que nous tenons vivant contre nous. Il y a la vie des autres qui remonte de la ville sans pouvoir aller plus loin que la porte derrière laquelle les murs écoutent à notre place le bruit que le cœur des hommes fait dans la rue. Tu dépasses les herbes de quelques hauteurs de soleil. Je te sens à peine bien que je sois sur toi comme sur la pointe la plus aiguë d'une montagne. Tu es entière contre chacune de mes mains, tu es entière sous mes paupières, tu es entière de mes pieds à ma tête, tu es seule entre le monde et moi. Le soleil reste sur ta bouche à la place où miroite encore un baiser. Ton visage lui appartient mais il me le rend pour des nuits plus longues que ma vie. Ton corps pour lequel je m'éveille s'éclaire plus vite que le jour parce que le soleil surgit à toutes les places où il y a des cailloux à pétrir. Les forêts se dénudent pour lui dans le secret de leurs clairières mais c'est sur ta gorge qu'il fait pousser ses plus beaux fruits. La terre lui présente une à une ses vallées les plus riches, mais c'est sur ton ventre qu'il s'arrête, simple bouquet de flammes. Le toit des villages est posé sur la terre et les prés fuient de toutes parts autour des murs blancs qui avancent d'une maison par siècle. Je pense à l'étonnement de ton ventre qui regarde toujours mon désir pour la première Je pense aux forêts que nous faisons tomber quand ma chair mûrit dans la tienne. Je pense à la hauteur de l'été sur la poussière des routes, au ruisseau qui s'arrête un instant de couler pour mieux s'éblouir de la nudité de la lumière. A rester debout dans ce pays démesuré de clarté, je sens que je n'ai pas asse de poumons pour retenir la vie qui vient vers moi à la façon dont ton corps vient vers le mien.

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    Lucien Becker

    Lucien Becker

    @lucienBecker

    Vivre dans l'éternité Sous l'été, il y a des villages qui sont comme des étangs, leurs ailes touchent la terre comme celles des oiseaux morts dont le ventre blanc a tournoyé dans le soleil. L'ombre des arbres prend feu à chaque feuille qui manque. On a envie d'étendre sa main sur la moisson couchée comme une femme à moitié dévêtue. Le soleil, l'épaule contre les portes. Personne n'ouvrira. Le soleil met dans la serrure une clé qui tombe. Après-midi posées sur la poussière des routes sous un ciel qui n'avance pas, il n'y a pas assez de ruisseaux dans les champs pour retenir la lumière entre leurs herbes. L'œil d'un pont dans un quartier mort regarde de plus loin que le monde et les murs sont blancs comme les chemins où la terre souffre d'être nue. II Les villages somnolent sous leur couvercle de pierres rêvant tout haut dans la voix des batteuses. Là terre est si calme aux alentours qu'on entend les feuilles tomber des arbres une par une. L'automne tient dans un regard, dans une main vide comme un verre qui vient de se renverser. Les charrues se plaignent en montant la colline et leur cri est plus long aux approches du soir. Au gré de jours secrets comme une clairière, les villages sont de grands oiseaux reposés avec comme vie juste de quoi faire battre la poitrine plate des fenêtres. L'eau dans les ornières a les yeux tristes des bêtes qui rentrent, dominées par leur ombre. Le soir n'est plus qu'un grand morceau de terre qui s'abat sans bruit sur ce qui reste du monde. III D ans le quartier solitaire qu'on traverse en hâte des volets se ferment sur des rires d'enfants sur des voix très douces, très proches du cœur qui font mal au passant, seul avec ses deux mains. Prise dans la vitre, la tête d'une femme supporte le poids de tout le paysage et l'on sent qu'elle peut mourir en fermant les yeux sans que bouge une feuille, sans que crie un oiseau. Gluants d'étoiles, les carreaux sont moins noirs sur l'ombre qui sort des chambres comme une forêt qu'on ne peut arrêter, parce qu'il n'y a plus sur les bords de la terre aucun fleuve de clarté. Le vent est si las qu'il se pose sur la main Un feu s'éteint sans cri au tournant de la nuit et les fumées hautes marchent sur les toits du pas tranquille de ceux qui sont morts. IV Dans une chambre respirent