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Imaginaire

207 poésies en cours de vérification
Imaginaire

Poésies de la collection imaginaire

    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Confins Dans l’ombre tiède, où toute emphase s’atténue, Sur les coussins, parmi la flore des lampas, L’effeuillement des heures d’or qu’on n’entend pas Vibrer ainsi qu’un son d’archet qui diminue. S’affiner l’âme en une extase si ténue ; Jouir son coeur sur une pointe de compas ; Tenter parmi des flacons d’or d’exquis trépas ; Ne plus savoir ce que sa vie est devenue… Se retrouver, et puis se perdre en des pays, Et des heures, en des pianos inouïs Faire flotter comme du silence en arpèges ; Dans les parfums et la fumée aux lents manèges Jusqu’à son coeur et par ses yeux évanouis Sentir tomber des baisers doux comme des neiges.

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    La chimère La chimère a passé dans la ville où tout dort, Et l’homme en tressaillant a bondi de sa couche Pour suivre le beau monstre à la démarche louche Qui porte un ciel menteur dans ses larges yeux d’or. Vieille mère, enfants, femme, il marche sur leurs corps… Il va toujours, l’oeil fixe, insensible et farouche… Le soir tombe… il arrive ; et dès le seuil qu’il touche, Ses pieds ont trébuché sur des têtes de morts. Alors soudain la bête a bondi sur sa proie Et debout, et terrible, et rugissant de joie, De ses grilles de fer elle fouille, elle mord. Mais l’homme dont le sang coule à flots sur la terre, Fixant toujours les yeux divins de la chimère Meurt, la poitrine ouverte et souriant encor.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    La nuit de Mai Poète, prends ton luth et me donne un baiser ; La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore, Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ; Et la bergeronnette, en attendant l’aurore, Aux premiers buissons verts commence à se poser. Poète, prends ton luth, et me donne un baiser. LE POÈTE Comme il fait noir dans la vallée ! J’ai cru qu’une forme voilée Flottait là-bas sur la forêt. Elle sortait de la prairie ; Son pied rasait l’herbe fleurie ; C’est une étrange rêverie ; Elle s’efface et disparaît. LA MUSE Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse, Balance le zéphyr dans son voile odorant. La rose, vierge encor, se referme jalouse Sur le frelon nacré qu’elle enivre en mourant. Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée. Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux. Ce soir, tout va fleurir : l’immortelle nature Se remplit de parfums, d’amour et de murmure, Comme le lit joyeux de deux jeunes époux. LE POÈTE Pourquoi mon coeur bat-il si vite ? Qu’ai-je donc en moi qui s’agite Dont je me sens épouvanté ? Ne frappe-t-on pas à ma porte ? Pourquoi ma lampe à demi morte M’éblouit-elle de clarté ? Dieu puissant ! tout mon corps frissonne. Qui vient ? qui m’appelle ? – Personne. Je suis seul ; c’est l’heure qui sonne ; Ô solitude ! ô pauvreté ! LA MUSE Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. Mon sein est inquiet ; la volupté l’oppresse, Et les vents altérés m’ont mis la lèvre en feu. Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle. Notre premier baiser, ne t’en souviens-tu pas, Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile, Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ? Ah ! je t’ai consolé d’une amère souffrance ! Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d’amour. Console-moi ce soir, je me meurs d’espérance ; J’ai besoin de prier pour vivre jusqu’au jour. LE POÈTE Est-ce toi dont la voix m’appelle, Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ? Ô ma fleur ! ô mon immortelle ! Seul être pudique et fidèle Où vive encor l’amour de moi ! Oui, te voilà, c’est toi, ma blonde, C’est toi, ma maîtresse et ma soeur ! Et je sens, dans la nuit profonde, De ta robe d’or qui m’inonde Les rayons glisser dans mon coeur. LA MUSE Poète, prends ton luth ; c’est moi, ton immortelle, Qui t’ai vu cette nuit triste et silencieux, Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle, Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux. Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ; Quelque amour t’est venu, comme on en voit sur terre, Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur. Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées, Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ; Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu, Éveillons au hasard les échos de ta vie, Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie, Et que ce soit un rêve, et le premier venu. Inventons quelque part des lieux où l’on oublie ; Partons, nous sommes seuls, l’univers est à nous. Voici la verte Écosse et la brune Italie, Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux, Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes, Et Messa la divine, agréable aux colombes, Et le front chevelu du Pélion changeant ; Et le bleu Titarèse, et le golfe d’argent Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire, La blanche Oloossone à la blanche Camyre. Dis-moi, quel songe d’or nos chants vont-ils bercer ? D’où vont venir les pleurs que nous allons verser ? Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière, Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet, Secouait des lilas dans sa robe légère, Et te contait tout bas les amours qu’il rêvait ? Chanterons-nous l’espoir, la tristesse ou la joie ? Tremperons-nous de sang les bataillons d’acier ? Suspendrons-nous l’amant sur l’échelle de soie ? Jetterons-nous au vent l’écume du coursier ? Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre De la maison céleste, allume nuit et jour L’huile sainte de vie et d’éternel amour ? Crierons-nous à Tarquin :  » Il est temps, voici l’ombre ! «  Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ? Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ? Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ? Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ? La biche le regarde ; elle pleure et supplie ; Sa bruyère l’attend ; ses faons sont nouveau-nés ; Il se baisse, il l’égorge, il jette à la curée Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant. Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée, S’en allant à la messe, un page la suivant, Et d’un regard distrait, à côté de sa mère, Sur sa lèvre entr’ouverte oubliant sa prière ? Elle écoute en tremblant, dans l’écho du pilier, Résonner l’éperon d’un hardi cavalier. Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France De monter tout armés aux créneaux de leurs tours, Et de ressusciter la naïve romance Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ? Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ? L’homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie, Et ce qu’il a fauché du troupeau des humains Avant que l’envoyé de la nuit éternelle Vînt sur son tertre vert l’abattre d’un coup d’aile, Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ? Clouerons-nous au poteau d’une satire altière Le nom sept fois vendu d’un pâle pamphlétaire, Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli, S’en vient, tout grelottant d’envie et d’impuissance, Sur le front du génie insulter l’espérance, Et mordre le laurier que son souffle a sali ? Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ; Mon aile me soulève au souffle du printemps. Le vent va m’emporter ; je vais quitter la terre. Une larme de toi ! Dieu m’écoute ; il est temps. LE POÈTE S’il ne te faut, ma soeur chérie, Qu’un baiser d’une lèvre amie Et qu’une larme de mes yeux, Je te les donnerai sans peine ; De nos amours qu’il te souvienne, Si tu remontes dans les cieux. Je ne chante ni l’espérance, Ni la gloire, ni le bonheur, Hélas ! pas même la souffrance. La bouche garde le silence Pour écouter parler le coeur. LA MUSE Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne, Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau, Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau ? Ô poète ! un baiser, c’est moi qui te le donne. L’herbe que je voulais arracher de ce lieu, C’est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu. Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure Que les noirs séraphins t’ont faite au fond du coeur : Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète, Que ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage En le voyant au loin s’abattre sur les eaux. Déjà, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent à leur père avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux. Lui, gagnant à pas lents une roche élevée, De son aile pendante abritant sa couvée, Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux. Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ; En vain il a des mers fouillé la profondeur ; L’Océan était vide et la plage déserte ; Pour toute nourriture il apporte son coeur. Sombre et silencieux, étendu sur la pierre Partageant à ses fils ses entrailles de père, Dans son amour sublime il berce sa douleur, Et, regardant couler sa sanglante mamelle, Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle, Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur. Mais parfois, au milieu du divin sacrifice, Fatigué de mourir dans un trop long supplice, Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ; Alors il se soulève, ouvre son aile au vent, Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage, Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu, Que les oiseaux des mers désertent le rivage, Et que le voyageur attardé sur la plage, Sentant passer la mort, se recommande à Dieu. Poète, c’est ainsi que font les grands poètes. Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ; Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes Ressemblent la plupart à ceux des pélicans. Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées, De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur, Ce n’est pas un concert à dilater le coeur. Leurs déclamations sont comme des épées : Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant, Mais il y pend toujours quelque goutte de sang. LE POÈTE Ô Muse ! spectre insatiable, Ne m’en demande pas si long. L’homme n’écrit rien sur le sable À l’heure où passe l’aquilon. J’ai vu le temps où ma jeunesse Sur mes lèvres était sans cesse Prête à chanter comme un oiseau ; Mais j’ai souffert un dur martyre, Et le moins que j’en pourrais dire, Si je l’essayais sur ma lyre, La briserait comme un roseau.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    Le somnambule À M. Soumet Voyez, en esprit, ces blessures : l’esprit, quand on dort, a des yeux, et quand on veille, il est aveugle. Eschyle. « Déjà, mon jeune époux ? Quoi ! l’aube paraît-elle ? Non ; la lumière, au fond de l’albâtre, étincelle Blanche et pure, et suspend son jour mystérieux ; La nuit règne profonde et noire dans les cieux, Vois, la clepsydre encor n’a pas versé trois heures : Dors près de ta Néra, sous nos chastes demeures ; Viens, dors près de mon sein. » Mais lui, furtif et lent, Descend du lit d’ivoire et d’or étincelant. Il va, d’un pied prudent, chercher la lampe errante, Dont il garde les feux dans sa main transparente, Son corps blanc est sans voile, il marche pas à pas, L’oeil ouvert, immobile, et murmurant tout bas : « Je la vois, la parjure !… interrompez vos fêtes, Aux Mânes un autel… des cyprès sur vos têtes… Ouvrez, ouvrez la tombe… Allons… Qui descendra ? » Cependant, à genoux et tremblante, Néra, Ses blonds cheveux épars, se traîne. « Arrête, écoute, Arrête, ami ; les Dieux te poursuivent, sans doute ; Au nom de la pitié, tourne tes yeux sur moi ; Vois, c’est moi, ton épouse en larmes devant toi ; Mais tu fuis ; par tes cris ma voix est étouffée ! Phoebé, pardonne-lui ; pardonne-lui, Morphée. » — « J’irai… je frapperai… le glaive est dans ma main : Tous les deux… Pollion.., c’est un jeune Romain… Il ne résiste pas. Dieux ! qu’il est faible encore ! D’un blond duvet sa joue à peine se décore, L’amour a couronné ce luxe éblouissant… Ecartez ce manteau, je ne vois pas le sang. » Mais elle : « O mon amant ! compagnon de ma vie ! Des foyers maternels si ton char m’a ravie, Tremblante, mais complice, et si nos vœux sacrés Ont fait luire à l’Hymen des feux prématurés, Par cette sainte amour nouvellement jurée, Par l’antique Vesta, par l’immortelle Rhée Dont j’embrasse l’autel, jamais nulle autre ardeur De mes pieux serments n’altéra la candeur : Non, jamais Pénélope, à l’aiguille pudique, Plus chaste n’a vécu sous la foi domestique. Pollion, quel est-il ? » — « Je tiens tes longs cheveux… Je dédaigne tes pleurs et tes tardifs aveux, Corinne, tu mourras… » — « Ce n’est pas moi ! Ma mère, Il ne m’a point aimée ! Oh ! ta sainte colère A comme un Dieu vengeur poursuivi nos amours ! Que n’ai-je cru ma mère et ses prudents discours ? Je ne détourne plus ta sacrilège épée ; Tiens, frappe, j’ai vécu puisque tu m’as trompée… … Ah ! cruel !.., mon sang coule !… Ah ! reçois mes adieux ; Puisses-tu ne jamais t’éveiller ! » — « Justes Dieux ! » Écrit en 1819

