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René Char

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René Char, né le 14 juin 1907 à L'Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse) et mort le 19 février 1988 à Paris 5e, est un poète et résistant français.

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Poésies

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    Faim rouge Tu étais folle. Comme c'est loin! Tu mourus, un doigt devant ta bouche, Dans un noble mouvement, Pour couper court à l'effusion; Au froid soleil d'un vert partage. Tu étais si belle que nul ne s'aperçut de ta mort. Plus tard, c'était la nuit, tu te mis en chemin avec moi. Nudité sans méfiance, Seins pourris par ton cœur. » A l'aise en ce monde occurrent, Un homme, qui t'avait serrée dans ses bras, Passa à table. Sois bien, tu n'es pas.

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    Joie Comme tendrement rit la terre quand la neige s'éveille sur elle! Jour sur jour, gisante embrassée, elle pleure et rit. Le feu qui la fuyait l'épouse, à peine a disparu la neige. S'il te faut repartir, prends appui contre une maison sèche. N'aie point souci de l'arbre grâce auquel, de très loin, tu la reconnaîtras. Ses propres fruits le désaltéreront. Levé avant son sens, un mot nous éveille, nous prodigue la clarté du jour, un mot qui n'a pas rivé. Espace couleur de pomme. Espace, brûlant compo- tier. Aujourd'hui est un Jouve. Demain verra son bond. Mets-toi à la place des dieux et regarde-toi. Une seule fois en naissant échangé, corps sarclé où l'usure échoue, tu es plus invisible qu'eux. Et tu te répètes moins. La terre a des mains, la lune n'en a pas. La terre est meurtrière, la lune désolée. La liberté c'est ensuite le vide, un vide à désespérément recenser. Après, chers emmurés éminentis-simes, c'est la forte odeur de votre dénouement. Comment vous surprendrait-elle? Faut-il l'aimer ce nu altérant, lustre d'une vérité au caur sec, au sang convulsif! Avenir déjà raturé! Monde plaintif! Quand le masque de l'homme s'applique au visage de terre, elle a les yeux crevés. Sommes-nous hors de nos gonds pour toujours? Repeints d'une beauté sauve? J'aurais pu prendre la nature comme partenaire et danser avec elle à tous les bals. Je l'aimais. Mais deux ne s'épousent pas aux vendanges. Mon amour préférait le fruit à son fantôme. J'unissais l'un à l'autre, insoumis et courbé. Trois cent soixante-cinq nuits sans les jours, bien massives, c'est ce que je souhaite aux kaîsseurs de la nuit. Ils vont nous faire souffrir, mais nous les ferons souffrir. Il faudrait dire à l'or qui roule : « Venge-toi. » Au temps qui désunit : « Serai-je avec qui j'aime? O, ne pas qu'entrevoir! » Sont venus des tranche-montagnes qui n'ont que ce que leurs yeux saisissent pour eux. Individus prompts à terroriser. N'émonde pas la flamme, n'écourte pas la braise en son printemps. Les migrations, par les nuits froides, ne s'arrêteraient pas à ta vue. Nous éprouvons les insomnies du Niagara et cherchons des terres émues, des terres propres à émouvoir une nature à nouveau enragée. Le peintre de Lascaux, Giotto, Van Eyck, Uccello, Fouquet, Mantegna, Cranach, Carpaccio, Georges de La Tour, Poussin, Rembrandt, laines de mon nid rocheux. Nos orages nous sont essentiels. Dans l'ordre des douleurs la société n'est pas fatalement fautive, malgré ses étroites places, ses murs, leur écroulement et leur restauration alternés. On ne peut se mesurer avec l'image qu'autrui se fait de nous, l'analogie bientôt se perdrait. Nous passerons de la mort imaginée aux roseaux de la mort vécue nûment. La vie, par abrasion, se distrait à travers nous. La mort ne se trouve ni en deçà, ni au-delà. Elle est à côté, industrieuse, infime. Je suis né et j'ai grandi parmi des contraires tangibles à tout moment, malgré leurs exactions spacieuses et les coups qu'ils se portaient. Je courus les gares. Cœur luisant n'éclaire pas que sa propre nuit. Il redresse le peu agile épi. Il en est qui laissent des poisons, d'autres des remèdes. Difficiles à déchiffrer. Il faut goûter. Le oui, le non immédiats, c'est salubre en dépit des corrections qui vont suivre. Au séjour supérieur, nul invité, nul partage : l'urne fondamentale. L'éclair trace le présent, en balafre le jardin, poursuit, sans assaillir, son extension, ne cessera de paraître comme d'avoir été. Les favorisés de l'instant n'ont pas vécu comme nous avons osé vivre, sans crainte du voilement de notre imagi' nation, par tendresse d'imagination. Nous ne sommes tués que par la vie. La mort est l'hôte. Elle délivre la maison de son enclos et la pousse à l'orée du bois. Soleil jouvenceau, je te vois ; mais là où tu n'es plus. Qui croit renouvelable l'énigme, la devient. Escaladant librement l'érosion béante, tantôt lumineux, tantôt obscur, savoir sans fonder sera sa loi. Loi qu'il observera mais qui aura raison de lui; fondation dont il ne voudra pas mais qu'il mettra en œuvre. On doit sans cesse en revenir à l'érosion. La douleur contre la perfection *.