les dessous d'une femme dont le corps est une épée pour le jour. Dans les étables, l'oeil bleu du lait monte jusqu'au bord des seaux pour toucher les mains. La campagne est ouverte comme une mer docile où parfois les forêts se débattent comme des îles et se demandent pourquoi les moissons ne les traversent pas comme une armée. Dans l'herbe où courent les veines du vent, le soleil met des yeux de poupée aux têtes de rosée et la terre s'arrête un moment en plein champ pour retenir les arbres au bord des ruisseaux. La voix de l'homme n'a pas de limites dans le matin et c'est un fleuve qui monte sans arrêt, reliant le monde sans racines des hommes à celui des plantes, pierres vivantes de la terre. V Un passant sur la terre emporte son âme mal pliée sous le cœur sans doublure et se jette, avec son ombre, dans une porte qui le happe comme s'il ne devait plus sortir. Du soleil saute sur le dos des vaches et tombe, foulé, au seuil des étables. Les nuages gagnent du retard, hésitent dans le ciel mal éclairé. Une femme se baigne dans un miroir. Elle y est si nue qu'elle n'a plus de regard et elle monte à fleur d'eau, allégée d'elle-même et de toutes les lignes qui la séparent du monde. Le ciel frôle la terre de ses antennes et cherche un peu d'eau entre les herbes pour retrouver sa route dans la nuit, qui approche, faite de feuilles mortes et de baisers. VI Des têtes mises en vrac au milieu des hommes se hissent derrière des yeux de mensonge et l'ombre monte autour d'elles comme une vase. Personne ne les redent, pas même un regard. Un bras levé signale la présence de quelque drame ignoré des toits. C'est l'agonie de quelqu'un qui prépare son cœur pour une femme qu'il ne connaît que par le visage. Une face défaite regarde dans chaque maison et les carreaux sont pleins d'une source figée. Silencieux en haut de l'escalier, un homme attend que la mort soit sortie de chez lui. Sous des forêts de lune, une veillée de cerfs. A la place où les ponts sortent de la terre, l'eau s'arrête de courir pour mieux voir le soir prendre longuement les saules par l'épaule. VII Dans le soir encore dénudé par le soleil il y a un village qui tend ses bras de fumée et la forêt, bleue de fraîcheur et de santé, reste souveraine comme un corps sans paroles. A un signal d'ensemble donné par le vent les herbes marchent par bandes emmenant avec elles de grands carrés de plaines jusqu'au point où l'horizon ne voit qu'un autre horizon. Le ciel s'allume comme une ville paisible en même temps que celles plus folles de la terre où les femmes vont, insaisissables comme une lueur et où les rapides prennent feu dans la nuit. Comment sortir, sans le fardeau de la mémoire, des manches trop longues et trop serrées des rues où l'on ne peut crier et où les fenêtres vous suivent avec le haussement d'épaule de leurs battants? VIII Il n'y a plus d'ombre écrasée sur la terre brûlante comme une pierre chauffée de soleil. Les abois sont plus sourds dans les fermes qui étouffent dans l'odeur accablante des foins. L'eau traverse les cailloux trop clairs qui surgissent là où la clarté fait des trous. Les sources sont plus profondes dans les vallées où passe une rumeur d'insectes qui s'assoupissent. La tête des femmes est douce comme une écume. Le couchant est si long que la nuit reste claire au-dessus du ciel qui serre le monde de près au-dessus des hiboux qui n'osent pas bouger. Il n'y a pas de veilleur sur la montagne qui monte seule à la rencontre de la nuit. Il n'y a plus d'éclair au creux des arbres d'où l'ombre sort pour couvrir la terre. IX Les chemins tremblants de la senteur des trèfles s'en vont dans le soleil l'un vers l'autre avec des voitures hautes comme des maisons avec des hommes qui ne peuvent pas mourir le jour. Près des buissons débordant d'un peu d'ombre des paysans muets mangent leur soupe trop salée. D'autres dorment une demi-heure le corps uni au levain chaud du sol. La colline comme un cœur au-dessus des sources qui se tranchent l'aorte avec des cailloux clairs vient au village par des chemins de soleil. La fenêtre n'a pas remué son aile entr'ouverte. La lumière tête nue sommeille sur