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    Alphonse Daudet

    Alphonse Daudet

    @alphonseDaudet

    La rêveuse Elle rêve, la jeune femme ! L’œil alangui, les bras pendants, Elle rêve, elle entend son âme, Son âme qui chante au dedans. Tout l’orchestre de ses vingt ans, Clavier d’or aux notes de flamme, Lui dit une joyeuse gamme Sur la clef d’amour du printemps… La rêveuse leva la tête, Puis la penchant sur son poète, S’en fut, lui murmurant tout bas : « Ami, je rêve ; ami, je pleure ; « Ami, je songe que c’est l’heure… « Et que mon coiffeur ne vient pas. »

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Apparition Toi qui du jour mourant consoles la nature, Parais, flambeau des nuits, lève-toi dans les cieux ; Étends autour de moi, sur la pâle verdure, Les douteuses clartés d’un jour mystérieux ! Tous les infortunés chérissent ta lumière ; L’éclat brillant du jour repousse leurs douleurs : Aux regards du soleil ils ferment leur paupière, Et rouvrent devant toi leurs yeux noyés de pleurs. Viens guider mes pas vers la tombe Où ton rayon s’est abaissé. Où chaque soir mon genou tombe Sur un saint nom presque effacé. Mais quoi ! la pierre le repousse !… J’entends… oui, des pas sur la mousse ! Un léger souffle a murmuré ; Mon œil se trouble, je chancelle. Non, non, ce n’est plus toi, c’est elle Dont le regard m’a pénétré. Est-ce bien toi, toi qui t’inclines Sur celui qui fut ton amant ? Parle : que tes lèvres divines Prononcent un mot seulement ; Ce mot que murmurait ta bouche Quand, planant sur ta sombre couche, Le mort interrompit ta voix. Sa bouche commence… Ah ! j’achève : Oui, c’est toi ; ce n’est point un rêve : Anges du ciel, je la revois !… Ainsi donc l’ardente prière Perce le ciel et les enfers ; Ton âme a franchi la barrière Qui sépare deux univers. Béni soit le Dieu qui l’envoie ! Sa grâce a permis que je voie Ce que mes yeux cherchaient toujours. Que veux-tu ? faut-il que je meure ? Tiens, je te donne pour cette heure Toutes les heures de mes jours. Mais quoi ! sur ce rayon déjà l’ombre s’envole : Pour un siècle de pleurs une seule parole ! Est-ce tout ?… c’est assez ! Astre que j’ai chanté, J’en bénirai toujours ta pieuse clarté, Soit que dans nos climats, empire des orages, Comme un vaisseau voguant sur la mer des nuages, Tu perces rarement la triste obscurité ; Soit que sous ce beau ciel, propice à ta lumière, Dans un limpide azur poursuivant ta carrière, Des couleurs du matin tu dores les coteaux ; Ou que, te balançant sur une mer tranquille, Et teignant de tes feux sa surface immobile, Tes rayons argentés se brisent dans les eaux ! Vingt-trosième méditation