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    L'avenir non prédit Je te regarde vivre dans une fête que ma crainte de venir à fin laisse obscure. Nos mains se ferment sur une étoile flagellaire. La flûte est à retailler. À peine si la pointe d'un brutal soleil touche un jour débutant. Ne sachant plus si tant de sève victorieuse devait chanter ou se taire, j'ai desserré le poing du Temps ei saisi sa moisson. Est apparu un multiple et stérile arc-en-ciel. Eve solaire, possible de chair et de poussière, je ne crois pas au dévoilement des autres, mais au tien seul. Qui gronde, me suive jusqu'à notre portail. Je sens naître mon souffle nouveau et finir ma douleur.

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    L'éternite a Lourmarin Albert Camus Il n'y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec un être qui nous a quittés. Où s'étourdit notre affection? Cerne après cerne, s'il approche c'est pour aussitôt s'enfouir. Son visage parfois vient s'appliquer contre le nôtre, ne produisant qu'un éclair glacé. Le jour qui allongeait le bonheur entre lui et nous n'est nulle part. Toutes les parties — presque excessives — d'une présence se sont d'un coup disloquées. Routine de notre vigilance... Pourtant cet être supprimé se tient dans quelque chose de rigide, de désert, d'essentiel en nous, où nos millénaires ensemble font juste l'épaisseur d'une paupière tirée. Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n'est pas le silence. Qu'en est-il alors? Nous savons, ou croyons savoir. Mais seulement quand le passé qui signifie s'ouvre pour lui livrer passage. Le voici à notre hauteur, puis loin, devant. À l'heure de nouveau contenue où nous questionnons tout le poids d'énigme, soudain commence la douleur, celle de compagnon à compagnon, que l'archer, cette fois, ne transperce pas.

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    La liberté Elle est venue par cette ligne blanche pouvant tout aussi bien signifier l'issue de l'aube que le bougeoir de crépuscule. Elle passa les graves machinales ; elle passa les cimes évcntrées. Prenaient fin la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l'alcool du bourreau. Son verbe ne fut pas un aveugle bélier mais la toile où s'inscrivit mon souffle. D'un pas à ne se mal guider que derrière l'absence, elle est venue, cygne sur la blessure, par cette ligne blanche.

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    La scie rêveuse S'assurer de ses propres murmures et mener l'action jusqu'à son verbe en fleur. Ne pas tenir ce bref feu de joie pour mémorable. Cessons de lancer nos escarbilles au visage des dieux faillis. C'est notre regard qui s'emplit de larmes. Il en est qui courent encore, amants tardifs de l'espace et du retrait. Ainsi, dieux improbables, se veulent-ils peu diligents dans la maison mais empressés dans l'étendue. Loi de rivière, loi au juste report, aux pertes compensées mais aux flancs déchirés, lorsque l'ambitieuse maison d'esprit croula, nous te reconnûmes et te trouvâmes bonne. Souffle au sommeil derrière ses charrues : « Halte un moment : le lit n'est pas immense ! » Entends le mot accomplir ce qu'il dit. Sens le mot être à son tour ce que tu es. Et son existence devient doublement la tienne. Seule des autres pierres, la pierre du torrent a le contour rêveur du visage enfin rendu.

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    La vérité vous rendra libres Tu es lampe, tu es nuit: Cette lucarne est pour ton regard, Cette planche pour ta fatigue, Ce peu d'eau pour ta soif. Les murs entiers sont à celui que ta clarté met au monde, Ô détenue, ô Mariée!