le lit défait un enfant se roule avec les poules dans la poussière. La clarté se casse comme un verre en plein ciel et libère les arbres dans un beau jour d'été. X ENTRE les villages séparés par le silence, les chaumes se tendent comme des oiseaux aux aguets et l'on entend parfois le bruit que fait une feuille pour rentrer dans la terre. Il y a tant de litres de clarté jamais bus jamais vides de leur éclatement facile que la terre reste blanche comme les routes dont la poussière cache un peu de soleil. Le ciel trop haut n'a pas retenu ton regard la terre n'a pas gardé ton pas sur les chemins Il reste un peu de buée sur la tête trop claire, un peu de tendresse mal assemblée dans la main. Tu as vécu jusqu'au dernier papier de peau jusqu'à la dernière goutte de regard. Pas une femme ne se souvient de ta vie comme la terre se souvient des étoiles. XI Les chevaux de pierre marchent à l'abreuvoir secouant leurs crinières et faisant des faux pas. Le clocher dépasse les toits de toute sa lueur, voit le matin comme un lourd camion se mouvoir. Les hommes qui sortent plus grands de la nuit, les chevaux qui tirent sans peine une ombre immense cherchent les champs où les moissons mûrissent et le chemin vide tourne en vain autour d'eux. La colline est captive entre les routes qui viennent de la ville, étonnées de voir tant de faux, tant de bras briller comme des coups de soleil dans les vitrines. Les volets s'ouvrent sur les chambres où le jour se pose d'un seul coup comme sur un piège et la femme qui se lève est soudain nue comme un feuillage traversé par la pluie. XII Dans le soir, les paroles se séparent comme des fleuves qui ne vont pas vers la même mer. Dans le soir, le couchant n'est plus, si près de la terre, qu'une paupière trop lourde qui retombe. La nuit n'entend que la flottaison des étoiles que le bruit d'étoffe des baisers sur les corps. Un insecte se débat sur une source où le jour veille, clair encor d'un peu de ciel. Baisers légers comme des bulles de savon, terre couverte d'un seul arbre d'ombre, main de soleil qui dures sur le couchant, comme vous mentez à mon visage déconcerté. Et quand je te vois, seule, sans horizon, je traverse, sans armes ni défense, les plantes de tendresse qui lèvent de ton corps, immenses et douces comme des vallées. XIII Les oiseaux perdent haleine à suivre la trace du jour dans le soir qui s'avance au pas de l'éternité. La jetée d'un éclat augmente un front furtif qui disparaît, captif du corps de la nuit. Plus blanche est la morte qui n'a plus que ses paupières. Plus dur est le chemin qui traverse les blés. Les hommes qui se lèvent ont des lèvres de terre parce que le sommeil monte en eux du sol chaud. XIV Il n'y a plus dans les champs que des chaumes ou des pierres d'où les moissons se retirent reprises comme une marée. Les chemins font des détours pour aller d'un village à l'autre à l'insu des grand'routes et des fleuves des villes. Les feuilles mortes s'affolent à chaque appel du vent et les arbres vacillent, gagnés par le vertige. Accroupie sur les sources, la terre se serre sous les collines. Seule entre les bois, elle attend que les plantes remontent vers elle. XV Les champs sont noirs comme la bouche d'un tunnel Ne quitte pas cette route qui vient des villes : Le calme a des bordures qui cèdent comme des trappes. Ne lève pas la main pour toucher le ciel bas. Les nuages tombent de l'autre côté du monde, lourds comme des forêts enfermées dans le vent, larges comme les plaines qu'ils étouffent et les pierres montrent les débris de chair de la terre. Quelles douces mains s'accouvent sur nos fronts, sous quels beaux miroirs se plaignent nos mémoires ? Quand la pluie tombe, un grand fond de détresse fait vaciller la joie qui monte dans l'homme. Un geste indifférent résume le passé, le cœur en battant a peur de faire du bruit, la nuit ne peut consoler le cri des sirènes : le monde est seul comme une bouteille bue. XVI La tempête passe entre les doigts ouverts en renversant le ciel parmi les feuilles mortes et la terre ne dépasse plus de la terre que par quelques arbres coulant avec leur mâture. Les oiseaux perdus