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Les voiles Quand j’étais jeune et fier et que j’ouvrais mes ailes, Les ailes de mon âme à tous les vents des mers, Les voiles emportaient ma pensée avec elles, Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers. Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin Des continents de vie et des îles de joie Où la gloire et l’amour m’appelaient de la main. J’enviais chaque nef qui blanchissait l’écume, Heureuse d’aspirer au rivage inconnu, Et maintenant, assis au bord du cap qui fume, J’ai traversé ces flots et j’en suis revenu. Et j’aime encor ces mers autrefois tant aimées, Non plus comme le champ de mes rêves chéris, Mais comme un champ de mort où mes ailes semées De moi-même partout me montrent les débris. Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste, Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ; La foudre ici sur moi tomba de l’arc céleste Et chacun de ces flots roule un peu de mon coeur.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    L’homme À lord Byron Toi, dont le monde encore ignore le vrai nom, Esprit mystérieux, mortel, ange, ou démon, Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie, J’aime de tes concerts la sauvage harmonie, Comme j’aime le bruit de la foudre et des vents Se mêlant dans l’orage à la voix des torrents ! La nuit est ton séjour, l’horreur est ton domaine : L’aigle, roi des déserts, dédaigne ainsi la plaine; Il ne veut, comme toi, que des rocs escarpés Que l’hiver a blanchis, que la foudre a frappés; Des rivages couverts des débris du naufrage, Ou des champs tout noircis des restes du carnage. Et, tandis que l’oiseau qui chante ses douleurs Bâtit au bord des eaux son nid parmi les fleurs, Lui, des sommets d’Athos franchit l’horrible cime, Suspend aux flancs des monts son aire sur l’abîme, Et là, seul, entouré de membres palpitants, De rochers d’un sang noir sans cesse dégouttants, Trouvant sa volupté dans les cris de sa proie, Bercé par la tempête, il s’endort dans sa joie. Et toi, Byron, semblable à ce brigand des airs, Les cris du désespoir sont tes plus doux concerts. Le mal est ton spectacle, et l’homme est ta victime. Ton oeil, comme Satan, a mesuré l’abîme, Et ton âme, y plongeant loin du jour et de Dieu, A dit à l’espérance un éternel adieu ! Comme lui, maintenant, régnant dans les ténèbres, Ton génie invincible éclate en chants funèbres; Il triomphe, et ta voix, sur un mode infernal, Chante l’hymne de gloire au sombre dieu du mal. Mais que sert de lutter contre sa destinée ? Que peut contre le sort la raison mutinée ? Elle n’a comme l’œil qu’un étroit horizon. Ne porte pas plus loin tes yeux ni ta raison : Hors de là tout nous fuit, tout s’éteint, tout s’efface; Dans ce cercle borné Dieu t’a marqué ta place. Comment ? pourquoi ? qui sait ? De ses puissantes mains Il a laissé tomber le monde et les humains, Comme il a dans nos champs répandu la poussière, Ou semé dans les airs la nuit et la lumière; Il le sait, il suffit : l’univers est à lui, Et nous n’avons à nous que le jour d’aujourd’hui ! Notre crime est d’être homme et de vouloir connaître : Ignorer et servir, c’est la loi de notre être. Byron, ce mot est dur : longtemps j’en ai douté; Mais pourquoi reculer devant la vérité ? Ton titre devant Dieu c’est d’être son ouvrage ! De sentir, d’adorer ton divin esclavage; Dans l’ordre universel, faible atome emporté, D’unir à tes desseins ta libre volonté, D’avoir été conçu par son intelligence, De le glorifier par ta seule existence ! Voilà, voilà ton sort. Ah ! loin de l’accuser, Baise plutôt le joug que tu voudrais briser; Descends du rang des dieux qu’usurpait ton audace; Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place; Aux regards de celui qui fit l’immensité, L’insecte vaut un monde : ils ont autant coûté ! Mais cette loi, dis-tu, révolte ta justice; Elle n’est à tes yeux qu’un bizarre caprice, Un piège où la raison trébuche à chaque pas. Confessons-la, Byron, et ne la jugeons pas ! Comme toi, ma raison en ténèbres abonde, Et ce n’est pas à moi de t’expliquer le monde. Que celui qui l’a fait t’explique l’univers ! Plus je sonde l’abîme, hélas ! plus je m’y perds. Ici-bas, la douleur à la douleur s’enchaîne. Le jour succède au jour, et la peine à la peine. Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux; Soit que déshérité de son antique gloire, De ses destins perdus il garde la mémoire; Soit que de ses désirs l’immense profondeur Lui présage de loin sa future grandeur : Imparfait ou déchu, l’homme est le grand mystère. Dans la prison des sens enchaîné sur la terre, Esclave, il sent un cœur né pour la liberté; Malheureux, il aspire à la félicité; Il veut sonder le monde, et son œil est débile ; Il veut aimer toujours : ce qu’il aime est fragile ! Tout mortel est semblable à l’exilé d’Eden : Lorsque Dieu l’eut banni du céleste jardin, Mesurant d’un regard les fatales limites, Il s’assit en pleurant aux portes interdites. Il entendit de loin dans le divin séjour L’harmonieux soupir de l’éternel amour, Les accents du bonheur, les saints concerts des anges Qui, dans le sein de Dieu, célébraient ses louanges; Et, s’arrachant du ciel dans un pénible effort, Son oeil avec effroi retomba sur son sort. Malheur à qui du fond de l’exil de la vie Entendit ces concerts d’un monde qu’il envie ! Du nectar idéal sitôt qu’elle a goûté, La nature répugne à la réalité : Dans le sein du possible en songe elle s’élance; Le réel est étroit, le possible est immense; L’âme avec ses désirs s’y bâtit un séjour, Où l’on puise à jamais la science et l’amour; L’homme, altéré toujours, toujours se désaltère; Et, de songes si beaux enivrants son sommeil, Ne se reconnaît plus au moment du réveil. Hélas ! tel fut ton sort, telle est ma destinée. J’ai vidé comme toi la coupe empoisonnée; Mes yeux, comme les tiens, sans voir se sont ouverts; Jai cherché vainement le mot de l’univers. J’ai demandé sa cause à toute la nature, J’ai demandé sa fin à toute créature; Dans l’abîme sans fond mon regard a plongé; De l’atome au soleil, j’ai tout interrogé; J’ai devancé les temps, j’ai remonté les âges. Tantôt passant les mers pour écouter les sages, Mais le monde à l’orgueil est un livre fermé ! Tantôt, pour deviner le monde inanimé, Fuyant avec mon âme au sein de la nature, J’ai cru trouver un sens à cette langue obscure. J’étudiai la loi par qui roulent les cieux : Dans leurs brillants déserts Newton guida mes yeux, Des empires détruits je méditai la cendre : Dans ses sacrés tombeaux Rome m’a vu descendre; Des mânes les plus saints troublant le froid repos, J’ai pesé dans mes mains la cendre des héros. J’allais redemander à leur vaine poussière Cette immortalité que tout mortel espère ! Que dis-je ? suspendu sur le lit des mourants, Mes regards la cherchaient dans des yeux expirants; Sur ces sommets noircis par d’éternels nuages, Sur ces flots sillonnés par d’éternels orages, J’appelais, je bravais le choc des éléments. Semblable à la sybille en ses emportements, J’ai cru que la nature en ces rares spectacles Laissait tomber pour nous quelqu’un de ses oracles; J’aimais à m’enfoncer dans ces sombres horreurs. Mais en vain dans son calme, en vain dans ses fureurs, Cherchant ce grand secret sans pouvoir le surprendre, J’ai vu partout un Dieu sans jamais le comprendre ! J’ai vu le bien, le mal, sans choix et sans dessein, Tomber comme au hasard, échappés de son sein; Mes yeux dans l’univers n’ont vu qu’un grand peut-être, J’ai blasphémé ce Dieu, ne pouvant le connaître; Et ma voix, se brisant contre ce ciel d’airain, N’a pas même eu l’honneur d’arrêter le destin. Mais, un jour que, plongé dans ma propre infortune, J’avais lassé le ciel d’une plainte importune, Une clarté d’en haut dans mon sein descendit, Me tenta de bénir ce que j’avais maudit, Et, cédant sans combattre au souffle qui m’inspire, L’hymne de la raison s’élança de ma lyre. – « Gloire à toi, dans les temps et dans l’éternité ! Éternelle raison, suprême volonté ! Toi, dont l’immensité reconnaît la présence ! Toi, dont chaque matin annonce l’existence ! Ton souffle créateur s’est abaissé sur moi; Celui qui n’était pas a paru devant toi ! J’ai reconnu ta voix avant de me connaître, Je me suis élancé jusqu’aux portes de l’être : Me voici ! le néant te salue en naissant; Me voici ! mais que suis-je ? un atome pensant ! Qui peut entre nous deux mesurer la distance ? Moi, qui respire en toi ma rapide existence, A l’insu de moi-même à ton gré façonné, Que me dois-tu, Seigneur, quand je ne suis pas né ? Rien avant, rien après : Gloire à la fin suprême : Qui tira tout de soi se doit tout à soi-même ! Jouis, grand artisan, de l’œuvre de tes mains : Je suis, pour accomplir tes ordres souverains, Dispose, ordonne, agis; dans les temps, dans l’espace, Marque-moi pour ta gloire et mon jour et ma place; Mon être, sans se plaindre, et sans t’interroger, De soi-même, en silence, accourra s’y ranger. Comme ces globes d’or qui dans les champs du vide Suivent avec amour ton ombre qui les guide, Noyé dans la lumière, ou perdu dans la nuit, Je marcherai comme eux où ton doigt me conduit; Soit que choisi par toi pour éclairer les mondes, Réfléchissant sur eux les feux dont tu m’inondes, Je m’élance entouré d’esclaves radieux, Et franchisse d’un pas tout l’abîme des cieux; Soit que, me reléguant loin, bien loin de ta vue, Tu ne fasses de moi, créature inconnue, Qu’un atome oublié sur les bords du néant, Ou qu’un grain de poussière emporté par le vent, Glorieux de mon sort, puisqu’il est ton ouvrage, J’irai, j’irai partout te rendre un même hommage, Et, d’un égal amour accomplissant ma loi, Jusqu’aux bords du néant murmurer : Gloire à toi ! – « Ni si haut, ni si bas ! simple enfant de la terre, Mon sort est un problème, et ma fin un mystère; Je ressemble, Seigneur, au globe de la nuit Qui, dans la route obscure où ton doigt le conduit, Réfléchit d’un côté les clartés éternelles, Et de l’autre est plongé dans les ombres mortelles. L’homme est le point fatal où les deux infinis Par la toute-puissance ont été réunis. A tout autre degré, moins malheureux peut-être, J’eusse été… Mais je suis ce que je devais être, J’adore sans la voir ta suprême raison, Gloire à toi qui m’as fait ! Ce que tu fais est bon ! – « Cependant, accablé sous le poids de ma chaîne, Du néant au tombeau l’adversité m’entraîne; Je marche dans la nuit par un chemin mauvais, Ignorant d’où je viens, incertain où je vais, Et je rappelle en vain ma jeunesse écoulée, Comme l’eau du torrent dans sa source troublée. Gloire à toi ! Le malheur en naissant m’a choisi; Comme un jouet vivant, ta droite m’a saisi; J’ai mangé dans les pleurs le pain de ma misère, Et tu m’as abreuvé des eaux de ta colère. Gloire à toi ! J’ai crié, tu n’as pas répondu; J’ai jeté sur la terre un regard confondu. J’ai cherché dans le ciel le jour de ta justice; Il s’est levé, Seigneur, et c’est pour mon supplice ! Gloire à toi ! L’innocence est coupable à tes yeux : Un seul être, du moins, me restait sous les cieux; Toi-même de nos jours avais mêlé la trame, Sa vie était ma vie, et son âme mon âme; Comme un fruit encor vert du rameau détaché, Je l’ai vu de mon sein avant l’âge arraché ! Ce coup, que tu voulais me rendre plus terrible La frappa lentement pour m’être plus sensible; Dans ses traits expirants, où je lisais mon sort, J’ai vu lutter ensemble et l’amour et la mort; J’ai vu dans ses regards la flamme de la vie, Sous la main du trépas par degrés assoupie, Se ranimer encore au souffle de l’amour ! Je disais chaque jour : Soleil ! encore un jour ! Semblable au criminel qui, plongé dans les ombres, Et descendu vivant dans les demeures sombres, Près du dernier flambeau qui doive l’éclairer, Se penche sur sa lampe et la voit expirer, Je voulais retenir l’âme qui s’évapore; Dans son dernier regard je la cherchais encore ! Ce soupir, ô mon Dieu ! dans ton sein s’exhala; Hors du monde avec lui mon espoir s’envola ! Pardonne au désespoir un moment de blasphème, J’osai… Je me repens : Gloire au maître suprême ! Il fit l’eau pour couler, l’aquilon pour courir, Les soleils pour brûler, et l’homme pour souffrir ! – « Que j’ai bien accompli cette loi de mon être ! La nature insensible obéit sans connaître; Moi seul, te découvrant sous la nécessité, J’immole avec amour ma propre volonté, Moi seul, je t’obéis avec intelligence; Moi seul, je me complais dans cette obéissance; Je jouis de remplir, en tout temps, en tout lieu, La loi de ma nature et l’ordre de mon Dieu; J’adore en mes destins ta sagesse suprême, J’aime ta volonté dans mes supplices même, Gloire à toi ! Gloire à toi ! Frappe, anéantis-moi ! Tu n’entendras qu’un cri : Gloire à jamais à toi ! » Ainsi ma voix monta vers la voûte céleste : Je rendis gloire au ciel, et le ciel fit le reste. Fais silence, ô ma lyre ! Et toi, qui dans tes mains Tiens le cœur palpitant des sensibles humains, Byron, viens en tirer des torrents d’harmonie : C’est pour la vérité que Dieu fit le génie. Jette un cri vers le ciel, ô chantre des enfers ! Le ciel même aux damnés enviera tes concerts ! Peut-être qu’à ta voix, de la vivante flamme Un rayon descendra dans l’ombre de ton âme ? Peut-être que ton cœur, ému de saints transports, S’apaisera soi-même à tes propres accords, Et qu’un éclair d’en haut perçant ta nuit profonde, Tu verseras sur nous la clarté qui t’inonde ? Ah ! si jamais ton luth, amolli par tes pleurs, Soupirait sous tes doigts l’hymne de tes douleurs, Ou si, du sein profond des ombres éternelles, Comme un ange tombé, tu secouais tes ailes, Et prenant vers le jour un lumineux essor, Parmi les chœurs sacrés tu t’asseyais encor; Jamais, jamais l’écho de la céleste voûte, Jamais ces harpes d’or que Dieu lui-même écoute, Jamais des séraphins les chœurs mélodieux, De plus divins accords n’auront ravi les cieux ! Courage ! enfant déchu d’une race divine ! Tu portes sur ton front ta superbe origine ! Tout homme en te voyant reconnaît dans tes yeux Un rayon éclipsé de la splendeur des cieux ! Roi des chants immortels, reconnais-toi toi-même ! Laisse aux fils de la nuit le doute et le blasphème; Dédaigne un faux encens qu’on offre de si bas, La gloire ne peut être où la vertu n’est pas. Viens reprendre ton rang dans ta splendeur première, Parmi ces purs enfants de gloire et de lumière, Que d’un souffle choisi Dieu voulut animer, Et qu’il fit pour chanter, pour croire et pour aimer !