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    Le baiser Massive lenteur, lenteur martelée; Humaine lenteur, lenteur débattue; Déserte lenteur, reviens sur tes feux; Sublime lenteur, monte de l'amour: La chouette est de retour.

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    Lenteur de l'avenir Il faut escalader beaucoup de dogmes et de glace pour jouer de bonheur et s'éveiller rougeur sur la pierre du lit. Entre eux et moi il y eut longtemps comme une haie sauvage dont il nous était loisible de recueillir les aubépines en fleurs, et de nous les offrir. Jamais plus loin que la main et le bras. Ils m'aimaient et je les aimais. Cet obstacle pour le vent où échouait ma pleine force, quel était-il? Un rossignol me le révéla, et puis une charogne. La mort dans la vie, c'est inalliable, c'est répugnant; la mort avec la mort, c'est approchable, ce n'est rien, un ventre peureux y rampe sans trembler. J'ai renversé le dernier mur, celui qui ceinture les nomades des neiges, et je vois — ô mes premiers parents — l'été du chandelier. Notre figure terrestre n'est que le second tiers d'une poursuite continue, un point, amont.

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    Les inventeurs Ils sont venus, les forestiers de l'autre versant, les inconnus de nous, les rebelles à nos usages. Ils sont venus nombreux. Leur troupe est apparue à la ligne de partage des cèdres Et du champ de la vieille moisson désormais irrigué et vert. La longue marche les avait échauffés. Leur casquette cassait sur leurs yeux et leur pied fourbu se posait dans le vague. Ils nous ont aperçus et se sont arrêtés. Visiblement ils ne présumaient pas nous trouver là, Sur des terres faciles et des sillons bien clos. Tout à fait insouciants d'une audience. Nous avons levé le front et les avons encouragés. Le plus disert s'est approché, puis un second tout aussi déraciné et lent. Nous sommes venus, dirent-ils, vous prévenir de l'arrivée prochaine de l'ouragan, de votre implacable adversaire. Pas plus que vous, nous ne le connaissons Autrement que par des relations et des confidences d'ancêtres. Mais pourquoi sommes-nous heureux incompréhensi-blement devant vous et soudain pareils à des enfants? Nous avons dit merci et les avons congédiés. Mais auparavant ils ont bu, et leurs mains tremblaient, et leurs yeux riaient sur les bords. Hommes d'arbres et de cognée, capables de tenir tête à quelque terreur, mais inaptes à conduire l'eau, à aligner des bâtisses, à les enduire de couleurs plaisantes. Ils ignoreraient le jardin d'hiver et l'économie de la joie. Certes, nous aurions pu les convaincre et les conquérir. Car l'angoisse de l'ouragan est émouvante. Oui, l'ouragan allait bientôt venir: Mais cela valait-il la peine que l'on en parlât et qu'on dérangeât l'avenir? Là où nous sommes, il n'y a pas de crainte urgente.

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    Êros suspendu La nuit avait couvert la moitié de son parcours. L'amas des cieux allait à cette seconde tenir en entier dans mon regard. Je te vis, la première et la seule, divine femelle dans les sphères bouleversées. Je déchirai ta robe d'infini, te ramenai nue sur mon sol. L'humus mobile de la terre fut partout. Nous volons, disent tes servantes, dans l'espace cruel, — au chant de ma trompette rouge.

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    Fragment 128 des feuillets d’hypnos Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger. Deux compagnies de S.S. et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs mortiers. Alors commença l’épreuve. Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place centrale. Les clés sur les portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte assez vite de l’ordre, vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous l’effet d’une bombe. Depuis quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chuchoter l’alerte. J’avais reconnu immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de surveillance et de gagner la campagne. Je changeai rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfugiai autorisait, à toute extrémité, une résistance armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre, derrière les rideaux jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas un des miens n’était présent au village. Cette pensée me rassura. À quelques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes et resteraient tapis. Des coups me parvenaient, ponctués d’injures. Les S.S. avaient surpris un jeune maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures. Une voix se penchait hurlante sur le corps tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous », suivie de silence. Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. Une rage insensée s’empara de moi, chassa mon angoisse. Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient sa puissance contenue. Je calculais que le malheureux se tairait encore cinq minutes, puis, fatalement, il parlerait. J’eus honte de souhaiter sa mort avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur les S.S., les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la patrouille se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre.

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