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Roger Caillois

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Roger Caillois, né le 3 mars 1913 à Reims et mort le 21 décembre 1978 au Kremlin-Bicêtre, est un écrivain, sociologue et critique littéraire français, traducteur de Borges.

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Poésies

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    Roger Caillois

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    Calcaire Des fuseaux d’une netteté prodigieuse s’entrecroisent sur l’étendue entière du calcaire graphique. De toutes nuances, entre chamois et brique. Ils dessinent de grandes sauterelles polygonales serrées et mêlées, élytres bruyants et longues pattes égarées, la tête de l’une accrochée à l’abdomen de l’autre. Les acridiens enchevêtrés projettent comme sur un papier peint leur grouillement vorace, analogue aux boules d’ivoire japonaises qui roulent des rats ou des crabes se dévorant entre eux en une parfaite, sphérique et ignoble continuité. Ici, tout est plat, anguleux et diagonal. A travers les corps soudés des insectes, les séparant d’un trait appuyé, puis soudain les traversant d’outre en outre, courent des filaments ramifiés comme nerfs ou artérioles rigides. Les plus minces sont métallisés, les autres constitués de cristaux minuscules. Leur réseau reste mat, tant qu’il ne réfléchit pas la lumière. Mais qu’on dirige la pierre de façon qu’elle capte un rayon, voici que s’illuminent les ternes filets. Une électricité chevelue circule parmi les criquets en caque. Un fouet à multiples lanières les cingle de mèches agiles, de frissons de mercure furtif. La plaque ruisselle d’éclairs. En montagne, à la fonte des neiges, les prés sont ainsi zébrés d’eaux vives qui dévalent des poches d’ombres où les névés se sont accumulés. C’est un émoi, une fête de gouttelettes et d’écume, une course panique sans but vers le niveau le plus bas qu’un argent sauvage cherche à atteindre le plus vite, rebondissant jusqu’à s’exténuer, épongé avec peine par un sol déjà gorgé. Sur la tranche polie du calcaire, les canaux de feu étendent un peuple de radicelles que ne guette aucun épuisement prochain. Un geste les assoupit, un autre les éveille et voici leur fontaine bruire et miroiter, déverser leur ardente coulée dans les rigoles ménagées pour leur incandescence par la finesse réfractaire où elle se faufile et s’étale. Au-dessus des sillons lumineux, dans un bref canton préservé de la pluie des obliques : un disque lointain, une pastille minuscule que son éclat de plomb écorché fait reconnaître comme l’image du triste Saturne.

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    Roger Caillois

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    Le château Le fond de la pierre est bistre pâle. Le profil d’un vaste château s’y découpe en brun luisant. Sous une lumière rasante, le fond devient mat et le sombre édifice miroite d’un éclat presque métallique. Les valeurs changent, les contours demeurent. De profonds chemins de ronde séparent les enceintes successives. Au centre, une tour à plusieurs étages domine l’ensemble des constructions. Il s’agit d’une coupe transversale sans épaisseur ni perspective, qui donne seulement l’élévation du bâti¬ ment imaginé. Si haut qu’on le suppose, il est encore dominé, ombragé par de larges feuilles inclinées de fou¬ gères arborescentes. Elles déploient leur dentelle bien au-dessus des tours. Le spectateur se demande quelle végétation a pu développer d’aussi gigantesques ramages, qui réduisent un palais à la dimension d’une maison de poupées. L’œil hésite et, ne sachant que choisir pour échelle de grandeur, tour à tour magnifie la fou¬ gère et amoindrit l’édifice. À droite, dans le ciel, des oiseaux tourbillonnent ; à gauche, il n’y en a qu’un, mais immense ; les ailes déployées et le cou tendu vers le bas, il fond sur les terrasses inégales où s’agite un étrange peuple. Car le château est habité ; sur chaque terrasse, au fond de chaque fossé, dans chaque fenêtre ou escaladant les murs, se tiennent des silhouettes parallèles, orientées dans la même direction et figées dans la même attitude. Ces personnages fort distincts, quoique maladroitement tracés, semblables aux «bonshommes» que dessinent les enfants, sont tous debout, de profil, tournés vers la droite. Comme s’ils étaient aveugles, ils étendent leurs bras loin devant eux, dans le vide ou jusqu’à la paroi pro¬ chaine. Eux aussi ne sont qu’ombres chinoises. Leur absence d’épaisseur ajoute à l’irréalité de la scène. Que regardent ces êtres plats ? Où se dirigent-ils ? Leur geste est-il de protection ou de vénération ? Tout à droite, de l’autre côté d’une sorte de pont, la seule silhouette qui soit différente semble les attendre. Elle n’est pas de pro¬ fil. Une tache blanche lui donne l’ébauche d’un visage. Toute la scène est trois fois traversée par l’étincelle céleste ; biffée du zigzag blanc de l’éclair à l’instant où il foudroie un univers dément. À plusieurs points de vue, rien ne ressemble davantage à une image.

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