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Invocation à la Poésie Nymphe tendre et vermeille, ô jeune Poésie ! Quel bois est aujourd’hui ta retraite choisie ? Quelles fleurs, près d’une onde où s’égarent tes pas, Se courbent mollement sous tes pieds délicats ? Où te faut-il chercher ? Vois la saison nouvelle : Sur son visage blanc quelle pourpre étincelle ! L’hirondelle a chanté ; Zéphir est de retour : Il revient en dansant ; il ramène l’amour. L’ombre, les prés, les fleurs, c’est sa douce famille, Et Jupiter se plaît à contempler sa fille, Cette terre où partout, sous tes doigts gracieux, S’empressent de germer des vers mélodieux. Le fleuve qui s’étend dans les vallons humides Roule pour toi des vers doux, sonores, liquides. Des vers, s’ouvrant en foule aux regards du soleil, Sont ce peuple de fleurs au calice vermeil. Et les monts, en torrents qui blanchissent leurs cimes, Lancent des vers brillants dans le fond des abîmes.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre Salut, ô belle nuit, étincelante et sombre, Consacrée au repos. Ô silence de l’ombre, Qui n’entends que la voix de mes vers, et les cris De la rive aréneuse où se brise Téthys. Muse, muse nocturne, apporte-moi ma lyre. Comme un fier météore, en ton brûlant délire, Lance-toi dans l’espace ; et, pour franchir les airs, Prends les ailes des vents, les ailes des éclairs, Les bonds de la comète aux longs cheveux de flamme. Mes vers impatients, élancés de mon âme, Veulent parler aux dieux, et volent où reluit L’enthousiasme errant, fils de la belle nuit. Accours, grande nature, ô mère du génie ; Accours, reine du monde, éternelle Uranie. Soit que tes pas divins sur l’astre du Lion Ou sur les triples feux du superbe Orion Marchent, ou soit qu’au loin, fugitive, emportée, Tu suives les détours de la voie argentée, Soleils amoncelés dans le céleste azur. Où le peuple a cru voir les traces d’un lait pur, Descends ; non, porte-moi sur ta route brûlante, Que je m’élève au ciel comme une flamme ardente. Déjà ce corps pesant se détache de moi. Adieu, tombeau de chair, je ne suis plus à toi. Terre, fuis sous mes pas. L’éther où le ciel nage M’aspire. Je parcours l’océan sans rivage. Plus de nuit. Je n’ai plus d’un globe opaque et dur Entre le jour et moi l’impénétrable mur. Plus de nuit, et mon œil et se perd et se mêle Dans les torrents profonds de lumière éternelle. Me voici sur les feux que le langage humain Nomme Cassiopée et l’Ourse et le Dauphin. Maintenant la Couronne autour de moi s’embrase. Ici l’Aigle et le Cygne et la Lyre et Pégase. Et voici que plus loin le Serpent tortueux Noue autour de mes pas ses anneaux lumineux. Féconde immensité, les esprits magnanimes Aiment à se plonger dans tes vivants abîmes, Abîmes de clartés, où, libre de ses fers. L’homme siège au conseil qui créa l’univers ; Où l’âme, remontant à sa grande origine, Sent qu’elle est une part de l’essence divine…

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    L'inquiet désir Voici l'été encor, la chaleur, la clarté, La renaissance simple et paisible des plantes, Les matins vifs, les tièdes nuits, les journées lentes, La joie et le tourment dans l'âme rapportés. — Voici le temps de rêve et de douce folie Où le cœur, que l'odeur du jour vient enivrer, Se livre au tendre ennui de toujours espérer L'éclosion soudaine et bonne de la vie, Le cœur monte et s'ébat dans l'air mol et fleuri. — Mon cœur, qu'attendez-vous de la chaude journée, Est-ce le clair réveil de l'enfance étonnée Qui regarde, s'élance, ouvre les mains et rit ? Est-ce l'essor naïf et bondissant des rêves Qui se blessaient aux chocs de leur emportement, Est-ce le goût du temps passé, du temps clément, Où l'âme sans effort sentait monter sa sève ? — Ah ! mon cœur, vous n'aurez plus jamais d'autre bien Que d'espérer l'Amour et les jeux qui l'escortent, Et vous savez pourtant le mal que vous apporte Ce dieu tout irrité des combats dont il vient...