dans les branches se taisent, les bielles s'arrêtent dans les machines souterraines, les chambres sans plafond sont nues dans la bourrasque qui troue la cendre froide où les hommes se cachent. Les nœuds de rosée n'ont pas tenu dans l'herbe qui pourchasse le vent en toute liberté, surprise de voir la terre si dure et si passive aux coups que lui donne le nuage en plein vol. Les ceps transis restent seuls dans les champs au milieu des os que tendent les chaumes. Le monde est soudain vide comme un couloir où le moindre pas, le moindre mot résonne. XVII La porte est ouverte entre les murs du soir, les trappes cèdent sous mes pas haletants. Au vent sans effort, souffle ta main légère, suicide simple comme le regard de l'eau. Le dernier matin de ta vie passe auprès de toi, écoute battre le dernier jour de la terre, happe au passage la dernière tige de vent. Le ciel n'est plus sur tes yeux qu'un peu de buée. N'appelle personne parmi les hommes : on ne meurt bien que dans la solitude. La lumière n'a plus de prises sur ton corps. Sous ton corps, la terre monte à coups d'épaule. Pas un mort ne te voit, pas un mort ne te cherche. L'univers est seul comme une main coupée. L'éternité s'affole, s'écarte de ta route, mesure d'étoile en étoile ce qui la sépare de toi. XVIII Chaque vie scellée par le silence se perd dans l'espace clignotant de jours et de nuits et c'est au moment de la mort qu'elle apprend que les siècles ont le battement de la mer. C'est le pas cadencé sur la dalle éternelle, c'est le cri sans écho qui tournoie dans la nuit comme un peu de foudre, c'est le cri sur lequel se ferme pour toujours la bouche de l'homme. Pars vite. Tu ne peux déjà plus me rejoindre. L'amour est un peu de soleil sur un naufrage. Séparée de moi par des plaines de retard, tu ne coïncides pas avec ma minute éternelle. Et pourtant la joie de vivre se fait femme au seuil des portes trop hautes du jour où les hommes se lavent à grand soleil avec l'ombre rejetée d'un coup derrière eux. XIX Asept heures sonne la messe quotidienne. Personne n'y va, sauf une vieille rentière catholique dont le mari est mort, on croit, alcoolique. Un chantre sans voix y chante toujours la même antienne. Au seuil d'une porte, des vieillards défigurés remuent leur bouche sans rien dire, ni penser et leurs doigts n'osent pas toucher la peau morte qui s'étend de leurs yeux au reste du visage. Sous un arbre, un enfant mal éveillé joue avec un chien deux fois plus haut que lui. Une auto claire passe très vite, fuit sur la grand'route qui monte dans le soleil. Le village se tourne de toute son ombre vers les jardins d'où doit venir le soir léger de toutes ses femmes de fumée et de ses sources entr'ouvertes comme des lèvres. XX Le vent qui entre dans la ville comme un arbre sorti de terre avec ses racines se débat au milieu des flaques et cherche en vain une plaine pour s'enfuir. Les murs le repoussent sans un mot, les femmes qu'il traverse cessent un instant de respirer mais, les mains sur les cuisses, elles revivent. Au bout de ses escaliers de poussière, il tombe sur les maisons coupées au ras des épaules, sur les cheminées cariées comme une mâchoire et ne vit pleinement que dans ce qu'il rencontre. D'un toit, il a vu la forêt comme un tourment tranquille mais il perd pied dans les rues trop claires. Il attend le soir qui le mènera sûrement vers les ponts haut ouverts de la campagne. XXI Le jour est si léger sur la ville qu'il touche à peine les toits et certains murs ne le connaissent que par les reflets que les carreaux leur renvoient. Les femmes passent en vacillant comme les hauts trèfles des champs et les vitrines les fixent, étonnées de voir des choses vivantes aussi belles derrière leurs cils. Dans les gares, le vent accourt toujours attendu. Des trains nostalgiques s'arrêtent à regret avec une crête de rumeur sur la tête et toute la campagne restée dans leurs vitres. Le jour pensif de feuillages cerne la ville qui ne peut plus vivre qu'entre le bas des murs et les tempes qu'elle pose contre le ciel ne battent parfois que d'un éclat de soleil.

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