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    Les rêves Le visage de ceux qu’on n’aime pas encor Apparaît quelquefois aux fenêtres des rêves, Et va s’illuminant sur de pâles décors Dans un argentement de lune qui se lève. Il flotte du divin aux grâces de leur corps, Leur regard est intense et leur bouche attentive ; Il semble qu’ils aient vu les jardins de la mort Et que plus rien en eux de réel ne survive. La furtive douceur de leur avènement Enjôle nos désirs à leurs vouloirs propices, Nous pressentons en eux d’impérieux amants Venus pour nous afin que le sort s’accomplisse ; Ils ont des gestes lents, doux et silencieux, Notre vie uniment vers leur attente afflue : Il semble que les corps s’unissent par les yeux Et que les âmes sont des pages qu’on a lues. Le mystère s’exalte aux sourdines des voix, A l’énigme des yeux, au trouble du sourire, A la grande pitié qui nous vient quelquefois De leur regard, qui s’imprécise et se retire… Ce sont des frôlements dont on ne peut guérir, Où l’on se sent le coeur trop las pour se défendre, Où l’âme est triste ainsi qu’au moment de mourir ; Ce sont des unions lamentables et tendres… Et ceux-là resteront, quand le rêve aura fui, Mystérieusement les élus du mensonge, Ceux à qui nous aurons, dans le secret des nuits, Offert nos lèvres d’ombre, ouvert nos bras de songe.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Comédie de la soif 1. Les parents Nous sommes tes Grands-Parents Les Grands ! Couverts des froides sueurs De la lune et des verdures. Nos vins secs avaient du cœur ! Au Soleil sans imposture Que faut-il à l’homme ? boire. MOI – Mourir aux fleuves barbares. Nous sommes tes Grands-Parents Des champs. L’eau est au fond des osiers : Vois le courant du fossé Autour du Château mouillé. Descendons en nos celliers ; Après, le cidre et le lait. MOI – Aller où boivent les vaches. Nous sommes tes Grands-Parents ; Tiens, prends Les liqueurs dans nos armoires Le Thé, le Café, si rares, Frémissent dans les boulloires. – Vois les images, les fleurs. Nous rentrons du cimetière. MOI – Ah ! tarir toutes les urnes ! 2. L’esprit Éternelles Ondines, Divisez l’eau fine. Vénus, sœur de l’azur, Emeus le flot pur. Juifs errants de Norwège Dites-moi la neige. Anciens exilés chers Dites-moi la mer. MOI – Non, plus ces boissons pures, Ces fleurs d’eau pour verres ; Légendes ni figures Ne me désaltèrent ; Chansonnier, ta filleule C’est ma soif si folle, Hydre intime sans gueules Qui mine et désole. 3. Les amis Viens, les Vins vont aux plages, Et les flots par millions ! Vois le Bitter sauvage Rouler du haut des monts ! Gagnons, pèlerins sages L’Absinthe aux verts piliers… MOI – Plus ces paysages. Qu’est l’ivresse, Amis ? J’aime autant, mieux, même, Pourrir dans l’étang, Sous l’affreuse crème, Près des bois flottants. 4. Le pauvre songe Peut-être un Soir m’attend Où je boirai tranquille En quelque vieille Ville, Et mourrai plus content : Puisque je suis patient ! Si mon mal se résigne Si j’ai jamais quelque or, Choisirai-je le Nord Ou le Pays des Vignes ?… – Ah songer est indigne Puisque c’est pure perte ! Et si je redeviens Le voyageur ancien, Jamais l’auberge verte Ne peut bien m’être ouverte. 5 – Conclusion Les pigeons qui tremblent dans la prairie, Le gibier, qui court et qui voit la nuit, Les bêtes des eaux, la bête asservie, Les derniers papillons !… ont soif aussi. Mais fondre où fond ce nuage sans guide, – Oh ! favorisé de ce qui est frais ! Expirer en ces violettes humides Dont les aurores chargent ces forêts ? Mai 1872

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    La chambrée de nuit Rêve On a faim dans la chambrée – C’est vrai… Émanations, explosions. Un génie : « Je suis le gruère ! » – Lefêbvre « Keller ! » Le génie « Je suis le Brie ! » – Les soldats coupent sur leur pain : « C’est la vie ! » Le génie. – « Je suis le Roquefort ! » – « Ça s’ra not’ mort !… » Je suis le gruère Et le Brie !… etc. Valse On nous a joints, Lefèbvre et moi, etc.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    La rivière de Cassis La Rivière de Cassis roule ignorée En des vaux étranges : La voix de cent corbeaux l’accompagne, vraie Et bonne voix d’anges : Avec les grands mouvements des sapinaies Quand plusieurs vents plongent. Tout roule avec des mystères révoltants De campagnes d’anciens temps ; De donjons visités, de parcs importants : C’est en ces bords qu’on entend Les passions mortes des chevaliers errants : Mais que salubre est le vent ! Que le piéton regarde à ces claires-voies : Il ira plus courageux. Soldats des forêts que le Seigneur envoie, Chers corbeaux délicieux ! Faites fuir d’ici le paysan matois Qui trinque d’un moignon vieux.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les chercheuses de poux Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes, Implore l'essaim blanc des rêves indistincts, Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes Avec de frêles doigts aux ongles argentins.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    L’homme juste Le Juste restait droit sur ses hanches solides : Un rayon lui dorait l’épaule ; des sueurs Me prirent :  » Tu veux voir rutiler les bolides ? Et, debout, écouter bourdonner les flueurs D’astres lactés, et les essaims d’astéroïdes ?  » Par des farces de nuit ton front est épié, Ô juste ! Il faut gagner un toit. Dis ta prière, La bouche dans ton drap doucement expié ; Et si quelque égaré choque ton ostiaire, Dis : Frère, va plus loin, je suis estropié !  » Et le juste restait debout, dans l’épouvante Bleuâtre des gazons après le soleil mort :  » Alors, mettrais-tu tes genouillères en vente, Ô Vieillard ? Pèlerin sacré ! barde d’Armor ! Pleureur des Oliviers ! main que la pitié gante !  » Barbe de la famille et poing de la cité, Croyant très doux : ô coeur tombé dans les calices, Majestés et vertus, amour et cécité, Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices ! Je suis celui qui souffre et qui s’est révolté !  » Et ça me fait pleurer sur mon ventre, ô stupide, Et bien rire, l’espoir fameux de ton pardon ! Je suis maudit, tu sais ! je suis soûl, fou, livide, Ce que tu veux ! Mais va te coucher, voyons donc, Juste ! je ne veux rien à ton cerveau torpide.  » C’est toi le Juste, enfin, le Juste ! C’est assez ! C’est vrai que ta tendresse et ta raison sereines Reniflent dans la nuit comme des cétacés, Que tu te fais proscrire et dégoises des thrènes Sur d’effroyables becs-de-cane fracassés !  » Et c’est toi l’oeil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes Froides des pieds divins passeraient sur mon cou, Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes ! Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût ! Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes !  » J’avais crié cela sur la terre, et la nuit Calme et blanche occupait les cieux pendant ma fièvre. Je relevai mon front : le fantôme avait fui, Emportant l’ironie atroce de ma lèvre… – Vents nocturnes, venez au Maudit ! Parlez-lui, Cependant que silencieux sous les pilastres D’azur, allongeant les comètes et les noeuds D’univers, remuement énorme sans désastres, L’ordre, éternel veilleur, rame aux cieux lumineux Et de sa drague en feu laisse filer les astres ! Ah ! qu’il s’en aille, lui, la gorge cravatée De honte, ruminant toujours mon ennui, doux Comme le sucre sur la denture gâtée. – Tel que la chienne après l’assaut des fiers toutous, Léchant son flanc d’où pend une entraille emportée. Qu’il dise charités crasseuses et progrès… – J’exècre tous ces yeux de Chinois ou daines, Puis qui chante : nana, comme un tas d’enfants près De mourir, idiots doux aux chansons soudaines : Ô Justes, nous chierons dans vos ventres de grès !

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Oraison du soir Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier, Empoignant une chope à fortes cannelures, L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures. Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier, Mille Rêves en moi font de douces brûlures : Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier Qu’ensanglante l’or jeune et sombre des coulures. Puis, quand j’ai ravalé mes rêves avec soin, Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes, Et me recueille, pour lâcher l’âcre besoin : Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes, Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin, Avec l’assentiment des grands héliotropes.

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Le cap bernard A … Jetons des fleurs sur nos amitiés mortes. Si nos barques jamais, par la vague entraînées, Devaient sur d’autres mers ensemble dériver ; Dans cette île lointaine où nos âmes sont nées, Si nous devions jamais, ami, nous retrouver ; Emportons, emportons nos dieux et notre culte ! Ne changeons point d’amour en changeant d’horizon. N’imitons point ceux-là dont la vieillesse insulte Le rêve qu’adora leur première saison. N’oublions point nos dieux sur les plages natales, Sur les autels de l’Art veillons jusqu’au tombeau ! Comme ce feu sacré que gardaient les Vestales, Gardons vivant en nous l’amour sacré du beau. Amants de l’Idéal, à l’Idéal fidèles, L’un sur l’autre appuyés, montons notre chemin ! Vers le mont trois fois saint des Muses immortelles Gravissons côte à côte et la main dans la main. N’écoutons point ce monde aux intérêts sordides : En nous sont des ardeurs qui ne sont point en lui. L’Art seul est vrai ! l’Art seul et ses songes splendides Peuvent de notre cœur tromper l’ardent ennui ! Puisque le sort qui tient nos ailes enchaînées Nous refusa ces biens qui font la liberté, Au travail demandant le pain de nos journées, Luttons, résignés fiers, contre l’adversité. Luttons ! mais, quand viendra la nuit aux molles trêves, La nuit libératrice et douce aux bras lassés, Affranchis d’un long jour, vers le ciel de nos rêves, Heureux amis, tournons le vol de nos pensers. Quittons l’homme et la ville aux passions mauvaises, Allons baigner nos fronts dans l’air calmant du soir ; Comme l’oiseau pêcheur, hôte ailé des falaises, Montons sur quelque cap ensemble nous asseoir. O cap Bernard ! géant dressant sur le rivage Tes mornes flancs voilés de mornes filaos, Solitaire falaise, où la vague sauvage Vient battre et prolonger ses éternels sanglots ! Cime à mes pas connue, austère solitude, D’où l’œil monte ébloui dans l’infini des airs, O cap ! sur tes flancs noirs, loin de la multitude, Nous viendrons chaque nuit rêver au bruit des mers. Le soleil est couché : les placides montagnes Plongent leur front sublime au fond des vastes cieux ; La paix vague des soirs plane sur les campagnes ; Les astres dans l’azur ouvrent leurs chastes yeux. Des mornes et des bois lointains et des ravines, Et de la gorge ombreuse où dorment les oiseaux, S’élèvent jusqu’à nous des haleines divines Que la brise des nuits porte au loin sur les eaux. Là-haut, dans leur splendeur, les étoiles sereines Versent sur l’Océan leurs paisibles clartés ; Là-bas, les lourds vaisseaux aux puissantes carènes Se meuvent lentement sur les flots argentés. Et nous, sur le grand cap miné par les tempêtes, Aspirant enivrés le charme des hauts lieux, Muets, nous contemplons sous nos pieds, sur nos têtes, L’immensité des mers, l’immensité des cieux ! O blancheurs de nos nuits ! o tiédeurs de nos grèves ! Des monts, des bois, des eaux souffles inspirateurs ! Éblouis, nous sentons les vagues de nos rêves Se lever, à leur tour, et chanter dans nos cœurs. Et nous mêlons nos voix aux voix calmes et graves Qui montent de la terre et descendent du ciel ; Et moi, j’évoque, ami, sur vos lèvres suaves La strophe au flot limpide et doux comme le miel. Oh ! vous tenez du ciel un ample et beau génie. Pour en doter vos vers vous avez emprunté A l’Océan sa mâle et puissante harmonie, Aux monts leur grande ligne et leur placidité. Si la Muse, pour vous, poète au rythme antique, Fut prodigue, au berceau, de ses dons maternels, Moi, le ciel m’a doué d’une âme sympathique Qui pour votre âme aura des échos fraternels. Épanchez donc en moi vos espoirs et vos songes, Cet idéal cherché dont mon cœur est épris. Ensemble abreuvons-nous de célestes mensonges ; Dans l’absolu divin confondons nos esprits ! Parlons des hauts objets de notre haute ivresse, Des vieux maîtres de l’art, — Dante, Homère, Milton ! – Parlons-en, comme, un soir, deux enfants de la Grèce En auraient su parler sous le ciel de Platon. Soulevons ces grands noms, ces gloires pacifiques, Guides chanteurs portant la lyre pour flambeau, Harmonieux songeurs aux lèvres séraphiques, Qui menaient l’homme à Dieu par les chemins du beau. Parlons de tous ces rois de la pensée humaine, Premiers-nés de la Muse, augustes éprouvés, Qui de l’Art ont pour l’homme agrandi le domaine, Et que l’homme a partout de larmes abreuvés. Et devant ces grands cœurs, ces souffrances sublimes, Devant ces flots, ces monts, ces déserts étoilés, De la vie oubliant les misères infimes, Nous bénirons nos jours que l’Art a consolés. Nous bénirons Celui qui nous a fait une âme Pour t’aimer, ô nature ! et sentir ta beauté ; Qui dans nos yeux a mis la poétique flamme, Et sur nos fronts le sceau de l’idéalité. Nous bénirons Celui qui fit ces globes chastes, Mondes flottants qu’un jour nous irons habiter ; Qui fit les vastes cieux et les horizons vastes Pour le traduire à nous, — et nous, pour le chanter. Et nous le chanterons, lui, le Maître paisible, Qui nous sourit là-haut dans ces radieux corps ; Et nos voix, exhalant l’hymne de l’Invisible, A l’orgue de la mer uniront leurs accords. 1851

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Rêverie Dis-moi, mobile étoile aux ailes de lumière, Qui poursuis dans l’azur ton vol mystérieux, Où va ta course ? Est-il un but à ta carrière ? Cloras-tu quelque part tes ailes dans les cieux ? Dis-moi, lune pensive, ô pâle voyageuse ! Cheminant aux déserts du firmament lacté, Dans quelle profondeur obscure ou lumineuse, O lune ! cherches-tu le repos souhaité ? Dis-moi, vent fatigué, qui vas à l’aventure, Comme un déshérité sans foyer ni repos, Est-il un lit secret au fond de la nature, Est-il un nid pour toi dans l’arbre ou sur les flots ? Dis-moi, mer tourmentée, au murmure sauvage, Qui te plains à la nuit, qui te plains au soleil, Par delà l’horizon est-il quelque rivage Où tu doives trouver un lit et le sommeil ? Et toi, cœur inquiet, plus agité que l’onde, Plus errant que la brise et qu’un rien fait gémir, Est-il un lieu béni, dans l’un ou l’autre monde, Où tu puisses, mon cœur, oublier et dormir ?

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    L’idéal Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes, Produits avariés, nés d’un siècle vaurien, Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes, Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien. Je laisse à Gavarni, poète des chloroses, Son troupeau gazouillant de beautés d’hôpital, Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal. Ce qu’il faut à ce cœur profond comme un abîme, C’est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime, Rêve d’Eschyle éclos au climat des autans ; Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange, Qui tors paisiblement dans une pose étrange Tes appas façonnés aux bouches des Titans !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    La béatrice Dans des terrains cendreux, calcinés, sans verdure, Comme je me plaignais un jour à la nature, Et que de ma pensée, en vaguant au hasard, J’aiguisais lentement sur mon cœur le poignard, Je vis en plein midi descendre sur ma tête Un nuage funèbre et gros d’une tempête, Qui portait un troupeau de démons vicieux, Semblables à des nains cruels et curieux. À me considérer froidement ils se mirent, Et, comme des passants sur un fou qu’ils admirent, Je les entendis rire et chuchoter entre eux, En échangeant maint signe et maint clignement d’yeux : — « Contemplons à loisir cette caricature Et cette ombre d’Hamlet imitant sa posture, Le regard indécis et les cheveux au vent. N’est-ce pas grand’pitié de voir ce bon vivant, Ce gueux, cet histrion en vacances, ce drôle, Parce qu’il sait jouer artistement son rôle, Vouloir intéresser au chant de ses douleurs Les aigles, les grillons, les ruisseaux et les fleurs, Et même à nous, auteurs de ces vieilles rubriques, Réciter en hurlant ses tirades publiques ? » J’aurais pu (mon orgueil aussi haut que les monts Domine la nuée et le cri des démons) Détourner simplement ma tête souveraine, Si je n’eusse pas vu parmi leur troupe obscène, Crime qui n’a pas fait chanceler le soleil ! La reine de mon cœur au regard nonpareil, Qui riait avec eux de ma sombre détresse Et leur versait parfois quelque sale caresse.

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    La chambre double Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu. L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. — C’est quelque chose de crépusculaire, de bleuâtre et de rosâtre ; un rêve de volupté pendant une éclipse. Les meubles ont des formes allongées, prostrées, alanguies. Les meubles ont l’air de rêver ; on les dirait doués d’une vie somnambulique, comme le végétal et le minéral. Les étoffes parlent une langue muette, comme les fleurs, comme les ciels, comme les soleils couchants. Sur les murs nulle abomination artistique. Relativement au rêve pur, à l’impression non analysée, l’art défini, l’art positif est un blasphème. Ici, tout a la suffisante clarté et la délicieuse obscurité de l’harmonie. Une senteur infinitésimale du choix le plus exquis, à laquelle se mêle une très-légère humidité, nage dans cette atmosphère, où l’esprit sommeillant est bercé par des sensations de serre-chaude. La mousseline pleut abondamment devant les fenêtres et devant le lit ; elle s’épanche en cascades neigeuses. Sur ce lit est couchée l’Idole, la souveraine des rêves. Mais comment est-elle ici ? Qui l’a amenée ? quel pouvoir magique l’a installée sur ce trône de rêverie et de volupté ? Qu’importe ? la voilà ! je la reconnais. Voilà bien ces yeux dont la flamme traverse le crépuscule ; ces subtiles et terribles mirettes, que je reconnais à leur effrayante malice ! Elles attirent, elles subjuguent, elles dévorent le regard de l’imprudent qui les contemple. Je les ai souvent étudiées, ces étoiles noires qui commandent la curiosité et l’admiration. À quel démon bienveillant dois-je d’être ainsi entouré de mystère, de silence, de paix et de parfums ? Ô béatitude ! ce que nous nommons généralement la vie, même dans son expansion la plus heureuse, n’a rien de commun avec cette vie suprême dont j’ai maintenant connaissance et que je savoure minute par minute, seconde par seconde ! Non ! il n’est plus de minutes, il n’est plus de secondes ! Le temps a disparu ; c’est l’Éternité qui règne, une éternité de délices ! Mais un coup terrible, lourd, a retenti à la porte, et, comme dans les rêves infernaux, il m’a semblé que je recevais un coup de pioche dans l’estomac. Et puis un Spectre est entré. C’est un huissier qui vient me torturer au nom de la loi ; une infâme concubine qui vient crier misère et ajouter les trivialités de sa vie aux douleurs de la mienne ; ou bien le saute-ruisseau d’un directeur de journal qui réclame la suite du manuscrit. La chambre paradisiaque, l’idole, la souveraine des rêves, la Sylphide, comme disait le grand René, toute cette magie a disparu au coup brutal frappé par le Spectre. Horreur ! je me souviens ! je me souviens ! Oui ! ce taudis, ce séjour de l’éternel ennui, est bien le mien. Voici les meubles sots, poudreux, écornés ; la cheminée sans flamme et sans braise, souillée de crachats ; les tristes fenêtres où la pluie a tracé des sillons dans la poussière ; les manuscrits, raturés ou incomplets ; l’almanach où le crayon a marqué les dates sinistres ! Et ce parfum d’un autre monde, dont je m’enivrais avec une sensibilité perfectionnée, hélas ! il est remplacé par une fétide odeur de tabac mêlée à je ne sais quelle nauséabonde moisissure. On respire ici maintenant le ranci de la désolation. Dans ce monde étroit, mais si plein de dégoût, un seul objet connu me sourit : la fiole de laudanum ; une vieille et terrible amie ; comme toutes les amies, hélas ! féconde en caresses et en traîtrises. Oh ! oui ! Le Temps a reparu ; Le Temps règne en souverain maintenant ; et avec le hideux vieillard est revenu tout son démoniaque cortége de Souvenirs, de Regrets, de Spasmes, de Peurs, d’Angoisses, de Cauchemars, de Colères et de Névroses. Je vous assure que les secondes maintenant sont fortement et solennellement accentuées, et chacune, en jaillissant de la pendule, dit : — « Je suis la Vie, l’insupportable, l’implacable Vie ! » Il n’y a qu’une Seconde dans la vie humaine qui ait mission d’annoncer une bonne nouvelle, la bonne nouvelle qui cause à chacun une inexplicable peur. Oui ! le Temps règne ; il a repris sa brutale dictature. Et il me pousse, comme si j’étais un bœuf, avec son double aiguillon. — « Et hue donc ! bourrique ! Sue donc, esclave ! Vis donc, damné ! »

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    La chevelure Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d’autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum. J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève ! Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire A grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m’enivre ardemment des senteurs confondues De l’huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

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    Charles Baudelaire

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    Le jeu Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles, Pâles, le sourcil peint, l’oeil câlin et fatal, Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles Tomber un cliquetis de pierre et de métal ; Autour des verts tapis des visages sans lèvre, Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent, Et des doigts convulsés d’une infernale fièvre, Fouillant la poche vide ou le sein palpitant ; Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres Et d’énormes quinquets projetant leurs lueurs Sur des fronts ténébreux de poètes illustres Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs ; Voilà le noir tableau qu’en un rêve nocturne Je vis se dérouler sous mon oeil clairvoyant. Moi-même, dans un coin de l’antre taciturne, Je me vis accoudé, froid, muet, enviant, Enviant de ces gens la passion tenace, De ces vieilles putains la funèbre gaieté, Et tous gaillardement trafiquant à ma face, L’un de son vieil honneur, l’autre de sa beauté ! Et mon coeur s’effraya d’envier maint pauvre homme Courant avec ferveur à l’abîme béant, Et qui, soûl de son sang, préférerait en somme La douleur à la mort et l’enfer au néant !

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    Charles Baudelaire

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    Le mauvais vitrier Il y a des natures purement contemplatives et tout à fait impropres à l’action, qui cependant, sous une impulsion mystérieuse et inconnue, agissent quelquefois avec une rapidité dont elles se seraient crues elles-mêmes incapables. Tel qui, craignant de trouver chez son concierge une nouvelle chagrinante, rôde lâchement une heure devant sa porte sans oser rentrer, tel qui garde quinze jours une lettre sans la décacheter, ou ne se résigne qu’au bout de six mois à opérer une démarche nécessaire depuis un an, se sentent quelquefois brusquement précipités vers l’action par une force irrésistible, comme la flèche d’un arc. Le moraliste et le médecin, qui prétendent tout savoir, ne peuvent pas expliquer d’où vient si subitement une si folle énergie à ces âmes paresseuses et voluptueuses, et comment, incapables d’accomplir les choses les plus simples et les plus nécessaires, elles trouvent à une certaine minute un courage de luxe pour exécuter les actes les plus absurdes et souvent même les plus dangereux. Un de mes amis, le plus inoffensif rêveur qui ait existé, a mis une fois le feu à une forêt pour voir, disait-il, si le feu prenait avec autant de facilité qu’on l’affirme généralement. Dix fois de suite, l’expérience manqua ; mais, à la onzième, elle réussit beaucoup trop bien. Un autre allumera un cigare à côté d’un tonneau de poudre, pour voir, pour savoir, pour tenter la destinée, pour se contraindre lui-même à faire preuve d’énergie, pour faire le joueur, pour connaître les plaisirs de l’anxiété, pour rien, par caprice, par désœuvrement. C’est une espèce d’énergie qui jaillit de l’ennui et de la rêverie ; et ceux en qui elle se manifeste si opinément sont, en général, comme je l’ai dit, les plus indolents et les plus rêveurs des êtres. Un autre, timide à ce point qu’il baisse les yeux même devant les regards des hommes, à ce point qu’il lui faut rassembler toute sa pauvre volonté pour entrer dans un café ou passer devant le bureau d’un théâtre, où les contrôleurs lui paraissent investis de la majesté de Minos, d’Éaque et de Rhadamanthe, sautera brusquement au cou d’un vieillard qui passe à côté de lui et l’embrassera avec enthousiasme devant la foule étonnée. — Pourquoi ? Parce que… parce que cette physionomie lui était irrésistiblement sympathique ? Peut-être ; mais il est plus légitime de supposer que lui-même il ne sait pas pourquoi. J’ai été plus d’une fois victime de ces crises et de ces élans, qui nous autorisent à croire que des Démons malicieux se glissent en nous et nous font accomplir, à notre insu, leurs plus absurdes volontés. Un matin je m’étais levé maussade, triste, fatigué d’oisiveté, et poussé, me semblait-il, à faire quelque chose de grand, une action d’éclat ; et j’ouvris la fenêtre, hélas ! (Observez, je vous prie, que l’esprit de mystification qui, chez quelques personnes, n’est pas le résultat d’un travail ou d’une combinaison, mais d’une inspiration fortuite, participe beaucoup, ne fût-ce que par l’ardeur du désir, de cette humeur, hystérique selon les médecins, satanique selon ceux qui pensent un peu mieux que les médecins, qui nous pousse sans résistance vers une foule d’actions dangereuses ou inconvenantes.) La première personne que j’aperçus dans la rue, ce fut un vitrier dont le cri perçant, discordant, monta jusqu’à moi à travers la lourde et sale atmosphère parisienne. Il me serait d’ailleurs impossible de dire pourquoi je fus pris à l’égard de ce pauvre homme d’une haine aussi soudaine que despotique. « — Hé ! hé ! » et je lui criai de monter. Cependant je réfléchissais, non sans quelque gaieté, que, la chambre étant au sixième étage et l’escalier fort étroit, l’homme devait éprouver quelque peine à opérer son ascension et accrocher en maint endroit les angles de sa fragile marchandise. Enfin il parut : j’examinai curieusement toutes ses vitres, et je lui dis : « — Comment ? vous n’avez pas de verres de couleur ? des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de paradis ? Impudent que vous êtes ! vous osez vous promener dans des quartiers pauvres, et vous n’avez pas même de vitres qui fassent voir la vie en beau ! » Et je le poussai vivement vers l’escalier, où il trébucha en grognant. Je m’approchai du balcon et je me saisis d’un petit pot de fleurs, et quand l’homme reparut au débouché de la porte, je laissai tomber perpendiculairement mon engin de guerre sur le rebord postérieur de ses crochets ; et le choc le renversant, il acheva de briser sous son dos toute sa pauvre fortune ambulatoire qui rendit le bruit éclatant d’un palais de cristal crevé par la foudre. Et, ivre de ma folie, je lui criai furieusement : « La vie en beau ! la vie en beau ! » Ces plaisanteries nerveuses ne sont pas sans péril, et on peut souvent les payer cher. Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance ?

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    Charles Baudelaire

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    Le reniement de Saint-Pierre Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmes Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ? Comme un tyran gorgé de viande et de vins, Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes. Les sanglots des martyrs et des suppliciés Sont une symphonie enivrante sans doute, Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte, Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés ! Ah ! Jésus, souviens-toi du jardin des Olives ! Dans ta simplicité tu priais à genoux Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous Que d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives, Lorsque tu vis cracher sur ta divinité La crapule du corps de garde et des cuisines, Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épines Dans ton crâne où vivait l'immense Humanité ; Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant, Quand tu fus devant tous posé comme une cible, Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux Où tu vins pour remplir l'éternelle promesse, Où tu foulais, monté sur une douce ânesse, Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux, Où, le coeur tout gonflé d'espoir et de vaillance, Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras, Où tu fus maître enfin ? Le remords n'a-t-il pas Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ? - Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait D'un monde où l'action n'est pas la soeur du rêve ; Puissé-je user du glaive et périr par le glaive ! Saint Pierre a renié Jésus... il a bien fait.

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    Le voyage A Maxime Du Camp. I Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes, L’univers est égal à son vaste appétit. Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme, Le coeur gros de rancune et de désirs amers, Et nous allons, suivant le rythme de la lame, Berçant notre infini sur le fini des mers : Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ; D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns, Astrologues noyés dans les yeux d’une femme, La Circé tyrannique aux dangereux parfums. Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent D’espace et de lumière et de cieux embrasés ; La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent, Effacent lentement la marque des baisers. Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons, De leur fatalité jamais ils ne s’écartent, Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues, Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon, De vastes voluptés, changeantes, inconnues, Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom ! II Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils La Curiosité nous tourmente et nous roule, Comme un Ange cruel qui fouette des soleils. Singulière fortune où le but se déplace, Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où ! Où l’homme, dont jamais l’espérance n’est lasse, Pour trouver le repos court toujours comme un fou ! Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ; Une voix retentit sur le pont :  » Ouvre l’oeil !  » Une voix de la hune, ardente et folle, crie .  » Amour… gloire… bonheur !  » Enfer ! c’est un écueil ! Chaque îlot signalé par l’homme de vigie Est un Eldorado promis par le Destin ; L’Imagination qui dresse son orgie Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin. Ô le Pauvre amoureux des pays chimériques ! Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer, Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques Dont le mirage rend le gouffre plus amer ? Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue, Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ; Son oeil ensorcelé découvre une Capoue Partout où la chandelle illumine un taudis. III Etonnants voyageurs ! quelles nobles histoires Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers ! Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires, Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers. Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile ! Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons, Passer sur nos esprits, tendus comme une toile, Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons. Dites, qu’avez-vous vu ? IV  » Nous avons vu des astres Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ; Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres, Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici. La gloire du soleil sur la mer violette, La gloire des cités dans le soleil couchant, Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète De plonger dans un ciel au reflet alléchant. Les plus riches cités, les plus grands paysages, Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux De ceux que le hasard fait avec les nuages. Et toujours le désir nous rendait soucieux ! – La jouissance ajoute au désir de la force. Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais, Cependant que grossit et durcit ton écorce, Tes branches veulent voir le soleil de plus près ! Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace Que le cyprès ? – Pourtant nous avons, avec soin, Cueilli quelques croquis pour votre album vorace, Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin ! Nous avons salué des idoles à trompe ; Des trônes constellés de joyaux lumineux ; Des palais ouvragés dont la féerique pompe Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;  » Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ; Des femmes dont les dents et les ongles sont teints, Et des jongleurs savants que le serpent caresse.  » V Et puis, et puis encore ? VI  » Ô cerveaux enfantins ! Pour ne pas oublier la chose capitale, Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché, Du haut jusques en bas de l’échelle fatale, Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide, Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût ; L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide, Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout ; Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ; La fête qu’assaisonne et parfume le sang ; Le poison du pouvoir énervant le despote, Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ; Plusieurs religions semblables à la nôtre, Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté, Comme en un lit de plume un délicat se vautre, Dans les clous et le crin cherchant la volupté ; L’Humanité bavarde, ivre de son génie, Et, folle maintenant comme elle était jadis, Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :  » Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis !  » Et les moins sots, hardis amants de la Démence, Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin, Et se réfugiant dans l’opium immense ! – Tel est du globe entier l’éternel bulletin.  » VII Amer savoir, celui qu’on tire du voyage ! Le monde, monotone et petit, aujourd’hui, Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui ! Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ; Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste, Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit, Comme le Juif errant et comme les apôtres, A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau, Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d’autres Qui savent le tuer sans quitter leur berceau. Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine, Nous pourrons espérer et crier : En avant ! De même qu’autrefois nous partions pour la Chine, Les yeux fixés au large et les cheveux au vent, Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres Avec le coeur joyeux d’un jeune passager. Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres, Qui chantent :  » Par ici ! vous qui voulez manger Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim ; Venez vous enivrer de la douceur étrange De cette après-midi qui n’a jamais de fin ?  » A l’accent familier nous devinons le spectre ; Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.  » Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre !  » Dit celle dont jadis nous baisions les genoux. VIII Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre, Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons ! Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte ! Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

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    Charles Baudelaire

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    Les phares Rubens, fleuve d’oubli, jardin de la paresse, Oreiller de chair fraîche où l’on ne peut aimer, Mais où la vie afflue et s’agite sans cesse, Comme l’air dans le ciel et la mer dans la mer ; Léonard de Vinci, miroir profond et sombre, Où des anges charmants, avec un doux souris Tout chargé de mystère, apparaissent à l’ombre Des glaciers et des pins qui ferment leur pays, Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures, Et d’un grand crucifix décoré seulement, Où la prière en pleurs s’exhale des ordures, Et d’un rayon d’hiver traversé brusquement ; Michel-Ange, lieu vague où l’on voit des Hercules Se mêler à des Christs, et se lever tout droits Des fantômes puissants qui dans les crépuscules Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ; Colères de boxeur, impudences de faune, Toi qui sus ramasser la beauté des goujats, Grand coeur gonflé d’orgueil, homme débile et jaune, Puget, mélancolique empereur des forçats, Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres, Comme des papillons, errent en flamboyant, Décors frais et légers éclairés par des lustres Qui versent la folie à ce bal tournoyant ; Goya, cauchemar plein de choses inconnues, De foetus qu’on fait cuire au milieu des sabbats, De vieilles au miroir et d’enfants toutes nues, Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ; Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges, Ombragé par un bois de sapins toujours vert, Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges Passent, comme un soupir étouffé de Weber ; Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes, Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum, Sont un écho redit par mille labyrinthes ; C’est pour les coeurs mortels un divin opium ! C’est un cri répété par mille sentinelles, Un ordre renvoyé par mille porte-voix ; C’est un phare allumé sur mille citadelles, Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois ! Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage Que nous puissions donner de notre dignité Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge Et vient mourir au bord de votre éternité !

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    Charles Baudelaire

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    Maesta et errabunda Dis-moi, ton cœur parfois s'envole-t-il, Agathe, Loin du noir océan de l'immonde cité, Vers un autre océan où la splendeur éclate, Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ? Dis-moi, ton cœur parfois s'envole-t-il, Agathe ? La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs, De cette fonction sublime de berceuse ? La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate ! Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs ! - Est-il vrai que parfois le triste cœur d'Agathe Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs, Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ?

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